Notre-Dame de La Salette
Le 19 septembre 1846, l'auguste Vierge Marie apparaissait dans le diocèse de Grenoble, sur la montagne de La Salette qui domine le village de La Salette de plus de 2500 pieds.
Comme témoins de Son apparition, Marie choisit deux petits bergers qui ne se connaissent que depuis la veille: Maximin Giraud âgé de onze ans et Mélanie Calvat âgée de quatorze ans. Maximin a raconté l'apparition comme suit: «Il est midi. Assis au sommet de la montagne, Mélanie et moi faisons notre frugal repas... quand tout à coup, Mélanie s'arrête, son bâton lui échappe des mains. Effrayée, elle se tourne vers moi en disant: 'Vois-tu là-bas cette grande lumière? -- Oui, je la vois.'
«Cette lumière devant laquelle celle du soleil semble pâlir, paraît s'entr'ouvrir, et nous distinguons dans son intérieur la forme d'une Dame encore plus brillante... Quoiqu'à une distance de vingt mètres environ, nous entendons une voix douce disant: 'Avancez, Mes enfants, n'ayez pas peur. Je suis ici pour vous annoncer une grande nouvelle.' La crainte respectueuse qui nous avait tenus en arrêt s'évanouit, nous courons à Elle. La belle Dame S'avance aussi, et suspendue en face de nous, à dix centimètres du sol, commence ainsi Son discours:
«Si Mon peuple ne veut pas se soumettre, Je suis forcée de laisser aller le bras de Mon Fils. Il est si lourd et si pesant que Je ne puis le retenir. Depuis si longtemps que Je souffre pour vous autres; si Je veux que Mon Fils ne vous abandonne pas, Je suis chargée de Le prier sans cesse et vous n'en faites pas cas. Vous aurez beau prier, beau faire, vous ne pourrez récompenser la peine que J'ai prise pour vous! J'ai donné six jours pour travailler, Je Me suis réservé le septième et on ne veut pas Me l'accorder; c'est cela qui appesantit tant le bras de Mon Fils. Aussi ceux qui mènent les charrettes ne savent plus jurer sans y mettre le nom de Mon Fils: ce sont ces deux choses qui appesantissent tant Son bras. Si la récolte se gâte ce n'est qu'à cause de vous autres... Il viendra une grande famine. Avant que la famine vienne, les enfants au-dessous de sept ans prendront un tremblement et mourront entre les bras des personnes qui les tiendront. Les autres feront pénitence par la famine. Les noix deviendront mauvaises et les raisins pourriront.'
«Puis, continue Maximin, Elle nous demanda: Faites-vous bien vos prières Mes enfants?' Tous les deux nous répondîmes d'une seule voix: Non, madame, pas guère. -- Ah! Mes enfants, il faut bien la faire, soir et matin. Quand vous n'aurez pas le temps, récitez au moins un Pater et un Ave Maria, et si vous en avez le temps, il faut en dire davantage... Il ne va que quelques femmes âgées à la messe. Les autres travaillent le dimanche, tout l'été, et l'hiver, quand ils ne savent que faire, ils ne vont à la messe rien que pour se moquer de la religion. Le Carême, ils vont à la boucherie comme les chiens...» Elle termina Son discours par ces mots prononcés en français: «Eh bien! Mes enfants, vous le ferez passer à tout mon peuple!'
«Immobiles comme des statues, les yeux fixés sur la belle Dame, nous La voyions glisser sur la cime de l'herbe sans la faire fléchir... Là, en notre présence, Elle S'éleva insensiblement, resta quelques minutes entre le ciel et la terre, à une hauteur de deux mètres. Puis, la tête et le corps se confondirent avec la lumière qui L'encadrait. Nous ne vîmes plus qu'un globe de feu s'élever dans le firmament...»
Les prophéties de la Vierge ne tardèrent pas à se réaliser à la lettre. En 1848, la disette des pommes de terre fit baisser la population de l'Irlande de huit millions à cinq millions. La rareté et la cherté des vivres causèrent la mort de plus de cent cinquante mille personnes en France, et plus d'un million dans toute l'Europe. Le tzar de Russie augmenta alors du tiers le traitement de ses fonctionnaires. En 1851, la maladie du 'pictin' se déclara, occasionnant d'énormes pertes de blé. En 1852, la maladie des noyers détruisit toute la récolte des noix. On situe à la même époque l'arrivée du phylloxéra, insecte qui cause encore de grands ravages dans les vignobles de France. En 1854, la 'suette' provoqua la mort subite de soixante-quinze mille enfants en France. Un froid glacial les saisissait et les faisait expirer au bout de deux heures.
Notre Mère du ciel est venue pleurer des larmes de corédemptrice sur les hauteurs dénudées de la terre dans le but de fléchir la colère de Dieu, de prier pour la conversion des pécheurs et d'attendrir nos coeurs endurcis. Impuissant devant l'endurcissement de Jérusalem, Son Fils pleura sur elle et sur ses enfants. Marie pleure aussi sur Son peuple et sur le monde, demandant que les hommes avouent leurs égarements et qu'ils réparent leurs torts. À cette condition seulement, le monde pourrait encore obtenir la Miséricorde de Dieu.
Celle qui pleure
NOTRE DAME DE LA SALETTE
par
Léon BLOY
À PIERRE TERMIER,
INGÉNIEUR CHEF AU CORPS DES MINES,
PROFESSEUR À L’ÉCOLE DES MINES
Il faut bien que ce livre vous soit dédié, mon cher ami, puisqu’il
n’existerait pas sans vous. J’en avais abandonné le projet, il y a vingt-sept
ans, et j’avais fini par n’y plus penser, le croyant impraticable.
Notre Dame de Compassion sanglotait toujours sur Sa Montagne et je ne
L’entendais plus... Elle commanda que je fusse réveillé par vous.
Nous nous sommes rencontrés de façon si miraculeuse ! Depuis trente
ans, vous attendiez quelqu’un qui vous parlât de la Salette. J’attendais qu’il
me fût donné d’en parler convenablement.
Il arriva enfin qu’un jour – il n’y a pas bien longtemps – ayant lu, dans un
de mes livres, quelques pages où je m’étais efforcé de glorifier Notre Dame de
la Salette, il vous parut que je pouvais bien être l’écrivain que vous aviez
espéré. Nous nous connûmes alors et votre impression, loin de changer, devint
plus précise.
Encouragé par vous, voyant en vous un ambassadeur de Marie, qu’avais-je
mieux à faire que d’obéir ? Il ne me fallait pas moins pour affronter les
difficultés et les amertumes inhérentes à un tel sujet.
La Salette est encore, après soixante ans, la Fontaine de Contradiction dont
il est parlé dans le Saint Livre, et ceux qui l’aiment sont appelés à souffrir.
Faites-le passer à tout Mon peuple, avait dit aux Bergers la Mère de Dieu, leur
ayant annoncé la Grande Nouvelle.
Alors je vous dis : Faites passer mon livre aux pauvres. Vous
m’entendez bien. Je parle de ce troupeau douloureux à qui personne ne pense et
qui ne fait pitié à personne : les généreux qui ne connaissent pas la
Vérité, les belles âmes vagabondes qui auraient besoin d’un asile de jour...
« Misereor super turbam », disait Jésus. Ayez pitié de cette
troupe qui meurt de soif au bord des fleuves du Paradis.
Nativité de Marie, 8 septembre 1907.
Léon BLOY.
DÉCLARATION DE L’AUTEUR
En ma qualité de catholique, je déclare me soumettre entièrement à la
doctrine de l’Église, aux règles et décisions du Saint-Siège, notamment aux
décrets des Souverains Pontifes Urbain VIII et Benoît XIV, concernant la
canonisation des Saints.
S’il m’arrive, parlant des deux Bergers de la Salette, d’employer les mots
« saint », « sainte » ou « sainteté », ce n’est
que d’une manière purement relative, par insuffisance de langage, faute de
termes qui rendent plus complètement ma pensée. D’avance je désavoue le sens
rigoureux et absolu qu’on voudrait attribuer à ces expressions ; car nul
ne peut être nommé SAINT, tant que l’Église ne l’a pas qualifié ainsi
officiellement.
Léon BLOY.
TACEAT MULLER !...
Je viens de subir un terrible sermon contre le Matérialisme ou Naturalisme
opposé à la Révélation surnaturelle. Tous les lieux communs philosophiques de
séminaire ont défilé devant le Saint Sacrement immobile. J’étais, hélas !
venu à l’église, comme « un mendiant plein de prières ». Ce gouffre
de paroles vaines les a englouties et mon âme a glissé au mauvais sommeil que
procure le bavardage. En présence de l’Ennemi, voilà donc ce que trouvent,
aujourd’hui, les prédicateurs élevés depuis si longtemps et cultivés avec tant
de soin dans le mépris des avertissements de la Salette – à la veille des
échéances effroyables !
Quelle déformation systématique ou quel manque de foi ne doit-on pas
supposer, pour que des ministres tels et en si grand nombre en soient venus à
ne plus savoir que le fonds de l’homme c’est la Foi et l’Obéissance, et que,
par conséquent, il lui faut des Apôtres et non des conférenciers, des Témoins
et non des démonstrateurs. Ce n’est plus le temps de prouver que Dieu existe.
L’heure sonne de donner sa vie pour Jésus-Christ.
Or, tout le monde la lui refuse avec énergie. N’importe qui, mais pas
Celui-là ! Un démon plutôt ! il est vrai que les chrétiens ont cessé
de croire aux démons. Essayez – avec l’autorité de l’Évangile – de faire
comprendre, par exemple, que la richesse est une malédiction, qu’il est
impossible de servir Dieu et le monde, que les fêtes ou bazars prétendus
de charité invoquent l’incendie et que les belles dévotes qui vont y
chercher un dernier supplice vraiment infernal sont des servantes du diable,
fort attentives et récompensées comme il faut ! Ce ne sera pas trop du
changement infini opéré par ce qu’on est convenu de nommer inexactement la
mort, pour découvrir soudain, en poussant une clameur à percer le sein de l’Éternité,
à quel point les plus fidèles d’entre nous auront été des gens sans foi.
« Quand la France boueuse de la tête aux pieds, disait Mélanie, aura
été purifiée par les fléaux de la Justice divine, Dieu lui donnera un homme,
mais un homme libre pour la gouverner. Elle sera alors assoupie, presque
anéantie. »
Il faudrait être avantagé d’une stupidité rare pour chercher cet homme parmi
les bestiaux de pèlerinages ou de congrès catholiques. Ah ! je m’en
souviens de ces cohues, au lendemain de la guerre, en 73 exactement.
Les derrières cuisaient encore de la botte allemande. On ne parlait que de
retourner à Dieu. On s’empilait dans des cercles catholiques pour entendre la
bonne parole de Mgr Mermillod, racontant ce qu’il avait souffert pour
Jésus-Christ ou les bafouillages œcuméniques de M. de Mun. On se cramponnait
éperdument au compte de Chambord, supposé le grand Monarque annoncé par des
prophéties et dont la bedaine illégitime devait tout sauver. On se
précipitait aux pèlerinages en chantant des couplets libérateurs. On votait
l’érection d’un sanctuaire au Sacré-Cœur ; sur les murailles duquel se
liraient ces mots secourables : Gallia poenitens et devota, et
chacun apportait sa pierre, car c’était le Vœu national, étrangement oublié
depuis. Quoi encore ? Les Pères Augustins de l’Assomption fondaient le Pèlerin
prospère et la profitable Croix, pour l’avilissement irrémédiable de la
pensée et du sentiment chrétiens. Un peu plus tard, enfin, se bâtissait, sur le
solide fumier des cœurs, une banque fameuse devant absorber le crédit universel
et confondre pour toujours la concurrente perfidie des fils d’Israël. Cette
levée en masse des bas de laine catholiques fut nommée prodigieusement une Croisade
et eut pour dévouement un immense Krach demeuré célèbre.
L’obéissance à la Mère de Dieu, venue tout exprès, il y a soixante ans
aujourd’hui, pour notifier sa volonté, fut le seul expédient dont nul ne
s’avisa.
Pourtant, on aurait pu croire que c’était bien simple. La Souveraine des
univers se dérangeait, si j’ose dire, comme se dérangerait la Voie
lactée, si cette créature incalculable, épouvantée de la méchanceté des hommes,
s’agenouillait dans le bleu sombre du firmament. Elle se dérangeait pour nous
apporter en pleurant1
la « grande nouvelle » de l’énormité de notre danger. Parlant comme
la Trinité seule peut parler, cette Ambassadrice déclarait l’imminence des
châtiments et des cataclysmes et disait ce qu’il fallait faire pour ne pas
périr, car les menaces proférées par Elle étaient des menaces conditionnelles,
dès les premiers mots : Si mon peuple ne veut pas se soumettre, je suis
FORCÉE de laisser aller le bras de mon Fils2.
Je le répète, quoi de plus simple que de s’humilier et d’obéir ? On a
fait exactement le contraire. Marie avait demandé le Septième Jour et le
respect du Nom de son Fils. Elle voulait que les lois de l’Église fussent observées
et que, pendant le Carême, ses enfants n’allassent pas à la boucherie « comme
des chiens ».
Elle avait confié à chacun des deux bergers, à Mélanie surtout, un secret de
vie et de mort, exprimant sa volonté formelle – ratifiée depuis par Pie IX et Léon
XIII – qu’on le fît passer à tout son peuple, à partir d’une époque déterminée.
Enfin elle avait donné, en français, la Règle d’un nouvel Ordre
religieux : « les Apôtres des Derniers Temps ».
... Les vrais disciples du Dieu vivant et régnant dans les cieux ; les
vrais imitateurs du Christ fait homme ; mes enfants, mes vrais
dévots ; ceux qui se sont donnés à moi pour que je les conduise à mon
divin Fils ; ceux que je porte, pour ainsi dire, dans mes bras ; ceux
qui ont vécu de mon esprit ; les Apôtres des Derniers Temps, les fidèles
disciples de Jésus-Christ qui ont vécu dans le mépris du monde et d’eux-mêmes,
dans la pauvreté et dans l’humilité, dans le silence, dans l’oraison et la
mortification, dans la chasteté et dans l’union avec Dieu, dans la souffrance
et inconnus du monde. Il est temps qu’ils sortent et viennent éclairer la
terre... Car voici le temps des temps, la fin des fins.
Soixante ans se sont écoulés. On est devenu plus profanateur, plus
blasphémateur, plus désobéissant, plus « chien »3.
Mais ne semble-t-il pas que cet insuccès incompréhensible, ce fiasco
monstrueux, et tout de même adorable, de l’impératrice du Paradis, n’a l’air de
rien quand on pense à la Dérision irrémissible qui a remplacé
l’Obéissance ?
On travailla le dimanche de plus en plus et, surtout, on fit travailler les
pauvres. Le Blasphème devint une toge virile, même pour les femmes, un signe de
force et d’indépendance, comme le tabac ou l’alcool. On ambitionna d’être chien,
fils de chien et même neveu de pourceau, à toutes les époques de l’année,
indistinctement, et cette ambition fut comblée. Les paroles de Marie qu’Elle
voulait qu’on fît passer à tout Son peuple, aussi bien au Tibet ou à la Terre
de Feu que dans l’Isère, n’allèrent pas sensiblement plus loin que le pied de
la Montagne. Pour ce qui est des Apôtres des Derniers Temps, on les remplaça
par d’ecclésiastiques marchands de soupe que les pèlerins purent apprécier.
Ces prétendus missionnaires furent la dérision inexpiable dont il vient
d’être parlé. La Désobéissance absolue est un état incompréhensible aussi
longtemps que l’idée de dérision ne se présente pas à l’esprit. La Chute
initiale a dû être déterminée, non par la désobéissance formelle, mais par une obéissance
dérisoire dont nous ne pouvons avoir aucune idée et, parce que l’abîme
invoque l’abîme, le châtiment fut – en apparence, du moins – la Dérision
infinie, la Subsannation biblique : « Voici Adam, semblable à nous... »
Les soi-disant missionnaires de la Salette, innocents peut-être, à force de
balourdise et de bassesse de cœur, – mais de quelle affreuse innocence ! –
furent, je le répète, un institut dérisoire opposé par l’autorité diocésaine au
Commandement formel qu’il s’agissait d’éluder. La Sainte Vierge avait demandé
des Apôtres. On lui donna des aubergistes 4.
Elle avait voulu de vrais disciples de Jésus-Christ, méprisant le monde et
eux-mêmes. On installa des prêtres d’affaires, de pieux comptables chargés de faire
valoir. Pour ce qui était de la recommandation de « sortir et
d’éclairer la terre », on y pourvut par la réclame et le rabattage des
pèlerins...
Après le balayage de ces mercenaires en 1902, les chapelains mis en leur
place continuèrent simplement la table d’hôtel et la literie5.
Ils continuèrent aussi le quotidien et stéréotypé récit du Miracle, assorti
d’une exhortation sulpicienne à la pratique de quelques vertus
raisonnables, sans omettre l’avis fréquent de se méfier de certaines
publications exagérées ou mensongères, telles que le témoignage écrit des deux
bergers qui furent les assistants, les auditeurs, les vrais missionnaires
choisis par la Sainte Vierge elle-même pour propager ses avertissements et ses
menaces et qui, jusqu’à leur dernier jour, n’ont cessé, Mélanie surtout, de
protester contre la prévarication sacerdotale et le mercantilisme odieux qui se
pratiquaient sur la Montagne.
Le crime de tous ces gens-là, crime énorme, réellement épouvantable, c’est
d’avoir bâillonné la Reine du Ciel, de lui avoir plombé les lèvres, comme
quelqu’un l’écrivait naguère, avec une effrayante énergie.
Il est difficile, je ne dis pas d’imaginer, mais de concevoir une
supplication aussi lamentable :
– Depuis le temps que je souffre pour vous autres ; depuis dix-neuf
siècles que je promène, parmi les montagnes, les Sept Douleurs dont je suis
Bergère, les sept brebis de l’Esprit-Saint qui doivent, un jour, brouter le
monde ; si je veux que mon Fils ne vous abandonne pas, je suis chargée de
le prier sans cesse. Que puis-je faire pour vous que je n’aie pas fait ?
Je suis l’Égypte et la Mer Rouge ; je suis le Désert et la Manne ; je
suis la Vigne très belle, mais je suis, en même temps, la Soif divine et la
Lance qui perce le Cœur du Sauveur. Je suis la Flagellation infiniment
douloureuse, je suis la Couronne d’Épines et les Clous et surtout la Croix très
dure où s’engendre la joie des hommes. Les deux Bras de mon fils y furent
attachés, mais il n’en faut qu’un pour vous écraser et celui-là je ne peux plus
le retenir, tant il est pesant !... Ah ! mes enfants, si vous vous
convertissiez !...
Des hommes alors se sont levés qui avaient la mitre en tête et qui tenaient
en leurs mains le bâton des pasteurs du troupeau du Christ. Et ces hommes ont
dit à Notre Dame :
– En voilà assez, n’est-ce pas ? Taceat Mulier in Ecclesia !
Nous sommes les Évêques, les Docteurs, et nous n’avons besoin de personne, pas
même des Personnes qui sont en Dieu. Nous sommes, d’ailleurs, les amis de César
et nous ne voulons pas de tumulte parmi le peuple. Vos menaces ne nous
troublent pas le moins du monde et vos petits bergers n’obtiendront de nous,
même dans leur vieillesse, que le mépris, la calomnie, la dérision, la
persécution, la misère, l’exil et finalement l’oubli !...
L’espérance du présent ouvrage est de réparer en quelque manière, et s’il en
est temps encore, le sacrilège perfidie de ces Caïphes et de ces Judas qui
détruisent, depuis soixante ans, le plus beau royaume du monde.
Paris-Montmartre, février 1907.
I
HISTOIRE DE CE LIVRE ENTREPRIS EN
1879
C’est fort bien ainsi, d’ailleurs. Cela dégoûtait plusieurs touristes et le
paysage était affectueux et consolant pour le pèlerin. En certains endroits on
descendait pour soulager les bêtes, et c’était une douceur exquise d’aller
lentement sous les grands arbres, au bruit des courantes eaux qui fuyaient vers
les abîmes. Je me souviens pour toujours de ces quelques centaines de pas, en
compagnie d’un missionnaire qui avait, je crois, du génie et qui me disait, en
mots extraordinaires, la majesté des Textes Saints. Il mourut, trois semaines
plus tard, ayant demandé longtemps à la Mère de Dieu de finir à la Salette où
on l’enterra. Il avait assez de la hideur de ce monde et de la pharisaïque
piété contemporaine qui lui semblait une apostasie.
Je ne nommerai pas ce prêtre. Sa famille est trop peu digne de lui, mais je
sais ce qu’il me donna, dum loqueretur in via et aperiret mihi Scripturas.
Cher défunt ! je revis sa tombe, l’année suivante, une humble croix sur un
humble tumulus de gazon ; puis, l’an dernier, vingt-six ans plus tard,
mais abandonnée, sa dépouille ayant été transférée dans un caveau récemment
construit à deux pas de là, où peut être lu son nom bien connu des Anges et de
quelques amis de Dieu.
Ce missionnaire, plus orateur qu’écrivain, parcourait le monde, annonçant la
Gloire de la Mère de Jésus-Christ, et c’est toujours à la Salette qu’il
revenait puiser, aux pieds de Celle qui pleure, les inspirations de son zèle
apostolique.
Le Discours, infiniment extraordinaire, qu’entendirent les enfants sur cette
Montagne, était devenu le centre de ses pensées, et l’intelligence qu’il en
avait était comme un de ces dons inexprimables que le Vénérable Grignion de
Montfort attribuait prophétiquement aux Apôtres des Derniers Temps.
On se ferait un renom d’exégète rien qu’avec les miettes du festin de chaque
jour offert à ses auditeurs par ce très humble, quand il parlait de la Reine
des Patriarches et des Martyrs. L’espèce de défaveur mystérieuse qui pèse sur
la Salette dans la pensée d’un grand nombre de chrétiens faisait déborder son
cœur. Le présent livre, entrepris et commencé sous ses yeux, à la Salette même,
a été interrompu un quart de siècle, Dieu sait comment et pourquoi. Cette œuvre
de justice était son désir suprême, son espérance.
Il mourut dès les premières pages, comme si la Consolatrice qu’il servait
n’avait pas voulu que cette âme, vraiment sacerdotale et crucifiée, perdît, en
une manière, l’auréole douloureuse qu’elle met au front de ces victimes de l’Amour
dont il est parlé dans la Troisième Béatitude et qui ne doivent pas être
consolées sur terre.
Cette œuvre, que je reprends aujourd’hui, me paraît encore plus difficile et
redoutable qu’autrefois. La mort de celui qui me l’inspirait m’accabla d’un deuil
que je croyais irréparable, et la vie la plus malheureuse qui puisse être
imaginée m’en détourna ensuite indéfiniment.
Le moment n’était pas venu. Qu’aurais-je pu faire alors, sinon une
paraphrase exégétique et littéraire du Discours, tout au plus ? Trop de
choses m’étaient inconnues. J’ignorais même le Secret de Mélanie, publié
seulement en novembre 1879, et si impénétrablement obnubilé par l’épouvante
sacerdotale qu’aujourd’hui encore presque tous les catholiques l’ignorent ou le
préjugent.
Puis ne fallait-il pas que se déroulassent les turpitudes et congénitales
ignominies de la République française, qui sont maintenant à un tel point qu’on
se demande ce que fait la mort ? Tous les démons ne s’étaient-ils pas
levés déjà comme un seul démon pour réclamer l’épanouissement complet de la
puante fleur démocratique, si laborieusement acclimatée par eux dans le Royaume
qui fut le lieu de naissance de l’Autorité chrétienne ? Enfin et surtout
la Justice du Bras pesant ne devait-elle pas attendre que l’Ambassadrice
en pleurs, soixante fois outragée, dît à son Fils : – Je ne connais
plus ce peuple, il est devenu trop épouvantable ?
Après si long temps, mon nom étant devenu quasi célèbre, quelques amoureux
ont cru que je pourrais bien être désigné pour écrire sur la Salette le livre
dont certaines âmes ont besoin, un livre pieux qui ne serait pas hostile à la
magnificence divine, un livre qui dirait, à l’expiration de soixante années,
quelques plausibles mots sur cet Évènement inouï, absolument incompris et même
ignoré des prétendus missionnaires ou prêtres séculiers qui se sont succédé sur
la Montagne.
« Faites-le passer à tout mon peuple », a dit, par deux fois, la
Toute Ineffable. Voilà ce qui désolait mon initiateur. – Qui donc y
pense ? me disait-il, et que pourrait-on faire passer à tout le peuple,
c’est-à-dire tous les hommes ? Les gens d’ici savent-ils seulement ce qui
s’est accompli en ce lieu, et le plus fort est-il capable de comprendre un mot,
rien qu’un mot de ce Discours qui paraît être le Verbum novissimum de
l’Esprit-Saint ?
Hélas ! l’explication, irrémédiablement perdue, qu’aurait pu donner cet
homme, sera, désormais, ce qu’elle pourra : une angoissante vision des
temps actuels à propos des promesses et des menaces également dédaignées de la
Mère du Fils de Dieu – vision de terreur énormément aggravée par la certitude
acquise et tout à fait incontestable de certains évènements préliminaires.
Qu’importe, après tout, si mon œuvre, ainsi mutilée, contient encore assez de
cette parole engloutie pour attirer à la Salette quelques-unes de ces
magnifiques âmes capables d’en pressentir la beauté, même à travers les
obscurités ou les défaillances d’une insuffisante prédication ?
J’aurais voulu pouvoir leur dire, comme Bossuet parlant devant la perruque
du roi de France : « Écoutez, croyez, profitez, je vous romps le pain
de vie » ; mais une manière de parler si haute n’éloignerait-elle
pas, au contraire, de la façon la plus sûre, un grand nombre de cœurs déjà
subjugués, à leur insu, par le Prince fastueux à la Tête écrasée qui ne cesse
de promettre à ses esclaves l’empire souverain dont il est lui-même
dépossédé ?... Quel triomphe d’arriver seulement à faire entrevoir la
Splendeur aux contemporains des automobiles !
Le prêtre de Jérusalem, le missionnaire dont je viens de parler, se nommait
Louis-Marie-René, et c’est déjà beaucoup plus que je n’aurais voulu dire. Que
tel soit donc le patronage de ce livre qui sera surtout un livre de douleur. La
Salette est, par excellence, le Lieu des larmes très douloureuses.
On se rappelle que lorsque l’Apparue cessa de parler aux enfants, il y eut
un drame extraordinaire. La resplendissante Dame dont les Pieds, au témoignage
de ses puérils auditeurs, ne touchaient pas le sol, effleurant seulement
« la cime de l’herbe », s’éloigne d’eux avec lenteur par une sorte de
glissement et, après avoir franchi le ruisselet qui la sépare de l’escarpement
du plateau, Elle commence à décrire cet étonnant Itinéraire serpentin,
marqué aujourd’hui par ces Quatorze Croix de la Voie peineuse qui, dans la
translucide méditation des sanglants Mystères, semblent se superposer...
Ce chemin de croix unique avait été décrété comme toutes choses,
antérieurement à la création des espaces. Il entrait dans l’intégrité du Plan
divin que les agenouillements des derniers habitants chrétiens de la terre
fussent déterminés, avec cette précision, dans ce lieu sauvage, par le sillon
des Pieds de lumière. Il n’est pas indifférent de se prosterner là ou ailleurs.
Les âmes religieuses, qui viennent pleurer à la Salette, font une chose qui
retentit harmonieusement dans toute la série des Décrets divins touchant la
Rédemption de l’humanité. Leurs larmes tombent sur ce sol privilégié, comme une
semence de beaucoup d’autres larmes qui finiront, si Dieu veut, par y couler, un
jour, comme des ondes. « L’abîme des Larmes de Marie invoque l’abîme de
nos larmes par la Voix de ses cataractes. » Elle nous provoque à cette
effusion comme son Fils, du haut de la Croix, la provoquait amoureusement
Elle-même à l’effusion totale de son incomparable Cœur brisé.
II
LE TORRENT SUBLIME.
Je reviens à mon voyage. Donc plus de diligence cruelle roulant tout un
jour. La moitié seulement de l’ancienne fatigue et l’autre moitié semblable à
un rêve. Oh ! ce chemin de fer au bord du gouffre, durant une heure !
Quelle ivresse d’aller ainsi au-devant de Napoléon marchant de Sisteron sur
Grenoble, par Corps et la Mure ! Corps surtout, l’archiprêtré de La
Salette !
Le hasard n’existant pas, on peut imaginer avec stupeur
« l’aigle » de ce conquérant « volant vers Paris de clocher en
clocher », mais descendant de celui de Corps, trente et un an avant Notre
Dame : « Mes enfants, n’ayez pas peur, je suis ici pour vous annoncer
une grande nouvelle ! » puis : « Vous le ferez passer à
tout mon peuple. » Comment faire pour n’y pas penser ?
Le grand homme et ses compagnons fidèles parurent être toute la France
pendant vingt jours, tout le possible de la France, tout l’éventuel humain et
divin de cette angélique patrie, de cette fille aînée du Fils de Dieu et de son
Église, de cette habitante de la Plaie de son Cœur, qui ne pourrait tomber plus
bas qu’en devenant la Madeleine des nations !
Le pauvre César évadé, mendiant incorrigible de la Domination universelle,
enveloppait sans le savoir, à la manière des Prototypes, le futur indévoilé des
campagnes ou des villages qui ne pouvaient avoir d’existence historique sinon
par la volonté d’un tel passant. Je l’ai cherché çà et là, et j’avoue que son
souvenir était plus pour moi que les éternelles montagnes. Les a-t-il vues
seulement ? A-t-il vu le Drac, le formidable torrent, gloire du
Dauphiné ? J’en doute. Un torrent n’a que faire de regarder les autres
torrents, et la montagne elle-même, pour lui, n’est qu’un obstacle dont il
mugit dans sa profondeur.
