vendredi 14 décembre 2012

Saint NICAISE de REIMS, archevêque et martyr et sainte EUTROPIE, martyre


Cathédrale Notre-Dame de Reims. Portail de saint Sixte ou portail des Saints : un ange à l'encensoir, Saint Nicaise portant sa tête, Sainte Eutropie

Saint Nicaise, Archevêque de Reims et sainte Eutropie

Martyrs

(Ve siècle)

Saint Nicaise, archevêque de Reims, fut un vrai pasteur des âmes, l'homme de la paix, de la justice et de la charité. "La gloire d'un pasteur, répétait-il souvent, n'est pas de se couvrir des dépouilles de ses ouailles, mais de se dépouiller lui-même pour les revêtir."

Longtemps la cité de Reims fut docile à sa parole. Mais peu à peu le pasteur affligé vit son troupeau glisser dans la corruption et le vice. Les crimes s'y multipliaient de jour en jour, et la voix de Nicaise, qui flagellait publiquement les abus, n'était plus écoutée. Dieu résolut alors d'envoyer à la cité coupable un châtiment exemplaire. Il appela sur elle le glaive des Vandales. Avant de frapper, le Seigneur, usant de miséricorde, députa du Ciel un Ange pour annoncer au saint évêque le fléau qui allait affliger la ville ingrate.

Nicaise assembla son peuple, et, les larmes dans la voix: "Pleurez, dit-il, gémissez sous la cendre, troupeau infortuné, Dieu a compté le nombre de vos iniquités; si vous ne faites pénitence, d'effroyables châtiments vont s'appesantir sur vous." Mais ces salutaires avertissements furent inutiles. L'apparition des Vandales se chargea de justifier la prédiction du saint pontife. Nicaise attendit les barbares à genoux; l'un d'entre eux se précipita sur lui, et d'un coup de hache lui abattit la tête.

Sa soeur Eutropie allait être épargnée; mais, craignant des outrages pires que la mort, elle souffleta le meurtrier de son frère, et reçut un coup d'épée au travers du corps. Les barbares s'enfuirent en entendant les anges chanter dans les airs la gloire des martyrs.

Abbé L. Jaud, Vie des Saints pour tous les jours de l'année, Tours, Mame, 1950.

SOURCE : http://magnificat.ca/cal/fr/saints/saint_nicaise_archeveque_de_reims.html

- Saint Nicaise, archevêque de Reims, martyr. Ve siècle.

" Un pasteur véritable doit travailler jusqu'à l'effusion de son sang plutôt que d'abandonner le troupeau de Jésus-Christ."

Saint Athanase.

Les Eglises du nord de la Gaule, quoique parvenues assez tard à une existence officielle, s'étaient bien vite dédommagées.

Chaque jour qui s'écoulait, dit M. Kurth, marquait un progrès pour les chrétientés de la Gaule du nord. Bientôt elle fut à même de payer sa dette aux Eglises du midi. C'est un enfant de Toul, saint Honorat, qui alla fonder, en 405, cet illustre monastère de Lérins, foyer de la vie monastique en Gaule et pépinière de l'épiscopat gaulois. C'est un fils de Trèves, Salvien, qui brilla au premier rang des écrivains ecclésiastiques du cinquième siècle, et dont la pathétique éloquence n'a pas vieilli pour l'histoire. C'est à Trèves encore, dans la société du saint prêtre Banosus, que se développa la vocation religieuse de saint Jérôme ; et si on se rappelle que cette ville a eu pour professeur Lattante et pour élève Ambroise, on trouvera que l'Eglise de Belgique n'a pas été inutile à l'Eglise universelle.

On ne comprendrait pas bien le grand rôle réservé à cette Eglise dans l'histoire de la jeunesse du monde moderne, si à l'étude de sa vie intime on n'ajoutait celle de ses organismes essentiels. Comme l'Eglise universelle elle-même, l'Eglise des Gaules alors était une fédération de diocèses reliés entre eux par la communion, par les assemblées conciliaires et par l'obéissance à l'autorité du Souverain Pontife. En dehors de ce triple et puissant élément d'unité, toute son activité et toute sa vie résidaient dans les groupes diocésains.

Chaque diocèse était comme une monarchie locale dont l'évêque était le chef religieux et tendait à devenir le chef temporel. Chef religieux, il était la source de l'autorité, le gardien de la discipline, le dispensateur des sacrements, l'administrateur de la charité, le protecteur-né de tout ce qui était pauvre, faible, souffrant ou abandonné. Chacune de ces attributions concentrait dans ses mains une somme proportionnée d'autorité et d'influence. L'Etat lui-même avait reconnu et affermi cette influence en accordant à l'épiscopat les deux grands privilèges qui lui garantissaient l'indépendance : je veux dire l'exemption des charges publiques et la juridiction autonome. Les constitutions lui accordaient même une part d'intervention dans la juridiction séculière, chaque fois qu'une cause touchait particulièrement à la morale ou au domaine religieux.

La confiance du peuple allait plus loin. N'ayant plus foi dans les institutions civiles, ils s'habituèrent à confier la défense de tous leurs intérêts aux autorités ecclésiastiques. Ils ne se préoccupèrent pas de faire le départ du spirituel et du temporel : ils donnèrent tous les pouvoirs à qui rendait tous les services. Sans l'avoir cherché, en vertu de sa seule mission religieuse et grâce à l'affaiblissement de l'Etat, les évêques se trouvèrent chargés du gouvernement de leur côté, c'est-à-dire de leurs diocèses Gouverneurs sans mandat officiel, il est vrai, mais d'autant plus obéis que tout ce qui avait un caractère officiel inspirait plus de défiance et d'aversion, ils furent, en Gaule surtout, les bons génies du monde agonisant. Ils fermèrent les plaies que l'Etat ouvrait ; ils firent des prodiges de dévouement et de charité. Les évêques, dit un historien protestant parlant de la Gaule pratiquèrent alors la bienfaisance dans des proportions que le monde n'a peut-être jamais revues.

Telle était la situation lorsque éclata la catastrophe de 406. Ce fut un coup terrible pour les chrétientés de la Gaule septentrionale. Nous ne savons que peu de chose de ces jours pleins de troubles et de terreurs, où l'histoire même se taisait, comme écrasée par l'immensité des souffrances qu'il eût fallu enregistrer. Même les quelques souvenirs qu'en ont gardés les peuples ont été brouillés et, confondus avec celui de l'invasion hunnique, arrivée un demi-siècle plus tard. Un seul des épisodes consignés par l'hagiographie peut être rapporté avec certitude aux désastres de 406 ; il s'agit de la mort du vénérable pontife de Reims, saint Nicaise, égorgé par les Vandales au milieu de son troupeau qu'il n'avait pas voulu abandonner.