Pèlerin de la Salette et rien que cela, en attendant l’honneur de
m’agenouiller sur le Saint Tombeau, je l’ai regardé et vu de près, ce furieux
torrent, avec une admiration qui me suffoquait. Combien de siècles a-t-il fallu
à cette eau pour creuser un si vaste lit dans cette solitude grandiose ?
Pendant d’innombrables ans, elle a dû ronger des rocs et creuser des gouffres
en écumant. Tandis que les générations naissaient et mouraient, à mesure que se
déroulait l’Histoire, sous les Allobroges et les Romains, sous les Burgondes,
les Francs ou les Sarrasins, sous les seigneurs d’Albon et les premiers Valois,
pendant les atroces guerres de religion, pendant la Révolution, pendant
l’étonnant Empire et jusqu’à nos jours où la Désirée devait apparaître –
infatigablement cette eau toujours jeune émiettait les dures assises, les
criblant de l’artillerie de ses galets, sapant à leur base les colossales
colonnes, formant l’abîme continu qui partage en deux cette haute province
dauphinoise, apanage ancien des aînés de la France : le Grésivaudan, le
Royannès, les Baronnies, le Gapençois, l’Embrunois, le Briançonnais, de la
Durance à l’Isère, troupeau monstrueux de croupes vertes ou de pitons chauves
dont Dieu seul connaît tous les noms !
Le train pour la Mure venant de Grenoble roule, durant je ne sais combien de
kilomètres, le long de cette fente énorme procurée par le Drac au-dessus duquel
on a l’illusion d’être suspendu. Clameur d’en bas qui ne s’interrompt jamais et
qui peut devenir tout à coup immense au temps des pluies ou de la fonte des
neiges.
Un romancier morose et stérilisé voulut, il y a quelques années, se venger
de la basse peur que lui avait donné ce cri de l’abîme. Bêtement et
vilainement, il s’efforça de le déconsidérer par ses adjectifs et ses méchantes
métaphores, comparant cette eau sublime à « une rivière débile,
maléficiée, pourrie... ». Ce pauvre homme, qui a dû plaire beaucoup aux
ennemis de la Salette, blâme naturellement les montagnes et se montre fort
éloigné d’approuver les circonstances ou les détails de l’Apparition, qui
aurait eu lieu en plaine, dans le voisinage d’une gare et beaucoup plus
simplement, si on avait consulté son goût. In die judicii, libera nos,
Domine.
J’espère que ma pantelante admiration pour ce magnifique spectacle me sera
comptée. Pourquoi voudrait-on que Dieu ne fût pas un artiste comme les autres,
jaloux de son œuvre et désirant qu’on l’admire ? Ne parle-t-il pas, à
chaque instant, de ses « saintes montagnes » qu’il a « préparées
dans sa force » et dont « les altitudes sont siennes » ? Ego
sum Dominus faciens omnia et nullus mecum. Il ne s’agit pas des montagnes
des autres, mais des siennes et il exige qu’on l’adore pour les avoir faites.
Existe-t-il un pèlerinage aussi merveilleusement acheminé par l’admiration
préalable du voyageur ? Je ne le pense pas. Autrefois, ce n’était pas
ainsi. La route suivie par les diligences ne côtoyait pas l’abîme. Il a fallu
cette voie de fer unique, chef-d’œuvre des hommes, pour que nous fût révélé ce
chef-d’œuvre de Dieu, connu seulement alors de quelques paysans. Je l’ai revu,
au retour, éclairé, cette fois, par la pleine lune, criblant de ses rayons
d’argent le paysage immense et je croyais être en Paradis.
III
EN PARADIS
En Paradis ! Avant d’aller plus loin, ne conviendrait-il pas
d’explorer en quelque manière, autant qu’il se peut, cette « région de
paix et de lumière », ce « siège – cette capitale – du
rafraîchissement et de la consolation béatifique », ce paradis terrestre
dans les cieux ?
Ici l’indigence des mots humains est à faire pleurer. Tout ce qui n’est pas
corps, espace ou durée, est inexprimable à ce point que le Verbe de Dieu
lui-même, Notre Seigneur Jésus-Christ, n’a jamais parlé qu’en paraboles et
similitudes6.
C’est la destinée de l’homme de ne pouvoir arracher son cœur du célèbre Lieu de
Volupté d’où il fut ignominieusement expulsé au commencement des temps. Il a
besoin que le Paradis soit un lieu, un lieu très haut ou très bas et
nous sommes forcés, dans le premier cas, de dire que la Sainte Vierge en est
descendue pour pleurer à la Salette. Mélanie a raconté le paradis enfantin
qu’elle construisit, le 19 septembre, avec Maximin, un peu avant
l’Apparition : Une large pierre qu’ils couvrirent de fleurs. C’est sur ce
paradis que la Belle Dame vint s’asseoir. La Reine du Paradis d’Hénoch et du
Bon Larron, lequel est cet incompréhensible Sein d’Abraham où fut ravi, pour y
entendre les irrévélables Arcanes, le Docteur immense des nations ; – cette
Reine est attirée par l’extrême puérilité de ce paradis des petits bergers.
« Elle a regardé dans le monde entier, disait Mélanie, et n’a pas trouvé
plus bas. Elle a bien été forcée de me choisir. »
Le Paradis est tellement et de tant de manières au seuil du Miracle de la
Salette, qu’il est aussi impossible de n’en pas parler que d’en dire un valable
mot. Ce paradis, sans doute, c’est la Belle Dame elle-même, mais cela, c’est
trop facile. Autant proclamer l’identité de Dieu avec l’un ou l’autre de ses
attributs. Le fond du Paradis ou de l’idée de Paradis, c’est l’union à Dieu dès
la vie présente, c’est-à-dire la Détresse infinie du cœur de l’homme, et
l’union à Dieu dans la Vie future, c’est-à-dire la Béatitude. Le mode en est
infiniment inconnu et indevinable, mais on peut, jusqu’à un certain point,
contenter l’esprit par l’hypothèse fort plausible d’une ascension éternelle,
ascension sans fin dans la Foi, dans l’Espérance, dans l’Amour.
Contradiction ineffable ! On croira de plus en plus, sachant qu’on ne
comprendra jamais ; on espérera de plus en plus, assuré de ne jamais
atteindre ; on aimera de plus en plus ce qui ne peut jamais être possédé.
Il est bien entendu que je m’exprime comme un impuissant. Secundum
hominem dico12. L’union à
Dieu est certainement réalisée par les Saints, dès la vie présente, et
parfaitement consommée, aussitôt après leur naissance à l’autre Vie, mais cela
ne leur suffit pas et cela ne suffit pas à Dieu. L’union la plus intime n’est
pas assez, il faut l’identification qui ne sera elle-même jamais assez,
en sorte que la Béatitude ne peut être conçue ou imaginée que comme une
ascension toujours plus vive, plus impétueuse, plus foudroyante, non pas vers
Dieu, mais en Dieu, en l’Essence même de l’Incirconscrit. Ouragan théologal
sans fin ni trêve que l’Église, parlant à des hommes, est forcée de nommer Requies
aeterna !
La foule déchaînée des Saints est comparable
à une immense armée de tempêtes, se ruant à Dieu avec une véhémence capable de
déraciner les nébuleuses, et cela pendant toute l’éternité... Les rêveries
astronomiques peuvent-elles, ici, être utilisées ? L’inconcevable énormité
des chiffres chargés de signifier les effrayantes hyperboles de la Distance ou
de la Vitesse aiderait tout au plus à entrevoir l’impossibilité de comprendre
« ce que Dieu a préparé à ceux qui l’aiment ». On pourrait même dire,
puisqu’il s’agit de l’infini et de l’Éternel, qu’il doit y avoir une
accélération continuelle de chaque torrent analogue à l’étourdissante
multiplication de la pesanteur des corps tombants. Idée plausible et
bien simple à présenter aux théoriciens de l’immobilité béatifique. Une
Mystique paralysée qu’encourage une imagerie fort abjecte localise les Saints
dans l’attitude hiératique promulguée par les Instituts, sous l’auréole
immuable que ne déplacera jamais aucun souffle et parmi l’or ou l’argent des
ustensiles de piété que ne rongera la rouille ni les vers. Car telle est l’idée
que peuvent se former du Paradis et de la Félicité des Saints, des catholiques
engendrés, le siècle dernier, par les acéphales échappés à la guillotine.
Mais combien vaines, lamentablement infirmes,
sont les analogies littéraires ou conjectures métaphysiques d’un pauvre écrivain
penché sur l’insondable et n’obtenant pas même l’énergie d’intuition qu’il
faudrait pour discerner, un instant, au risque de mourir d’effroi, le
vertigineux abîme de l’Inintelligence contemporaine !
Requiem aeternam dona eis, Domine
, c’est-à-dire :
Donnez à ces âmes, Seigneur, d’entrer dans la bataille infinie où chacune
d’elles, comme une cataracte retournée, vous assiégera éternellement.
Une chère âme pieuse demandait ceci : –
Dans cette ascension universelle, que deviendront les médiocres, les pauvres
hommes qui, n’ayant rien fait pour Dieu en ce monde, auront été, néanmoins,
sauvés par l’effet d’une rencontre ineffable de la Justice et de la
Gloire ? Que deviendront-ils, ceux qui, ayant aimé les belles choses de la
terre, la Poésie, l’Art, la Guerre, la Volupté même, se trouveront tout à coup
face à face avec l’Absolu, n’ayant rien préparé pour leur passage, mais sauvés
quand même, les mains vides ? Il leur faudra donc, sous peine d’inanition
éternelle, réaliser aussitôt et absolument tout ce qui leur manque, et
la Sagesse y a pourvu. La Beauté, devenue un vautour, emportera sans fin, pour
les dévorer toujours, ceux qui l’auront vraiment aimée sous une apparence
quelconque.
Assurément il en sera ainsi et plus d’un
poète s’étonnera d’avoir été, à son insu, tellement l’ami de Dieu. Mais
faudra-t-il, à cause des commandements inobservés, qu’il soit confondu avec les
médiocres ? Cette punition serait énorme et la pensée en est monstrueuse.
La vérité, infiniment probable, c’est que les uns et les autres prendront
d’eux-mêmes l’étage qui leur convient, avec un discernement admirable.
Et alors, ce sera un firmament de splendeurs
différenciées, inimaginables. Les Saints monteront vers Dieu comme la foudre,
en la supposant multipliée par elle-même, à chaque seconde, pendant les siècles
des siècles, leur charité grandissant toujours, en même temps que leur éclat,
Astres indicibles que suivront d’énormément loin ceux qui n’auront connu que la
Face de Jésus-Christ et qui auront ignoré son Cœur. Pour ce qui est des autres,
des pauvres chrétiens dits pratiquants, observateurs de la Lettre
facile, mais non pervers et capables d’une certaine générosité, ils suivront à
leur tour, n’étant pas perdus, à des milliards de chevauchées d’éclairs, ayant
préalablement payé leurs places d’un inexprimable prix, joyeux tout de même –
infiniment plus que ne pourraient dire les plus rares lexiques du bonheur – et
joyeux précisément de la gloire incomparable de leurs aînés, joyeux dans la
profondeur et dans l’étendue, joyeux comme le Seigneur quand il acheva de créer
le monde !
Et tous, je l’ai dit, monteront ensemble
comme une tempête sans accalmie, la tempête bienheureuse de l’interminable fin
des fins, une assomption de cataractes d’amour, et tel sera le Jardin de
Volupté, l’indéfinissable Paradis nommé dans les Écritures.
J’ai rappelé le paradis de Mélanie et de
Maximin. Voilà le mien, tel quel. Puisse-t-il, comme le leur, faire descendre
chez moi la Vierge Marie !
IV
LOUIS-PHILIPPE,
LE 19 SEPTEMBRE 1846.
« Il est environ deus heures et demie.
Le Roi, la Reine, leurs Altesses Royales, Mme la Princesse Adélaïde, Mgr le Duc
et Mme la Duchesse de Nemours, le Prince Philippe de Wurtemberg et le Comte
d’Eu, accompagnés de M. le ministre de l’Instruction publique, de MM. les
généraux de Chabannes, de Lagrange, de Ressigny, de M. le colonel Dumas et de
plusieurs officiers d’ordonnance, sortent pour faire une promenade dans le
parc. Après la promenade, Leurs Majestés et Leurs Altesses rentrent au château
vers cinq heures pour dîner, en attendant les illuminations du
soir. »
C’est ainsi qu’un correspondant plein de
diligence, dans une dépêche datée de la Ferté-Vidame, annonce au Moniteur
universel l’événement le plus considérable de la journée du 19 septembre
18467.
Je suis, par bonheur, en état de rappeler cet
événement à l’univers qui paraît l’avoir oublié. À la distance de plus de
soixante ans, il n’est pas sans intérêt de contempler, par l’imagination ou la
mémoire, cette promenade du roi de Juillet accompagné de son engeance dans un
honnête parc, en vue de prendre de l’appétit pour le dîner et de se préparer,
par le naïf spectacle de la nature, aux magnificences municipales de
l’illumination du soir.
Ce divertissement historique, mis en regard
de l’autre Promenade Royale qui s’accomplissait au même instant sur la montagne
de la Salette, est, je crois, de nature à saisir fortement la pensée. Le
contraste vraiment biblique d’un tel rapprochement n’est pas pour augmenter le
prestige déjà médiocre de cette monarchie sans gloire, née dans le bourbier
libéral de 1830 et prédestinée à s’éteindre sans honneur dans le cloaque
économique de 1848. Il serait curieux de savoir ce qui se passait dans l’âme du
Roi Citoyen au moment même où la Souveraine des Cieux, tout en pleurs, se
manifestait à deux enfants sur un point inconnu de cette belle France polluée
et mourante sous l’abjecte domination de ce thaumaturge d’avilissement.
Il fallait sous les platanes ou les
marronniers, rêvant ou parlant des grandes choses d’un règne de seize ans et
des résultats magnifiques d’une administration exempte de ce fanatisme
d’honneur qui paralysait autrefois l’essor généreux du libéralisme
révolutionnaire. Tout venait à souhait, au dehors comme à l’intérieur. Par un
amendement resté célèbre dans les fastes parlementaires, le comte de Morny
prétendait que les grands Corps de l’État étaient satisfaits. Dieu et le Pape
étaient convenablement outragés, l’infâme jésuitisme allait enfin rendre le
dernier soupir et le pays légal n’avait pas d’autres voeux à former que de voir
s’éterniser, dans une aussi bienfaisante dynastie, les félicités inespérées de
cet adorable gouvernement. On allait enfin épouser l’Espagne, on allait devenir
immense. À l’exemple de Charles-Quint et de Napoléon, le patriarche de
l’Orléanisme pouvait aspirer à la domination universelle. La ventrée de la lice
avait, d’ailleurs, suffisamment grandi et Leurs Altesses caracolaient assez
noblement autour de Sa Majesté dans la brise automnale de cette sereine journée
de septembre. Le roi des Français pouvait dire comme le prophète de la terre de
Hus : « Je mourrai dans le lit que je me suis fait et je multiplierai
mes jours comme le palmier ; je suis comme un arbre dont la racine s’étend
le long des eaux et la rosée descendra sur mes branches. Ma gloire se
renouvellera de jour en jour et mon arc se fortifiera dans ma main8. »
À deux cents lieues, la Mère de Dieu pleure
amèrement sur son peuple. Si Leurs Majestés et Leurs Altesses pouvaient, un
instant, consentir à prendre l’attitude qui leur convient, c’est-à-dire à se
vautrer sur le sol et qu’ils approchassent de la terre leurs oreilles jusqu’à
ce jour inattentives, peut-être que cette créature humble et fidèle leur
transmettrait quelque étrange bruit lointain de menaces et sanglots qui les
ferait pâlir. Peut-être aussi que le dîner serait alors sans ivresse et
l’illumination sans espérance...
Pendant que l’Orléanisme se congratule dans
la vesprée, les deux pâtres choisis pour représenter toutes les majestés
triomphantes ou déchues, vivantes ou défuntes, se sont approchés de leur Reine.
C’est à ce moment que la Mère douloureuse élève la voix par-dessus le murmure
indistinct de l’hymne des Glaives9 chanté
autour d’Elle dans dix mille églises :
Si mon peuple ne veut pas se soumettre, Je
suis forcée de laisser aller le Bras de mon Fils...
DESSEIN
DE L’AUTEUR.
MIRACLE DE L’INDIFFÉRENCE UNIVERSELLE.
Le dessein de cet ouvrage, nettement indiqué
dans l’introduction, n’est pas de faire le récit du Miracle de la Salette. Il a
été fait si souvent que les chrétiens sont inexcusables de l’ignorer. Devenus
grands, les deux bergers eux-mêmes l’ont écrit et publié, et leurs deux
narrations, qui auraient dû être répandues partout, sont identiques en ce qui
regarde les circonstances de l’Évènement et le texte du Discours public. Pour
ce qui est des Secrets, Mélanie seule a divulgué le sien, mais en
réservant pour le Souverain Pontife la Règle, donnée par Marie, d’un
nouvel Ordre religieux, l’Ordre des « Apôtres des Derniers Temps »,
fondation clairement prophétisée, au XVIIe siècle, par le Vénérable
Grignion de Montfort.
N’écrivant pas pour la multitude, je
m’adresse donc exclusivement à ceux qui savent le Fait de la Salette, assuré
que les autres ne s’y intéresseraient pas. Je veux surtout montrer, aussi bien que
je pourrai, le miracle qui a suivi et qui est peut-être plus grand que Celui de
l’Apparition – le miracle, certainement plus incroyable, de l’indifférence
universelle ou de l’hostilité d’un grand nombre.
Ces voix enfantines qui, descendues des
Alpes, devaient grandir comme l’avalanche et remplir la Terre, tant qu’on a pu,
on s’est employé à les étouffer. « Faites-le passer à mon peuple »,
avait dit la Souveraine. Les Juifs eux-mêmes s’étonneraient d’une désobéissance
aussi complète. Les premiers Pasteurs ne sont pas montés dans leurs chaires
pour annoncer à leurs diocésains la Grande Nouvelle, les Prêcheurs et
Missionnaires de tout Institut ne se sont pas mobilisés avec enthousiasme pour
faire connaître aux plus ignorants les menaces et les promesses de l’omnipotente.
Plusieurs ont fait le contraire avec une malice infernale. Les Paroles tombées
de cette Bouche quasi divine qui prononça le FIAT de l’Incarnation, ces Paroles
si terribles et si maternelles, on ne les a pas enseignées dans les écoles et
les enfants de l’âge des bergers ne les ont pas apprises. On sait, à peu près
partout vaguement, que la Salette existe, que la Sainte Vierge s’y est
manifestée d’une manière quelconque et qu’Elle a dit quelque chose. Diverses
personnes savent même que la profanation du Dimanche et le Blasphème ont été
singulièrement condamnés par Elle. Mais le texte de ce Discours, on ne
le trouve dans aucune mémoire, ni dans aucune main. Quant aux Secrets, on ne
veut pas même en entendre parler.
Eh bien ! c’est à faire peur. Jésus-Christ
souffre qu’on le méprise ou qu’on l’outrage. On est exactement au vingtième
siècle des soufflets et des crachats qui tombent sans amnistie, depuis deux
mille ans, sur sa Face infiniment sainte, constituant ainsi ce qu’on nomme
l’Ère chrétienne. Mais il ne souffrira pas que sa Mère soit dédaignée, sa Mère
en larmes !... Celle dont l’Église chante qu’elle était « conçue
avant les montagnes et les abîmes et avant l’éruption des fontaines »10 ;
cette « Cité mystique pleine de peuple, assise dans la solitude et
pleurant sans que personne la console »11 ;
cette gémissante « Colombe cachée au creux de la pierre »12 ;
la Reine des Cieux, pleurant comme une abandonnée dans ce repli du rocher et ne
pouvant presque plus se soutenir, à force de douleur, après avoir été si forte
sur l’autre Montagne !...
Seule, sur cette pierre mystérieusement préparée qui fait penser à l’autre
Pierre sur qui l’Église est bâtie ; le Sein chargé des instruments de
torture de Son Enfant et pleurant comme on n’avait pas pleuré depuis deux mille
ans. DEPUIS QUE JE SOUFFRE POUR VOUS AUTRES QUI N’EN FAITES PAS DE CAS,
dit-Elle.
Qu’on se représente cette Mère douloureuse restant assise sur cette pierre,
continuant de sangloter dans ce ravin et ne se levant jamais, jusqu’à la
fin du monde ! On aura ainsi quelque idée de ce qui subsiste éternellement
sous l’Œil de Celui dont Elle est la Mère et pour qui nulle chose n’est passée
ni future. Qu’on essaie ensuite de mesurer la puissance de cette perpétuelle
clameur d’une telle Mère à un tel Fils et, en même temps, l’indignation
absolument inexprimable d’un tel Fils contre les auteurs des larmes d’une telle
mère ! Tout ce qu’on peut dire ou écrire sur ce sujet est exactement
au-dessous du rien...
INSUCCÈS DE DIEU.
FAILLITE APPARENTE DE LA RÉDEMPTION.
LE PLUS DOULOUREUX SOUPIR DEPUIS LE CONSUMMATUM.
Voilà donc où nous en sommes ! Les Larmes de Marie et ses Paroles ont
été si parfaitement cachées, soixante ans, que la Chrétienté les ignore.
L’effrayante Colère de son Fils n’est pas soupçonnée, même de ceux qui mangent
sa Chair et boivent son Sang, et le monde va son train. Cependant des
prophéties nombreuses et singulièrement unanimes affirment que notre époque est
désignée pour l’assouvissement de Dieu, qui sera le Déluge des Catastrophes.
Cela entrevu ou deviné seulement est à faire tourner les têtes et même les
globes.
L’énormité du cas nécessiterait une puissance de vision archangélique.
Dix-neuf siècles accomplis de christianisme, autant dire une centaine de générations
arrosées du Sang du Christ ! Et pour quel résultat ? Le vingtième
siècle peut se le demander avec stupeur. L’optimisme féroce qui présume
l’Évangile annoncé d’ores en avant à toutes les nations, n’est soutenable que
dans la bonne presse ou dans les plus basses classes primaires,
antérieures aux rudiments de la géographie la plus humble. La vérité trop
certaine, c’est que, sur les quatorze ou quinze cent millions d’êtres humains
qui peuplent notre globe, un tiers au plus connaît le Nom de Jésus-Christ et
les quatre-vingt-dix-neuf centièmes de ce tiers le connaissent en vain. Quant à
la qualité du résidu, c’est une honte infiniment mystérieuse, un prodige de
douleur assimilable seulement à l’incompréhensible Septénaire des Douleurs de
la Compassion de Marie.
La réalité apparente, c’est l’insuccès de Dieu sur la terre, la
faillite de la Rédemption. Les résultats visibles sont tellement épouvantables
d’insignifiance et le deviennent tellement plus, chaque jour, qu’on se demande
avec folie si le Sauveur n’a pas abdiqué. « Quae utilitas in sanguine
meo, dum descendo in corruptionem ? » La voilà bien, l’Agonie du
Jardin, telle que l’ont vue des extatiques ! Ah ! c’était bien la
peine de tant saigner et de tant gémir, de recevoir tant de soufflets, tant de
crachats, tant de coups de fouet, d’être si affreusement crucifié !
C’était bien la peine d’être Fils de Dieu et de mourir fils de l’homme pour
aboutir, après dix-neuf siècles piétinés par tous les démons, au catholicisme
actuel !
Je sais qu’il y a eu des Saints, un, peut-être, par chaque dizaine de
millions d’habitants du globe, autrefois surtout, et il paraît bien que cela
suffit à Dieu, provisoirement du moins, mais comment cela pourrait-il nous
suffire et nous contenter, nous autres qui ne voyons pas les causes ? On
nous dit – avec quelle rigueur ! – que tout ce qui n’est pas dans l’Église
est perdu. Or il naît, chaque jour, beaucoup plus de cent mille hommes qui
n’entendront jamais parler de l’Église ni d’un Dieu quelconque, même
dans le monde prétendu chrétien, et qu’on putréfie dès le berceau... J’ai vécu
de longs et douloureux mois chez Luther, dans un des trois royaumes
scandinaves, et j’y ai vu l’impossibilité de connaître la Vérité plus
insurmontable cent fois que chez les païens. Dieu sait pourtant si son Nom
terrible y est prononcé !
Que dire, après cela, des idolâtres sans nombre parmi lesquels il serait
injuste de ne pas compter les catholiques traditionnels retranchés dans la
certitude inexpugnable qu’ils sont tamisés, triés grain à grain, comme un froment
d’eucharistie et que la pénitence n’est pas pour eux ? Ceux-là surtout
sont effrayants. Les purs sauvages de l’Afrique ou de la Polynésie, les fruits
humains de la hideuse culture asiatique, les polymorphes monstrueux de
l’intellectualité la plus avilie, de la raison la plus déchue ; tous ces
infortunés ont leurs dieux de bois ou de pierre dont quelques-uns sont si
démoniaques et si noirs qu’on ne peut plus rire ni pleurer quand on les a vus.
Cependant, que Jésus leur soit montré sur sa Croix et la plupart,
instantanément, deviendront des gouffres humbles.
L’idole des catholiques honorables dont je viens de parler, c’est
précisément la même Croix, mais posée par eux sur les épaules, sur le cœur du
Pauvre. Ils la renieraient s’il fallait qu’ils la portassent eux-mêmes. À cette
place, ils l’adorent et « la Sueur de jésus coule jusqu’à terre en gouttes
de sang »...
– Non fecit taliter omni nationi. Vous l’avez dit vous-même,
Seigneur. Nous sommes la nation privilégiée, le troupeau choisi. C’est pour
nous que vous êtes mort et nous n’avons qu’à nous laisser vivre, il a fallu des
martyrs et des pénitents, jadis, pour nous installer dans ce confort spirituel
et matériel qui est probablement le miroir des Anges. Qu’avons-nous de mieux à
faire que d’être généreux et doux envers nous-mêmes et de jouir de vos dons, en
méprisant comme il convient les prophéties ou les menaces désapprouvées par nos
pasteurs ?
Évidemment Notre-Dame de la Salette ne dit rien et n’a rien à dire à de tels
chrétiens.
Faudra-t-il donc que la mère de Dieu se promène en vain sur les
montagnes ? Le Discours de la Salette est le plus douloureux soupir
entendu depuis le Consummatum. Qui oserait dire que la Vierge est
« bienheureuse » de voir couler en vain le Sang de son Fils, depuis
tant de siècles, et où est le Séraphin qui délimiterait ce tourment ?
VII
REFUS UNIVERSEL DE LA PÉNITENCE.
« ... REGARDE, MÉLANIE, CE QU’ILS ONT FAIT DE NOTRE DÉSERT !...
Ridebo et Subsannabo. »
« Le lieu que tu foules est une terre sainte », fut-il dit à Moïse
sur l’Horeb, « montagne de Dieu ». J’ai retrouvé cette Parole sur les
murs de l’hôtellerie de la Salette. Assurément elle y est à sa place, mais il
faudrait tout le Texte : « Solve calceamentum de pedibus tuis.
Déchausse-toi. »
Il ne viendrait plus personne. C’est la Pénitence réelle. Il ne s’agit pas
seulement des pieds, et de quels pieds ! Il est indispensable de se
déchausser l’esprit et le cœur. Et voilà tout le monde en fuite ! Les
prétendus missionnaires et, après eux, les chapelains actuels, y ont pourvu. Ne
quid nimis ! Pas d’excès. Loin de demander trop, on s’ingénia à ne
rien demander du tout et le résultat dépassa les espérances.
« Des menaces dans la bouche de Marie, si bonne et si douce ! me
disait, l’autre jour, une jeune mère ; des menaces contre de faibles
enfants innocents et purs ! et des menaces de mort, de mort
affreuse !... Non ! non ! Marie est mère, elle n’a pas pu les
prononcer. Elle ne sait qu’aimer, la vengeance ne lui appartient pas, et je
voudrais brûler la page où l’on a osé lui prêter un langage comme
celui-ci : Les enfants au-dessous de sept ans prendront un tremblement
et mourront entre les mains de ceux qui les tiendront. Moi, croire à cette Apparition !
répétait-elle, en serrant son enfant contre son cœur, non, non, pauvre petit !
Jamais cette dévotion ne sera la mienne ; car c’est l’épouvante et non
l’amour qu’elle inspire13. »
Ce sucre fut ajouté au vinaigre et au fiel du Golgotha et l’Océan des Larmes
de Marie perdit son amertume.
Effet très facile. Il suffisait de décomposer le Message, en séparant ce qui
est conditionnel de ce qui ne l’est pas, par exemple le Discours public du
Secret confié à Mélanie pour être publié douze ans plus tard. Or, la
séparation, c’est la mort. Aussi longtemps que le Secret n’avait pas été
publié, on pouvait le supposer conciliable avec toutes les sentimentalités. On
consentait qu’il existât. Quand il fut connu, on décida de le supprimer et,
comme il était l’âme du Message de la Salette, ce Message fut aussi
complètement tué que puisse être tué ce qui est de Dieu. Quel moyen d’accepter
au XIXe ou au XXe siècle – fût-ce de Marie ! – une
sorte d’Apocalypse précisée, une amplification ou dévoilement du vingt-quatrième
chapitre d’Isaïe : Ecce Dominus dissipabit terram23. Ces choses
ne sont pas permises, même à Dieu qui a fermé son Évangile, n’est-ce pas ?
et qui ne doit pas ajouter un iota aux Révélations dont son Église a le dépôt.
Cela dépasserait trop les âmes, et les deux témoins de la Reine des Martyrs,
les deux bergers, l’ont appris à leurs dépens.
« Ce lieu où tu te tiens est une terre
sainte. » Parole obsédante ! Quels durent être les sentiments de
Mélanie, lorsqu’elle revint à la Salette, après combien de pérégrinations
douloureuses ! à l’âge de 71 ans, le 19 septembre 1902, cinquante-sixième
anniversaire de l’Apparition ? Il lui restait peu de temps à souffrir et
certaines choses, que n’entendraient pas les hommes, durent être dites à cette
fille extraordinaire. De tous les points de sa Montagne, plus précieuse que le
diamant, dut sortir une voix pour elle seule, une Voix infiniment douce et
gémissante :
– Regarde, Mélanie, ce qu’ils ont fait de
notre désert ! Autrefois, tu t’en souviens, on n’entendrait que la plainte
des troupeaux et le sanglot des eaux. Moi, la Mère de Dieu, enfantée avant les
collines et les fontaines, je t’attendais là depuis toujours. J’attendais aussi
ton petit compagnon Maximin, devenu, il y a vingt-sept ans, mon compagnon dans
le Paradis. Car vous étiez pour moi, chers enfants, toute la famille humaine.
Je vous avais choisis, et non pas d’autres, pour être les notaires de mon
Testament. Seule, parmi ces monts, dans le voisinage du bon torrent, j’écoutais
tomber goutte à goutte, sur les nations, le Sang de mon Fils. Je t’ai fait voir
l’immensité de cette peine qui étonnera les Saints pendant toute l’Éternité.
Avoir donné un tel Enfant pour si peu ! Si tu savais !... Depuis tant
de siècles, j’ai vu d’ici crouler un grand nombre d’empires dont plusieurs se
disaient chrétiens et qui pourrissaient dans les luxures ou les carnages. C’est
à peine si un homme sur des multitudes avait quelquefois un mouvement de
compassion pour son Sauveur. De l’Orient à l’Occident, c’est une muraille rouge
qui cache, plus de mille ans, la moitié du ciel. Les persécutions, les guerres,
les esclavages, tous les fléaux de la Concupiscence et de l’Orgueil. Et ce fut
le temps des Saints !
Aujourd’hui, c’est le temps des démons tièdes
et blafards, le temps des chrétiens sans foi, des chrétiens affables qui ont
une synagogue dans l’esprit et une « boucherie » dans le cœur. Il y
en a même de disposés à verser leur sang, mais résolus très fermement à ne pas
accepter la misère et l’ignominie. Ceux-là sont les héroïques et il y en
a peu. Je te le dis, les plus cruels bourreaux de mon Fils ont toujours été ses
amis, ses frères, ses membres précieux et jamais Dieu ne fut mieux outragé que
par les chrétiens. Tu l’as beaucoup dit, Mélanie, voilà 56 ans que je ne
peux plus retenir le Bras de mon fils. Je l’ai retenu, cependant, parce que
je suis la Femme forte, mais je cesserai bientôt. On doit s’en
apercevoir déjà. J’ai besoin d’être deux fois forte, parce qu’Il compte sur
moi. Son Cœur trop doux compte sur le mien. Il sait que je serai
implacable : « Maledictio matris eradicat fundamenta – In interitu
vestro, ridebo et subsannabo. J’éclaterai de rire et je me moquerai de
vous, quand vous serez dans les affres de la mort. » Ces Paroles
s’accompliront exactement. Dérision pour dérision. J’ai donné, en 1846, le
dernier avertissement. C’est l’espérance et la volonté du Fils de Dieu d’être
vengé par sa Mère.
VIII
LE
SACRÉ-CŒUR COURONNÉ D’ÉPINES.
MARIE EST LE RÈGNE DU PÈRE.
« Son Cœur trop doux. » C’est
lui-même qui a dit cela : Mitis Corde. L’excès divin, comme
toujours. On dirait qu’il ne peut se décider à punir. Marie ne serait pas là
que son Bras resterait tout de même suspendu, son Bras écrasant. Une
visionnaire fameuse a dit que saint joseph avait le cœur trop tendre pour
supporter la Passion et que c’est à cause de cela qu’il n’en fut pas le témoin.
Le pressentiment seul du Vendredi-Saint suffisait pour le faire mourir de
compassion. Quelque chose de tel doit exister ineffablement en Dieu. Il fallait
la force de Marie à l’holocauste et il la faudra au châtiment, puisque la
Victime, si valide pour l’Amour, semble infirme pour la Justice.
Il est difficile de dire combien les
sentimentalités dévotes abaissent Marie et la découronnent. Les pieuses
chrétiennes veulent d’une Reine couronnée de roses, mais non pas d’épines. Sous
ce diadème elle leur ferait peur et horreur. Cela ne conviendrait plus au genre
de beauté que leurs misérables imaginations lui supposent. Cependant la
Liturgie sublime qu’elles ignorent veut expressément que le Sauveur ait été
couronné par sa Mère14 et où donc
aurait-elle pu prendre ce diadème, sinon sur sa propre tête ? Ne
fallait-il pas à Jésus-Christ la plus somptueuse de toutes les couronnes et
quelle autre que celle de la Reine-Mère eût été digne du Roi son Fils ?
Mais j’ai parlé du Cœur, de ce Cœur
« doux et humble » qui est sur les autels et que tous les catholiques
adorent. C’est la dévotion des Derniers Temps – que ces derniers temps soient
des années ou des millénaires. Jésus veut triompher par son Cœur, par son
Cœur couronné d’épines. Car voici un mystère. On dirait que la Face du
Maître qui enivrait les Saints a disparu, à mesure que se montrait son Cœur.
Alors le signe de sa Royauté, le signe essentiel qu’il tient de sa Mère, il a
bien fallu qu’il descendit sur son Cœur et comme c’était une couronne fermée,
surmontée de la Croix, ainsi qu’il convient aux Empereurs, la Croix est
descendue en même temps, plantée pour toujours dans ce Cœur dévorant et dévoré
qui « possédera toute la terre parce qu’il est infiniment doux ».
Telle est l'image qu'on a été forcé d'offrir
à la piété des fidèles, image d'aspect enfantin, la seule tolérable parce
qu'elle ne veut être que symbolique. Les horribles statues représentant un
Jésus glorieux et plastique, "en robe de brocart pourpré, entrouvrant,
avec une céleste modestie, son sein et dévoilant, du bout des doigts, à une
visitandine enfarinée d'extase, un énorme coeur d'or crénelé de flammes15"; ces
honteuses et profanantes effigies doivent, en une manière, ajourner la
Communion des Saints, la Rémission des péchés, la Résurrection de la chair, la
Vie éternelle...
On aura beau chercher, la représentation du
Cœur très sacré n’est possible qu’en armoiries ou en sceau. Il fut révélé à
Marguerite-Marie que Jésus voulait son Cœur sur les étendards de France et en
abîme au milieu des fleurs de lys. Louis prétendu le Grand méprisa ce désir
divin qui ne put être accompli que deux siècles plus tard, dans l’obscurité la
plus profonde, lorsque le trône étant devenu vacant et tous les théâtres de la
gloire française étant fermés, un prince pauvre se présenta16...
Pour les intelligences véritablement
théologiques, la dévotion moderne au Cœur de Jésus est la plus forte
preuve que Marie doit tout accomplir et que son temps est venu. Lorsque les
chrétiens disent la si mystérieuse et si incompréhensive Oraison Dominicale,
combien peu savent ou devinent que l’Adveniat Regnum tuum proclame cette
Mère avec une précision absolue et l’appelle si fort que ces trois mots ont
fini par la faire descendre tout en larmes. C’est Elle qui est le Règne du
Père !...
Ah ! comme Elle nous prie de
l’écouter ! Attendite et videte si est dolor sicut dolor meus. Elle
sait si bien que tout est perdu si on ne l’écoute pas ! On l’a attendue
dix-neuf siècles. On l’a appelée dans tous les pays et dans toutes les langues,
matin et soir, avec des milliards de bouches. Des Apôtres, des Martyrs, des
Confesseurs, des Vierges, des Prostituées, des Assassins, des Vieillards près
de mourir et de tout petits Enfants qui savaient ou ne savaient pas ce qu’ils
disaient, l’ont suppliée de venir et Elle est venue enfin, comme une
malheureuse, réclamant le Septième Jour qui lui appartient et qu’on ne veut pas
lui donner.
Elle ne nomme pas expressément le Cœur de
Jésus, mais elle nomme celui de Napoléon III, ce qui est étrange et terrible.
Comment veut-on que Marie prononce le mot cœur sans que se produise le
Déluge, l’immersion, l’engloutissement d’Elle-même et de tous les mondes en ce
gouffre de sang et de feu qui est le Cœur du Christ : « La fontaine
sortie de la Maison du Seigneur pour irriguer le torrent des épines »,
ainsi que prophétisait Joël, 600 ans avant la Passion17.
Mais que de paroles, mon Dieu !
N’est-elle pas Elle-même le Cœur du Christ percé de la Lance et déchiré par les
Épines, où s’implante la Croix folle ? Que croirait-on si cela n’était pas
à croire ? Un point est indiscutable. Nous périssons pour ne pas l’avoir
écoutée.
IX
IL
VOUS EST CONNU, Ô MA DAME DE TRANSFIXION,
QUE JE NE SAIS COMMENT M’Y PRENDRE...
« Je bénirai les maisons où l’image de
mon Cœur sera exposée et honorée. » Telle est la promesse. Que ce livre où
j’abrite ma pensée soit donc béni ! ce livre plein du désir d’honorer
Marie douloureuse :
– Il Vous est connu, ô Ma Dame de
Transfixion, que je ne sais comment m’y prendre et que j’ai besoin d’être aidé
pour parler de Vous convenablement. Vous savez, ô Cœur percé d’Impératrice de
tous les mondes, que je voudrais ajouter à Votre Gloire en élargissant la
pensée de quelques-uns de mes frères. Mais l’entreprise passe mon pouvoir et il
me semble que je n’ai rien à dire.
Voici bientôt trente ans que j’en avais
audacieusement conçu la pensée. Celui de Vos amis que Vous m’envoyâtes alors
n’a plus de voix pour m’instruire. Il attend la Résurrection dans Votre petit
cimetière de la Montagne. Mais Vous m’avez poursuivi sans relâche, me forçant à
parler de la Salette, quand même, dans d’autres livres qui n’étaient pas pour
Vous seule et, finalement, Vous avez conduit par la main, jusque dans ma pauvre
caverne, un de Vos fils les plus doux, un savant très humble qui m’a dit de
Votre part que, n’ayant plus, selon l’ordre de la nature, un grand nombre
d’années à passer sur terre, il fallait que je m’exécutasse, bon gré, mal gré.
Alors, ma Souveraine, il est expédient que
Vous fassiez tout, car mon impuissance est grande, ayant, d’ailleurs, l’esprit
offusqué de plusieurs choses qui ne sont pas saintes. Dans le silence
universel, ou peu s’en faut, considérez que Vous me faites un devoir de
vociférer contre l’injustice énorme, et qui n’eut jamais d’exemple, de tout le
peuple chrétien contempteur de Vos Larmes et dépositaire sans fidélité de Vos
avertissements les plus précieux. Vous me donnez la consigne de marquer, comme
des chiens qu’il faut abattre18, les
dévorants pasteurs d’Ézéchiel occupés, en assez grand nombre, à se paître
eux-mêmes et dissimulateurs attentifs de Votre Révélation formidable.
Combien d’autres choses encore ! Si je
me tais, qui réhabilitera Vos témoins, Vos bergers de dilection, Vos
mandataires choisis parmi des milliards et honteusement rejetés et calomniés
par ces mêmes pasteurs qui les étouffèrent tant qu’ils purent ? Si je me
décourage, où est le chrétien qui osera dire qu’il est bien vrai que Vous êtes
venue, il y a soixante ans, pour nous informer, en pleurant, de l’imminence du
déluge et que nul n’a voulu Vous croire ? Vous étiez, pourtant, l’Arche
salutaire qu’on n’avait pas même eu la peine de construire, comme autrefois, et
dans laquelle il est certain que plus de huit âmes auraient pu être
sauvées19...
Regardez, maintenant, le pauvre instrument
que je suis. Victime comme Vous de la conspiration du silence, j’ai
depuis vingt ans les lèvres tellement cadenassées que c’est à peine si je peux
manger. Ceux-là seuls m’entendent qui sont tout près de moi et, pour ainsi
dire, cœur à cœur.
Quand même Vous me donneriez la langue d’un
Jérémie, il n’y aurait rien de fait aussi longtemps que Vous n’auriez pas donné
des oreilles à la multitude. Je suis une chassie dans l’œil des contemporains.
Les plus vils ennemis de Dieu croient avoir le droit de me mépriser et les amis
déclarés du même Dieu sont les amis de mes ennemis. Vous savez pourquoi, Vous
qui enfantâtes l’Absolu afin que les hommes le missent en croix. Mais je
deviendrais un ambassadeur accrédité, si, tout de suite, j’avais le pouvoir de
changer les eaux en sang, ce que je Vous demande très humblement.
J’obéirai donc, certain que ce qu’il faut
dire me sera mis en la bouche, espérant de Vous, ô Marie, je ne sais quelle
force miraculeuse et comblé, pour le demeurant de mes jours, de cet accablant
honneur.
X
NAPOLÉON
III DÉCLARE LA GUERRE À MÉLANIE.
Qu’il (Pie IX) se méfie de
Napoléon : son cœur est double et quand il voudra être à la fois Pape et
Empereur, bientôt Dieu se retirera de lui. Il est cet aigle qui, voulant
toujours s’élever, tombera sur l’épée dont il voulait se servir pour obliger
les peuples à se faire élever20.
Tel est le huitième paragraphe du Secret de
Mélanie, confié par la Mère de Dieu à cette bergère, le 19 septembre 1846, avec
mission de le publier douze ans plus tard. En attendant, ce Secret, écrit de la
main de Mélanie par ordre de son évêque, pour être communiqué au Pape seul, fut
porté à Rome en 1851 par deux prêtres vénérables qui le confièrent, cacheté et
scellé, au Souverain Pontife, en même temps que celui de Maximin aujourd’hui
encore inconnu.
Il convient de faire observer tout d’abord
qu’en 1846, le futur Napoléon III, à qui nul ne songeait, était enfermé dans le
fort de Ham et condamné à une prison perpétuelle. Même en juillet 1851, le Coup
d’État et le Second Empire étaient encore parmi les choses qui appartiennent
exclusivement aux prophètes. Un fait aussi concluant vaut qu’on le signale.
Pie IX parla-t-il ? On est forcé de
croire que, de manière ou d’autre, quelque chose transpira puisque Louis-Napoléon,
devenu empereur « par la grâce de Dieu et la volonté nationale »,
s’empressa de déclarer la guerre à Mélanie. Ce fut un de ses premiers actes,
et, certainement, l’un des moins connus.
Le vénéré Mgr de Bruillard, évêque de
Grenoble, qui avait proclamé le Miracle, un peu avant le Coup d’État, demanda à
Napoléon, en novembre 1852, de lui donner un coadjuteur, alléguant son grand
âge et ses infirmités. Le président décennal, qui avait besoin d’un domestique,
refusa le coadjuteur, exigeant la démission pure et simple, afin de pouvoir
placer sur le siège de Grenoble un prélat à sa discrétion et ne croyant pas à
la Salette, qui enterrât le miracle. Ainsi devint successeur de saint Hugues,
l’abbé Ginoulhiac, de Montpellier, vicaire général à l’archevêché d’Aix, ancien
professeur de théologie gallicane.
« Bien des croyants, dit Amédée Nicolas21,
s’alarmèrent en apprenant quel était le nouvel évêque. Mais la Sainte Vierge
avait choisi un prélat qui, doué de beaucoup d’adresse, de perspicacité et de
prudence, connaissant le discours public, ignorant les Secrets qui étaient la
terreur de Napoléon, pouvait le mieux conserver la dévotion et le sanctuaire,
en rassurant le chef de l’État, en lui affirmant, autant qu’il le pouvait, et
en toute bonne foi, qu’il ne s’agissait, dans les parties cachées, ni de lui ni
de son trône. La Providence ne prodigue pas les miracles. Le plus souvent, elle
se sert, pour arriver à ses fins, des hommes les plus médiocres, de leur
caractère, de leur manière d’être, de leurs qualités, même de leurs défauts.
Nous croyons, nous, que sans l’élévation, sur le siège de Grenoble, de Mgr
Ginoulhiac qui était, d’autre part, gallican et plaisait aussi à l’Empire par
ce côté, et sans une intervention divine, la Salette aurait été persécutée et
pourchassée par l’Empereur. Ce choix a bien eu des inconvénients ; il en
est résulté, pour les deux témoins, beaucoup de peines et de souffrances
imméritées, cela est vrai ; mais il a sauvé le principal, c’est-à-dire la
dévotion, le pèlerinage, le sanctuaire et la montagne. »
Le nouvel évêque, cependant, ne tarda pas à
se trouver dans un embarras extrême. Les Secrets, celui de Mélanie surtout,
qu’on disait si menaçants et qu’il ne connaissait pas encore, étaient comme une
arête en son gosier, quand il lui fallait parler à son empereur des cormorans.
« Mais, heureusement, dit-il, dans son Instruction pastorale du 4 novembre
1854, nous vivons sous un gouvernement qui est assez sûr de lui-même pour ne
pas trembler devant de prétendues confidences prophétiques faites à un
enfant...22 »
Napoléon III, peu rassuré, voulait fermer le sanctuaire et il fallut
l’intervention de Jules Favre, alors très redouté, qui manifestait l’intention
de porter la chose devant le Corps législatif par une interpellation, pour que
le gouvernement renonçât à persécuter la Salette. Quant à Ginoulhiac, rassasié
de tant d’émotions, inquiet de sentir trembler dans sa main la crosse
précieuse, il décida d’en finir en faisant disparaître les témoins de Marie,
les « deux enfants ignorants et grossiers », les « chétifs
instruments » qui donnaient à Sa Grandeur tant de tablature. Le plus sûr
eût été de les tuer, mais il y avait trop de monde, trop d’yeux ouverts. Il
fallait un expédient non moins épiscopal que celui de Caïphe. La
redoutable Mélanie fut exilée en Angleterre, à la fin de septembre 1854, abus
d’autorité, acte inique au premier chef, qu’on ne manqua pas de présenter comme
une faveur insigne sollicitée par la victime elle-même, attendrissant effet
d’une bonté pastorale pouvant aller jusqu’à la faiblesse.
L’année suivante, cet évêque effrayant ne
craignit pas d’affirmer, sur la Montagne même, que « la mission des
enfants était finie par la remise de leurs Secrets au Pape, que rien ne
les rattachait plus au Miracle ; que leurs actes et leurs paroles, depuis
le 18 juillet 1851, étaient complètement indifférents ; qu’ils
pouvaient s’éloigner, se disperser par le monde, devenir INFIDÈLES à une
grande grâce reçue, sans que le fait de l’Apparition en fût ébranlé ». À
quelque prix que ce fût, il s’agissait de démonétiser les deux Témoins.
XI
VIE
ERRANTE DE LA BERGÈRE.
LE CARDINAL PERRAUD,
SUCCESSEUR DE TALLEYRAND.
LA DÉPOUILLE.
« Pourquoi es-tu triste, mon âme, et
pourquoi me troubles-tu ? » Il a pourtant bien fallu qu’il
l’articulât, cette interrogation liturgique, le triste évêque, avant de monter
à l’autel, le lendemain matin et tous les autres matins qui suivirent, jusqu’à
la fin de sa vie ! Et quand vint l’heure de la mort, l’heure terrible ou
suave de la recommandation de l’âme, il ne lui fut pas possible de penser
seulement avec les assistants de son agonie, les rituelles paroles qui ouvrent
la porte bienheureuse : Viam mandatorum tuorum cucurri. Il ne le
put pas, parce qu’ayant dit à la sainte fille : « Vous êtes une
folle ! » il était selon la justice qu’il mourût privé de raison.
Un jour, sera publiée, pour l’étonnement et
l’épouvante d’un grand nombre, la monographie des châtiments infligés aux
persécuteurs ou blasphémateurs ecclésiastiques de la Salette. La liste en est
déjà longue.
Mélanie ne devait plus connaître le repos.
Après un séjour de six ans au Carmel de Darlington, retour en France et arrivée
à Marseille, le 28 septembre 186023.
Entrée, à Marseille, dans une communauté religieuse pour y enseigner l’alphabet
à de toutes petites filles. – Envoi, dans les îles ioniennes, à Céphalonie et à
Corfou, en 1861 et 1862. – Retour à Marseille en 1862 où elle reste dans une
propriété rurale jusqu’en 1867 sous la direction de Mgr Petagna, évêque de
Castellamare, chassé de son diocèse par l’invasion piémontaise, qui passait les
années de son exil à Marseille. – Départ pour l’Italie, en juillet 1867, pour
Castellamare, non loin de Naples, où elle séjourna 18 ans, toujours sous la
direction de Mgr Petagna rentré dans son diocèse en cette même année, jusqu’à
la mort de ce digne et pieux évêque et au delà. – Vers 1885, rentrée en France,
avec la permission spéciale de Léon XIII, pour y soigner sa mère malade, à
Cannes et au Cannet, jusqu’à la mort de cette dernière, puis séjour à Marseille
de 1890 à 1892.– Retour en Italie où elle se fixe, cette fois, à Galatina,
entre Lecce et Otrante, pour y passer quelques années non loin de son ancien
directeur, Mgr Zola, de 1892 à 1897. – En 1895, voyage en France, à l’occasion
d’un procès retentissant et scandaleux, gagné, naturellement, contre elle par
Mgr Perraud, Cardinal-Evêque d’Autun, successeur de feu Talleyrand, et même
académicien, qui fit à la bergère l’honneur de la dépouiller, au profit de sa
mense épiscopale, d’un legs important à elle fait pour les Apôtres des Derniers
Temps. Dans le legs était comprise une chapelle publique que le Cardinal frappa
d’interdit24.
À ce sujet, recrudescence des calomnies, déluge d’immondices. Libertinage,
hérésie, escroquerie, folie, possession ! Telles furent les aménités de la
bonne presse. – Du 14 septembre 1897 au 2 octobre 1898, à Messine, dans
l’institut des Filles dites du divin Zèle du Cœur de Jésus, pour
y diriger les jeunes aspirantes pendant l’année du noviciat. – De là à
Moncalieri. – Puis rentrée nouvelle et dernière en France où elle passe cinq
ans, de 1899 à 1904, à Saint-Pourçain, Diou, Cusset (Allier) et Argœuvres
(Somme). Deux fois elle se rend à la Salette : le 18 septembre 1902, pour
y passer le 56e anniversaire de l’Apparition, et une dernière fois,
le 28 juillet 1903. Elle avait reçu le sacrement de l’Extrême-Onction à Diou,
durant une grave maladie qui n’eut pas de suite, le 26 janvier 1903. – Enfin,
au milieu de l’année 1904, elle quitte définitivement son pays natal pour aller
se fixer dans la province de Bari, en Italie, où elle vit incognito jusqu’à sa
mort à la mi-décembre, connue seulement de son nouvel évêque, Mgr Cecchini, et
d’une pieuse dame, la signora Gianuzzi. Sa dernière communion, le 14 décembre,
dans la cathédrale d’Altamura, est son suprême Viatique.
Cette errance continuelle, cette incessante migration nécessitée par une
hostilité sans pardon, – favorable, d’ailleurs, à l’accomplissement de sa
mission, – fut tournée contre elle, taxée de vagabondage, dans le pire sens du
mot, interprétée de la façon la plus basse et la plus haineuse. Peu de saintes
furent autant calomniées.
« Je mourrai en Italie », disait-elle à Dieu, moins de deux ans
avant sa mort, « – dans un pays que je ne connais pas, – où je ne connais
personne, – pays presque sauvage, – mais où on aime bien le bon Dieu, – je
serai seule, – un beau matin, on verra mes volets fermés, – on ouvrira de force
la porte, – et on me trouvera morte. » Cette prophétie s’est réalisée à la
lettre dans tous ses détails25.
L’extraordinaire beauté de cette vie fut cachée, plus de soixante ans, avec
un art vraiment diabolique, et la très précieuse mort ne fut pas connue. À
cette époque, d’ailleurs, qui pensait à la Bergère ? À peine la nommait-on
sur la Montagne, en déplorant qu’elle eût mal tourné. Immolation irréprochable.
Maximin, mort en 1875, avait été déshonoré, lui aussi, fort studieusement et
d’une manière qui ne laissait rien à désirer. Bon débarras de l’un et de
l’autre.
La légende, solidement implantée, dès lors, de l’indignité regrettable des
témoins, tournait, en somme, à la Gloire de Dieu dont c’est la pratique
ordinaire – n’est-ce pas ? – de tirer le bien du mal et de se servir des
instruments les plus méprisables. L’éloquence des séminaristes pouvait se
donner carrière. L’invérifiable mensonge était adopté par tous les chrétiens,
prêtres ou laïques, irréparablement déçus. Le Secret était devenu une rêverie
dangereuse ou ridicule et, pour une fois, le vieux Serpent triomphait du Pied
Virginal !...
Cependant, Deus non irridetur, on ne se moque pas de Dieu. Mélanie
était morte le matin de l’Octave de l’Immaculée Conception et, la veille, cette
année-là, en divers diocèses, on avait célébré la Manifestation de la
Médaille miraculeuse, fête renvoyée du 27 novembre. Rappel liturgique du Dragon
poursuivant en vain la Femme aux ailes d’aigle qui fuyait devant lui dans le
désert ; et pour quelle autre, que cette mourante abandonnée, l’Église
aurait-elle chanté les fatidiques paroles : « POSUIT IN EA VERRA
SIGNORUM SUORUM ET PRODIGIORUM SUORUM IN TERRA »26.
Trois ans se sont écoulés. La Messagère enterrée ne parcourt plus le monde.
Elle est immobile et incorrompue dans un tombeau que les peuples visiteront un
jour. Mais la prophétie qu’elle apporta continue son cours comme un fleuve de
plus en plus majestueux, de plus en plus redoutable. On l’entend déjà gronder
et les plus impavides commencent à en avoir peur.
XII
LES PRÊTRES ET LE SECRET DE MÉLANIE.
S’il n’y avait eu que Napoléon III, la conspiration du silence ne lui aurait
pas survécu trente-six ans. Même l’étonnante infirmité humaine qui transforme
en une routine le ressentiment des griefs les plus oubliés ; tout ce qui
pouvait, avant la catastrophe de 1870, s’opposer encore à la Salette et à ses
Témoins, se serait usé depuis, la seule énergie de la sève catholique
démolissant la muraille de plus en plus, à chaque renouveau. Mais il y avait
ceci qu’on n’avouait pas, le jugeant intolérable, et dont on ne voulait à aucun
prix :
Les prêtres, ministres de mon Fils, les prêtres, par leur mauvaise vie,
par leurs irrévérences et leur impiété à célébrer les Saints Mystères, par
l’amour de l’argent, l’amour de l’honneur et des plaisirs, les prêtres sont
devenus des CLOAQUES D’IMPURETÉ. Oui, les prêtres demandent
vengeance et la vengeance est suspendue sur leurs têtes. Malheur aux prêtres et
aux personnes consacrées à Dieu, lesquelles, par leurs infidélités et leur
mauvaise vie, crucifient de nouveau mon Fils ! Les péchés des personnes
consacrées à Dieu crient vers le Ciel et appellent la vengeance, et voilà que
la vengeance est à leurs portes, car il ne se trouve personne pour implorer
miséricorde et pardon pour le peuple ; IL N’Y A PLUS D’ÂMES GÉNÉREUSES, il
n’y a plus personne digne d’offrir la Victime sans tache à l’Éternel, en faveur
du monde27.
« Nolite tangere Christos meos... Qui vos audit, me audit : et
qui vos spernit, me spernit. » Vous l’entendez, ô Mère du Verbe,
c’est à Vous que cela s’adresse. Vous avez osé toucher au clergé. On pourrait
penser que Vous en aviez le droit, étant sa Reine, Regina cleri, mais il
n’en est rien et voici Votre punition : Nous décidons que Vous aurez parlé
en vain.
« Ils ne veulent pas faire leur examen de conscience », disait
Mélanie. « Tu es ille vir, tu fecisti hanc rem abscondite !
», dit l’Esprit-Saint. C’est toi le coupable ! dit la conscience.
Quel que soit le crime accompli, en n’importe quel lieu du monde, cette parole
doit être justement et rigoureusement appliquée à chacun de nous. Les saints
l’ont toujours entendu ainsi. Et parce que les prêtres sont plus près de Dieu
et, dès lors, plus responsables, il est naturel qu’ils soient atteints les
premiers.
– « Vous êtes la lumière du monde ! » leur a dit le Maître.
Il n’y aura jamais d’affirmation plus certaine. Mais on sait que la plus
candide flamme terrestre, présentée au soleil, projette une ombre. De même, la
Lumière de Dieu, si elle venait à se lever derrière la lumière du monde, cette
dernière, à l’instant, donnerait une ombre noire, gluante, fuligineuse, de la
plus impénétrable opacité. Telle doit être la sensation d’un humble prêtre qui
fait son examen de conscience. Comment, alors, pourrait-il se troubler
ou s’étonner de l’énergie de certains mots ?
Il s’agit bien de cela ! d’ailleurs. La Parole de Dieu est, par
essence, incontestable, indiscutable, irréfragable, définitive. On est forcé de
la recevoir intégralement ou de se déclarer apostat. Or la parole de Marie,
c’est la Parole de Dieu, aussi bien à la Salette que dans l’Évangile. Si elle
dit que nous sommes des « chiens », c’est la Sagesse éternelle qui
parle. S’il lui plaît d’ajouter que les prêtres sont des « cloaques
d’impureté », il n’y a pas mieux à faire que de croire qu’il en est ainsi,
avec de très humbles actions de grâces pour le bienfait d’une si précieuse
révélation et sans songer, une minute, à distinguer sophistiquement.
Cette parole sait ce qu’elle dit, elle le sait infiniment et, nous autres, nous
ne savons pas même ce que nous pensons.