Que les combats fameux du bienheureux Nicaise, évêque de Reims et martyr du Christ, dont nous célébrons le triomphe, et de sa sainte soeur Entropie, dont nous admirons l'intrépidité et la pudeur, nous soient propices en ce jour où nous attendons joyeux les consolations que leurs prières et leurs mérites nous obtiendront. Tandis qu'ils luttaient encore sur cette terre au service du Christ, ils la remplirent des heureux exemples de leur sainteté.

Elevés maintenant sur les sièges célestes, le souvenir de ce qu'ils furent nous instruit encore, et ils protègent certainement par leurs prières continuelles ceux qui s'efforcent attentivement d'atteindre la perfection, les sauvegardant des dangers présents, passés et futurs. La bienheureuse vierge Entropie suivait infatigable et sans faiblir son très saint frère qu'elle imitait et aidait, afin d'en recevoir la protection pour sa chasteté, et afin que, débarrassée des souillures de l'esprit, elle servît Dieu en toute la pureté et intégrité d'un corps défendu contre les plaisirs de la chair. Tous deux rendaient les hommages assidus de leur piété jusqu'au moment où éclatèrent les jours menaçants des persécutions.

Nicaise, le véritable serviteur de Dieu, cultivait avec vigueur le champ qui lui avait été confié et, se conformant au précepte de l'Apôtre, il prodiguait à temps et à contre-temps, par l'effusion de la parole de Dieu, les semailles qu'il avait le devoir de répandre.

Mais, comme le dit la parole divine, telle partie tombe sur la route, telle autre sur les pierres et les terrains arides, telle dans les épines, telle enfin dans une terre préparée, et celle-ci rend une moisson abondante. Ainsi parmi les hommes il y a un grand nombre d'appelés, mais peu d'élus ; il s'en trouva plusieurs qui suivirent le Christ en sa compagnie et, remplis du Saint-Esprit, se préparèrent au martyre. Qu'est-ce donc qui a provoqué la colère divine à cet écrasement des Gaules qu'une révélation lui avait fait connaître avant qu'elle arrivât ? C'est alors qu il condamnait une richesse d'origine infâme, proclamant dans son angoisse la future destruction de la province amenée par l'excès du plaisir et la paresse de l'impuissance, lamentable maladie de l'âme, ou par la convoitise de l'avarice, passions qui enchaînent misérablement le coeur humain. L'évêque exhortait donc ses ouailles dont la conscience coupable l'inquiétait, prêt à mourir pour tous afin de détourner de tous la colère de Dieu ; il suppliait, l'esprit contrit et le coeur humilié, l'invincible clémence céleste afin que le glaive des hommes ne pénétrât pas jusqu'aux âmes, mais pour que, sauvés par la pénitence et la prière continuelle et la conscience renouvelée, ils reçussent le plein pardon, grâce à l'ineffable grandeur de la miséricorde divine.

Sous le règne des Césars païens qui persécutèrent les chrétiens depuis le temps des apôtres jusqu'à l'époque de Constantin, l'esprit malin s'efforça par les mille ruses de l'hérésie d'atteindre le dogme de la sainte Trinité et la foi chrétienne ; il ne cessera pas d'agir de même jusqu'à la fin des temps, trompant les fidèles par d'apparents rapprochements soucieux de tout perdre, de faire souffrir, de rompre et de réduire à néant l'unité de l'Eglise qui est dans le Christ. Après le baptême de Constantin et la fin de la persécution atroce commencée par son prédécesseur Dioclétien, la sainte Eglise de Dieu commença à retrouver peu à peu la paix ; à la faveur d'un repos bien désiré, elle s'étendit, s'enrichit et s'accrut de disciples et d'honneurs. Malheureusement l'Eglise de Gaule se laissa abuser par ces biens et, à l'instigation du démon, se livra au plaisir et à la bonne chère ; bientôt on ne rougit plus de délaisser la religion, de mettre en oubli les préceptes divins, de provoquer des scandales, des scissions, et d'offenser Dieu.

Et voilà que soudain, parmi tant de dissipations, s'émut la fureur de nations intraitables. La cohue des Vandales, vengeresse de l'offense faite à Dieu, se lance sur plusieurs provinces. Ces bandes, détruisant les villes de fond en comble, tuant tout le monde sans distinction, ne semblaient rechercher autre chose que de répandre le sang humain. Dans cette bourrasque, la Gaule se trouvait avoir de très illustres serviteurs de Dieu, saint Nicaise de Reims et saint Aignan d'Orléans, que leurs miracles et les dons qui les ornaient avaient fait connaître à tous. Ils avaient lutté longtemps par leurs prodiges et leurs prières à écarter la colère de Dieu, s'efforçant à éteindre les hérésies et l'immoralité et à ramener les peuples au Roi-Dieu par la pénitence, et de détourner de leurs peuples une pareille persécution. Ils poussaient leurs fidèles par leurs prédications et par tout ce qu'ils tentaient à revenir à la pénitence, à la patience et au martyre, afin que ceux qu'une funeste prospérité avait conduits au péché trouvassent dans l'adversité non le jugement de condamnation, mais la grâce du pardon et l'occasion du salut. L'armée des Vandales vint donc camper sous les murs de Reims ; presque tout le monde s'était enfui; ils ne songeaient cependant qu'à tuer ceux qui ne partageaient pas leur croyance.

Le dernier jour de ce pillage, comme les Vandales cherchaient de tous côtés et menaçaient gravement la ville, les citoyens terrifiés vinrent trouver Nicaise, qui priait à genoux, le suppliant de les consoler et de dire ce qu'ils avaient à faire de mieux, ou se livrer en esclavage aux barbares, ou combattre jusqu'à la mort pour sauver la ville. Entendant cela, Nicaise, à qui une révélation avait faut connaître le sort réservé à la ville, répondit :

" Il faut combattre pour le salut, non par les armes, niais par les mœurs, non avec la confiance de la force, mais avec le soutien de ses vertus, non pas tant avec le corps qu'avec l'esprit. Nous savons que cette indignation a été amenée par le juste jugement de Dieu, aussi le seul conseil de salut que l'on puisse donner serait de s'humilier sous le châtiment divin, sans violence, comme des enfants de péché, mais avec patience, comme des enfants de prière, afin que nous puissions être appelés à bon droit et que nous soyons réellement enfants de Dieu. Acceptons ce péril en esprit d'expiation, offrons-nous pour obtenir le pardon et ne pas tomber pour nos péchés dans la peine éternelle, ainsi les misères présentes seront moins un tourment qu'un remède. En ce qui me concerne, je suis prêt, comme doit l'être le pasteur, à donner ma vie pour mes brebis, à mépriser la vie présente afin que vous receviez la vie éternelle qui a été promise. Prions donc instamment pour nos ennemis, sollicitons leur salut, demandons qu'ils se repentent de leurs crimes, afin que nous les voyions aimer et servir la vérité avec la même passion qu'ils ont apportée dans l'impiété."