On a parlé d’« expressions hyperboliques », on a voulu sauver le
Secret, en expliquant que le mot cloaque n’avait pas un sens absolu, comme si
Dieu ne parlait pas toujours ABSOLUMENT. Infidélité, mauvaise vie, irrévérence,
impiété, amour de l’argent, de l’honneur et des plaisirs. Total : cloaque
d’impureté. Que penser d’un prêtre qui dirait : « Cela n’est pas pour
moi ? » Saint François de Sales, saint Philippe de Néri, saint Vincent
de Paul, le curé d’Ars, cinquante mille autres, sans remonter aux Martyrs,
eussent dit en pleurant : « Ah ! que cela est vrai ! comme
notre Souveraine me connaît et combien est inutile mon hypocrisie de tous les
instants ! » Mais voilà ! Il n’y a plus d’âmes généreuses.
La vérité stricte que ne contestera jamais un homme déterminé à donner sa vie
pour Dieu, c’est que tout prêtre qui ne tend pas à la Sainteté est réellement,
rigoureusement, absolument, un Judas et une ordure.
Tout à l’heure, j’ai cité deux Textes, le premier, du psaume 104 :
« Nolite tangere... Ne touchez pas à mes oints », pour faire
voir le beau parti qu’on en peut tirer. L’autre moitié du même verset paraît
une foudroyante réponse de Marie : « ... et in prophetis meis
nolite malignari – et ne maltraitez pas mes prophètes ». Ceux d’entre
les persécuteurs de Mélanie et de Maximin qui n’avaient pas « reçu leurs
âmes tout à fait en vain » durent trembler quelquefois, en lisant ces mots
dans leurs bréviaires. Pour ce qui est de l’Oracle évangélique :
« Celui qui vous écoute m’écoute, etc. », ne voit-on pas qu’il
convient supérieurement à Notre Dame de la Salette ? « Faites tout ce
qu’il vous dira », avait dit, aux noces de Cana, la Mère de Jésus.
« Celui qui T’écoute M’écoute et celui qui Te méprise Me méprise »,
lui répond son Fils, dix-neuf siècles plus tard, l’entendant pleurer sur une
montagne.
IMMENSE DIGNITÉ DE MARIE.
L’incompréhension du Fait de la Salette est une suite naturelle de
l’incompréhension ou de l’ignorance des Privilèges – d’ailleurs infiniment inexplicables
– de Marie. Pour ne parler que de son Immaculée Conception qui est un mystère
effrayant, il est à remarquer qu’à Lourdes, Elle ne dit pas : « Je
suis conçue sans péché », mais : « Je suis l’immaculée
Conception. » C’est comme si une montagne disait : « Je suis
la Celsitude ». Marie est la seule ayant le droit de parler d’Elle-même absolument,
comme Jésus parle de Lui-même, quand il dit : « Je suis la Lumière,
la Vérité, la Vie. » Le « Vêtement de Soleil », mentionné dans
l’Apocalypse, est son vêtement d’Absolu. Elle est si près de Dieu et si loin
des autres créatures qu’on a besoin d’un effort de la Raison pour ne pas
confondre. J’ose même dire, au risque de me confondre moi-même, que plus la
Raison et la Foi grandissent, plus la Mère de Dieu grandit et qu’on devient de
moins en moins capable de la délimiter, de la distinguer.
Ah ! je sais combien ces mots sont misérables ! Il ont du moins
pour eux d’être adéquats à la misère de la pensée. Un ange même, si on pouvait
entendre son latin sans être foudroyé d’amour dès la première syllabe ;
comment expliquerait-il qu’on peut concevoir Marie sans concevoir la Trinité
même et la discerner encore un peu dans l’éblouissement de la grande
Ténèbre ?
À la Salette, Elle parle à la première personne comme Dieu seul peut
parler. On a beaucoup remarqué cela. Des gens très forts se sont élancés pour
soutenir les murs de l’Église que ce langage allait, sans doute, jeter par
terre ; pour expliquer – oh ! faiblement – que tous les prophètes
canoniques se sont exprimés ainsi et qu’en cette rencontre, leur Reine
admirable n’est, comme eux, qu’un porte-voix rien de plus. Nul ne s’est
avisé de demander comment la Mère de Dieu aurait pu s’exprimer autrement. Dans
le Discours public, c’est toujours le Nom de son Fils accompagnant les
reproches et les menaces. Il nous est ainsi montré qu’Elle parle, avant tout et
uniquement, en qualité de Mère de Dieu, de Souveraine absolue, au point que ce
Fils qui est le Créateur d’Elle-même a l’air de ne rien pouvoir sans sa
permission. Essayez de remplacer la Première Personne par la Troisième, de
lire, par exemple : « Dieu vous a donné six jours pour
travailler, il s’est réservé le septième et on ne veut pas le lui
accorder. » Aussitôt, c’est la parénèse d’un prédicateur quelconque et ce
qui fait le caractère précis de ce célèbre Discours qui a étonné tant d’âmes,
l’Autorité suprême, disparaît.
Il est bien entendu que Marie n’est pas Dieu, quoique Mère de Dieu.
Cependant rien ne peut exprimer sa dignité. Théologiquement il est aussi impossible
de l’adorer que d’exagérer le culte d’honneur qui lui appartient. La gloire de
Marie et son excellence œcuménique défient l’Hyperbole. Elle est ce feu de
Salomon qui ne dit jamais : « En voilà assez ! » Elle est
le Paradis terrestre et la Jérusalem céleste. Elle est Celle à qui Dieu a tout
donné. Si vous pensez à sa Beauté, ce sera une dérision de dire qu’Elle est la
Beauté même, puisqu’Elle dépasse infiniment cette louange. Si vous voulez
exalter sa Force et sa Puissance, vous n’aurez pas mieux à faire que de
reconnaître qu’Elle est, en vérité, la dernière des créatures, puisqu’Elle a pu
accomplir cet inimaginable prodige de s’humilier beaucoup plus bas que tous les
abîmes avant lesquels Elle avait été conçue. Si vous désirez mourir, tous les
mourants de bonne volonté sont dans ses Bras. Si vous demandez à naître, la
Voie lactée jaillira de ses Mamelles pour vous nourrir. Quelque poète que vous
fussiez, capable, si j’ose dire, d’étonner le Couple innocent sous les platanes
du Paradis, vous auriez l’air de vendre à faux poids les plus fétides
substances, vous ressembleriez à un négrier ou à un propriétaire de malheureux,
si vous entrepreniez, – fût-ce en pleurant et à deux genoux ! – si vous
rêviez seulement de dire un mot de sa Pureté qui fait ressembler à la sueur des
damnés du plus bas enfer, les gouttelettes de rosée suspendues, un matin d’été,
aux tissus d’argent et d’opale des aimables araignées des bois.
Vous aurez beau prier, beau faire, jamais vous ne pourrez récompenser la
peine que j’ai prise pour vous autres.
L’Église militante subsisterait dix mille ans encore, et il y aurait des
centaines de conciles dont chacun ajouterait une gemme inestimable à la parure
de cette Reine, que cela ne ferait pas autant pour sa splendeur que ce
témoignage d’Elle-même à Elle-même, dans le désert, en présence de deux pauvres
petits enfants.
XIV
IDENTITÉ DU DISCOURS PUBLIC
ET DU SECRET DE MÉLANIE.
ET DU SECRET DE MÉLANIE.
LA PLAINTE D’ÈVE.
La parole de Marie, toujours identique à la Parole de l’Esprit-Saint que
l’Église nomme son Époux et qui la pénètre indiciblement, est toujours, par
nature, en assimilations ou paraboles. Elle est, surtout, itérative, Dieu
disant toujours la même chose et ne parlant jamais que de Lui-même, ainsi que
je l’ai fait remarquer ailleurs28.
Il fallait, par conséquent, que le Secret fût identique au Discours public et
c’est en cela que se manifeste leur commune origine. Je ne me propose pas de
les interpréter. D’autres l’ont essayé, avec plus ou moins de bonheur. Mais,
précisément parce que la Parole divine est invariablement assimilée ou
figurative, les prophéties sont invérifiables de ce côté de la vie, puisque,
même leur accomplissement n’est qu’une autre figure de l’avenir. En ce sens,
comme dans tous les sens, un prophète parle toujours. Defunctus adhuc
loquitur.
Certaines menaces du Secret de la Salette, telles que la chute de Napoléon
III, s’étant accomplies très visiblement, on peut être sûr que cette catastrophe
est elle-même préfigurative de quelque autre grande punition que nui ne peut
deviner. J’oserais même dire que cette menace n’est pas étrangère à la chute
colossale du premier Napoléon, car les prophéties n’appartiennent pas à la
durée, non plus qu’à l’espace, et c’est une fête pour la pensée de les sentir
palpiter au centre des temps d’où elles rayonnent sur toutes les époques
et sur tous les mondes.
Donc identité nécessaire du Discours public et du Secret. Lorsque Marie dit
aux Bergers : N’avez-vous pas vu du blé gâté, mes enfants ?
aussitôt se retrace en ma mémoire tout le 2e alinéa sur les prêtres
et les personnes consacrées à Dieu, les quinze lignes citées plus haut. Même
remarque pour les raisins qui pourrissent. Le Pain et le Vin sont une telle
signification du Sacrifice !
Les pommes de terre vont continuer à se gâter et à Noël il n’y en aura
plus. Quelqu’un m’a dit : « Les pommes de terre, ce sont les
morts, et Noël, c’est l’avènement de Dieu. » Or jamais, depuis les
grands prophètes hébreux, il n’avait été annoncé autant de massacres, de fléaux
horribles, de pestes et de famines ; jamais, autant que dans le Secret,
l’imagination ne fut conviée au spectacle de la terre engloutissant d’aussi
prodigieuses multitudes !
Qu’il me soit permis de citer ici une lettre naïvement et singulièrement
lumineuse qui me fut écrite, l’an dernier, par une amoureuse de Dieu :
« J’ai rêvé que je voyais passer beaucoup de monde que je ne
connaissais pas. On entrait et on sortait. C’était un grand va-et-vient. Tout à
coup une femme attirait mon attention ; elle avait quelque chose qui me
touchait infiniment. Tout le monde étant parti, elle me dit ces mots
extraordinaires : « On me croit SANS PÉCHÉ, je veux raconter
mon passé. » Alors elle se mettait à chanter ou à parler, car ses paroles
étaient comme un chant divin qui me pénétrait de douleur. C’était la plainte
d’Ève. Je me suis réveillée toute navrée, toute abîmée dans la douleur et
me demandant : – Où suis-je ? C’est la Salette, c’est Notre Dame de
la Salette qui m’a parlé, c’est Ève qui pleure ! Ensuite le
Discours de la Salette recommençait en moi, comme de lui-même. Je recevais le
sens des mots, je déchiffrais avec facilité les paroles comme si j’en avais
reçu la clef... De tout cela, il me reste peu dans l’esprit, l’état lucide
s’est dissipé, et je n’ai plus que le souvenir d’une chose divine qui a passé à
côté de moi... Avec son bras droit, Ève a cloué le Sauveur. – Avec son bras
gauche elle le déclouera. – « Mon peuple », c’est tout le genre
humain depuis le commencement. – C’est Ève qui parle en lançant son regard à
travers les âges. – C’est elle qu’accablent les deux lourdes
chaînes... »
Que pensez-vous de cet aspect nouveau du Miracle de la Salette, de cet
élargissement surnaturel de notre horizon ? Mutans Evae nomen.
C’est Marie qui nous parle et c’est Ève qui nous parle. C’est la même source de
vie, la même fontaine de pleurs. C’est pourquoi son vêtement, ou l’apparence de
son vêtement, est si extraordinairement symbolique.
Oh ! ce vêtement ! Quand je pense à la si totale incompréhension
d’un écrivain célèbre que nos catholiques ont cru précieux parce qu’il était
venu vers l’Église d’un lieu très bas, et qui tenta presque aussitôt de
déshonorer la Salette, en ridiculisant ses images dont le symbolisme lui échappait,
après avoir bafoué de ses adjectifs la Montagne elle-même qui l’avait assommé
de sa grandeur ! Ce pauvre homme, qui croyait aimer Marie, est mort très
cruellement, peu d’années plus tard, en exécution, j’en ai peur, de la menace
attachée au flanc du Commandement redoutable : Honora Matrem ut sis
longaevus super terram.
Il faut presque renoncer au sens des mots, lorsqu’il est question de tels
objets. On ne peut plus savoir, par exemple, ce que c’est qu’un vêtement. Le
tailleur d’images qui a fait les groupes de la Salette ne voulut être que
l’écolier des deux enfants et, à cause de cela, son œuvre a, je pense, toute la
valeur qu’elle pouvait avoir. Mais comment traduire, en marbre ou en bronze, un
vêtement de prophéties, une robe ou une tunique de l’Esprit-Saint ?
Car c’est bien cela que les bergers ont pu voir avec les yeux qui leur furent
prêtés pour un instant.
Ils ont dit : « la Dame en feu ». Bossuet ou saint Augustin
auraient-ils mieux dit ? On ne sculpte pas du feu, surtout du feu
extra-terrestre. La face de la dame et le « bouquet de myrrhe » de
Salomon pendu à son cou, le Crucifié vivant sur son sein, étaient comme
enveloppés d’un feu essentiel que l’intensité de tous les volcans ensemble
n’égalerait pas. Donc silence. L’or, le diamant, les pierres les plus
précieuses, le soleil même, parurent à ces deux enfants comme de la boue.
XV
PERSÉCUTION DE MGR FAVA.
DÉSOBÉISSANCE, INFIDÉLITÉS CRIMINELLES.
MISSIONNAIRES.
La non-existence, après soixante ans, de l’Ordre des Apôtres des Derniers
Temps est l’effet infiniment déplorable d’une désobéissance inouïe, non
seulement à la Sainte Vierge qui avait exigé son institution, mais à Léon XIII
qui ordonna formellement à Mgr Fava, évêque de Grenoble : « de
prendre la Règle donnée par la Très Sainte Vierge à Mélanie pour la faire
observer aux Religieux et Religieuses qui sont sur la Montagne de la Salette ».
Et Mélanie, reçue en audience privée, le lendemain, eut la consolation
d’entendre le Saint-Père lui dire plusieurs fois : « Vous irez sur la
Montagne avec la Règle que vous a donnée la Très Sainte Vierge. Vous la ferez
observer aux Religieux et aux Religieuses ». Cela se passait le 3 décembre
1878.
« Que s’est-il passé pour que rien ne se soit fait ? »
écrivait-elle, dix-sept ans plus tard. – « Quelqu’un que je connais, s’il
était à son lit de mort, à cette heure suprême où l’on dit adieu à tous les
partis, à tous les intérêts terrestres et où les yeux n’aperçoivent qu’un Juge
scrutateur des cœurs, pourrait nous le dire avant d’en avoir la vision dans l’autre
monde. Et il pourrait aussi nous dire pourquoi les ordres du Saint-Père n’ont
pas été suivis29. »
La constante hostilité de Mgr Fava, autrement active que celle de Mgr
Ginoulhiac, bien qu’il ne fût talonné par aucun empereur, ressemble à un cas de
possession diabolique. Cet inconcevable pontife, toujours accompagné de son
instrument d’iniquité, le Père Berthier, des prétendus Missionnaires de la
Salette, relançait sa victime jusqu’à Rome – où il étonna de son arrogance Léon
XIII qui ne sut pas le briser, – et jusqu’au fond de l’Italie où elle avait
espéré trouver un refuge, ne reculant pas même devant cette monstruosité
d’essayer de la corrompre avec des billets de banque. – « J’ai ici
quelques billets de cent francs pour vos menus plaisirs », osa-t-il
lui dire. Jusqu’à son effrayante mort, il ne cessa d’agir contre elle et
d’entraver sa mission par tous les moyens imaginables.
Elle avait écrit, le 3 janvier 1880 :
« ... Ce n’est pas malin que Mgr Fava ne veuille pas entrer dans mes
vues qui sont toutes opposées aux siennes. Mes vues étaient de faire de la
Montagne de la Salette un nouveau calvaire d’expiation, de réparation,
d’immolation, de prière et de pénitence pour le salut de ma chère France et du
monde entier. Je désirais que le lieu où Marie Immaculée a versé tant de larmes
fût un lieu saint, un modèle, et que l’on y observât rigoureusement la sainte
Loi de Dieu, la Loi du Dimanche, et que ni les Pères ni les Religieuses
ne fissent aucun négoce, laissant aux séculiers le soin de vendre des objets
de piété 30. »
Autre plainte, le 8 septembre 1895 :
« ... Que c’est donc triste de voir ce saint lieu habité par des incroyants !
Dès le commencement, je me consolais en pensant que cette Montagne, où Marie
avait versé des larmes, serait, un jour, habitée par des âmes modèles de
l’exacte observance de la loi de Dieu, des âmes humbles, charitables, dévouées
et zélées ; que ce saint lieu deviendrait et serait le foyer de la pénitence,
de l’expiation et de la continuelle prière pour les besoins de l’Église et la
conversion des pécheurs !... J’ai été trompée ; je ne leur en veux
pas ; ils n’ont rien compris de la miséricordieuse Apparition ; ils
n’ont pas la vocation religieuse et apostolique ; ils sont des membres
disloqués. Que Dieu les éclaire ! »
La présence des Missionnaires prétendus, installés et prospérant, un demi-siècle,
sur sa Montagne, la crucifiait : « ... Ce sont les anciens
missionnaires », écrivait-elle, le 19 décembre 1903, « qui ont
détruit le pèlerinage ; ce sont eux, hélas ! qui ont osé découronner
Notre Dame de la Salette31 ;
ce sont eux qui, complices de Mgr Fava, ont refusé, contre l’ordre du Pape,
d’accepter la Règle de la Mère de Dieu ; ce sont eux qui ont calomnié le
si bon et si humble Maximin et qui lui ont refusé un morceau de
pain !... » En 1902, ils avaient demandé à Mélanie, dans leur
sacristie : « Que va-t-il arriver ? » – « La Madone,
répondit-elle, va vous balayer. » Déjà Maximin, un peu avant sa
mort, arrivée le 1er mars 1875, avait dit en parlant d’eux :
« Ils descendront de la Montagne et n’y remonteront pas. » Décidément
les deux Bergers étaient mieux informés de l’avenir que ces soi-disant
religieux, le P. Berthier, par exemple, disant : « Après tout, nous
sommes propriétaires des lieux de l’Apparition. Nous les avons achetés par acte
notarié en bonne et due forme : personne ne peut nous déloger. »
Adorable balayage ! « Ce qui se serait fait dans la miséricorde –
avait dit encore Mélanie – se fera sur des ruines. »
La douleur de cette profanation lui fut un martyre. Son admirable
correspondance en est remplie et on peut bien dire qu’elle en est morte après
en avoir constamment vécu. Elle ne pouvait pas se mettre à genoux, parler à
Dieu ni parler aux hommes, sans que cette épine perçât son cœur.
« Ceux qui étouffent la vérité... Le matériel offusque leur
intelligence... Je suis indignée contre l’esprit de mensonge des Pères de la
Salette... Ils ont horreur de ce Secret qui lève un coin du voile... Malheureux
religieux qui ne sont pas fidèles ! gémissait-elle ; oh !
combien il y en a qui arriveront au terrible Jugement de Dieu, avec les mains
et le cœur vides, mais les yeux pleins, pleins du désir des biens de la terre
et vides de bonnes œuvres ! Prions, prions... Notre pauvre France est bien
malheureuse et bien malade ; mais ce ne sont pas les personnes qui ne
croient à rien qui offensent le plus la Majesté Divine ; les personnes qui
appartiennent au démon font les œuvres du démon. Ce sont les âmes chrétiennes,
les Chandeliers de l’Église, le Sel de la terre, qui ne font plus leur
office... La divine Marie n’a pas parlé pour ne rien dire, ni pour que ses
sages avertissements soient ensevelis... Les excuses que certaines
personnes donnent pour ne pas croire au Secret, ne sont que des accusations
contre elles-mêmes. Pour ne pas changer de vie, il est plus facile de dire que
l’on ne croit pas au Secret, ou bien qu’il est exagéré, que le mal n’est pas si
grand ; que la Très Sainte Vierge n’a pas pu se plaindre du sel de la
terre, etc., etc. Ces raisonnements-là, on devrait me laisser faire à moi,
ignorante comme je suis ! Mais ils me semblent honteux dans la bouche des
personnes tant soit peu doctes, sinon pieuses. Que nous dit l’Écriture Sainte,
l’Ancien et le Nouveau Testament ? Comment parle-t-elle du prêtre ?...
Qui a demandé le crucifiement de notre doux Sauveur ?... Les hérésies, par
qui ont-elles commencé ?... En 1893, quelles furent les premières
personnes qui adhérèrent à la disparition de la monarchie ? etc., etc.
Quelles sont les personnes qui allaient contre l’infaillibilité du
Pape ?... Et aujourd’hui, qui sont ceux qui se récrient contre le Secret
de la Vierge Marie ?... Le Sel de la terre !...32 »
XVI
DONS PROPHÉTIQUES DE MÉLANIE.
Après ce qui vient d’être lu, on peut aisément comprendre l’exaspération de
la multitude superbe des ecclésiastiques même honorables, surtout honorables,
mais contempteurs des exigences de la Sainteté ou de l’Héroïsme.
Il ne serait pas hors de propos de rappeler ici l’admirable formule du
philosophe Blanc de Saint-Bonnet : « Le clergé saint fait le peuple
vertueux, le clergé vertueux fait le peuple honnête, le clergé honnête fait le
peuple impie. » En sommes-nous encore seulement au clergé honnête ?
On a pu se le demander en 1789. Pourquoi pas aujourd’hui ? Il me semble
qu’après tant de grâces et tant de crimes, le collier de malédictions doit être
infiniment plus somptueux. Pourquoi n’en serions-nous pas au diabolisme tout
pur ? Il est bien certain, il est d’observation facile et directe que le
seul nom, je ne dis pas, de la Salette, mais du Secret de Mélanie, ou
simplement le nom de Mélanie tout court suffit, en France, pour agiter les
séminaires et les sacristies, pour déséquilibrer un grand nombre de nos
évêques. Il a plu à Marie de se servir d’une petite bergère pour épouvanter de
puissants pasteurs, comme si elle eût été un molosse devant des loups fort
timides. Et ribedit... Et subsannabit.
Alors quoi ? C’est donc bien vrai que nous sommes des maudits ?
S’il ne s’agissait que d’une imposture aisément ou malaisément démontrable, il
n’y aurait pas tant de vacarme. Mais il est prouvé infiniment et
indiscutablement, par des miracles de guérisons, par des miracles de conversions,
par des miracles de prophéties, que c’est la Mère de Dieu, la Mère de la Vérité
éternelle qui a parlé de Sa bouche et voilà ce qui ne peut pas être supporté33.
Ces bergers si obstinés dans leurs témoignages et dont il n’y avait pas
moyen de « plomber » les lèvres, il ne suffisait pas de faire croire
qu’ils étaient des âmes perdues, mille fois indignes de la grâce inouïe qu’ils
reçurent, dont la mission, d’ailleurs, était bien finie depuis le Discours
public ; il fallait surtout cacher, en même temps que leurs vertus, leur
don surhumain de prophétie, ce qui était fort difficile.
En mars 1854, – on est prié de remarquer la date – Mélanie annonçait déjà
les Prussiens, les désignant par leur nom, et l’incendie de Paris. Résumant le
règne de Napoléon III en trois mots : Hypocrisie, Ingratitude,
Trahison, l’empereur, pour elle, était « l’hypocrite, la fourbe,
l’ingrat, le misérable, le cynique, le traître, le persécuteur de l’Église et
du Pape, détrônant Dieu pour couronner le démon » ! Non contente de
ce langage, elle se livrait à des actes étrangement significatifs. On sait
qu’elle quitta le couvent de la Providence à Corenc, en 1854, pour être envoyée
en Angleterre ; or, après son départ, on remarqua ces mots qu’elle avait
gravés dans le bois de son pupitre à l’aide d’un canif : « PRUSSIENS
1870 ». Encore à Corenc, la maîtresse de classe lui donna, un jour, une
carte de France à étudier. La pauvre enfant se mit à pleurer et biffa d’un
trait l’Alsace et la Lorraine. Le 28 novembre 1870, après les désastres,
elle écrivait à sa mère : « Il y a 24 ans que je savais que cette
guerre arriverait ; il y a 22 ans que je disais que Napoléon était un
fourbe, qu’il ruinerait notre pauvre France. »
Dans d’autres admirables lettres, elle explique ce qu’elle appelait sa
« Vue »34.
Elle avait réellement la vision actuelle et universelle des choses futures
« et tout cela dans une seule parole qui s’échappe des lèvres de Celle qui
fait trembler l’enfer, la Vierge Marie ». « ... Je trouve très
difficile de rendre une chose qui n’a pas de comparaison... Quand la Sainte
Vierge me parlait, je voyais s’exécuter ce qu’elle disait ; je voyais le
monde entier, je voyais l’œil de l’Éternel ; c’était un tableau en
action ; je voyais le sang de ceux qui étaient mis à mort et le sang des
martyrs. » « ... La Sainte Vierge, EN UN SEUL MOT, peut
dire et faire comprendre de quoi écrire pendant cent ans... Elle prononçait
toutes les paroles, soit du Secret, soit des Règles, et je pouvais deviner ou
pénétrer tout ce qu’elles impliquaient. Un grand voile était levé, les
évènements se découvraient à mes yeux et à mon imagination, à mesure que
parlait Marie et, devant moi, se déroulaient de grands espaces ; je voyais
les changements de la terre, et Dieu, immuable dans sa gloire, regardait la
Vierge qui s’abaissait à parler à deux points. » (Elle et Maximin)35.
En 1871, elle écrivit à Thiers, le priant, l’adjurant d’enlever la statue de
Voltaire dont la présence dans Paris était, à ses yeux, un épouvantable danger
pour la France entière. Elle ajoutait que, si le gouvernement ne faisait pas
observer les Commandements de Dieu, les châtiments arrivés déjà ne seraient
rien en comparaison de ceux à venir. On pense l’accueil qui dut être fait à
cette lettre par l’octogénaire funambule.
XVII
DONS PROPHÉTIQUES DE MAXIMIN.
Quel homme a été plus vilipendé que Maximin ? Ceux même qui lui
devaient tout et qui l’ont laissé périr de misère dans leur voisinage, les
prétendus Missionnaires, abusèrent horriblement de leur prestige sacerdotal pour
déshonorer ce pauvre qui les avait enfantés, qui les avait vêtus et nourris,
qui leur avait donné ses montagnes et son ciel et le Paradis dans le cœur,
s’ils avaient voulu36 !
On sait que les vrais chrétiens sont les plus désarmés des hommes, puisque la
Charité et l’Humilité les empêchent de se défendre. Mélanie
« aventurière », Maximin « ivrogne », épithètes
indécollables ! On a vu des pèlerins épouvantés de l’avenir éternel de cet
Alexis dans le réduit de la maison de sa Mère.
Or voici le témoignage de Mélanie : « Bon et loyal
Maximin !... Je crois qu’il a beaucoup souffert et toujours en
silence ; en vérité, je suis couverte de confusion quand je vois combien
je suis éloignée de sa vie toute cachée en Dieu ; et, si je parviens à
arriver au ciel, je ne toucherai pas même les chevilles de ses pieds. Souvent
je le prie de m’obtenir cette générosité d’âme qui me serait si nécessaire...
je vous remercie beaucoup de la précieuse photographie du bon Maximin, je l’ai
reconnu à ses yeux candides et innocents. Je pense toujours à lui et à tout ce
qu’il a souffert avec une extraordinaire patience, avec ce grand esprit de foi
qui lui faisait voir Dieu en tout ou les instruments de Dieu dans les personnes
qui le faisaient souffrir... » Virginitate clarâ floruit, fut-il
dit à ses funérailles. « Pas de De Profundis sur sa tombe, il n’en
a pas besoin ; chantons le Gloria Patri et le Te Deum, il
lui en surviendra un surcroît de gloire au ciel où il habite. » C’est
Mélanie qui parle encore.
Maximin, lui aussi, avait vu, longtemps à l’avance, le péril prussien :
« L’Italie une, écrivait-il en 1866, est l’ennemie de la France
comme le poison est l’ennemi de l’homme. Tous les Français qui ont du sang dans
les veines devraient voler au secours de Rome et abattre l’unification
italienne comme on abat une vipère. Les Prussiens, qui n’ont d’affinité avec
les Italiens que par leur haine contre la religion de Notre Seigneur
Jésus-Christ, s’uniront, un jour, à eux pour nous punir de ce que nous n’avons
pas été fidèles à notre droit d’aînesse de défendre et de protéger en tout et
partout la Religion et la Papauté... J’ai grand’peur que notre ferveur pour
l’Italie et nos complaisances pour la Prusse ne se tournent bientôt contre
nous, et ce jour n’est pas loin. »
Le 29 juillet 1851, Maximin avait dit à un personnage absolument digne de
foi, M. Dausse, ingénieur à Grenoble, qui a laissé des Souvenirs curieux :
« Quand Paris brûlera, il y aura quatre rois autour », ce qui
s’est réalisé à la lettre. (Les rois de Prusse, de Bavière, de Wurtemberg et de
Saxe.)
Le même ingénieur raconte aussi que, avant la guerre de Crimée, – en 1854 –
M. Michal, curé de Corenc, affirmait, en présence de Maximin, que l’Empereur,
dans une réunion diplomatique aux Tuileries, avait quitté son trône pour tendre
la main à l’Ambassadeur de Russie, que, de là, naturellement, l’opinion s’était
accréditée qu’il n’y aurait pas guerre avec cette puissance. « Alors,
poursuit le narrateur, Maximin vient se mettre devant lui, les bras croisés et
répond carrément : – Eh ! bien, moi, je vous dis qu’il y aura
guerre avec la Russie !... »
Autre fait plus étonnant. Maximin se trouvant sur la Montagne, le 18 ou 19
septembre 1870, on parla de la prédiction de Mélanie : Paris sera brûlé.
L’un des assistants donna aussitôt l’explication naturelle : « Ce
sera par les Prussiens. » – Non, non, répliqua Maximin, ce n’est
pas par les Prussiens que Paris sera brûlé, c’est PAR SA CANAILLE.
Le 4 décembre 1868, Maximin était reçu à l’Archevêché de Paris, Mgr Darboy,
si admirablement domestiqué par l’Empereur, comme on sait, ayant désiré le
voir. L’entrevue, racontée par Maximin, fut assez longue. Sa Grandeur qui, sans
doute, avait espéré contraindre le berger à lui dévoiler son secret, parla de
manière à scandaliser profondément son auditeur qui avait été zouave
pontifical, accusant la Sainte Vierge d’exagérer les égards qu’on doit à la
Papauté et de n’avoir fait que des prophéties de hasard. – « Moi aussi, je
ferais bien des prophéties de cette force-là ! » osa dire cet
archevêque. Enfin, s’exaspérant jusqu’au blasphème : – « Après tout,
qu’est-ce qu’un discours comme celui de votre prétendue Belle Dame ? Il
n’est pas plus français qu’il n’a le sens commun... Il est stupide, son
discours ! Et le Secret ne peut être que stupide... Non, je ne puis, moi,
archevêque de Paris, autoriser une dévotion pareille ! »
Maximin, humilié pour ce prince de l’Église qui s’oubliait tellement devant
lui, voulu que Notre Dame de la Salette eût le dernier mot. –
« Monseigneur, répondit-il avec force, il est aussi vrai que la Sainte
Vierge m’est apparue à la Salette et qu’elle m’a parlé, qu’il est vrai qu’en
1871, vous serez fusillé par la canaille. » Trois ans plus tard, à la
Roquette, on assure que le prélat, prisonnier, répondit à des personnes qui
voulaient faire des tentatives pour le sauver : – « C’est inutile,
Maximin m’a dit que je serais fusillé. »
Le célèbre avocat de la Salette, Amédée Nicolas, raconte ce fait dont il fut
témoin sur la Montagne, en août 1871 :
« Un savant professeur de théologie et son ami, curé dans une grande
ville, étaient venus à la Salette, avec une douzaine d’objections préparées et
étudiées d’avance, pour les proposer à Maximin, lorsqu’il quitterait son
échoppe, pour venir, sur la demande des pèlerins (qui le préféraient aux
missionnaires), faire le récit du Miracle. Lorsque Maximin eut achevé, le
professeur proposa la première objection. Maximin se borna à dire :
« Passez à la seconde. » De même pour les seconde, troisième et
quatrième. À la cinquième, il répondit en quelques mots. Cette réponse fit
aussitôt crouler les cinq objections et cet écroulement entraîna celui des sept
autres. Voyant cela, ce professeur et ce curé nous dirent à nous-mêmes, car
nous étions à côté d’eux : « Ce jeune homme est toujours dans sa
mission ; il est assisté par la Sainte Vierge, aujourd’hui comme aux
premiers jours ; c’est évident pour nous. Aucun théologien, fût-il le plus
savant du monde, n’aurait pu faire un pareil tour de force. Tout cela est
certainement surhumain. Il nous a mieux prouvé le Miracle qu’il n’eût été
possible de le faire par les plus fortes démonstrations37. »
La vie de Maximin a été des plus accidentées. Après avoir passé quelques
années dans un séminaire, il fut soldat, puis étudiant en médecine. Mais il
échoua partout et se vit réduit à servir des ouvriers pour vivre, gagner sa
vie.
Se trouvant à Paris dans le plus grand dénûment, il engagea un de ses
vêtements au Mont-de-Piété. Un jour, à bout de ressources, et n’ayant plus rien
à manger, il entre à Saint-Sulpice et va s’agenouiller devant l’autel de la
Sainte Vierge. « J’ai bien faim, dit-il, ma bonne Mère, vous allez donc me
laisser mourir de faim ? Et pourtant, tout ce que vous m’avez commandé, je
l’ai fait. J’ai fait passer à tout votre peuple les graves et solennels
avertissements que vous êtes venue apporter. Encore quelque peu et je vais tomber
d’inanition. Si vous ne voulez pas me tirer de la misère où je suis, alors je
vais m’adresser à votre époux saint Joseph qui, lui, aura bien pitié de
moi ! »
Affaibli par un jeûne prolongé, il ne tarde pas à s’assoupir. Un homme qu’il
ne connaissait pas le réveille, l’invite à le suivre chez un restaurateur et
lui fait servir un copieux repas. Quand il est rassasié, l’inconnu paye le
maître d’hôtel et dit à Maximin d’aller au Mont-de-Pitié retirer l’habit qu’il
y a engagé. Il ajoute qu’il trouvera dans la poche de cet habit un billet qui
le mettra à l’abri de la misère. Aussitôt il disparaît. Maximin n’a jamais su
qui était cet homme. Comment cet inconnu savait-il qu’il avait engagé son habit
au Mont-de-Pitié ? Comment savait-il qu’il y avait dans la poche de cet
habit un billet assurant l’avenir de Maximin ? Ce dernier, ne pouvant
expliquer naturellement une chose aussi extraordinaire, a toujours cru que cet
étranger était saint Joseph.
Docilement, Maximin se rend au Mont-de-Pitié et trouve, en effet, dans la
poche de son habit, un testament qu’une personne charitable avait fait
en sa faveur. Par ce testament on lui offrait de le recevoir dans une famille
et on lui laissait quinze mille francs pour subvenir à ses besoins. Comment ce
testament se trouvait-il dans la poche de l’habit de Maximin ! Il ne le
sut jamais. Mais quelle était la valeur de cet écrit ? Maximin le montra à
un notaire qui le trouva en bonne forme et fit les diligences nécessaires. On
lui versa donc quinze mille francs avec lesquels il entreprit un commerce de
bestiaux où il se ruina38.
Sa mission exigeait qu’il vécût et mourût dans l’indigence. Combien d’autres
histoires du même genre !
J’entends d’ici le chœur immense des voix sacristines : « La sainteté
de Mélanie et de Maximin, et leur état de prophètes ! Mais,
monsieur, cela renverse toutes nos idées ! On ne nous fera pas croire que
tant de bons chrétiens, tant de vénérables pasteurs, depuis tant d’années, n’en
aient rien su et qu’une légende contraire ait pu s’établir ! Cette
supposition est déraisonnable. » Cela me remet en mémoire la belle réponse
du commis-voyageur à qui on parlait du Palais des Papes à Avignon :
« Quelle bonne blague ! S’il y avait eu des papes à Avignon, ça se
saurait ! » Eh ! sans doute. Ça se sait même un peu,
mais c’est une règle sans exception que, pour savoir, il faut s’instruire avec
la candeur d’un enfant et l’humble bonne volonté de ces autres pasteurs à qui
les anges de Noël promirent autrefois « la paix sur la terre ».
« Invenietis infantes, pannis involutos et positos in
praesepio39. »
L’ignorance, coupable ou non, du plus grand fait de l’histoire moderne et de
sa conséquence immédiate, à savoir l’éminente sainteté des deux Témoins,
n’empêchera pas ceux-ci de continuer leur mission du fond de leurs tombes que
l’Église, un jour, nommera peut-être miraculeuses. Defuncti adhuc loquuntur.
Cette ignorance, monstrueuse dans tous les cas, n’empêchera pas non plus
l’espérance de quelques âmes, ni les centaines de millions de bras tordus par
le désespoir, à l’heure marquée.
On se rappelle que le Secret de Mélanie a été publié en 1879, avec l’imprimatur
de Mgr Zola, évêque de Lecce. Cette formule latine, significative, pour la
sainte fille, de tant d’amertumes, de tribulations et de combats, resta dans sa
mémoire, étrangement et profondément.
« Puisqu’on ne veut pas du Message, remède à nos maux, la divine
Justice vengera l’ingratitude des hommes et donnera l’IMPRIMATUR aux
fléaux annoncés par la Reine des Anges !!! » Ainsi s’exprimait la
Bergère de la Salette, le 23 mai 1904.
XVIII
LES ÉVÊQUES DE GRENOBLE À SOISSONS.
Oh ! le beau livre à faire ! Démontrer méthodiquement l’identité
absolue du Discours public avec le Secret de Mélanie et l’éternelle
impossibilité de les séparer, de manière à faire éclater l’unité profonde et
magnifique de la Révélation du 19 septembre. Sans doute, en ces choses qui sont
de Dieu, l’évidence parfaite est inespérable, mais ne serait-ce pas beaucoup
d’entrevoir au moins ceci : que le Discours et le Secret se renversent
l’un dans l’autre continuellement, comme une figure dans son miroir, comme
l’invisible dans le Visible, comme le Créateur dans la Créature ?...
C’est inconcevable que ce travail n’ait pas été fait encore. J’y ai bien
pensé et je le ferai peut-être un jour, si Dieu m’aide. Mais, sans parler de
mon insuffisance qui est à faire peur, il est certain qu’ici une telle étude
semblerait un hors-d’œuvre monstrueux. Songez qu’il faudrait faire intervenir
Isaïe, « le voyant des choses futures pour la consolation de ceux qui
pleurent sur la Montagne40 » ;
Isaïe, en son XXIVe chapitre où il parle du « Secret de Dieu,
si redoutable à quiconque en est le dépositaire, et de la prévarication des
transgresseurs. » Ce chapitre, écrit il y a vingt-six siècles, est un écho
merveilleusement anticipé du Secret de Mélanie et le Discours public de la
Salette fait entendre cet écho, tout à fait imperceptible sans lui. C’est le
sens de la dernière parole de Marie : Faites-le passer à tout mon
peuple. Faites-le passer, au moins, aux générations de vingt-six siècles.
Encore une fois, je ne me charge pas de cet immense labeur d’interprétation
qui exigerait, je le crains, l’intelligence miraculeusement illuminée d’un
saint. Mais c’est quelque chose de pressentir cette concordance colossale et
d’en avertir les humbles qui cherchent Dieu amoureusement41.
La réalité du Secret de Mélanie n’est pas niable, puisque même ceux qui n’en
font pas de cas sont forcés, chaque jour, à l’endroit précis où la Sainte
Vierge s’est montrée, de confesser qu’Elle a donné un secret à chacun des deux
bergers et d’alléguer, en même temps, on ne sait quoi pour expliquer leur
inexcusable incrédulité.
C’est accablant de penser que, depuis que le Secret de Mélanie est connu, à
savoir depuis quarante ans, il ne s’est pas rencontré, sur le siège épiscopal
de Grenoble, un seul pontife capable de sentir l’honneur inexprimable d’être
chef d’un diocèse où la Mère de Dieu a daigné prophétiser Elle-même ;
confiant, pour toute la terre, à deux enfants de ce diocèse incroyablement
privilégié, le Message inouï de l’impatience divine à son dernier terme et
l’annonce, – conditionnelle, sans doute, mais pour quel délai ? – du dernier
Déluge !
J’ai appris avec stupéfaction, – persuadé que certain rôle n’était plus
tenable – que le titulaire actuel, Mgr Henry, a, tout dernièrement,
à la Salette même, exprimé publiquement des doutes sur le Secret, demandant
des preuves !!! des affirmations explicites et formelles de la Cour de
Rome, comme si les approbations, les ORDRES même de Pie IX et de Léon XIII ne
suffisaient pas42 !
Quelle honte ! Il est absolument impossible que Mgr Henry ne
connaisse pas toute cette histoire, c’est-à-dire la désobéissance épouvantable
de son prédécesseur Fava dont la fin devrait le faire trembler. Il ne peut pas
ignorer le mensonge constant des opposants et leur diabolique esprit de
calomnie contre une stigmatisée qu’il sera forcé, un jour, – si Dieu
permet qu’il vive – de faire honorer par tous ses prêtres. Il est donc en état
de prévarication caractérisée, sciens et prudens, ennemi sagace et
déclaré de la Mère de Dieu. Sa seule excuse – combien misérable ! – serait
la pusillanimité, l’indécision invincible, l’irrésolution chronique, le
lanternement sempiternel.
Le jour même de sa prise de possession, cet évêque de Grenoble – de
Grenoble ! – disait : « À cette heure, la difficulté n’est pas
de faire son devoir, mais de savoir où il est. » Parole que reprenait
l’évêque d’Orléans, le 26 août 1902, à Notre-Dame de la Délivrance :
« Il est toujours facile de faire son devoir, il est plus difficile de le
connaître. » Une analogie fera comprendre l’énormité de cette reculade.
En mars 1814, la France, piétinée, violée, dévorée par six cent mille
soldats étrangers, allait être délivrée par Napoléon. Une stratégie divine, à
laquelle peuvent être comparés seulement les plus grands prodiges d’Annibal,
allait tout sauver. L’atroce Blücher était entre les deux mâchoires de l’étau
où l’homme d’Iéna et de Montmirail allait broyer ses soixante mille Prussiens.
Par la volonté de Dieu, le manque de volonté d’un seul homme fit manquer la
plus belle de toutes les victoires.
Ce général Moreau, ce désolant capitulard de Soissons, n’était pourtant pas
une âme vendue, ni un soldat sans courage, on l’a dit du moins. C’était
simplement un médiocre, un imbécile sans résolution ni fierté, qui pensa qu’il
y avait mieux que d’obéir, et dont la vile prudence fut un arrêt de mort pour
des multitudes. Celui-là, aussi, se demanda où était son devoir, oubliant la
consigne qu’il n’avait qu’à exécuter rigoureusement, dans les termes de
l’Ordonnance sur le service des places de guerre, c’est-à-dire « en
épuisant tous les moyens de défense, en restant sourd aux nouvelles
communiquées par l’ennemi et en résistant à ses insinuations comme à ses
attaques ». Le décret impérial de 1811 portait cette instruction quasi
prophétique : « Le gouverneur d’une place de guerre doit se souvenir
qu’il défend l’un des boulevards de notre royaume, l’un des points d’appui de
nos armées et que sa reddition, avancée ou retardée d’un seul jour, peut
être de la plus grande conséquence pour la défense de l’État et le salut de
l’armée. » « Quand un soldat commence à se demander où est son
devoir, dit à ce propos, l’excellent historien Henry Houssaye, il est bien
près de n’écouter plus que son intérêt. »
La Salette est probablement le dernier boulevard du Christianisme, et voilà
quarante ans que cette forteresse capitule !
XIX
SACERDOCE PROFITABLE.
VANITÉ DES OEUVRES EN PLEINE DÉSOBÉISSANCE.
CHÂTIMENTS. TÉNÈBRES.
Le secret de l’hostilité sacerdotale contre le Secret de Mélanie, c’est
qu’il faudrait, l’acceptant, renoncer au sacerdoce profitable, dire
adieu au casuel, aux tarifs, aux classes, à l’exécrable son de l’argent dans
les églises. En supposant même un clergé d’une pureté de mœurs admirable, où
est le prêtre qui oserait déclarer un degré quelconque d’horreur pour ce trafic
des « vendeurs de colombes » et des « changeurs », dans la
Maison du Père ainsi transformée en une « caverne de
brigands » ? Car telle est la précision du Texte évangélique. Où est
le curé de paroisse qui oserait donner aux Amis de Dieu, aux va-nu-pieds qui
lui sont si chers, la première place, en reléguant les riches, avec leurs
prie-Dieu capitonnés, au bas de l’église, le plus loin possible de
l’autel ? Sancta sanctis, non canibus. Cet audacieux serait
aussitôt dénoncé par tous ses confrères et sévèrement blâmé par l’autorité
diocésaine43.
Il s’agit bien de chérir la pauvreté et l’humiliation ! La lettre de
l’Évangile n’engage personne. Elle pouvait convenir aux premiers Apôtres ou à
quelques moines poussiéreux du onzième siècle ; elle ne vaut rien pour des
sulpiciens que l’esprit a vivifiés et qui sont forcés d’aller dans le
monde. Puis il est toujours facile de tourner en conseil de perfection
le précepte vraiment excessif de tout haïr, de tout quitter, de tout vendre,
pour devenir les disciples et les compagnons de Jésus-Christ.
La Sainte Vierge ayant parlé fortement du clergé : dans le Discours,
d’abord, d’une manière très enveloppée ; dans le Secret ensuite,
explicitement44,
il a bien fallu que le « cloaque » protestât – à la manière des
cloaques, en exhalant l’asphyxie. Le monde chrétien ne respire plus. En 1846
tout était déjà perdu. Un remède unique, surnaturel, fut apporté d’en haut par
la Mère de Dieu qui pleurait. Le « Père de famille, planteur de la Vigne
et constructeur de la Tour », pouvait-il bien croire que cela ferait
quelque chose ? La Sagesse éternelle pouvait-elle se dire : Verebuntur
Matrem meam ? La fumée du cloaque étouffa cette Révélation, si
parfaitement que les bons prêtres eux-mêmes, trompés depuis deux générations de
prêtres, avouent leur ignorance du remède. Dès lors, comment dire suffisamment
la vanité des œuvres accomplies en pleine désobéissance ?
« On ira à la Salette », écrivait un excellent prêtre, « on
ira à Lourdes, à Paray-le-Monial, à Rome, à Jérusalem, etc., en chantant :
« Sauvez Rome et la France ! » On ne fait que cela depuis trente
et quelques années. On inventera des pèlerinages d’hommes et même de prêtres.
On organisera des congrès de la Sainte Vierge, des congrès eucharistiques, des
ligues de l’Ave Maria, des neuvaines, etc. Et le ciel restera d’airain.
Tout sera d’une parfaite insignifiance pour apaiser Dieu irrité, parce que, en
somme, on vit à sa guise et que, pour ne pas entendre les reproches de
sa Mère, on piétine son Message. »
Laissons parler Mélanie :
« ... Il me semble que depuis longtemps, je donne un petit coup de
cloche pour avertir les humains que nous allons au-devant des tristes et
lugubres évènements du règne de l’Antéchrist. La foi n’est-elle pas
éteinte ? – Non, nous dira quelqu’un. – Si la foi n’est pas éteinte,
qu’elle montre ses œuvres, car la foi marche de pair avec les œuvres. – Mais,
répondra-t-on, on fait des pèlerinages ; il se fait un grand nombre de
bonnes œuvres. – Soit, le peuple français est naturellement porté aux choses extérieures ;
mais si ces pèlerinages ont été faits en expiation, pour fléchir la juste
colère de Dieu, lui demander pardon, etc., s’est-on vêtu de sacs et couvert de
cendres, par une sincère pénitence ? – Non ! – A-t-on au moins laissé
de côté ces modes diaboliques et indécentes ? etc. – Rien de tout cela !
Après avoir visité les Lieux Saints, les Sanctuaires, on fréquente les
théâtres, comme auparavant... On pourrait compter les élus, les âmes
foncièrement chrétiennes ; les autres ne peuvent se compter. L’apostasie
est à peu près générale. L’Antéchrist n’aura pas grand’peine à établir son
règne en Europe ; ceux qui, à cette heure, gouvernent la France, le lui
préparent sans rencontrer d’obstacles. Pauvre France !... En attendant,
elle rit, elle s’amuse, parce qu’elle ne croit pas à une vie meilleure ;
parce qu’elle n’a pas la foi, mais simplement la vanité de la foi, en
feignant la religion, en se faisant inscrire DIRECTRICE ou ZÉLATRICE ou PRÉSIDENTE
de telle ou telle confraternité. »
Cette lettre est du 28 novembre 1887.
Un an auparavant, alors que beaucoup de journalistes s’agitaient, elle avait
écrit déjà :
« ... Il est inutile de nous donner du mal pour chercher à deviner quel
sera le prince qui montera sur le trône de France. Si l’on ne connaissait
pas le Secret, l’on serait pardonnable : Pour un temps, Dieu ne se
souviendra plus de la France ni de l’Italie. On s’est révolté contre Dieu
et contre sa douce loi : nous serons gouvernés par une verge de fer, et
des lois dures et odieuses nous seront imposées. Ceux qui nous gouvernent ne
sont que des instruments dans les mains du Très-Haut. À mesure que les méchants
avancent sur le terrain catholique, nous avons la lâcheté de reculer... Nous
nous plions à toutes les exigences des ennemis de Dieu et des âmes. On
proteste, me direz-vous ? Oui, on proteste ! ce n’est pas cher !
Les premiers chrétiens protestaient avec leur sang, avec leur vie. Allons, nous
ne sommes que des ombres de chrétiens, nous craignons plus les
châtiments des hommes que les peines de l’Enfer. Croyez-vous que le bon Dieu
donne un roi à la France avant de l’avoir justement et sévèrement
châtiée ? Et après, serons-nous du nombre des vivants ! Toutes les
intrigues de certains prétendants au trône de France ne sont que des amusements
d’enfants45. »
« ... Un fait me cause la plus triste impression. C’est l’habitude diabolique
de procurer des secours aux victimes d’un tremblement de terre, ou de toute
autre catastrophe, en donnant des bals, des représentations de théâtre. Je
ne puis admettre que l’on ose recourir à un mal pour opérer un bien46.
Oh ! aveuglement de l’homme sans Dieu ! Et ceux qui agissent ainsi sont
des chrétiens ! Je n’en saurais douter, nous sommes près de la grande
guerre, c’est-à-dire de l’avènement de l’homme de perdition, de l’Antéchrist.
Je le sais, personne ne consent à reconnaître une vérité qui épouvante, mais
qui n’en est pas moins la vérité. Notre génération marche vers l’Antéchrist
DONT ELLE DOIT FAIRE LA RENCONTRE ; et les indifférents de refuser de
croire et les impies de railler. Cela est ainsi. Malheur ! malheur !
malheur ! »
« ... Je suis glacée de frayeur en voyant la rage de l’enfer et des
hommes, y compris les femmes infernales (sic) ; le feu et le sang y
auront grand jeu. Que de massacres ! Que de tortures affreuses !
Oh ! les femmes sont terribles ! Pauvres prêtres qui tomberont entre
leurs mains !... »
« L’Église aura une crise affreuse... Expulsion des curés de
leur presbytère, des évêques de leurs palais, poursuit la voyante ;
fermeture et confiscation des églises ; massacres du clergé pires que sous
la Terreur. Beaucoup seront tués par vengeance personnelle ; ceux qui auront
faibli ne seront pas épargnés ; le projet des maçons est de faire pécher
les consacrés avant de les tuer ! je vis que ces morts violentes étaient,
en très grand nombre, tout autre chose que le martyre ; que c’était
la réalisation, dans toute son horreur, du mot « Malheur ! » de
l’Écriture... Vous ne voulez pas du Message de la Miséricorde, vous repoussez
la main tendue ; il n’y a plus rien à faire : Dieu abandonnera les
hommes à eux-mêmes... Ce sera le temps des ténèbres47. »
XX
LA FEMME COURBÉE 18 ANS, FIGURE DE LA
SALETTE.
MARIE PARLE, JÉSUS NE PARLERA DONC PLUS ?
L’IMMACULÉE CONCEPTION
COURONNÉE D’ÉPINES, stigmatisée.
LOURDES ET LA SALETTE.
Il y a dans saint Luc, évangéliste de Marie, un récit qui ne pourra jamais
être lu avec assez d’attention et de respect :
« Jésus enseignait à la synagogue un jour de sabbat. Vint une femme qui
avait, depuis dix-huit ans, un esprit d’infirmité. Elle était inclinée, et ne
pouvait absolument pas regarder en haut. Jésus, l’ayant vue, l’appela et lui
dit : « Femme, tu es délivrée de ton infirmité. » Et il lui
imposa les mains. Aussitôt elle se redressa et elle glorifiait Dieu. »
Il ne faut pas se lasser de redire que l’Évangile, aussi bien que l’Ancien
Testament, est essentiellement parabolique, figuratif, prophétique,
l’Esprit-Saint n’ayant jamais parlé autrement. Alors, qui est cette femme,
possédée, dix-huit ans, d’un esprit d’infirmité ? Je ne vois que Marie pour
identifier une telle figure.
Ô Marie ! Ma Dame de Compassion ! que venez-vous faire ici ?
C’est, en effet, le jour du sabbat, samedi, veille de vos Douleurs48.
Voilà précisément dix-huit siècles bien accomplis que vous êtes courbée
et muette, l’Époux qui vous possède bienheureusement étant lui-même, quoique
Dieu, – par mystère impénétrable – un Esprit d’infirmité et de courbature,
jusqu’à l’heure merveilleuse où Il nous enseignera toutes choses. Pendant dix-huit
siècles vous avez gardé le silence, après avoir parlé six fois49
seulement dans les Évangiles ! À la Salette enfin, et pour la septième
fois, vous parlez avec une autorité si souveraine qu’après cela il ne peut plus
y avoir que le jugement universel et la combustion des mondes. Vous parlez
ainsi parce que Jésus vous a délivrée, c’est ce que je lis dans l’Évangile, et
vous glorifiez Dieu comme nul autre ne le pourrait faire. Cependant ce n’est
pas encore votre victoire, puisque voici le « chef de la synagogue »
suivi de beaucoup de prêtres qui s’indignent ensemble de ce que Jésus ait fait
ce miracle un jour de sabbat, c’est-à-dire qu’il vous ait donné d’être leur
juge. Il est étonnant, ce chef des « hypocrites » qui vous prend vos
propres paroles, ô Mère de la Parole, pour condamner votre Fils en vous
méprisant : « Il y a six jours pour travailler, dit-il... »
L’Esprit-Saint est tellement uni à son Épouse que, si on savait lire, on
trouverait la Salette à toutes les pages de l’Évangile.
La Révélation de la Salette, envisagée comme une rupture du silence de
dix-huit siècles, offre, en même temps, la consolation et la terreur. Et je ne
pense même pas ici au Message, c’est-à-dire aux menaces et aux
promesses. J’ai simplement en vue le fait inouï de fa Sainte Vierge parlant avec
autorité dans l’Église.
Je dis que ce fait est consolant, en raison du caractère de Celle qui parle,
puisque l’Église l’invoque sous le nom de Consolatrix et, aussi, parce
que c’est une sorte d’accomplissement, sous nos yeux, de la Troisième
Parole de Jésus mourant. Mais il est, en même temps, terrible à cause du
silence de ce même Jésus qu’il semble impliquer. Jésus et Marie ne parlent pas
ensemble. Quand Jésus commence sa Prédication, Marie s’abîme dans le silence
et, si Elle en sort aujourd’hui, est-ce donc à dire que Jésus ne va plus
parler ? Voilà, ce me semble, un des côtés les plus obscurs de la Salette
et l’un des moins explorés, probablement à cause de l’immense effroi qu’on y
rencontre. Quelques écrivains ascétiques tels que le saint évêque de Lausanne,
Amadée, et surtout, au dix-septième siècle, le Vénérable Grignion de Montfort,
ont affirmé que le Règne de Marie est réservé pour les derniers temps, ce qui
donnerait à supposer que notre Mère ayant enfin parlé en Souveraine, Jésus ne
reprendra désormais la parole que pour faire entendre le redoutable ESURIVI, j’ai
eu faim50,
qui doit tout finir...
J’écris ceci le jour de l’Assomption. D’autres voient Marie dans la gloire,
je la vois dans l’ignominie. J’ai beau faire, je ne me représente pas la Mère
du Christ douloureux dans la douce lumière de Lourdes. Cela ne m’est pas donné.
Je ne sens pas d’attrait vers une Immaculée Conception couronnée de roses,
blanche et bleue, dans les musiques suaves et dans les parfums. Je suis trop
souillé, trop loin de l’innocence, trop voisin des boucs, trop besoigneux de
pardon51.
Ce qu’il me faut, C’est l’Immaculée Conception couronnée d’épines, Ma Dame
de la Salette, l’immaculée Conception stigmatisée, infiniment sanglante
et pâle, et désolée, et terrible, parmi ses larmes et ses chaînes, dans ses
sombres vêtements de « Dominatrice des nations, faite comme une veuve,
accroupie dans la solitude » ; la Vierge aux Épées, telle que l’a vue
tout le Moyen Âge : Méduse d’innocence et de douleur qui changeait en
pierres de cathédrales ceux qui la regardaient pleurer.
Les prêtres sont pour elle ce qu’ils sont pour Dieu et pour l’Église. Chacun
d’eux représente Jésus-Christ et je la vois très bien s’agenouillant devant eux
comme elle s’agenouilla devant son Fils, lorsque celui-ci vint lui demander
humblement la permission d’aller souffrir52.
– Je vous en prie, leur dit-elle, mes très chers enfants, ne méprisez pas
mon Message. C’est mon dernier effort pour sauver le troupeau dont vous êtes
les pasteurs et dont il vous sera demandé un compte sévère. Si vous ne lui
dites pas que je suis venue et que j’ai pleuré sur lui avec amertume, si vous
ne lui répétez pas toutes mes paroles, qui pourra les lui enseigner et
comment serez-vous sauvés les uns et les autres ? Tout ce que j’ai dit à
mes deux témoins, tout ce que je leur ai révélé pour le faire passer à tout mon
peuple, est infiniment précieux et salutaire, et vous ne pouvez faire un choix
sans me blesser à la pupille de l’œil, sans percer vos âmes...
Vous qui avez tant reçu de mon Fils, jusqu’à tenir sa divine place, vous qui
devriez être si saints ! comment pouvez-vous ne pas pleurer avec moi en
vous frappant la poitrine ? Comment avez-vous osé vous moquer de mes
avertissements et empêcher les autres d’y croire ?... J’avais donné une
Règle. Qu’en a-t-on fait ? C’est en vain que deux papes ont voulu le faire
pratiquer. Mes chers Apôtres des Derniers Temps, mes doux fils bien-aimés, où
sont-ils ? je les avais choisis moi-même, triés avec soin, comme les
grains de froment du Pain des Anges. Quelques-uns sont tout près de vous. Si je
les nommais, à l’instant vous les feriez souffrir... Par le Nom très redoutable
de votre Maître que vous forcez à descendre chaque jour, je vous supplie
d’avoir peur...