Nicaise et sa soeur Entropie excitaient ainsi le peuple à affronter le martyre, et ils s'offraient eux-mêmes vaillamment, remettant à Dieu le soin de leur victoire. Ce fut sur ces entrefaites que l'invasion des barbares commença. Nicaise, rempli de la force de l'Esprit-Saint, accompagné d'Entropie, accourut sur le portail de la basilique de la Sainte-Vierge — qu'il avait bâtie lui-même pour son église cathédrale, car jadis la chaire épiscopale se trouvait dans l'église des Saints-Apôtres —, et ils entonnèrent des psaumes et des cantiques.

Dès qu'il vit les gens armés qui approchaient, il commanda le silence d'un geste de la main et dit :

" Ô armes victorieuses, et plût à Dieu que ce fût pour le Christ, Ô force exécutive des volontés divines, pourquoi, contrairement à la nature de la condition humaine, changez-vous votre victoire en rage ? Le droit des vainqueurs était jadis ainsi résumé : Epargner les humbles, combattre les puissants. Voici donc une foule de chrétiens humbles et pieux, prosternés devant son Dieu en votre présence, qui attend, obéissante jusqu'à la mort, la rémission de ses péchés dans le lieu même où elle fut régénérée. Tandis que le temps est favorable et que durent encore les jours de salut, faites vous-mêmes pénitence pour vos péchés, reconnaissant le vrai Dieu dont vous satisfaites à l'indignation en corrigeant les fils de sa miséricorde, qui chaque jour perdent la vie à cause de vous, de peur que sa colère qui vaut à ses fils la correction pour le salut, ne soit pour vous le paiement dans la damnation éternelle. Si vous rejetez la vérité, et que vous tuez mes brebis, prenez-moi à leur place, offrez à la majesté divine le sacrifice de mon corps, afin que le pasteur mérite d'être trouvé digne de la récompense céleste, ainsi que ses brebis."

Là-dessus Nicaise se prosterna avec sa soeur et chanta d'une voix forte :

" Mon âme a été comme attachée à la terre."

Un violent coup d'épée trancha dans son gosier le verset commencé, mais ses lèvres achevèrent de murmurer :

" Seigneur, vivifie-moi selon ta parole."

Sainte Eutropie, voyant autour d'elle la fureur s'adoucir et redoutant que sa beauté ne la destinât aux plaisirs des païens, sauta sur l'assassin en criant :

" Hélas ! Méchant tyran, tu as fait mourir de tes mains indignes un grand serviteur de Dieu et tu me réserves pour abuser de moi. Le jugement de Dieu te damnera pour t'en punir."

Et pour le provoquer, elle bondit, lui arracha les paupières et les yeux, et à l'instant même elle fut percée par des épées, qu'elle préférait aux attouchements des païens. Son sang se répandit et elle recueillit avec son frère la palme du martyre.

Les païens, furieux de l'audace et de la constance de la vierge et confondus du châtiment soudain de l'assassin de Nicaise, changeant l'indulgence qui les avait poussés à l'épargner, lui firent subir d'odieux outrages.

Le meurtre fini, les habitants massacrés, une terreur subite envahit les persécuteurs. Comme si les armées célestes étaient venues venger un crime si atroce, on entendit un bruit insolite et énorme dans l'église ; l'ennemi affolé perdit son arrogance ; ce fut un sauve-qui-peut général dans les montagnes, sur les routes ; il abandonna son butin et on ne le revit plus.

La ville demeura longtemps déserte, les chrétiens ayant fui dans la montagne par crainte des barbares ; mais les corps des martyrs étaient gardés par les anges ; la nuit, on voyait de très loin leur céleste lueur et beaucoup de gens les entendirent chanter. Cependant les habitants, réconfortés par des révélations divines, revinrent dans la ville ensevelir les corps des saints martyrs dont l'odeur exquise les guidait. Mêlant la joie aux larmes et chantant des hymnes lugubres, ils enterrèrent les martyrs avec respect dans des lieux consacrés à cet effet autour de la ville. Et tout ceci arriva afin que la force sacerdotale invincible, éprouvée durement, fût glorifiée et la négligence criminelle du peuple reçût son juste traitement, et expiée par l'effusion du sang, fût effacée.

Les corps de Nicaise et d'Entropie furent inhumés dans le cimetière de Saint-Agricola, sur la route qui est à l'est de la ville, dans le temple fameux construit jadis par le préfet Jovinus, afin que l'on vît le dessein providentiel qui avait voulu que ce temple tirât son lustre non de sa destination première, mais de la sainteté de ses hôtes. Ces corps s'y trouvent et ils sont glorifiés par de nombreux miracles.

Les gens de Reims possèdent là deux gages perpétuels d'intercession en leur faveur... Assurés par ces prières, souhaitons donc d'arriver aux joies désirables dont les bienheureux jouissent sans fin dans le Christ.

Amen.



Saint NICAISE,

Évêque et martyr et ses compagnons dont sa soeur sainte Eutropie (+ 407)

Dans ces années, il y avait grande invasion des Vandales en Champagne. Ils étaient destructeurs et leur christianisme arien leur faisait détester les tenants de la foi du Concile de Nicée. Les habitants de Reims préférèrent s'enfuir. Mais l'évêque saint Nicaise ne voulut pas abandonner les vieillards et ceux qui ne pouvaient se sauver. Il attendit les barbares sur le parvis de la cathédrale. Il voulait les persuader par la douceur, mais ses paroles restèrent vaines. Les Vandales le tuèrent ainsi que sa sœur Eutropie, deux de ses clercs, Florent le diacre, et Jucundus le lecteur, qui se tenaient à ses côtés. Le massacre se poursuivit ensuite dans toute la ville.

Sainte Eutropie, vierge qui fut martyrisée à Reims avec son frère, Saint Nicaise.




Martyre de saint Nicaise. Legenda aurea. Bx J. de Voragine. Mâcon. XVe.

NICAISE DE REIMS

Évêque de Reims, Martyr, Saint

(Ve siècle)

Après les évêques dont nous venons de parler, le siège épiscopal fut occupé par saint Nicaise, homme d'une grande charité et constance, qui sut gouverner avec vigueur, au milieu de la persécution des Vandales, le troupeau confié à ses soins : pendant la paix, source d'éclat et de gloire pour son église ; au milieu des dangers, guide courageux et protecteur fidèle ; formant le peuple par ses pieuses doctrines et ses vertueux exemples, et relevant la splendeur de l'Église, chaste épouse de Jésus-Christ, par de riches fondations. Jusqu'à lui la chaire épiscopale avait été attachée à l'église dite des Apôtres ; inspiré par une révélation divine, il érigea une nouvelle basilique en l'honneur de la bienheureuse Mère de Dieu, toujours vierge, où il transféra le siège épiscopal, et qu'il consacra bientôt de son sang. Ce saint évêque, averti par un ange, prévit longtemps d'avance les massacres qui devaient désoler la Gaule, et, pour réprimer la fatale confiance d'une aveugle prospérité, il annonçait les vengeances de la colère divine. Son inquiète charité portait avec douleur le poids des péchés de son troupeau ; prêt à mourir pour le salut de tous, il s'offrait, afin de détourner de son peuple la colère de Dieu ; ou, puisque sa ruine était inévitable, cherchant à gagner la clémence de Dieu par l'humilité d'un cœur contrit et résigné, il s'efforçait, sinon d'arrêter le glaive temporel, au moins d'empêcher que le glaive éternel ne pénétrât jusque dans les âmes. Mais comme la semence de la parole de Dieu ne peut germer au milieu des épines des richesses, ceux qui prospèrent et se glorifient dans la vanité du siècle n'ouvrent point leur cœur aux conseils salutaires, et ne les y reçoivent point pour les faire fructifier : distraits par les embarras de mille occupations passagères, au lieu de poursuivre la charitable vie, ils s'engagent sous les étendards funestes du péché et de la mort ; et parce qu’ils ne haïssent pas assez profondément le mal, ils sont incapables de faire dignement le bien. Aussi les peuples ne craignaient pas de mépriser la sainte religion, de violer les commandements de Dieu, de se rendre esclaves des vanités, de se souiller des vices de la concupiscence, d'exciter des scandales et des schismes, et enfin, ô douleur ! d'offenser Dieu par toutes les iniquités. Mais tout-à-coup, au milieu même des jours de prospérité, Dieu suscite la colère des nations les plus barbares : des hordes de Vandales se précipitent furieuses dans les diverses provinces pour ,venger ses offenses ; les murs des villes tombent devant eux ; les familles périssent par le glaive avec leur postérité. Les barbares semblent n'aspirer à aucune gloire, ne chercher aucun profit. Ils ne veulent que verser, épuiser le sang humain ; ils ne sont altérés que du carnage des Chrétiens. Au milieu de cette affreuse tempête, de glorieux évêques brillaient dans les Gaules ; à Rheims, le grand saint Nicaise ; à Orléans, le bienheureux saint Anian ; à Troyes, saint Loup ; à Tongres, saint Servais, et quelques autres prélats fameux par leurs vertus, qui retardèrent longtemps par leurs prières et leurs mérites l'éclat de la colère de Dieu, s'efforçant d'éteindre l'hérésie et les vices parmi le peuple, de le ramener par la pénitence à la religion catholique et au vrai culte du Seigneur, et de détourner de la tête de l'Église chrétienne le glaive d'une si terrible persécution et des vengeances divines.

Cependant les Vandales viennent camper devant Rheims, ravagent tout le pays, et poursuivent avec acharnement la perte des Chrétiens enfermés dans la ville : ils veulent détruire et effacer de la surface de la terre ces ennemis de leurs dieux et des mœurs païennes. À l'exemple de Jésus-Christ, saint Nicaise, prêt à donner sa vie pour ses frères, prend la ferme résolution de ne point abandonner son troupeau : il veut, ou se sauver avec eux, ou souffrir tout ce que voudra leur faire souffrir le Père de famille, dans la crainte qu'en fuyant il ne semblât délaisser le ministère de Jésus-Christ, sans lequel les bommes ne peuvent vivre ni devenir chrétiens. Aussi, selon la pensée de saint Augustin, a-t-il acquis les mérites d'une plus grande charité que celui qui, surpris dans sa fuite, confessa cependant Jésus-Christ, et mourut martyr, mais non pas pour ses frères, et n'ayant songé qu'à lui-même. Le saint évêque craignait bien plus que sa fuite ne détruisît les pierres vivantes de l'édifice divin, que de voir tomber et brûler sous ses yeux les pierres et les bois des édifices terrestres ; redoutant mille fois moins de livrer les membres de son propre corps aux tortures et à la rage des ennemis, que de laisser mourir les membres du corps de Jésus-Christ privés de la nourriture spirituelle ; il était résigné, si ce calice ne pouvait passer loin de lui, à faire la volonté de celui qui ne peut vouloir rien de mal, et ne cherchait point son bien, mais imitait celui qui a dit : « Je ne cherche point ce qui m'est avantageux en particulier, mais ce qui est avantageux à plusieurs pour être sauvés » (1 Co 10, 33). Persuadé donc que sa fuite serait plus funeste peut-être par le mauvais exemple, que ses services ne seraient un jour profitables s'il conservait sa vie, aucune raison ne put le déterminer à fuir. Il ne craignait pas la mort temporelle, qui vient toujours tôt ou tard, lors même qu'on cherche à l'éviter, mais la mort éternelle, qui peut venir si on ne l'évite pas, et ne pas venir si on l'évite. Loin de se complaire en lui-même, et de croire sa personne plus précieuse et plus digne d'être tirée du danger que toute autre, comme plus éminente en grâce, il s’obstina à rester, afin de ne pas priver l'Église de son ministère, nécessaire surtout en de si grands périls : on ne le vit point, comme le gardien mercenaire, abandonner ses brebis, et fuir à l’aspect du loup : mais, semblable au bon pasteur, il offrit généreusement sa vie pour son troupeau : enfin, il lui sembla que, dans cette extrémité, ce qu’il avait de mieux à faire, c’était d’adresser de ferventes prières au Seigneur, pour lui et pour les siens, et il choisit ce parti.