– Que faudrait-il donc faire ? demandait à Mélanie un prêtre qui se
disait « un peu comme saint Thomas ». – La pénitence des Ninivites,
répondit-elle. – Oh ! pour cela, non, nous n’avons ni la foi, ni la force
de ce temps-là. – Eh ! bien, vous aurez les châtiments qui seront plus
durs que la pénitence et, n’ayant pas de force, vous renierez Dieu.
– C’est fait ! disent des voix d’En-Bas qui sont en train de
monter et qu’on n’entend pas encore.
XXI
PROFANATION DU DIMANCHE
Tout le monde sait que le blasphème et le refus de sanctifier le Dimanche
furent les deux grands reproches de la Salette, les deux accusations mortelles,
les deux choses qui appesantissent tant le Bras de mon Fils. Là encore,
disons-le en passant, la concordance du Discours public avec le Secret est
flagrante, car il est dit dans ce dernier que même les personnes consacrées
à Dieu... prendront l’esprit des mauvais anges et qu’on verra l’abomination
dans les lieux saints, ce qui implique nécessairement l’absolu des
profanations et des reniements supposés par ces deux effroyables crimes.
Encore une fois, je n’ai pas entrepris d’expliquer ni seulement de montrer ces
profondes et divines conformités, dessein pour l’exécution duquel je suppose
qu’il faudrait plus de lumière que Dieu n’en accorde habituellement aux
écrivains qui ne sont pas des écrivains ecclésiastiques. Mais voici, bien à
propos, un petit livre très posthume de Paul Verlaine, Voyage en France par
un Français, où se lit, contre le travail du Dimanche, une belle
protestation de ce grand poète malheureux.
Ah ! je n’ignore pas que celui-là n’est pas, lui non plus, une
autorité. Tant s’en faut ! On finira par savoir, dans le monde pieux, que
Paul Verlaine a écrit les vers les plus beaux qui soient, à la louange de
« sa Mère Marie », à la gloire de la Pénitence et du Saint Sacrement
et qu’il est, en réalité, l’unique poète catholique depuis les inspirés
du grand Hymnaire : mais on y mettra le temps. Un demi-siècle environ pour
l’élite de nos séminaires et cent ans au moins pour un tiers des autres, à
partir de la mort de François Coppée qui ne paraît pas prochaine. Tout de même,
le « pauvre Lélian », vers 1880, présenta, en prose, cette idée
originale et forte que la loi du travail, ordinairement regardée comme une
malédiction, est, au contraire, le « dernier et seul souvenir consolant du
Paradis terrestre ». En lisant cela, j’ai cru voir la Porte si bien gardée
s’entr’ouvrir.
Ah ! que c’est beau ! Ainsi Dieu, tout fâché qu’il fût contre
l’homme et le condamnant à tout perdre, aurait employé cette ruse adorable de
le flageller avec l’Espérance, de lui infliger comme châtiment ce qui devait
être son réconfort et de le lier rudement par une chaîne de Dilection ! Du
milieu de ses propres entraves beaucoup plus dures, il a vu cela, le lamentable
Verlaine ! Il a vu ou entrevu que si le paresseux accomplit cet acte
effrayant de couper la dernière amarre, le travailleur pervers, qui n’est
courageux que le Dimanche, parce qu’il s’agit de braver un maître invisible,
renouvelle à son insu – étant une épouvantable brute – le Crime initial et
reperd, chaque fois, pour lui-même et pour beaucoup d’autres, le Jardin de
Volupté. Adam et Ève ont dû, en une manière qu’on ne sait pas, mépriser le
Septième Jour et travailler le Dimanche tout l’été, ou, n’aller à la
Messe que pour se moquer de la religion, ou, pendant le carême, aller à
la boucherie comme des chiens, car les paroles divines sont toujours
certaines et identiques, en amont comme en aval de leur cours éternel.
La sanctification du Dimanche, c’est la sanctification du travail, et le
travail, non sanctifié de cette manière, est tellement maudit que l’apparente
solidité des maisons privées ou des monuments publics, à la construction
desquels il fut travaillé le Dimanche, est un problème. Le Secret annonce des
maux inouïs, tels qu’aucun prophète n’en annonça jamais d’aussi affreux et
d’aussi universels. La terre sera frappée de toutes sortes de plaies. Les
montagnes et la nature entière trembleront d’épouvante. Des prodromes,
d’ailleurs, se manifestent. Les feuilles publiques, prodromes elles-mêmes de la
démence du monde, relatent, chaque jour, sans y rien comprendre, les plus alarmantes
catastrophes : tremblements de terre ou volcans détruisant de grandes
villes, des pays entiers ; explosions, incendies, accidents innombrables
et de toute sorte procurés par la main-forte scientifique ou industrielle, au
service de la Désobéissance et de l’Orgueil. Cela pour ne rien dire des
homicides continuels et de plus en plus atroces, préludes, sous nos yeux, de
massacres sans pardon. Hier, un train de voyageurs sautait dans la Loire...
L’heure va sonner où les catastrophes se toucheront, où il n’y aura plus que
des catastrophes. À chaque tour de cette roue des supplices dont le mouvement
s’accélère, de graves individus recherchent aussitôt les
« responsabilités », dans l’espérance, dirait-on, d’augmenter le mal,
en réduisant au désespoir quelque mercenaire sans protection.
Ah ! misérables que nous sommes ! Elle est sur chacun de nous, la
responsabilité ! Le mot châtiments révolte notre orgueil. Il nous faut des
causes naturelles, des explications scientifiques où Dieu n’intervienne pas...
Ce travail avait été bien fait, pourtant ! Les matériaux étaient
excellents et on avait eu de bons ouvriers. Il n’y avait rien à redire à ces
assises de pierre dure, capables de soutenir une montagne, et cette charpente
de fer avec ses arbalétriers, ses boulons, ses rivets, que sais-je
encore ? étaient au-dessus de tout éloge... Mais voici. Ce travail avait
été fait le Dimanche, très probablement, et les ouvriers – un seul, peut-être –
avaient dû mettre le Nom de mon Fils au milieu. Il n’a pas fallu
davantage. Telle est l’explication de la Mère de Dieu.
Je me suis réservé le Septième Jour
. La profanation du Dimanche renouvelle
continuellement le premier péché. C’est l’attentat à la RÉSERVE du
Seigneur. Peine de mort dans les deux cas, et de mort terrible... J’ai
parlé plus haut des larmes d’Ève. La Chute n’est pas un fait accompli autrefois
et dont nous subissons les conséquences. Nous tombons toujours, et voilà
pourquoi Ève pleure. Ses larmes nous accompagnent dans le gouffre.
XXII
AFFAIRE CATERINI.
Il n’y a pas moyen de comprendre l’énorme prévarication sacerdotale, et
surtout épiscopale, relative au Miracle de la Salette, quand on ignore
l’affaire Caterini. Voici donc rapidement cette histoire misérable.
Le Secret de Mélanie commence par ces mots : Mélanie, ce que je vais
vous dire maintenant ne sera pas toujours secret : vous pourrez le publier
en 185853.
En 1858, Mélanie était enfermée au Carmel de Darlington, en Angleterre. Elle
demanda à sortir pour remplir sa mission. Quand elle revint, en 1860, la
gravité de ce Secret effraya les membres du clergé auxquels elle en parla. Elle
se borna pour lors à le donner manuscrit. C’est ainsi que de nombreuses copies
s’en répandirent avant 1870.
Plusieurs publications suivirent. Celle qui parut en 1872 fut honorée de la
bénédiction de Pie IX. Celle qui parut en 1873 fut approuvée par le cardinal
Xyste-Riario Sforza, archevêque de Naples. Celle qui parut en 1879 fut publiée
par la Bergère elle-même, avec l’imprimatur de Mgr de Lecce, le Compte
Zola, son directeur.
C’est alors que des prêtres français, des religieux et plusieurs évêques,
voulant faire condamner par Rome la brochure de Mélanie, Mgr Cortet, évêque de
Troyes, se chargea d’attacher le grelot.
Mgr Cortet, connaissant mal les règles du Droit canonique en cette matière,
s’adressa à la Congrégation de l’Index qui le renvoya à celle de l’Inquisition.
Là encore, il ne put rien obtenir. À bout d’expédients, il menaça le cardinal
Caterini, simple diacre, mais, secrétaire par rang d’âge de cette Congrégation,
du retrait du Denier de saint Pierre « si l’on ne faisait pas
quelque chose (sic) en sa faveur ». Le secrétaire, âgé de 85 ans,
signa la lettre suivante rédigée par un sous-secrétaire :
« Révérendissime Seigneur, Votre lettre du 23 juillet, relative à la
publication de l’opuscule intitulé : – L’Apparition de la Sainte Vierge
sur la Montagne de la Salette – a été remise aux Très Éminents Cardinaux,
avec moi Inquisiteurs de la Foi, qui veulent que vous sachiez que le
Saint-Siège a vu avec déplaisir la publication qui en a été faite et que sa
volonté est que les exemplaires déjà répandus soient, autant que possible, retirés
des mains des fidèles...
« Rome, le 8 août 1880.
« P. Card. CATERINI. »
À la réception de cette lettre, Mgr Cortet fut atterré, car ce n’était pas
une condamnation. – 1° Rome ne dit pas de « retirer autant que
possible », quand elle condamne un livre. – 2° C’était une lettre privée
qu’on lui envoyait et nullement un décret, car il est de rigueur qu’on relate,
dans un décret, la date de la réunion du Saint-Office. – 3° Au lieu du
pointillé, qui sera expliqué dans un instant, il y avait ces mots :
« Mais qu’on la maintienne (la brochure) dans les mains du clergé,
pour qu’il en profite ». Cette dernière phrase était, en réalité, une
approbation de la brochure. Impossible de publier cela.
Mgr Cortet envoya cette réponse à son collègue de Nîmes. Mgr Besson ne
s’embarrassa pas pour si peu. Il supprima la dernière ligne, la remplaça par un
pointillé et publia, sous la couleur d’un décret, cette lettre privée,
tronquée, faussée, qui n’était pas même à son adresse. Mgr de Troyes l’imita.
Un grand nombre de Semaines religieuses s’empressèrent d’en faire
autant, bien qu’elles sussent ce qu’il en était. Les Revues catholiques,
les « bons journaux », furent priés d’insérer et le firent de bonne
foi, on l’espère. Tout le monde crut, ou voulut croire, que la brochure de
Mélanie était condamnée !
Plus tard, les Missionnaires de la Salette, estimant que le pointillé en
disait encore trop, le remplacèrent par un seul point, et glissèrent par
milliers dans les mains des pèlerins leur petit papier. En même temps les
calomnies allaient bon train ; aucun doute n’était possible : « L’Enfant
de Marie avait mal tourné ; elle était égarée par la vanité, infidèle à sa
mission, etc. »
Voici, à ce sujet, une lettre de Mélanie à M. l’abbé Roubaud, curé de Vins,
au diocèse de Fréjus, mort en 1897, laissant une haute réputation de
sainteté :
Castellamare, 25 octobre 1880.
« Mon très Révérend Père,
« Ne vous troublez pas de tout ce que fait le démon par le moyen des
hommes ; le bon Dieu le permet pour affermir la foi des vrais croyants...
Les personnages à qui je me suis adressée à Rome appartiennent, l’un à la
Congrégation de l’Index et l’autre à celle du Saint-Office ou de l’Inquisition
qui est la même. Autant l’un que l’autre, ils ignoraient la lettre du cardinal
Caterini. C’est ce qui leur a fait dire que c’est un parti qui agit indépendamment
du Pape et même des Congrégations de l’Index et de l’Inquisition... »
Elle écrivit, en outre, à Mgr Pennachi, consulteur de l’Index, qui lui fit
la même réponse. Mgr Zola, évêque de Lecce, qui avait donné l’imprimatur,
s’était rendu immédiatement à Rome pour avoir des explications. Le
sous-secrétaire qui avait écrit la lettre fit très humblement toutes ses
excuses à Mgr de Lecce, lui disant qu’il avait eu la main forcée par l’évêque
de Troyes et autres évêques de France. Sa lettre ne devait pas être publiée.
Les formules qui compromettaient, dans cette affaire, « les Éminentissimes
Cardinaux » et « le Saint-Siège », étaient des rocamboles !!!54 »
Voici, pour conclure, ce qu’écrivait encore Mélanie, le 13 octobre
1880 :
« ... Le plus grand coupable par rapport à la lettre du cardinal
Caterini est Mgr Fava. Cependant il n’y a rien de si opportun que les
avertissements de notre miséricordieuse Mère Marie, à la veille du jour où les
religieux sont chassés... comme le dit très bien le Secret que l’on rejette... Les
ténèbres obscurcissent les intelligences ; ne voyons-nous pas
s’accomplir, à la lettre, ces paroles du Secret !...
Un évêque écrit à la Congrégation de l’Index et un Cardinal, secrétaire de
la Congrégation de l’Inquisition, répond une lettre privée et non
officielle, et cette lettre privée se reproduit dans les Semaines
religieuses, puis dans les journaux religieux et ainsi parcourt le
monde !!!... Le Secret, inopportun pour les fidèles, excite la curiosité
de tout le monde et, de tous côtés, je reçois des lettres pour me demander ma
petite brochure que je n’ai plus. Voilà jusqu’où sont allées la sagesse et la
prudence de l’opportunisme... En vérité, nous sommes plongés dans les
ténèbres ! Et c’est un châtiment de Dieu. En arrêtant la diffusion du
Secret, on prend une très grande responsabilité devant Dieu ! On
répondra devant Dieu de tout le Message de la Vierge Marie ! Je ne
voudrais pas être à la place de ces personnes-là au terrible
Jugement !... »
XXIII
SAINTETÉ DE MÉLANIE.
APÔTRES DES DERNIERS TEMPS PROPHÉTISÉS PAR ELLE
ET PAR LE VÉNÉRABLE GRIGNON DE MONTFORT.
À tout cela Mélanie n’avait à opposer que sa sainteté, son immense beauté
d’âme universellement, je ne dis pas méconnue, mais inconnue. Les moins
hostiles ont la charité d’espérer qu’elle n’est pas perdue éternellement,
qu’elle finira par être admise dans le Paradis, fort au-dessous des dames,
après un Purgatoire dont le pensée fait frémir. Les légendes fabriquées par le
démon sont si tenaces que, longtemps encore, on croira que la Bergère de la
Salette a mal fini ; qu’après une grâce inouïe dont la moins pieuse des
enfants du petit catéchisme eût été plus digne, elle est retombée, presque aussitôt,
dans la tiédeur, dans l’indolence de l’âme, dans la vanité, dans l’infidélité,
dans le mensonge55.
Quand on sait à quoi s’en tenir, cette vieille boue des décrottoirs de l’enfer
semble si basse et si puante qu’il n’y a pas moyen de s’y arrêter un instant.
La volonté de Mélanie était que ses directeurs ou confesseurs ne
dévoilassent rien de sa vie intime. Mais, dès 1852, plusieurs personnes
ont su par le P. Sibillat, qui avait obtenu quelques confidences de cette
enfant privilégiée, que, longtemps avant 1846, le Ciel l’avait visitée, que la
grande Apparition de 1846 n’était qu’un épisode de son enfance ; et
les Religieuses de Corenc, ses compagnes, purent observer que ces grâces ne
cessaient pas. On a la preuve qu’elles n’ont jamais cessé.
« Cette humble fille – dit son historien futur qu’il ne m’appartient
pas de nommer – dont les âmes, même religieuses, ne peuvent, avant que sa Vie
intime soit publiée, soupçonner la haute sainteté et la grande mission dans
l’Église, fut comblée, dès l’âge de trois ans, des dons surnaturels les plus
étonnants, tels qu’on les trouve dans les vies de quelques saints. Instruite
par l’Enfant Jésus qui lui avait appris qu’il fallait cacher ces grâces, elle
les cachait avec tant d’humilité et d’habileté et, quand on les surprenait, on
voyait tant combien on la faisait souffrir, que ses directeurs eux-mêmes n’en
ont connu qu’une faible partie. Dans les montagnes où elle gardait les troupeaux
avant l’Apparition, on l’appelait déjà la petite sainte et on lui
attribuait des miracles. »
Aujourd’hui il est connu qu’elle en a fait et la preuve en sera donnée,
quand la Congrégation des Rites daignera s’occuper de la Béatification d’une si
pauvre Bergère. La découverte de ses stigmates a été la chose la plus fortuite.
Elle-même paraissait les ignorer – bien qu’elle les cachât, comme tout
le reste, instinctivement – ou du moins, elle paraissait croire que tous les
chrétiens devaient être ainsi – ce qui n’est pas loin du sublime le plus
terrassant. Mélanie fut souvent communiée par Notre Seigneur lui-même et
jouissait de la vue continuelle de son Ange gardien. Les habitants d’Altamura
ont affirmé avoir entendu dans l’appartement de « la pieuse dame
française », à l’Angelus du soir, la nuit qu’elle est morte, des chants
angéliques et le tintement d’une clochette, comme quand on porte le Saint
Viatique.
Combien d’autres choses encore ! Mais ce qui étonne plus que tout, ce
qui décourage de penser, ce qui donne aux seules larmes d’amour un inestimable
prix, c’est de se dire qu’elle voyait tout dans la Lumière de Dieu, non
simultanément, mais successivement, c’est-à-dire au moment où sa pensée se
portait sur un objet. Don extraordinaire, unique peut-être dans la vie des
saints. Elle semblait vivre dans le Paradis terrestre comme si la Chute n’avait
pas été.
À une croyante qui voulait savoir quelque chose des Apôtres des Derniers
Temps, fut communiqué ce fragment de ce que Mélanie appelait sa
« Vue »56 :
« ... En d’autres endroits, je vis les Disciples des Apôtres des
Derniers Temps. Je compris bien clairement que ces messieurs, que j’appelle les
Disciples, faisaient partie de l’Ordre. C’étaient des hommes libres, des jeunes
gens qui, ne se sentant pas appelés au sacerdoce, voulant cependant embrasser
la vie chrétienne, accompagnaient les Pères dans quelques missions et
travaillaient de tout leur pouvoir à leur propre sanctification et au salut des
âmes. Ils étaient très zélés pour la gloire de Dieu. Ces disciples étaient
auprès des malades qui ne voulaient pas se confesser, auprès des pauvres, des
blessés, des prisonniers, dans les réunions publiques, dans les assemblées
sectaires, etc., etc. J’en vis même qui mangeaient et buvaient avec des impies,
avec ceux qui ne voulaient pas entendre parler de Dieu ni des prêtres ; et
voilà que ces Anges terrestres tâchaient par tous les moyens imaginables de
leur parler et de les amener à Dieu, et de sauver ces pauvres âmes qui ont
chacune la valeur du Sang de Jésus-Christ, fou d’amour pour nous. Cette vue
était bien claire, bien précise et ne me laissait aucun doute sur ce que je
voyais ; et j’admirais la grandeur de Dieu, son amour pour les hommes et
les saintes industries dont il usait pour les sauver tous ; et je voyais
que son amour ne peut pas être compris sur la terre, parce qu’il dépasse tout
ce que les hommes les plus saints peuvent concevoir...
« ... Avec elles (les Religieuses), il y avait aussi des femmes et des
filles remplies de zèle qui aidaient les religieuses dans leurs œuvres. Ces
veuves et ces filles étaient des personnes qui, sans oser se lier par les vœux
de religion, désiraient servir le bon Dieu, vaquer à leur salut et mener une
vie retirée du monde. Elles étaient vêtues de noir et très simples. Elles
portaient aussi une croix sur la poitrine, comme les Disciples, mais un peu
moins grande que celle des Missionnaires et elle n’était pas extérieure.
« ... Les Disciples et les femmes faisaient aussi cette promesse ou
oblation à la Très Sainte Vierge : de se donner à Elle et de Lui donner,
pour les âmes du Purgatoire, en faveur de la conversion des pécheurs, toutes
leurs prières, toutes leurs pénitences, en un mot toutes leurs œuvres
méritoires.
« Je vis que les Missionnaires vivaient en communauté... Je vis que les
disciples qui savaient lire disaient l’Office dans leur chapelle ; je vis
aussi que les Religieuses disaient l’Office de la Sainte Vierge ainsi que les
femmes. »
Il est infiniment intéressant de rapprocher de cette vue si actuelle, si
précise, de la Bergère, la prophétie plus générale, mais combien éloquente,
écrite, 150 ans avant la Salette, par le Vénérable Grignion de Montfort :
« ... Mais quels seront ces serviteurs, esclaves et enfants de
Marie ? Ce seront un feu brûlant des ministres du Seigneur qui mettront le
feu de l’amour divin partout et, sicut sagittae in manus potentis, des
flèches aiguës dans la main de la puissante Marie pour percer les
ennemis ; ce seront des enfants de Lévi, bien purifiés par le feu de
grandes tribulations et bien collés à Dieu, qui porteront l’or de l’amour dans
le cœur, l’encens de l’oraison dans l’esprit, et la myrrhe de la mortification
dans le corps, et qui seront partout la bonne odeur de Jésus-Christ aux pauvres
et aux petits, tandis qu’ils seront une odeur de mort aux grands, aux riches et
aux orgueilleux mondains.
« Ce seront des nuées tonnantes et volantes par les airs, au moindre
souffle du Saint-Esprit, qui, sans s’attacher à rien, ni s’étonner de rien, ni
se mettre en peine de rien, répandront la pluie de la parole de Dieu et de la
vie éternelle ; ils tonneront contre le péché, ils gronderont contre le
monde, ils frapperont le diable et ses suppôts et ils perceront d’outre en
outre, pour la vie ou pour la mort, avec leur glaive à deux tranchants de la
parole de Dieu, tous ceux auxquels ils seront envoyés de la part du Très-Haut.
« Ce seront des Apôtres véritables des Derniers Temps, à qui le
Seigneur des vertus donnera la parole et la force, pour opérer des merveilles
et remporter des dépouilles glorieuses sur ses ennemis ; ils dormiront
sans or ni argent et, qui plus est, sans soin au milieu des autres prêtres,
ecclésiastiques et clercs, inter medios cleros, et cependant auront les
ailes argentées de la colombe, pour aller, avec la pure intention de la gloire
de Dieu et du salut des âmes, où le Saint-Esprit les appellera57 ;
et ils ne laisseront après eux, dans les lieux où ils auront prêché, que l’or
de la charité qui est l’accomplissement de toute la loi. Enfin nous savons que
ce seront de vrais disciples de Jésus-Christ, qui, marchant sur les traces de
sa pauvreté, humilité, mépris du monde et charité, enseigneront la voie étroite
de Dieu dans la pure vérité, selon le saint Évangile, et non selon les maximes
du monde, sans se mettre en peine ni faire acception de personne, sans
épargner, écouter ni craindre aucun mortel, quelque puissant qu’il soit58.
« Ils auront dans leur bouche le glaive à deux tranchants de la parole
de Dieu ; ils porteront sur leurs épaules l’étendard ensanglanté de la
Croix, le Crucifix dans la main droite, le chapelet dans la gauche, les Noms
sacrés de Jésus et de Marie sur leur cœur, et la modestie et mortification de
Jésus-Christ dans toute leur conduite. Voilà de grands hommes qui
viendront ; mais Marie sera là, par ordre du Très-Haut, pour étendre son
empire sur celui des impies, idolâtres et mahométans. Quand et comment cela se
fera-t-il ?... Dieu seul le sait ; c’est à nous de nous taire, de
prier, de soupirer et d’attendre : Expectans, expectavi59. »
Assurément Dieu seul le sait. Cependant nous savons aussi, nous autres,
pourquoi et comment cela ne s’est pas fait, pourquoi, le 19 septembre prochain,
62e anniversaire de l’Apparition, il n’y aura pas même un faible
commencement d’exécution, une lointaine velléité d’obéissance. Nous ne savons
que trop les sordides et basses causes de cette prévarication inouïe. Mais tous
ne le savent pas et c’est pour les ignorants que ce livre est surtout écrit.
Les autres, les vrais coupables par malice ou par lâcheté, chercheront
naturellement à l’étouffer, selon leur méthode, simplement par esprit de suite,
sans honte ni peur. Comment faire peur à des hommes consacrés à Dieu qui ont pu
voir le châtiment terrible d’un assez grand nombre d’entre eux sans se
frapper la poitrine ?... Enfin j’ai voulu rendre témoignage afin de
m’endormir en paix, quand mon heure sera venue.
Les menaces de la Salette ont été conditionnelles. Il y a lieu de croire
qu’elles ne le sont plus. Les Apôtres de Marie, qui auraient dû être institués
avant le Déluge de sang et de feu, le seront après, voilà tout.
XXIV
OBJECTIONS, CALOMNIES.
L’ASSOMPTIONISTE DROCHON.
Ma tâche n’est-elle pas finie ? Je crois avoir dit tout ce qu’il
fallait et je ne pourrais plus maintenant que me répéter. On m’a présenté une
liste des objections contre le Secret qui ne cessent d’avoir cours à la
Salette. Je les connais trop et je les ai réfutées implicitement ou explicitement
dans les pages qui précèdent. On sait, d’ailleurs, que les objections
présentées par la haine, l’orgueil ou l’intérêt, sont invincibles. Elles
renaissent à mesure qu’on les égorge. Cependant le trait distinctif de
celles-ci est une faiblesse extrême, une faiblesse enfantine, telle qu’on a
honte de les entendre.
Exemple : « Si le Pape voulait la publication du Secret, il
l’aurait faite lui-même. » Cette objection, dans la bouche de prêtres qui
passent pour instruits, étonne et afflige. On sent qu’il serait bien inutile de
leur dire que le Pape a pu et a dû vouloir respecter la mission,
évidente pour lui, de Mélanie et qu’il a donné des preuves de ce respect. Cette
idée n’entrerait pas dans de tels cerveaux. Comment espérer aussi de faire
comprendre à ces esclaves de la lettre, à ces ilotes du vocable, que le
Pape étant infaillible, son SILENCE est une approbation ? Or le
secret n’a jamais été condamné. Ajoutons que ce serait peut-être une question
de savoir s’il est selon les grandes Règles que le Pape fasse en personne la
publication d’un tel document.
Puis, que répondre à de vieilles calomnies que l’accoutumance a transformées
en vérités indiscutables, et dont nul chrétien ne s’avise de rechercher la
provenance ? Ici, il n’y a plus seulement la honte de l’esprit, mais
l’horreur de l’âme et c’est abominable de penser à des mensonges tant de fois
réfutés et si vainement confondus !
Un Père Assomptionniste, nommé Drochon, les a réunis en bouquet dans une Histoire
illustrée des Pèlerinages français, formidable in-4° de 1274 pages (qu’il
faudrait 2548 hommes pour lire, aurait dit Barbey d’Aurevilly), publié avec
l’autorisation et l’admiration du Père Picard, son supérieur général60.
On sait que les Assomptionnistes ont été les plus constants ennemis de Mélanie
et de son Secret, et qu’ils se sont acharnés à cette guerre avec toute la force
et l’autorité que leur donnait le succès inouï et lamentable de leurs
déprimantes publications61.
Dans la masse énorme de ce Père Drochon, treize pages seulement sont données
au Pèlerinage de la Salette et il est presque impossible d’y trouver une ligne
qui ne soit inexacte ou mensongère. Qu’on en juge :
« ... Maximin et Mélanie auraient reçu, nous l’avons dit, chacun leur (sic)
secret : « Infirmes, défaillants, si vous le voulez, en tout le
reste, dit M. l’abbé Nortet, ils ne seront trouvés forts qu’en un seul
point, ce qu’ils ont affirmé être leur mission. » « Ces enfants
peuvent s’éloigner, s’écriait à son tour Mgr Ginoulhiac, le 19 septembre
1855 (il avait exilé Mélanie l’année précédente), devenir infidèles à
une grande grâce reçue (!), l’Apparition de Marie n’en sera pas
ébranlée. » Ces citations font prévoir les vicissitudes qui ont marqué la
vie des deux enfants... « Mélanie, après avoir contemplé la Reine du Ciel,
ne ferma point ses yeux au monde (!!!), comme nous l’avons vu faire à
Anglèze de Sagazan, à Liloye et à tant d’autres, comme le fit peu après
Bernadette. Elle entra, sans doute, au couvent de la Providence à
Corenc ; mais se croyant appelée à quelque chose d’important, rêvant
de missions et de conquêtes apostoliques, sœur Marie de la Croix inspira des
doutes sérieux sur sa vocation à la vie des religieuses, qui n’est efficace
que si elle est humble (!!!). Après trois ans (un an) de
noviciat, Mgr Ginoulhiac consulté s’opposa à sa profession62.
Elle revint à Corps où un prélat romain d’origine anglaise la décida à
le suivre en Angleterre, dans le but de s’y adonner à la pénitence pour la
conversion du pays. De 1854 à 1860, elle séjourna au couvent des Carmélites de
Darlington. Elle y prit l’habit, fit, paraît-il (!), des vœux, en 1856, mais
elle revint en France, quatre ans plus tard, se fixa à Marseille où, d’après
(!) M. Amédée Nicolas, elle fut relevée de ses vœux. Elle y séjourna jusqu’en
1867. (Rien de Corfou, etc.) Mgr Louis Zola, alors évêque de Lecce en
Italie, l’emmena dans son diocèse et la fixa à Castellamare.