Cependant les assiégés succombent aux fatigues de la défense, aux veilles, au besoin ; l’ennemi au contraire redouble de fureur, bat de toutes parts les murs avec succès, tout le peuple est frappé de terreur et de découragement : tous accourent auprès de saint Nicaise, prosterné en prière au pied des autels : désespérés, tremblants de la victoire prochaine des barbares, ils lui demandent des consolations, comme des enfants à leur père ; ils le supplient de décider ce qu’il y a de plus utile à faire, ou de se soumettre à la servitude des barbares, ou de combattre jusqu’à la mort pour le salut de la ville. Le saint pasteur, à qui Dieu a fait connaître par révélation que Rheims doit périr, console son peuple, et ne cesse cependant d’implorer la clémence du Seigneur, afin que cette tribulation de la mort temporelle, loin d’être leur perte éternelle, profite au contraire à leur salut, et qu’ils persistent dans la confession de la vraie foi ; il les exhorte à combattre pour le salut de leur âme, non avec des armes visibles, mais par de bonnes mœurs, non avec l’appui des forces corporelles, mais par l’exercice de toutes les vertus spirituelles : il leur rappelle que la punition qui les frappe est un juste jugement de Dieu contre les péchés ; il leur répète sans cesse qu’il n’y a d’autre moyen de salut que de s’humilier avec componction sous les coups de la vengeance divine, de les recevoir, non point avec murmure et désespoir, comme des enfants d’iniquité, mais avec patience et douceur, comme des enfants de piété qui attendent les récompenses du royaume céleste.

« Souffrez, leur dit-il, souffrez avec dévotion ces tribulations d’un jour dans l’espoir d’une éternité de bonheur ; offrez-vous de bon cœur à cette mort d’un moment, pour éviter les peines d’une damnation éternelle méritée par vos fautes ; trouvez votre salut dans votre perte, et au lieu de supplice, l’éternelle guérison de vos âmes. Priez pour vos ennemis, afin qu’ils reconnaissent leurs iniquités, et que ceux qui sont aujourd’hui les ministres de l’impiété deviennent un jour les disciples de la piété, et les sectateurs de la vérité ». Enfin, il déclare que pour lui, il est prêt, comme le bon pasteur, à donner sa vie pour son troupeau, et à braver la mort temporelle, pourvu qu’ils obtiennent avec lui le pardon de leurs fautes et le salut éternelle.

Le pieux évêque était secondé par sainte Eutrope, sa sœur, chaste épouse de Jésus-Christ, qui, mettant sa vertu sous la protection de son frère, imitait en tout ses exemples et ne le quittait jamais, afin de préserver la pureté de son âme des souillures spirituelles, et la chasteté de son corps de la corruption des plaisirs charnels. Tous deux animaient le peuple de tous leurs efforts à briguer la palme du martyr, et demandaient en même temps pour lui au Seigneur le prix de la victoire. Enfin le jour marqué de Dieu pour le triomphe des barbares étaient arrivé, aussitôt que saint Nicaise voit leurs hordes furieuses se précipiter dans la ville, fortifié par la vertu de l’Esprit-Saint, et accompagné de sa bienheureuse sœur, il se présente au-devant d’eux à la porte de l’église de la sainte vierge Marie, mère de Dieu, chantant des hymnes et des cantiques spirituels. Pendant que, tout entier à la sainte psalmodie, il chante ce verset de David : « Mon âme a été comme attachée à la terre » (Ps 118 [119], 25), sa tête tombe tranchée par le glaive. Cependant la parole de piété ne manque point en sa bouche ; car sa tête, roulant à terre, poursuit la sentence d’immortalité, et il continue : « Seigneur, vivifiez-moi, selon votre parole ».

Mais sainte Eutrope voyant l’impiété s’adoucir à sa vue, et craignant que sa beauté ne fût réservée aux débats et à la brutalité des païens, se précipité sur le sacrilège meurtrier de l’évêque ; l’insultant à grands cris, provoquant son martyre, elle de frappe d’un soufflet, lui arrache les yeux, animée par une force divine, et les jette à terre. Bientôt égorgée par les barbares transportés de fureur, et donnant son sang à son Dieu, elle partagea avec son frère et d’autres saint victorieux la palme du martyr ; car parmi le peuple, beaucoup, soit clercs, soit laïques, imitèrent cette constance ; et, participant à la souffrance, méritèrent de participer aussi à l’éternelle béatitude de leur père selon Jésus-Christ. On cite entre autres, comme les plus illustres, le diacre Florent et saint Joconde, dont les têtes sont conservées à Rheims derrière l’autel de la sainte vierge Marie, mère de Dieu.

Cependant les barbares demeurent étonnés de la constance de la vierge et de la subite punition du meurtrier. Les massacres étaient finis, le sang des saints ruisselait à grands flots ; tout-à-coup une horreur d’épouvante les saisit ; ils voient des armées célestes qui viennent venger le sacrilège ; la basilique retentit d’un bruit épouvantable. Redoutant la vengeance divine, ils abandonnèrent le butin ; leurs bataillons fuient dispersés et quittent en tremblant la ville, laquelle demeura longtemps solitaire ; car les chrétiens, réfugiés dans les montagnes, n’osaient en descendre dans la crainte des barbares, et les barbares redoutaient d’y retrouver les célestes visions qui les avaient frappés. Dieu seul et ses anges veillaient à la garde des saints martyrs ; tellement que la nuit on voyait de loin les lumières célestes ; quelques-uns même entendirent les saints et doux concerts des Vertus et des Dominations du paradis. Rassurés enfin par cette miraculeuse révélation de la victoire divine, les habitants que la Providence avait conservés pour ensevelir les saints rentrent dans Rheims en faisant des prières. Arrivés au lieu où gisent les corps, ils sentent s’exhaler une odeur de parfums délicieux. Mêlant la joie aux gémissements, ils célèbrent en pleurant les louanges du Seigneur, préparent pour la sépulture les saintes reliques, et les déposent avec respect en des lieux convenables autour de la ville. Quant aux corps de saint Nicaise et de sainte Eutrope sa sœur, ils les ensevelirent solennellement dans le cimetière de l’église de Saint-Agricole, fondée longtemps auparavant, et magnifiquement décorée par Jovin, homme très chrétien et maître de la cavalerie romaine ; en sorte qu’il semblerait que la Providence eût préparé de loin cette demeure sainte, plutôt pour la dignité et célébrité de ces saints martyrs, que pour le dessein et la condition de sa fondation première.