(Admirable ! Alors Mgr Zola n’était pas encore évêque ; c’est
de Mgr Petagna qu’il s’agit et il n’emmena pas Mélanie ; puis Castellamare
n’est pas du diocèse de Lecce, c’est même un autre évêché et il est bien loin
de Lecce. C’est comme si on situait Amines dans le diocèse de Périgueux. On
n’est pas fort en géographie chez les Assomptionnistes. L’historien a puisé ses
renseignements à bonne source, chez les Missionnaires de la Salette, et son
livre est gros). À la mort de l’évêque, en 1888 (ni Mgr Petagna ni Mgr Zola ne
sont morts en 1888), elle revint à Marseille où elle est encore (1890). Au
milieu de cette vie agitée et inconstante, Mélanie est restée vertueuse
(Ah ! tout de même ! tout juste vertueuse !) et, comme Maximin,
persévérante sur un seul point, sa foi ardente (Après ce qui précède, le
mot ardente est tout à fait stupide, mais c’est comme ça qu’on écrit à
l’Assomption) en l’Apparition et dans le Secret qu’elle avait entendu. »
(Et pas un mot de ce secret ! comme si la publication de Mélanie et l’imprimatur
de Mgr Zola étaient apocryphes, puisque, d’autre part, Drochon dit que ce
secret est le « clou » de l’Apparition – style Bailly, style Croix
et Pèlerin.)
Cette page m’a rappelé le mot de Chateaubriand : « Il est des
temps où l’on ne doit dépenser le mépris qu’avec économie, à cause du grand
nombre des nécessiteux. »
XXV
L’HÔTELLERIE.
TACTIQUE DOUBLE DES MISSIONNAIRES
OU CHAPELAINS.
Dès le commencement de ce travail, des personnes pieuses et d’intention pure
jugèrent excessif mon blâme de l’hôtellerie de la Salette63.
Il faut pourtant bien, m’ont-elles dit, que les pèlerins soient hébergés,
surtout les infirmes et les malades, et ils ne peuvent pas exiger qu’on les
loge et qu’on les nourrisse pour rien. Or voilà précisément ce qui ne
devrait pas être en question. Le droit strict des pèlerins, surtout des
infirmes et des malades, c’est d’être hébergés pour rien. En octobre 1880, du
temps des prétendus missionnaires, je vis, un matin, arriver à la porte de
l’hôtellerie, par une neige terrible, un mendiant à peine moins blanc que la
neige et qui paraissait avoir quatre-vingts ans. Il avait cheminé des heures
dans la montagne, certain, disait-il, de trouver à la Salette l’hospitalité de
deux jours assurée aux chemineaux par un règlement de l’hôtellerie. Je n’ai pas
vu ce règlement, rêvé, peut-être, par de pauvres malheureux, mais ce que j’ai
bien vu et trop bien vu, c’est le désespoir, l’humble désespoir de ce
vieillard, me disant, un quart d’heure après : « Ils m’ont donné une
soupe froide et m’ont dit qu’il fallait partir. J’aurais bien voulu me
reposer. » Pour ne pas être complice d’un assassinat, je payai, quoique
très pauvre, trois jours de pension pour cet envoyé, qui était peut-être
Raphaël, et dont le remerciement est resté en moi comme une lumière douce dans
la cellule d’un condamné.
À partir de ce jour, j’ai compris ce qui se passait sur cette montagne. Pour
parler net, j’ai vu l’épouvantable esprit d’avarice de ces soi-disant religieux
qui n’auraient dû être eux-mêmes que des mendiants et des serviteurs de
mendiants, car la Salette est, par essence et par excellence, un pèlerinage de
va-nu-pieds. Qu’on vienne à la base de cette montagne comme on voudra et tant
qu’on voudra, mais, arrivé là, on ne peut monter délicatement qu’avec le
diable sur les épaules. Les premiers pèlerins ne s’y trompaient pas et
n’auraient pas pu s’y tromper. La route actuelle n’existait pas, et le service
des mulets ne se faisait pas comme aujourd’hui. On voyait se traîner, sur les
flancs du Mont, des infirmes, des agonisants, des quasi-morts, qui rampaient
des journées entières et qui redescendaient guéris. Mlle des Brulais, qui fut
un des premiers témoins de la Salette, a relaté quelques exemples vraiment
prodigieux64.
Je ne crois pas qu’il soit possible de citer un seul cas de mort d’un de ces
malades sur la Montagne. Combien, cependant, durent passer la nuit sans toit,
ni tente, sub Jove frigido, à cette altitude mortelle pour des être
humains privés d’abri ! De quels secours pouvaient être, pour des
centaines et des milliers de pèlerins, le couvert de quelques cabanes en
planches ? Quid inter tantos ? Mais on était venu porté par la
foi, on était hospitalisé, chauffé, réconforté, guéri par la foi.
Aujourd’hui, on monte commodément dans une voiture ou sur le dos d’un
mulet ; on paie sa chambre et sa table, 1re ou 2e
classe ; on prie à son aise, à l’abri de vraies murailles, dans une
basilique bien close, et on s’étonne de ne pas obtenir ce qu’on demande. On
n’est peut-être pas des pharisiens, mais on ne croit pas être, sicut ceteri
hominum, des voleurs, des injustes, des adultères et on n’a pas peur de
« lever les yeux vers le ciel ». Alors on redescend dans la même
voiture ou sur le dos du même mulet, mais non pas comme le pauvre publicain. Descendit
hic justificatus (hoc est sanatus) in domum suam. Il n’y a
plus de miracles parce qu’il n’y a plus de croyants ni de PÉNITENTS, parce
qu’il n’y a plus d’enthousiasme, c’est-à-dire de charité. Il n’y a plus d’âmes
généreuses.
On serait suffoqué de trouver un comptoir et des livres de comptabilité dans
l’antichambre d’un poète, et on n’est pas le moins du monde impressionné de
rencontrer ces mêmes objets dans un lieu de pèlerinage, et de quel
pèlerinage ! C’est ahurissant de se dire qu’il y a un endroit où la Sainte
Vierge s’est montrée, où elle a pleuré d’amour et de compassion, où elle a dit
les plus grandes choses qu’on ait entendues depuis Isaïe, où elle a guéri et
consolé tant de malheureux, et qu’à deux pas de cet endroit, il y a une caisse !
– C’est abominable, direz-vous, mais où est le remède ? – Vous le savez
aussi bien que moi. L’hôtellerie de la Salette, – transformée en une
Maison-Dieu, où chaque pèlerin valide se constituerait serviteur des pauvres ou
garde-malade, pour quelques heures ou quelques jours – serait approvisionnée
surabondamment et constamment, si les chrétiens lui donnaient la centième
partie de ce qu’ils donnent si vainement et avec tant d’amertume au percepteur.
Elle serait vingt fois plus riche que maintenant, trop riche, sans doute, mais,
du moins, on n’entendrait plus cet infâme bruit de monnaie que déteste Dieu, et
on aurait la joie et la gloire de ranimer d’innombrables pauvres.
C’est bien cela que les bergers ont pu comprendre, et ce n’est pas sans
effroi que je pense à ce qui a dû se passer dans le doux et noble cœur de
Maximin, quand il était témoin de l’exploitation de sa Montagne, et qu’il
périssait de misère à quelques pas des sordides religieux qui n’existaient que
par lui. Pour ce qui est de la vieille Mélanie, ce qu’elle dut sentir
lorsqu’elle fit le pèlerinage, une dernière fois avant de mourir, je me le suis
déjà demandé et je n’ai trouvé d’autre réponse que les larmes.
Mon livre, je l’ai assez dit, n’a qu’un objet : Prouver que tout
l’effort des ennemis de Dieu, dans le cas de la Salette, a tendu à déconsidérer
le Secret de Mélanie, le seul en cause, celui de Maximin n’ayant jamais été
divulgué. Alors, double tactique. D’une part, les Missionnaires ou Chapelains
installés sur la Montagne ont toujours et très fermement voulu que les menaces
de la Sainte Vierge se soient accomplies, peu de temps après l’Apparition,
d’une manière tout à fait complète et définitive, en sorte qu’il est démontré
que nous n’avons plus rien à craindre et que toute autre prophétie, concernant
l’avenir ou même le temps présent, doit être tenue pour billevesée. Je les ai
vus travailler, chaque jour, près de la Fontaine, à l’heure du Récit, apportant
des statistiques de famine, en Irlande par la maladie des pommes de
terre ; en France, en Espagne ou en Pologne, par la maladie du blé, etc.
Pour ce qui est de la menace du Discours relative aux « petits enfants
au-dessous de sept ans... », il paraît qu’elle s’explique très
suffisamment par une épidémie déplorable qui eut lieu vers cette époque,
c’est-à-dire il y a soixante ans. En conséquence, le soi-disant Secret n’est
qu’une méchante rêverie très apocryphe que les bons catholiques doivent
écarter.
Puis, il faut tenir compte de la différence des temps. En 1846, la Religion
était méprisée et la société chrétienne avait besoin d’être châtiée.
Aujourd’hui, elle est au contraire, ne le voit-on pas ? dans l’état le
plus florissant. De toutes manières, le Secret est insoutenable.
D’autre part, on veut à toute force que les Bergers n’aient jamais été
persévérants que sur un seul point : Maximin ivrogne, selon la
légende ignoble et criminellement fausse des Missionnaires, ne sortant de sa
torpeur que pour raconter l’Apparition avec lucidité, par un miracle
constant ; Mélanie, sainte fille, si on veut, mais livrée au plus
dangereux vagabondage et continuellement « entourée d’hurluberlus et de
prêtres désobéissants qui lui montaient la tête », ne retrouvant comme
Maximin, son équilibre et sa raison, que quand il s’agissait du récit de cette
même Apparition, identiquement relatée par elle depuis 1846. En dehors du
Discours public tout sec, impossible à mettre en doute, sans se condamner
soi-même à l’inexistence, où est le moyen de supposer un secret de vie et de
mort surérogatoirement divulgué par de tels témoins ?
– Après cela, pourraient dire les intéressés, si on veut prendre la peine de
considérer les choses froidement, raisonnablement, pratiquement, comment
ne pas voir, ô Mère du Verbe, que votre prétendue Révélation n’est qu’une
imposture des démons pour empêcher de saints religieux de gagner honnêtement
leur vie sur votre Montagne ?
XXVI
LA SALETTE ET LOUIS XVII.
TACTIQUE DOUBLE DES MISSIONNAIRES
OU CHAPELAINS.
D’excellents travaux historiques ont élucidé récemment la question de la
Survivance de Louis XVII. Question déjà vieille et qu’on ne peut plus ignorer
aujourd’hui, sans un peu de honte. Mon Fils de Louis XVI, publié en
1900, n’a pas apporté de document nouveau, mais le témoignage d’une admiration
infinie pour ce grand geste de Dieu, unique dans l’Histoire : une Race
Royale qui passait pour la première du monde, non pas rejetée précisément, ni
exterminée, mais tombée dans l’ignominie insondable, sans espoir d’en sortir
jamais.
« C’est à faire chavirer l’imagination de se dire qu’il y eut un homme
sans pain, sans toit, sans parenté, sans nom, sans patrie, un individu
quelconque perdu dans le fond des foules, que le dernier des goujats pouvait
insulter et qui était, cependant, le Roi de France !... Le roi de France
reconnu tel, en secret, par tous les gouvernements, dont les titulaires suaient
d’angoisse à la seule pensée qu’il vivait toujours, qu’on pouvait le rencontrer
à chaque pas, et qu’il tenait peut-être à presque rien que la pauvre France,
toute frappée à mort qu’elle fût, voyant passer cette figure de sa douleur, ne
reconnût soudain le Sang de ses anciens Maîtres et ne se précipitât vers lui
avec un grand cri, dans un élan sublime de résurrection !
« On fit ce qu’on put pour le tuer. Les emprisonnements les plus
barbares, le couteau, le feu, le poison, la calomnie, le ridicule féroce, la
misère noire et le chagrin noir, tout fut employé. On réussit à la fin, lorsque
Dieu l’eut assez gardé et lorsqu’il avait déjà soixante ans, c’est-à-dire
lorsqu’il avait achevé de porter la pénitence de soixante rois... »65
La disgrâce de ce « Roi fantôme » fut si parfaite que les mots
ignominie » ou « opprobre » ne suffisent plus. On lui refusa ce
qui ne se refuse pas aux pires scélérats, son identité personnelle, – pour
mieux dire, une identité quelconque. On voulut absolument qu’il ne fût
personne, dans la stricte acception du mot, et que ses enfants ne fussent les
enfants de personne. Ainsi s’accomplit, en une manière que Dieu seul pouvait
inventer, la séculaire formule capétienne : Le Roi ne meurt pas,
puisque la descendance légitime de Louis XVI était condamnée à ne pouvoir ni
vivre ni mourir.
Le Dauphin, fils de Louis XVI, – authentiquement Louis XVII – prétendu mort
au Temple, en 1795, exhala son âme douloureuse à Delft, en Hollande, le 10 août
1845, un peu plus de treize mois avant l’Apparition de la Salette,
« promptitude fort singulière de ce miracle, si peu de temps après que le
Candélabre aux Lys d’Or, dont il est parle dans le Pentateuque, avait été
renversé.
« Lorsque éclata la nouvelle de l’Apparition, un seul chrétien se
demanda-t-il si quelque chose d’infiniment précieux ne venait pas d’être brisé,
pour que la Splendeur elle-même, la Gloire impassible et inaccessible parût en
deuil ? – Depuis le temps que je souffre pour vous autres !
Quel mot troublant et inconcevable !
« La catastrophe est si énorme que ce qui ne peut absolument pas
souffrir souffre néanmoins et pleure. La Béatitude sanglote et supplie. La
Toute-Puissance déclare qu’elle n’en peut plus et demande grâce... Que s’est-il
donc passé, sinon que Quelqu’un est mort qui ne devait pas
mourir ?... »66
Si encore il était vraiment mort comme tout le monde meurt, mais je le
répète, c’était bien pis, le Roi de France ne devant pas mourir. Et voilà plus
de soixante ans que cela continue ! J’ai là, devant moi, le portrait d’un pauvre
petit enfant de 4 ou 5 ans, qu’où nomme le Prince Henri-Charles-Louis de
Bourbon, Dauphin de France. Il paraît que c’est lui qui continuera la série des
Rois fantômes...
Plusieurs lettres de Mélanie, dont quelques-unes à la Princesse Amélie de
Bourbon, prouvent que la prophétesse n’avait aucun doute sur la Survivance
représentée par le prétendu Naundorff et ses enfants. En 1881, elle nomme
l’héritier direct « Roi légitime, Roi FLEUR DE LYS » et
recommande l’espérance. On sait d’autre part que, bien des années auparavant,
Maximin avait fait le voyage de Frohsdorf et qu’une entrevue avec le Comte de
Chambord avait eu pour effet la renonciation effective de celui-ci au trône de
France. Tout porte à croire, en effet, que Maximin aurait dit à ce prétendant
ce que Martin de Gallardon, en 1816, avait dit à l’infâme Louis XVIII :
« Vous êtes un usurpateur. » Le Comte de Chambord, au contraire de
son fratricide grand-oncle, n’osa pas succéder aux deux Caïns de la
Restauration, mais, tout de même, il garda les 300 millions du patrimoine
royal, et les héritiers volés, depuis trois générations, continuèrent d’être
pauvres et couverts de la plus abondante ignominie, comme l’avaient été leur
père et surtout leur grand-père, le Dauphin du Temple.
Analogie ou affinité, correspondance ou relation mystérieuse entre le
Miracle de la Salette et le Miracle de la destinée du Fils de Louis XVI. Un roi
pauvre, un roi mourant de faim et de misère ; le fils couvert d’ordures et
obstinément renié de soixante rois, vient offrir à la France de la sauver, et
on l’assassine, après l’avoir longtemps flagellé. Nolumus hunc regnare super
nos.
Aussitôt après, la vraie Reine de France, la Souveraine à qui fut
authentiquement, valablement et irrévocablement donné ce Royaume, vient, à son
tour, supplier en pleurant son peuple et tous les autres peuples dont il est
l’Aîné, de considérer le Gouffre effroyable qui les invoque... Ne
pouvant la tuer, on lui répond par la Désobéissance, la Négation de ses paroles
et la judaïque lapidation de ses témoins. Nolumus HANC regnare super nos.
J’ai pensé, bien des fois que la patience de Dieu est la meilleure preuve du
Christianisme.
Aujourd’hui tout est-il perdu ? N’y a-t-il plus rien à espérer ?
N’est-il plus d’autres remèdes que les châtiments ? L’auteur de ce livre
en est persuadé. La France ne veut plus de Roi, ni de Reine ni de Dieu, ni
d’Eucharistie, ni de Pénitence, ni de Pardon, ni de Paix, ni de Guerre, ni de
Gloire, ni de Beauté, ni de quoi que ce soit qui donne la vie ou la mort. Elle
veut, en sa qualité de maîtresse, et d’exemplaire des nations, ce qui n’a
jamais été voulu par aucune décadence : la parfaite stupidité dans le
mouvement artificiel et automatique. Cela se nomme le Sport, qui doit être un
des noms anglais de la Damnation.
En l’année 1864, dit le Secret, Lucifer et un grand nombre de
Démons seront détachés de l’Enfer...
On sait que Léon XIII, frappé. de cette prédiction, a voulu que tous les
prêtres catholiques récitassent chaque jour, après leur messe, agenouillés au
pied de l’autel, cette prière assez semblable à un exorcisme :
SANCTE MICHAEL, ARCHANGELE, DEFENDE NOS IN PRAELIO : CONTRA NEQUITIAM
ET INSIDIAS DIABOLI ESTO PRAESIDIUM. IMPERET ILLI DEUS, SUPPLICES
DEPRECAMUR ; TUQUE, PRINCEPS MILITIAE COELESTIS, SATANAM ALIOSQUE SPIRITUS
MALIGNOS QUI AD PERDITIONEM ANIMARUM PERVAGANTUR IN MUNDO, DIVINA VIRTUTE IN
INFERNUM DETRUDE. AMEN.
APPENDICES
PIÈCE JUSTIFICATIVE
Le document qui suit, écrit de la main de Mélanie, fera connaître la source des calomnies sans cesse répétées, depuis trente ans, contre le Secret, la Règle de la Sainte Vierge, la Voyante et sa Mission.
« (Cusset, Allier), ce 28 février 190467
À Monsieur l’abbé
H Rigaux,
Curé d’Argœuves
par Dreuil-les-Amiens (Somme)
Curé d’Argœuves
par Dreuil-les-Amiens (Somme)
Mon très Révérend et très cher Père,
Que Jésus soit aimé de tous les cœurs !
Je vous vous promis, cela plaisant à Dieu, de mettre par écrit mon voyage à
Rome, ce qui l’a précédé, le Congrès tenu au nom du Saint-Père par son Éminence
le Cardinal Ferrieri, Préfet de la Congrégation des Évêques et Réguliers, ce
qui s’y est dit, mon audience privée auprès du Saint-Père et ce que nous avions
dit, mon entrée chez les Salésianes (Visitandines), puis ma sortie et ce qui a
suivi.
Jusqu’à présent, je n’ai pas pu écrire cela, par cause de maladie. Que le
bon Dieu soit béni de tout !
I
En l’an de grâce 1878 et, je crois, en octobre, un matin après la Sainte
Messe, le Révérend Père Fusco me dit avoir lu dans un journal l’intention de
Mgr Fava, évêque de Grenoble, de venir à Rome pour faire approuver sa règle
pour les Pères et pour les Sœurs de la Montagne de la Salette.
À cette nouvelle je dis : – Pour avoir ma conscience nette, je vais me
hâter d’écrire la Règle de la Très Sainte Mère de Dieu et l’envoyer au
Saint-Père. – Je la porterai moi-même à Rome, dit le Père Pusco. – Et tout se
fit comme nous avions dit.
Un mois environ s’était écoulé, quand un dimanche, mon saint Évêque, Mgr
Pétagna, me fit savoir qu’il désirait me parler. Je me rendis à l’Évêché. En
montant les escaliers, je rencontrais des bons vieux chanoines qui versaient
des larmes et disaient : – Il aurait mieux fait de rester dans son
diocèse et ne pas venir tuer notre Évêque. Si ce n’était sa soutane je l’aurais
pris pour un gendarme hautain, impérieux. – D’autres chanoines me dirent :
– Par charité, faites finir les cruelles instances de l’Évêque de Grenoble
auprès de Mgr Pétagna déjà assez malade. – Je demandai la raison des ordres
que l’évêque de Grenoble donnait à mon saint Évêque. On me dit : –
L’Évêque de Grenoble, avec un air de puissante autorité, ordonne à notre
saint Évêque de vous obliger, de vous contraindre d’aller dans son diocèse,
etc., etc. – J’entre, et, pour la première fois, je voyais Mgr Fava.
L’Évêque de Grenoble était accompagné d’un prêtre, que je sus, plus tard,
être le Père Berthier, un des missionnaires de la Salette.
Mgr de Grenoble me dit entre autres choses banales, indifférentes, qu’il
avait entendu dire que j’étais ici et qu’il était venu de bien loin pour me
voir. – Je le remerciai. – Mon saint Évêque, déjà malade, se sentait épuisé et
avait besoin de repos et surtout de tranquillité d’esprit. Un domestique vint
lui dire que sa chambre était préparée, s’il avait besoin de se reposer. Alors,
mon saint Évêque me dit : – Mgr de Grenoble et le R. Père Berthier
prendront leur repas chez vous, parce que, ici, depuis que je suis si
souffrant, on ne prépare rien, on ne se met plus à table. – Je dis à mon saint
Évêque, en lui exprimant mon regret pour son état maladif, que je le remerciais
de l’honneur qu’il me procurait d’avoir Monseigneur et ce digne Prêtre chez
nous, et le priai de me permettre de me retirer, afin que chez moi on pût
préparer le nécessaire. – Mon saint Évêque, remarquant le mutisme de Mgr Fava
sur ce qu’on venait de combiner, crut qu’il n’avait pas compris. Il le répéta
une deuxième fois, puis, une troisième fois, et je revins chez moi afin de tout
préparer pour le déjeuner de midi.
À midi, arrive Mgr de Grenoble avec le P. Berthier. Sa première parole
fut : – Je suis venu à Rome pour trous raisons : pour faire approuver
ma règle pour les Pères et pour les Sœurs, pour obtenir le titre de Basilique à
l’Église de la montagne de la Saiette, et faire faire une NOUVELLE STATUE de
Notre-Dame, semblable au modèle que j’ai apporté ; parce que, voyez-vous,
aucune statue ne représente bien la Sainte Vierge, qui ne devait pas avoir un
fichu ni un tablier ; et tout le monde murmure et désapprouve ce costume
des femmes de la campagne. Le modèle que j’ai fait exécuter est bien
mieux ! D’abord, elle ne portera pas de croix parce que, voyez-vous, cela
attriste les pèlerins, et la Sainte Vierge ne devait pas avoir de croix68...
– Je passe, ma plume se refuse à faire savoir, en détail, tout ce que sa
Grandeur a dit. J’étais effrayée ; c’est à peine si j’ai pu lui
dire : – Et, au bas de votre statue, Monseigneur, vous écrirez en grosses
lettres : Vierge de la vision de Mgr Fava ! – On appela pour
nous mettre à table.
Après le repas, l’Évêque de Grenoble ouvrit un balcon pour voir la campagne
et surtout le Vésuve que nous avions en face. Sa Grandeur me demanda qui nous
avions pour voisin à côté de nous. Je lui répondis que nous étions seules.
– Oh ! mais vous êtes princièrement logées ! – Et il se mit à
parcourir les pièces. Il sortit sur la terrasse qui servait, quand il ne
pleuvait pas, de lieu de récréation à mes élèves. Il contempla encore longtemps
le Vésuve, la mer et le paysage... Après quoi il rentra, non sans avoir ouvert
et examiné ma chambre de travail ; et, en voyant tant et tant de lettres
sur mon bureau, il me dit : – Mais votre correspondance est bien plus
nombreuse que la mienne ! D’où vous viennent toutes ces lettres ? –
De toute l’Europe, Monseigneur. – Vous êtes logée dans un palais trop
beau ! Sans sortir, vous avez de quoi vous promener...
Après environ trois quarts d’heure ou une heure, Monseigneur dit qu’il
allait souhaiter le bonsoir à Mgr Pétagna, puis reprendre le train pour
Rome : – Oh ! elle sera ravissante de beauté MA statue : toute
en marbre, avec un beau manteau qui l’entoure ; pas de souliers, pas de
crucifix, cela attriste trop ; la Sainte Vierge ne devait pas être
accoutrée comme vous avez dit. – Eh ! bien, Monseigneur, lui ai-je dit, si
le bon Dieu m’envoyait sa Providence, je ferais faire une peinture, ou la Très
Sainte Vierge Mère de Dieu serait représentée au milieu de deux
resplendissantes lumières, et vêtue telle qu’elle est apparue sur la Montagne
de la Salette. – Et Mgr Fava s’en alla ainsi que le P. Berthier.
Dans l’après-midi avancée, à mon grand étonnement, une personne envoyée par
mon saint Évêque vint me dire que mon saint Évêque avait quelque chose à me
communiquer.
Je demandai à cette personne si Mgr de Grenoble était parti. – Heureusement
il partait, répondit-elle, quand un messager a ouvert la porte et remis à Mgr
Pétagna un pli venant de Rome pour vous être communiqué. Alors, cet Évêque
Carbonaro est rentré, et il voulait absolument savoir le contenu de la dépêche.
Il fait bien de la peine à notre Monseigneur. – Je partis avec la même personne
pour l’Évêché.
Arrivée à la porte je lui dis : – Sans doute que Mgr l’Évêque de
Grenoble sera resté : entrez, et dites à notre Mgr Pétagna que la personne
l’attend. – Ainsi fut fait.
Mon saint Évêque vint à moi avec la dépêche et, à demi-voix, il me dit à peu
près ceci : – Le Saint-Père désire vous parler. Voici la dépêche en ce qui
vous concerne :
« Si Mélanie n’est pas malade et qu’elle paisse venir à Rome, Sa
Sainteté voudrait lui parler. Si elle ne peut pas venir, qu’elle envoie tout ce
qui se rapporte à la fondation du nouvel Ordre religieux des Apôtres des
derniers temps. »
Je demandai à Monseigneur quand il voulait que je parte.
– C’est aujourd’hui dimanche, dit-il, et aussi trop tôt à cause de vos
préparatifs. Il n’y a rien qui presse.
À ce moment 1’Évêque de Grenoble s’amène et dit : – Monseigneur, je
crois que vous avez dit à Mélanie toute la dépêche, vous pouvez bien me
la dire à moi.
Et mon saint Évêque répondit humblement : – Excusez-moi, Monseigneur,
il y a, dans la dépêche, des choses pour elle et pour moi. Ce qui n’est pas un
secret, c’est qu’elle est mandée à Rome.
– Ah bien ! Et savez-vous pourquoi ? ce qu’elle va y faire,
Monseigneur ?
Silence de mon saint Évêque.
– C’est très bien, nous partirons ce soir ensemble.
Alors je dis : – Je ne voyage pas le dimanche.
Mgr de Grenoble : – Mais vous devez obéir au Pape !
– Le Saint-Père ne m’a pas dit de partir au reçu de la dépêche.
Regardant mon saint Évêque, il lui dit : – Il faut lui commander de
partir ce soir avec moi, Monseigneur.
– Monseigneur, elle ne peut partir comme cela. Il faut bien, si elle a
quelque chose à préparer, lui en donner le temps.
– Obéissez ! obéissez ! Vous savez que je suis l’Évêque de
Grenoble ! et j’ai tant de choses à vous apprendre, à vous dire et à vous
demander. Voyez, c’est ce soir, à dix heures, que nous devons prendre le chemin
de fer pour Rome. Vous vous y trouverez, n’est-ce pas ?
– Je ne sais pas, Monseigneur.
– Ah ! mais il le faut !... Monseigneur, s’écria-t-il, obligez-la,
commandez-lui de partir ce soir avec moi.
Mon saint Évêque, pâle comme la mort, lui répondit : – Je n’ai pas
l’art de commander aux personnes qui obéissent au moindre signe. Pas plus que
le Saint Père je ne puis savoir si elle a quelque préparatif à faire avant son
départ.
Pour en finir, je dis que je me retirais. Il était nuit.
L’Évêque de Grenoble en me disant : « Au revoir, à dix
heures ! » rentra dans le salon, et je pus parler et prendre
l’obéissance de mon saint Évêque qui me dit : – Monseigneur de Grenoble me
conduira dans la tombe. Si vous pouvez, partez ce soir pour me l’enlever
d’autour de moi. Je vous donnerai le Père Fusco et votre compagne. Vous partirez
quand vous pourrez, ce soir, et que le bon DIEU vous bénisse.
Arrivée chez moi, nous nous concertons, croyant que je ne resterais que deux
ou trois jours à Rome. Comme j’y avais envoyé la Règle de la Mère de DIEU
depuis environ un mois : – Je crois, dit le Père Fusco, que vous êtes
mandée pour s’entendre au sujet de la fondation des Apôtres des derniers temps.
Car l’Évêque de Grenoble nous a dit à l’Évêché, qu’étant allé à la Sacrée
Congrégation des Évêques et Réguliers pour qu’on se hâte d’approuver sa Règle,
le cardinal Ferrieri lui avait fait entendre qu’en ce moment il était très
occupé, et que Monseigneur pouvait, pendant au moins huit jours, passer son
temps à visiter les monuments de Rome et des environs. Voila pourquoi l’Évêque
de Grenoble est venu ici.
Nous combinâmes alors de prendre à Castellamare le train de neuf heures du
soir.
À dix heures, nous étions à Naples. Nous dûmes attendre le train qui partait
pour Rome. Permission de Dieu !... l’Évêque de Grenoble arrive tout
essoufflé :
– Il y a une demi-heure que je vous cherche ! Eh bien, venez, nous
allons prendre place.
Je remerciai Monseigneur et lui dis que nous voyagions toujours en troisième
classe.
– Mais, dit-il, est-ce qu’il y a quelqu’un avec vous ?
– Un prêtre et ma compagne, Monseigneur.
– Ils peuvent se mettre dans un autre wagon, dit Monseigneur. Donnez-moi
votre billet, j’y ferai ajouter un supplément de première classe.