Depuis que les corps de ces saints martyrs ont été déposés dans cette église, d’innombrables miracles l’ont illustré. Par leurs mérites et leurs prières, les malades y ont recouvré la santé et la force, et leur exemple enseigne aux fidèles à marcher dans le chemin du ciel. Saint Jérôme écrivant à une jeune veuve de noble origine, nommée Aggerunchia, et l’exhortant à persévérer dans le saint état du veuvage, fait mention de cette persécution des barbares ; il dit entre autres choses :

« D’innombrables nations barbares s’emparèrent de toute la Gaule. Les Quades, les Vandales, les Sarmates, les Alains, les Gépides, les Hérules, les Saxons, les Bourguignons, les Allemands, les Pannoniens, horrible république, ravagèrent tout le pays renfermé entre les Alpes et les Pyrénées, entre l’océan et le Rhin. Assur était avec eux. Mayence, ville autrefois fameuse, fut prise et saccagée, et des milliers de chrétiens furent égorgés. La capitale des Vangions [1] fut ruinée par un long siège. Les peuples de la puissante ville de Rheims, d’Amiens, d’Arras, ; les Morins, situés aux extrémités de la Belgique, ceux de Tournai, de Spire, de Strasbourg, furent transportés dans la Germanie, les Aquitains, la Novempulanie lyonnaise, la Narbonnaise furent dévastés, excepté quelques villes, que le fer ruinait au-dehors et la famine au-dedans ».

Enfin on dit que saint Remi avait fixé sa demeure dans cette basilique, afin que comme en esprit il approchait sans cesse des mérites des saints martyrs, il en approchât aussi en corps et en personne. On montre encore aujourd’hui, près de l’autel, le petit oratoire où il aimait à prier en secret, et à offrir, loin du bruit populaire, au Dieu qui voit tout les saintes hosties de contemplation. C’est là qu’un jour il vaquait à ces pieux exercices, lorsque, apprenant tout-à-coup l’incendie de la ville, il accourut pour l’arrêter en invoquant le Seigneur, et, secondé de l’appui des saints, laissa les traces de ses pas empreintes pour toujours sur les pierres des degrés de l’église.

Texte de Flodoard (Histoire de l'Église de Rheims).

[1] Worms.



Saint Nicaise. Petites heures de Jean de Berry. XIVe.

MARTYRE DE SAINT NICAISE

ÉVÊQUE DE REIMS

LE 14 DÉCEMBRE DE L'ANNÉE 407

Les Églises du nord de la Gaule, quoique parvenues assez tard à une existence officielle, s'étaient bien vite dédommagées. « Chaque jour qui s'écoulait, dit M. Kurth, marquait un progrès pour les chrétientés de la Gaule du nord. Bientôt elle fut à même de payer sa dette aux Églises du midi. C'est un enfant de Toul, saint Honorat, qui alla fonder, en 405, cet illustre monastère de Lérins, foyer de la vie monastique en Gaule et pépinière de l'épiscopat gaulois. C'est un fils de Trèves, Salvien, qui brilla au premier rang des écrivains ecclésiastiques du cinquième siècle, et dont la pathétique éloquence n'a pas vieilli pour l'histoire. C'est à Trèves encore, dans la société du saint prêtre Banosus, que se développa la vocation religieuse de saint Jérôme ; et si on se rappelle que cette ville a eu pour professeur Lattante et pour élève Ambroise, on trouvera que l'Église de Belgique n'a pas été inutile à l'Église universelle.

On ne comprendrait pas bien le grand rôle réservé à cette Église dans l'histoire de la jeunesse du monde moderne, si à l'étude de sa vie intime on n'ajoutait celle de ses organismes essentiels. Comme l'Église universelle elle-même, l'Église des Gaules alors était une fédération de diocèses reliés entre eux par la communion, par les assemblées conciliaires et par l'obéissance à l'autorité du Souverain Pontife. En dehors de ce triple et puissant élément d'unité, toute son activité et toute sa vie résidaient dans les groupes diocésains. Chaque diocèse était comme une monarchie locale dont l'évêque était le chef religieux et tendait à devenir le chef temporel. Chef religieux, il était la source de l'autorité, le gardien de la discipline, le dispensateur des sacrements, l'administrateur de la charité, le protecteur né de tout ce qui était pauvre, faible, souffrant ou abandonné. Chacune de ces attributions concentrait dans ses mains une somme proportionnée d'autorité et d'influence. L'État lui-même avait reconnu et affermi cette influence en accordant à l'épiscopat les deux grands privilèges qui lui garantissaient l'indépendance : je veux dire l'exemption des charges publiques et la juridiction autonome. Les constitutions lui accordaient même une part d'intervention dans la juridiction séculière, chaque fois qu'une cause touchait particulièrement à la morale ou au domaine religieux. La confiance du peuple allait plus loin. N'ayant plus foi dans les institutions civiles, ils s'habituèrent à confier la défense de tous leurs intérêts aux autorités ecclésiastiques. Ils ne se préoccupèrent pas de faire le départ du spirituel et du temporel : ils donnèrent tous les pouvoirs à qui rendait tous les services. Sans l'avoir cherché, en vertu de sa seule mission religieuse et grâce à l'affaiblissement de l'État, les évêques se trouvèrent chargés du gouvernement de leur côté, c'est-à-dire de leurs diocèses Gouverneurs sans mandat officiel, il est vrai, mais d'autant plus obéis que tout ce qui avait un caractère officiel inspirait plus de défiance et d'aversion, ils furent, en Gaule surtout, les bons génies du monde agonisant. Ils fermèrent les plaies que l'État ouvrait ; ils firent des prodiges de dévouement et de charité. Les évêques, dit un historien protestant parlant de la Gaule pratiquèrent alors la bienfaisance dans des proportions que le monde n'a peut-être jamais revues » [1].

Telle était la situation lorsque éclata la catastrophe de 406. Ce fut un coup terrible pour les chrétientés de la Gaule septentrionale. Nous ne savons que peu de chose de ces jours pleins de troubles et de terreurs, où l'histoire même se taisait, comme écrasée par l'immensité des souffrances qu'il eût fallu enregistrer. Même les quelques souvenirs qu'en ont gardés les peuples ont été brouillés et, confondus avec celui de l'invasion hunnique, arrivée un demi-siècle plus tard. Un seul des épisodes consignés par l'hagiographie peut être rapporté avec certitude aux désastres de 406 ; il s'agit de la mort du vénérable pontife de Reims, saint Nicaise, égorgé par les Vandales au milieu de son troupeau qu'il n'avait pas voulu abandonner [2].


II

LE MARTYRE DE SAINT NICAISE

Que les combats fameux du bienheureux Nicaise, évêque de Reims et martyr du Christ, dont nous célébrons le triomphe, et de sa sainte sœur Eutropie, dont nous admirons l'intrépidité et la pudeur, nous soient propices en ce jour où nous attendons joyeux les consolations que leurs prières et leurs mérites nous obtiendront. Tandis qu'ils luttaient encore sur cette terre au service du Christ, ils la remplirent des heureux exemples de leur sainteté.

Élevés maintenant sur les sièges célestes, le souvenir de c qu'ils furent nous instruit encore, et ils protègent certainement par leurs prières continuelles ceux qui s'efforcent attentivement d'atteindre la perfection, les sauvegardant des dangers présents, passés et futurs. La bienheureuse vierge Entropie suivait infatigable et sans faiblir son très saint frère qu'elle imitait et aidait, afin d'en recevoir la protection pour sa chasteté, et afin que, débarrassée des souillures de l'esprit, elle servît Dieu en toute la pureté et intégrité d'un corps défendu contre les plaisirs de la chair. Tous deux rendaient les hommages assidus de leur piété jusqu'au moment où éclatèrent les jours menaçants des persécutions.

Nicaise, le véritable serviteur de Dieu, cultivait avec vigueur le champ qui lui avait été confié et, se conformant au précepte de l'Apôtre, il prodiguait à temps et à contretemps, par l'effusion de la parole de Dieu, les semailles qu'il avait le devoir de répandre.

Mais, comme le dit la parole divine, telle partie tombe sur la route, telle autre sur les pierres et les terrains arides, telle dans les épines, telle enfin dans une terre préparée, et celle-ci rend une moisson abondante. Ainsi parmi les hommes il y a un grand nombre d'appelés, mais peu d'élus ; il s'en trouva plusieurs qui suivirent le Christ en sa compagnie et, remplis du Saint-Esprit, se préparèrent au martyre. Qu'est-ce donc qui a provoqué la colère divine à cet écrasement des Gaules qu'une révélation lui avait fait connaître avant qu'elle arrivât ? C'est alors qu il condamnait une richesse d'origine infâme, proclamant dans son angoisse la future destruction de la province amenée par l'excès du plaisir et la paresse de l'impuissance, lamentable maladie de l'âme, ou par la convoitise de l'avarice, passions qui enchaînent misérablement le coeur humain. L'évêque exhortait donc ses ouailles dont la conscience coupable l'inquiétait, prêt à mourir pour tous afin de détourner de tous la colère de Dieu ; il suppliait, l'esprit contrit et le coeur humilié, l'invincible clémence céleste afin que le glaive des hommes ne pénétrât pas jusqu'aux âmes, mais pour que, sauvés par la pénitence et la prière continuelle et la conscience renouvelée, ils reçussent le plein pardon, grâce à l'ineffable grandeur de la miséricorde divine.

Sous le règne des Césars païens qui persécutèrent les chrétiens depuis le temps des apôtres jusqu'à l'époque de Constantin, l'esprit malin s'efforça par les mille ruses de l'hérésie d'atteindre le dogme de la sainte Trinité et la foi chrétienne ; il ne cessera pas d'agir de même jusqu'à la fin des temps, trompant les fidèles par d'apparents rapprochements

ment soucieux de tout perdre, de faire souffrir, de rompre et de réduire à néant l'unité de l'Église qui est dans le Christ. Après le baptême de Constantin et la fin de la persécution atroce commencée par son prédécesseur Dioclétien, la sainte Église de Dieu commença à retrouver peu à peu la paix ; à la faveur d'un repos bien désiré, elle s'étendit, s'enrichit et s'accrut de disciples et d'honneurs. Malheureusement l'Église de Gaule se laissa abuser par ces biens et, à l'instigation du démon, se livra au plaisir et à la bonne chère ; bientôt on ne rougit plus de délaisser la religion, de mettre en oubli les préceptes divins, de provoquer des scandales, des scissions, et d'offenser Dieu.

Et voilà que soudain, parmi tant de dissipations, s'émut la fureur de nations intraitables. La cohue des Vandales, vengeresse de l'offense faite à Dieu, se lance sur plusieurs provinces. Ces bandes, détruisant les villes de fond en comble, tuant tout le monde sans distinction, ne semblaient rechercher autre chose que de répandre le sang humain. Dans cette bourrasque, la Gaule se trouvait avoir de très illustres serviteurs de Dieu, saint Nicaise de Reims et saint Aignan d'Orléans, que leurs miracles et les dons qui les ornaient avaient fait connaître à tous. Ils avaient lutté longtemps par leurs prodiges et leurs prières à écarter la colère de Dieu, s'efforçant à éteindre les hérésies et l'immoralité et à ramener les peuples au Roi-Dieu par la pénitence, et de détourner de leurs peuples une pareille persécution. Ils poussaient leurs fidèles par leurs prédications et par tout ce qu'ils tentaient à revenir à la pénitence, à la patience et au martyre, afin que ceux qu'une funeste prospérité avait conduits au péché trouvassent dans l'adversité non le jugement de condamnation, mais la grâce du pardon et l'occasion du salut. L'armée des Vandales vint donc camper sous les murs de Reims; presque tout le monde s'était enfui; ils ne songeaient cependant qu'à tuer ceux qui ne partageaient pas leur croyance.

Le dernier jour de ce pillage, comme les Vandales cherchaient de tous côtés et menaçaient gravement la ville, les citoyens terrifiés vinrent trouver Nicaise, qui priait à genoux, le suppliant de les consoler et de dire ce qu'ils avaient à faire de mieux, ou se livrer en esclavage aux barbares, ou combattre jusqu'à la mort pour sauver la ville. Entendant cela, Nicaise, à qui une révélation avait faut connaître le sort réservé à la ville, répondit : « Il faut combattre pour le salut, non par les armes, niais par les mœurs, non avec la confiance de la force, mais avec le soutien de ses vertus, non pas tant avec le corps qu'avec l'esprit. Nous savons que cette indignation a été amenée par le juste jugement de Dieu, aussi le seul conseil de salut que l'on puisse donner serait de s'humilier sous le châtiment divin, sans violence, comme des enfants de péché, mais avec patience, comme des enfants de prière, afin que nous puissions être appelés à bon droit et que nous soyons réellement enfants de Dieu. Acceptons ce péril en esprit d'expiation, offrons-nous pour obtenir le pardon et ne pas tomber pour nos péchés dans la peine éternelle, ainsi les misères présentes seront moins un tourment qu'un remède. En ce qui me concerne, je suis prêt, comme doit l'être le pasteur, à donner ma vie pour mes brebis, à mépriser la vie présente afin que vous receviez la vie éternelle qui a été promise. Prions donc instamment pour nos ennemis, sollicitons leur salut, demandons qu'ils se repentent de leurs crimes, afin que nous les voyions aimer et servir la vérité avec la même passion qu'ils ont apportée dans l'impiété. »

Nicaise et sa soeur Entropie excitaient ainsi le peuple à affronter le martyre, et ils s'offraient eux-mêmes vaillamment, remettant à Dieu le soin de leur victoire. Ce fut sur ces entrefaites que l'invasion des barbares commença. Nicaise, rempli de la force de l'Esprit-Saint, accompagné d'Entropie, accourut sur le portail de la basilique de la Sainte Vierge — qu'il avait bâtie lui-même pour son église cathédrale, car jadis la chaire épiscopale se trouvait dans l'église des Saints-Apôtres, — et ils entonnèrent des psaumes et des cantiques.

Dès qu'il vit les gens armés qui approchaient, il commanda le silence d'un geste de la main et dit : « O armes victorieuses, et plût à Dieu que ce fût pour le Christ, ô force exécutive des volontés divines, pourquoi, contrairement à la nature de la condition humaine, changez-vous votre victoire en rage ? Le droit des vainqueurs était jadis ainsi résumé : Épargner les humbles, combattre les puissants. Voici donc une foule de chrétiens humbles et pieux, prosternés devant son Dieu en votre présence, qui attend, obéissante jusqu'à la mort, la rémission de ses péchés dans le lieu même où elle fut régénérée. Tandis que le temps est favorable et que durent encore les jours de salut, faites vous-mêmes pénitence pour vos péchés, reconnaissant le vrai Dieu dont vous satisfaites à l'indignation en corrigeant les fils de sa miséricorde, qui chaque jour perdent la vie à cause de vous, de peur que sa colère qui vaut à ses fils la correction pour le salut, ne soit pour vous le paiement dans la damnation éternelle. Si vous rejetez la vérité, et que vous tuez mes brebis, prenez-moi à leur place, offrez à la majesté divine le sacrifice de mon corps, afin que le pasteur mérite d'être trouvé digne de la récompense céleste, ainsi que ses brebis.

Là-dessus Nicaise se prosterna avec sa soeur et chanta d'une voix forte : « Mon âme a été comme attachée à la terre ». Un violent coup d'épée trancha dans son gosier le verset commencé, mais ses lèvres achevèrent de murmurer : « Seigneur, vivifie-moi selon ta parole ».

Sainte Eutropie, voyant autour d'elle la fureur s'adoucir et redoutant que sa beauté ne la destinât aux plaisirs des païens, sauta sur l'assassin en criant : « Hélas ! méchant tyran, tu as fait mourir de tes mains indignes un grand serviteur de Dieu et tu me réserves pour abuser de moi. Le jugement de Dieu te damnera pour t'en punir. » Et pour le provoquer, elle bondit, lui arracha les paupières et les yeux, et à l'instant même elle fut percée par des épées, qu'elle préférait aux attouchements des païens. Son sang se répandit et elle recueillit avec son frère la palme du martyre.

Les païens, furieux de l'audace et de la constance de la vierge et confondus du châtiment soudain de l'assassin de Nicaise, changeant l'indulgence qui les avait poussés à l'épargner, lui firent subir d'odieux outrages.

Le meurtre fini, les habitants massacrés, une terreur subite envahit les persécuteurs. Comme si les armées célestes étaient venues venger un crime si atroce, on entendit un bruit insolite et énorme dans l'église ; l'ennemi affolé perdit son arrogance ; ce fut un sauve-qui-peut général dans les montagnes, sur les routes ; il abandonna son butin et on ne le revit plus.

La ville demeura longtemps déserte, les chrétiens ayant fui dans la montagne par crainte des barbares ; mais les corps des martyrs étaient gardés par les anges ; la nuit, on voyait de très loin leur céleste lueur et beaucoup de gens les entendirent chanter. Cependant les habitants, réconfortés par des révélations divines, revinrent dans la ville ensevelir les corps des saints martyrs dont l'odeur exquise les guidait. Mêlant la joie aux larmes et chantant des hymnes lugubres, ils enterrèrent les martyrs avec respect dans des lieux consacrés à cet effet autour de la ville. Et tout ceci arriva afin que la force sacerdotale invincible, éprouvée durement, fût glorifiée et la négligence criminelle du peuple reçût son juste traitement, et expiée par l'effusion du sang, fût effacée.

Les corps de Nicaise et d'Entropie furent inhumés dans le cimetière de Saint-Agricola, sur la route qui est à l'est de la ville, dans le temple fameux construit jadis par le préfet Jovinus, afin que l'on vît le dessein providentiel qui avait voulu que ce temple tirât son lustre non de sa destination première, mais de la sainteté de ses hôtes. Ces corps s'y trouvent et ils sont glorifiés par de nombreux miracles.

Les gens de Reims possèdent là deux gages perpétuels d'intercession en leur faveur... Assurés par ces prières, souhaitons donc d'arriver aux joies désirables dont les bienheureux jouissent sans fin dans le Christ. Amen [3].

[1] HAUCK Kirchengeschichte Deutschland, A. I, p. 79.

[2] Bibliographie : FLODOARDUS, Historia Remensis Ecclesiae, I, 6-7. (P. L. t. CXXXV, col. 36-43). — G. WAITZ, dans les Monuments Germaniae Script, t. XIII, p. 417-420. — Sunius, Vitae Sanctorum, t. XII (1616), p. 265-266. — Analecta bollandiana, t. V (1886), p. 341-42; t. I (1881), p. 609-13, et t. II (1882), p. 156-157 — Bibliotheca hagiographies latina (1901), fasc, V, p. 885. — CERF, Saint Nicaise est-il martyrisé en 407 par les Vandales, ou en 451 par les Huns ? (Reims, 1873, in-8°), 38 pp. — H. FLEURY, Saint Nicaise et son Église dans Chroniq. de Champagne (1838), t. IV, p. 1-14. — G. KURTH, Clovis (Paris, 1901, in-8°), p. 151-153, que je cite dans la notice.

[3] LES MARTYRS ; tome 3 : Julien l’Apostat, Sapor, Genséric ; Recueil de pièces authentiques sur les martyrs depuis les origines du christianisme jusqu'au XXe siècle, traduites et publiées par le R. P. Dom H. LECLERCQ, Moine bénédictin de Saint-Michel de Farnborough. 1921.