Je lui dis que mon saint Évêque ayant eu la bonté de me donner ces personnes
pour m’accompagner, je ne pouvais pas m’en séparer.
Presque fâché, Monseigneur dit : – Je paierai encore un supplément pour
eux. Mais savez-vous pourquoi vous êtes mandée à Rome ?
Je répondis : – Non, et je ne m’en inquiète pas.
Nous partons. L’Évêque de Grenoble qui avait tant de choses à dire, ne me
dit rien. Mais j’étais bien peinée de voir que le Père Fusco et ma compagne
étaient regardés de travers, et on aurait dit avec colère.
Le P. Berthier n’avait pas l’air satisfait : il n’avait pas réussi, en
fermant la portière, afin que mes compagnons ne pussent monter dans notre
compartiment : aussitôt la porte s’était ouverte, et le P. Fusco, en
entrant, avait dit :
– Excusez-moi, Monseigneur, si je prends la liberté d’entrer ici, c’est pour
me conformer à notre Mgr l’Éveque de Castellamare, qui désire que je ne quitte
pas Sœur Marie de la Croix.
Et l’Évêque de Grenoble n’avait rien répondu.
Lundi, à sept heures du matin, nous arrivions à Rome, et là, nous nous
séparâmes. Monseigneur et le P. Berthier s’en allèrent au Séminaire Français,
il me semble ; et nous fûmes dans une église, où le P. Fusco célébra la
Sainte Messe. Après, nous fûmes loger dans un hôtel, ou nous demeurâmes, je
crois, plus de huit jours.
Dès le premier jour, je fis annoncer mon arrivée au cardinal Ferrieri pour
me mettre à sa disposition. Son Éminence me fit dire qu’il m’avertirait
d’avance pour le jour qu’il aurait besoin de moi.
Nous étions donc en liberté, tous les jours après la Sainte Messe ; et
nous passions les après-midi agréablement en Dieu, en visitant les belles
églises de la Maggiore, di S. Paulo hors les murs, l’Église qui a un grand
tableau représentant Notre-Dame de la Salette, et les Catacombes. Mais nos
premières visites furent aux personnages connus de nous pour être très
croyants, très dévots à Notre-Dame de la Salette, par exemple, les cardinaux
Consolini et Guidi, qui, gracieusement, m’offrirent leurs services dans
n’importe quelles circonstances. Et je leur remis, à l’un comme à l’autre, une
copie du Secret que je voulais publier avec l’Imprimatur de Mgr Pétagna,
mon saint Évêque de Castellamare di Stabia.
L’Évêque de Grenoble, avec une bouté grande, envoyait tous les jours,
souvent deux fois par jour, le P. Berthier pour prendre de nos nouvelles ;
et surtout ce dernier s’informait beaucoup auprès du Maître d’hôtel, si nous
nous absentions souvent, si nos absences étaient longues, s’il savait où nous
allions, ce que nous faisions et si nous recevions des visites. Un jour, je
crois, le troisième, le maître d’hôtel nous dit :
– Le prêtre qui vient tous les jours et qui est avec l’Évêque de Grenoble,
est venu me dire de la part de cet Évêque, qu’il se chargeait de me payer
toutes les dépenses que vous ferez ici, et pour tout le temps que vous resterez
à Rome.
Pour ne plus y revenir, je dis ici que, lorsque je dus entrer chez les
Salésianes et mes compagnes retourner à Castellamare, je priai le maître
d’hôtel de vouloir bien faire tenir la note de notre dépense à l’Évêque de
Grenoble. L’Évêque répondit qu’il ne connaissait pas cette note69.
Le maître d’hôtel lui rappelle la promesse qu’il lui avait faite par deux fois.
L’Évêque ne voulut rien entendre. Ce pauvre maître d’hôtel n’en revenait pas
d’étonnement. Je pris alors la note et je payai, tout en consolant ce pauvre
monsieur.
Il faut encore dire ici ce que je n’ai su de bonne source qu’après. Mgr de
Grenoble ne perdit pas son temps après notre arrivée à Rome. Il se rendait dans
les Sacrées Congrégations, chez des Cardinaux, des Évêques, pour savoir dans
quel but, pour quelle raison la Bergère de la Salette « a été mandée à
Rome ». Et s’il n’obtenait pas satisfaction, il allait s’informer
ailleurs. Quelqu’un lui dit que le Cardinal Ferrieri avait la Règle que la Sainte
Vierge a donnée à Mélanie, et que « le Secrétaire du Cardinal Ferrieri,
Mgr Bianchi, doit être bien pour savoir ces choses ». Quand l’Évêque de
Grenoble eut cette lumière, il chercha Mgr Bianchi, qui lui annonça qu’il y
avait un congrès pour cette affaire. L’Évêque de Grenoble reconnut en Mgr
Bianchi l’homme capable de l’aider pour combattre contre « la Règle de
Mélanie ». L’Évêque de Grenoble chercha (ou acheta, m’a-t-on dit) d’autres
prélats.
II
Vers la fin de la semaine, le Cardinal Ferrieri me fit dire le jour et
l’heure que j’étais attendue. Nous arrivons dix minutes plus tôt. Nous restâmes
pendant ce temps dans la salle d’attente. À chaque instant on sonnait :
c’étaient toujours des Évêques, et la personne chargée de la porte leur
disait :
– Son Éminence ne reçoit pas : il y a un Congrès extraordinaire...
Ce fut là, pour la première fois, que je sus que je venais à un Congrès. Il
y eut deux ou trois Évêques, l’un après l’autre, qui insistèrent pour entrer,
et l’un d’eux disait avoir été invité par l’Évêque de Grenoble. On ne les
laissa pas entrer.
L’heure est passée, l’Évêque de Grenoble ne venait pas. Le Cardinal Ferrieri
me fit entrer et m’asseoir à côté de lui ; tandis que son secrétaire, Mgr
Blanchi, feuilletait des papiers.
Le Cardinal me dit :
– Y a-t-il longtemps que vous n’êtes pas allée sur la montagne de la
Salette ?
– J’y suis allée en 1871.
– Les connaissez-vous, ces religieux et leur genre de vie ?
– Je ne connais pas leurs personnes : ils ne m’ont jamais adressé la
parole ; pas même pour se renseigner sur la sainte Apparition. Quant à
leur genre de vie, privée ou publique, par entendu dire, ils ne sont que des
médiocres séculiers, sans foi, sans zèle, ne s’occupant qu’à amasser de
l’argent, jaloux, calomniateurs et de cœur dur. Cela m’humilie, Éminence, parce
que c’est bien plus fort que cela, ce que je ferais et serais, sans la Divine
grâce.
– Avez-vous vu ? Avez-vous été témoin de quelque chose qui ne soit pas
selon Dieu ?
– Je dirai, Éminence, ce qui m’a frappée, ce qui m’a péniblement impressionnée.
C’était, je crois, en 1854. Pendant que l’Évêque de Grenoble cherchait le moyen
de se débarrasser de moi par l’exil, il m’envoya pour environ un mois sur la
montagne de la Salette. C’était en février. Malgré la neige et le mauvais
chemin, tous les jours, quelques pèlerins arrivaient à dos de mulet. Un jour
arriva une riche dame. Alors tous les Pères allèrent à sa rencontre avec force
cérémonies ; et comme le muletier voulait entrer, aussi, parce qu’il était
porteur des bagages de cette dame et que, d’ailleurs, il avait besoin de se
reposer et de prendre quelque chose, un Père prit le bagage et ferma
brusquement la porte au nez du pauvre muletier, qui était transi de froid. Il
vint entendre la Messe à genoux. Vers la fin du Saint Sacrifice, cet homme tomba
avec fracas. Je vais à lui pour l’aider à se relever et le fais asseoir. Or, ni
les Pères, ni les personnes attachées à leur service ne se déplacèrent ;
ni, après la messe, ne lui offrirent quelque chose à boire. Ah ! si j’ai
regretté d’être trop pauvre, c’est ce jour-là, je n’avais pas un centime !
Je descends et rencontre Mme Denaz, qui me dit :
– Allez à la cuisine, vous y trouverez votre café.
J’y cours, je prends ma tasse et vite la porte à ce pauvre homme. Après, en
me remerciant, il me dit :
– Vous m’avez remonté. Quand je suis parti de corps, c’était trop matin. Et
puis, marcher dans la neige pendant trois heures, c’est fatigant. Cette Dame
m’avait bien dit de demander quelque boisson aux Pères et à sa charge ;
ils ne m’ont pas laissé entrer, et vous allez voir qu’ils se feront bien payer
pour ce que je n’ai pas pris. C’est toujours comme cela que font ces
Pères ; aussi ils ne sont pas aimés.
Je reporte ma tasse et Mme Denaz (elle était la belle-sœur d’un des Pères)
me dit :
– Je suis sûre que vous n’avez pas pris votre déjeuner, que vous l’avez fait
prendre au muletier. Si vous restez longtemps ici, la maison serait bien vite
sans ressources et nous serions réduits à manquer de tout.
Quelques jours après, parmi les pèlerins qui arrivèrent, se trouvait un
pauvre qui demandait l’aumône aux étrangers. Par cas, je me trouvais dans le
magasin des Pères, quand le pauvre mendiant, avant de quitter la Sainte
Montagne, voulut acheter une simple médaille de Notre-Dame de la Salette. La
personne qui tenait le magasin met la médaille sur le comptoir : le pauvre
la prend et la baise avec amour, et la personne prend le sol, mais s’aperçoit
que ce n’est qu’un demi-sol ! Vite, vite, elle rappelle le pauvre, lance
contre lui son demi-sol, et se fait rendre la médaille (les demi-sols étaient
alors en circulation dans tous les commerces de France).
Le pauvre avait beau dire qu’il n’avait que ce demi-sol, la personne était
inflexible. Pour en finir, je donnai le sol et pris la médaille que je donnai à
cet homme. Là-haut, on ne sait pas, quand on donne aux pauvres, qu’on prête à DIEU.
Par cette occasion de me trouver dans le magasin des Pères, je voulus
m’assurer si, comme ils me l’avalent dit, ils ne vendaient absolument que des
objets de piété. J’y trouvai des bijoux pour ornements des dames, des
tabatières, etc., etc.
Il me semble, Éminence, que sur ce lieu saint, où la Très Sainte Vierge a
versé tant de larmes, où elle nous a rappelé l’observance de la sanctification
du dimanche, il me semble, dis-je, que si ces Pères étaient pénétrés de la
hauteur de leur mission, ils sacrifieraient leur avarices et seraient les
premiers à donner le bon exemple, en fermant leurs marchandises les saints
jours de repos.
Voici Mgr de Grenoble qui arrive : il salue en militaire avec la main au
front. Il y a une petite discussion à la porte : c’est le P. Berthier qui
veut entrer. On ferme la porte, et tous, nous nous asseyons. Le Congrès
commence.
Le cardinal Ferrieri dit :
– Eh bien ! Monseigneur, on dit que vous avez fait une Règle pour vos missionnaires.
– Oui, Éminence.
– Et saviez-vous que la Sainte Vierge en avait donné une à Mélanie ?
– Oui, Éminence, mais ma Règle est bien autre que celle de Mélanie.
– Et comment vous est-il venu en tête de faire une Règle, tandis que vous
saviez que la Très Sainte Vierge en avait donné une à Mélanie ?
(SILENCE DE Mgr FAVA.)
– Mais au moins, vous avez consulté Mélanie pour faire votre Règle ?
(SILENCE DE Mgr FAVA.)
Le cardinal s’adressant à moi me dit :
– Est-ce que Monseigneur ne vous a pas consultée quand il fit sa
Règle ?
– Non, Éminence, jamais.
– Eh bien ! nous ordonnons que Mélanie aille sur la Montagne de la
Salette, avec la Règle qu’elle a reçue de la Sainte Vierge, et qu’elle la fasse
observer par les Pères et les Religieuses.
– Éminence, dit Mgr Fava, je n’accepterai la Règle de Mélanie que quand
l’Église m’aura prouvé qu’elle vient de la Sainte Vierge.
Et Mgr Bianchi, secrétaire, qui, selon les lois et les Règles
ecclésiastiques, n’était ici que pour écrire les demandes, objections et
réponses, mais vendu, dit :
– Éminence, vous ne savez pas que les Religieuses sont comme cela avec
Mélanie ?
En disant ces paroles, il mit ses deux index l’un vis-à-vis de l’autre, en
les faisant battre.
Alors je dis :
– Je n’ai jamais parlé avec les Sœurs qui sont là-haut. Comment pouvons-nous
être en désaccord. Je l’ignore.
Son Éminence me demanda ce que je pensais de ce que venait de dire
Monseigneur de Grenoble.
– Je me soumets en tout aux décisions de la Sainte Église !
Je compris bien, après, que j’aurais dû dire : « aux décisions du
Saint-Père ». Ma bévue a été grande.
Monseigneur, désireux de savoir pourquoi les prélats qu’il avait achetés
comme avocats n’étaient pas venus, s’en alla, et, restée seule, je témoignais
de mon étonnement, au cardinal Ferrieri, de la solennelle rébellion de Mgr Fava
contre la décision du Saint-Père. Il me dit :
– Que voulez-vous, les Évêques français sont tous des Papes !
Nous sommes obligés de les ménager pour ne pas occasionner un schisme. Ils ne
sont pas Romains Papistes. Nous les supportons pour éviter un plus grand mal...
Ah ! si vous s’aviez combien nous avons à souffrir de leur part.
Pour faire comprendre ce qui suit de la relation du Congrès, je dois dire
que, depuis quelques mois, deux ou trois bons prêtres, désireux de se dévouer à
l’œuvre des Apôtres des Derniers Temps, vivaient en communauté dans le premier
étage du même palais que nous. Nous habitions le second étage, dans une autre
aile du palais. – Il est bien, il me semble, inutile de dire que tout se
faisait avec la bénédiction de Mgr Pétagna, de glorieuse mémoire. – Et pendant
deux ou trois ans, j’ai payé le loyer de cet étage, avec les subsides que
j’avais reçus pour la fondation de cette œuvre de la Mère de DIEU.
Ces bons Pères vivaient dans la retraite, la pénitence, la prière et l’étude
sacrée. Ils ne montaient chez nous que pour les repas. – Un de ces Pères vit
encore : on peut le consulter si on a quelque doute. – De tout cela je
n’avais rien dit, ni rien laissé suspecter à l’Évêque de Grenoble, lorsqu’il vint
chez moi à Castellamare di Stabia ; mais je pense que le fin Père Berthier
ne perdait pas son temps, pendant que je m’entretenais avec Mgr Fava, et qu’il
aura fait des questions aux personnes de la maison, et aussi à d’autres
personnes qui, avec la meilleure bonne foi, l’auront mis en lumière. C’est
pourquoi Mgr Bianchi, dès que le cardinal Ferrieri eut terminé et qu’il se
levait de son siège, dit :
– N’est-ce pas, Éminence, qu’il ne faut pas élever autel contre autel ?
On dit que Mélanie a des prêtres, tandis qu’il y a les bons missionnaires sur
la montagne de la Salette : elle élève autel contre autel.
– Oh ! non, dit simplement son Éminence.
Et je dis :
– Je ne crois pas, Monseigneur, élever autel contre autel. Les Pères de la
Salette sont missionnaires de la Saiette, tandis que ceux d’Italie sont les
missionnaires de la Mère de DIEU, et ils observent sa Règle.
– C’est mal, c’est mal, il ne faut pas faire cela, dit Mgr Bianchi.
Et nous nous séparâmes : le Congrès prit fin.
En sortant, je retrouvai mes compagnons dans l’antichambre. Ils me
racontèrent les vives instances du P. Berthier pour assister au Congrès, comme
avocat de Mgr Fava, ainsi que la fâcheuse mine de ce dernier, quand, en
entrant, il ne trouva pas les Évêques qu’il avait invités. Par deux fois il
demanda si un tel et un tel Évêque n’était pas venu. On lui répondit que
beaucoup d’Évêques étaient venus, mais n’étaient pas entrés. Comme s’il eût été
furieux, il avait repris :
– C’est moi qui leur ai dit de venir ; ils l’avaient promis : ils
étaient engagés.
Et s’adressant à la personne qui avait gardé la porte :
– Peut-être que les évêques sont venus. Pourquoi ne sont-ils pas
entrés ?
– Parce que j’avais la consigne de ne laisser entre personne, Excellence.
III
Comme toujours, le Père Berthier vint à notre hôtel prendre de nos
nouvelles.
Le jour après, l’Évêque de Grenoble m’envoya chercher par le Père
Berthier : Sa Grandeur voulait me faire visiter le... je ne sais pas
précisément si c’est le Collège ou le Séminaire Français : c’était là que
logeait l’Évêque de Grenoble, et où les femmes n’entre jamais. Mais Monseigneur
se faisait fort contre tous les règlements.
Le P. Berthier croyait sans doute, et de bonne foi, que Lui, étant venu me
chercher, je serais allée seule avec lui. Mes fidèles compagnons de voyage se
trouvèrent à partir avec moi. Nous entrâmes dans le parloir, où Mgr de Grenoble
attendait ; et son déplaisir, en voyant que je n’étais pas seule avec le
P. Berthier, se manifesta sensiblement à nos yeux.
– Eh bien, me dit-il, vous voilà. Attendez un instant. Je vais solliciter la
permission pour vous au supérieur ; puis nous visiterons le
Séminaire.
Et il s’éloigna.
Pendant ce temps, je pensais :
– Monseigneur n’obtiendra pas la permission. Il me semble que c’est bien ici
que se trouve ce Directeur (ou professeur) qui ne croit pas à la Salette ;
il fait même du mal aux séminaristes.
Je vois revenir Monseigneur. À son allure, je vois qu’il n’est pas
satisfait. Il dit quelques paroles à voix basse ; puis il vint à
moi ; puis il me fit retirer à part, et me demanda ce que j’allais dire au
Pape.
– Je n’en sais rien, Monseigneur, car cela dépendra de ce que le Saint-Père
me dira ou me demandera.
– Mais vous devez bien savoir un peu ce que le Pape vous dira ?
– Non, Monseigneur. Je n’ai pas encore pensé de penser à ce que me dira le
Saint-Père.
– Ah ! vous n’êtes donc pas instruite : vous ne savez donc pas que
le Pape est une personne comme une autre : et l’on doit penser, préparer
ce que l’on a à lui dire.
– Ne sachant pas sur quel sujet, ni sur quoi le Saint-Père daignera me
parler, je ne puis penser ; je m’abandonne, tout à la sainte volonté du
bon Dieu.
– Eh ! bien, écoutez-moi bien. J’ai ici quelques billets de cent francs
pour VOS MENUS PLAISIRS. Si le Pape voulait vous faire faire quelque
chose ; à tout vous répondrez au Pape : que vous ferez comme voudra
l’Évêque de Grenoble et tout de la manière que voudra l’Évêque de Grenoble. Et
si le Pape vous disait d’aller à tel endroit et faire telle chose ; vous
lui direz : « Je veux aller là où l’Évêque de Grenoble me dira
d’aller ; je veux dépendre en tout de l’Évêque de Grenoble, qui est mon VÉRITABLE
SUPÉRIEUR. » Et ces billets de banque sont pour VOS MENUS
PLAISIRS.
Je répondis :
– Monseigneur, je ne dirai au Très Saint-Père que ce que ma conscience me
dictera au moment même que j’aurai l’insigne faveur de lui parler. Vos
raisonnements sont bons, Monseigneur, mais ils ne sont pas les miens.
Et l’Évêque de Grenoble qui m’offrait (mais il tenait toujours les billets
de banque sur l’ourlet, sur le bord de son portefeuille), se mit à les
renfermer soigneusement. Et nous nous séparâmes. Et il n’envoya plus à l’hôtel
prendre de nos nouvelles.
En nous en retournant à notre hôtel, mes compagnons me dirent :
– Pourquoi l’Évêque de Grenoble tenait-il en mains son portefeuille ouvert,
tout le temps qu’il vous parlait ?
– C’est que son Excellence voulait m’acheter. Le marché n’a pas
réussi : il a gardé ses billets de banque, et moi ma liberté de
conscience.
Depuis ce jour, je ne revis plus l’Évêques de Grenoble, ni le Père Berthier.
IV
Ce fut, ce qu’il me semble, le trois Décembre, que j’eus la grâce
d’une audience avec le Saint-Père Léon XIII.
Mes deux compagnons m’avaient sollicitée de demander à Sa Sainteté la faveur
de lui baiser les pieds. Hélas ! Hélas ! l’entourage du Saint-Père
était prévenu contre nous !... Le Saint-Père seul ignorait les intrigues,
et de cela j’avais parlé à Son Éminence le cardinal Guidi, avant de me rendre
chez le Saint-Père au Vatican.
Le Saint-Père me reçut avec bonté et me dit en bon français :
– Bien ! vous allez partir tout de suite pour la montagne de la
Salette, avec la Règle de la Très Sainte Vierge, et vous la ferez observer aux
prêtres et aux religieuses.
(Ces paroles du Saint-Père confirmèrent ma pensée, que le Saint-Père n’avait
encore rien su de ce qui s’était passé au Congrès.)
– Que suis-je, Très Saint-Père, pour oser m’imposer ?
– Oui, je vous dis : Vous allez partir avec Monseigneur de Grenoble, et
vous ferez observer la Règle de la Sainte Vierge.
– Très Saint-Père, permettez que je vous dise que depuis longtemps, ces
prêtres et ces religieuses vivent de la vie plus que séculière ; et qu’il
leur sera très, très difficile de se plier à une Règle d’humilité,
d’abnégation. Il me semble plus facile de faire cette fondation avec des
personnes séculières de bonne volonté, plutôt qu’avec toutes celles qui sont
sur la montagne, et qui sont loin d’être de bons chrétiens.
– Écoutez. Vous allez aller là-haut avec la Règle de la Sainte Vierge, que
vous leur ferez connaître. Et ceux- qui ne voudront pas l’observer, l’Évêque
les enverra dans quelque paroisse.
– C’est bien, Très Saint-Père.
– Vous allez donc partir, et partir tout de suite. Mais comme, pour
l’ordinaire, quand le bon Dieu daigne donner un règlement de vie monastique, il
donne, il communique à la même personne l’esprit dans lequel doit être observé
le Règlement, c’est pourquoi il faut que vous l’écriviez, quand vous serez à
Grenoble, avant de monter sur la montagne de la Salette, et que vous me
l’envoyiez.
– Oh ! Très Saint-Père, de grâce, ne m’envoyez pas à Grenoble, sous Mgr
Pava ; parce que je n’aurai pas ma liberté d’action.
– Comment, comment cela ?
– Mgr Fava m’ordonnerait d’écrire comme il veut, non comme veut
l’Esprit-Saint.
– Mais non ! mais non ! Vous vous mettrez seule dans une chambre
et vous écrirez. Quand vous aurez écrit bien des pages, vous me l’envoyez à MOI.
– Très Saint Père, pardonnez si j’ose vous manifester mes difficultés ;
quand j’aurai écrit deux pages, Monseigneur de Grenoble m’ordonnera de les lui
remettre, et sous prétexte de mieux faire, il changera le tout, en m’ordonnant
de copier ses explications sur le mode de pratiquer la Règle de la Sainte
Vierge.
– Oh ! mais non. Voici ce que vous ferez : Quand vous aurez écrit
partout dans une feuille, vous la mettrez vous-même dans une enveloppe, que
vous cachetez bien, et vous mettez mon adresse comme cela : Sa Sainteté
le Pape Léon XIII, que c’est moi (sic), en mettant sa main sur sa
poitrine.
– Très Saint-Père, pardonnez si, de nouveau, j’ose manifester la répulsion
que je sens en moi d’écrire sous l’autorité de Mgr de Grenoble. Sa Grandeur
décachettera mon enveloppe, changera mes écrits, et fera copier sa réforme par
une autre personne : de sorte que ce ne seront plus mes écrits qui
parviendront à Votre Sainteté.
– Oh ! mais non. L’Évêque de Grenoble ne ferait pas cela !
– Très Saint-Père, j’ai passé par ces voies : le vieux serpent ne dort
jamais !
– Et comment faire ?
– Envoyez-moi, Très Saint-Père, en tout autre pays, pourvu que je ne sois
pas sous l’Évêque de Grenoble.
– Comment faire : j’ai donne ordre que vous iriez sur la Montagne de la
Salette, pour faire observer aux prêtres et aux religieuses la Règle que la
Très Sainte Vierge vous a donnée, et qu’avant de monter, vous écriviez les
Constitutions que vous m’enverriez ? Et vous savez que quand le Pape a
donné un ordre, il ne peut pas revenir sur cela.
– Très Saint-Père, Notre Seigneur vous a confié tout pouvoir sur la terre
pour gouverner son Église ; or la terre est spacieuse pour aller et
revenir.
– Écoutez. Priez bien cette nuit ; et demain je vous ferai dire ma
décision.
– Très Saint-Père, j’ai, dans la salle, le prêtre que mon saint Évêque de
Castellamare a bien voulu me donner pour m’accompagner dans mon voyage, et une
compagne : ils voudraient la faveur de votre bénédiction.
Aussitôt, l’Évêque Camérier, avec ennui, dit deux paroles au Saint-Père, qui
paraissaient être un refus. Moi, ayant compris, je fis de nouveau ma demande.
Enfin le Saint-Père dit de les faire entrer.
V
Nous rentrâmes à l’hôtel. Il était nuit. En peu de paroles j’écrivis à mon
Saint Évêque, pour lui souhaiter la bonne fête : il s’appelait XAVIER.
Le jour après, nous sommes allés de nouveau chez son Éminence le Cardinal
Guidi, pour lui rendre compte de mon entretien avec le Saint-Père ; du
mauvais effet que m’a donné tout l’entourage de Sa Sainteté le Pape Léon
XIII ; des difficultés éprouvées pour que mes compagnons pussent se faire
bénir par le Saint-Père..., et enfin, de la décision du Saint-Père, qui était
que je restasse à Rome pour faire mes écrits, etc., etc.
Son Éminence Guidi se montra fort étonnée et peinée de ce que le Saint-Père
n’avait pas reçu sa carte avec les quelques lignes qu’il lui avait adressées et
envoyées par son secrétaire, afin de l’avertir, de le prémunir des pièges que
les révoltés de la vérité de Notre Dame de la Salette pouvaient lui tendre.
– C’est incroyable, disait son Éminence, qu’ils aient arrêté mon écrit
adressé au Pape. Et cependant, la personne qui a fait cela n’ignore pas la
peine, la censure qu’encourt toute personne qui se permet de s’emparer d’une
lettre venant d’un cardinal et adressée au Pape. C’est si vrai, que, même un
cardinal, ne peut, en aucune manière, briser un cachet d’une lettre, ou d’un
objet d’un autre cardinal. Ce qui m’est arrivé pour mon adresse au Pape est
très grave.
Mes compagnons racontèrent à Son Éminence ce qu’ils avaient vu avant mon
audience, c’est-à-dire les billets de banque que Mgr de Grenoble voulait me
donner, à condition que le ne dirais au Saint-Père que comme il allait me dire,
lui, Évêque de Grenoble, et qu’après avoir été instruite, j’avais élevé la voix
en protestant et disant que je ne parlerais ou ne répondrais au Saint-Père que
selon ma conscience, et ce que le Divin Maître m’inspirerait dans le moment,
puis l’air courroucé de l’Évêque de Grenoble.
Je dis, entre autre chose, à Son Éminence, que j’avais commencé d’écrire les
Constitutions, étant à Castellamare di Stabia ; et que je désirais avoir
ce cahier ; comme aussi quelque lingerie ; parce que je ne savais pas
combien de temps me prendront ces écrits, Son Éminence, avec une paternelle
bonté, dit à ma compagne :
– Envoyez tout ce dont Mélanie a besoin. Et vous me l’enverrez bien fermé,
bien cacheté, à mon adresse que voici.
Et, tous les trois, nous reçûmes son adresse.
Puis son Éminence ajouta :
– Mélanie, ayez soin, quand vous quitterez votre chambre où vous écrirez, de
bien la fermer, de mettre la clef dans votre poche, toujours, toujours.
En sortant de chez Son Éminence, nous nous dirigeons chez un papetier, pour
acheter du papier, plumes, encre et divers objets, que je mis dans un foulard.
Nous nous retirions à notre hôtel, quand nous rencontrâmes le cardinal
Ferrieri, accompagné de son Secrétaire, Mgr Bianchi. Il venait me chercher pour
me conduire chez les Salésianes, al monte Palatino. Nous rentrons à
l’hôtel, et là, seule avec le bon cardinal Ferrieri, il me renouvelle de la
part du Saint-Père, que « Sa Sainteté désire que je ne reçoive personne,
la curiosité des Romains étant grande ; leurs incessantes visites au
parloir m’empêcheraient d’écrire. Elle désire que je sois parfaitement libre,
tant d’écrire des lettres et de les cacheter moi-même, que d’en recevoir sans
qu’elles aient été décachetées par qui que ce soit ».
Après nous partîmes.
(Il faut que je dise que j’avais averti ma compagne que, si je voyais de
nouvelles scélératesses, je ne le lui ferais savoir qu’en deux mots, en langue
grecque, et c’est ce qui arriva.)
Pendant tout le trajet, Mgr Bianchi m’exhorta à ne pas me laisser influencer
par personne : « qu’à Rome, on ne croit pas que je sois libre dans
mes actions ; et que toujours on voyait ces deux personnes près de moi,
pour me donner des ordres. Qu’elles ont trop d’influence sur moi, etc.,
etc. »
– Monseigneur, lui répondis-je, Mgr l’Évêque de Grenoble a eu la preuve que
je ne me laisse pas influencer. Il a eu la preuve que je me laisse encore moins
acheter, c’est-à-dire, acheter ma liberté de conscience ; et sans aucun
mépris pour son caractère sacré, j’ai méprisé les billets de banque qu’il
m’offrait, pour que je répète au Saint-Père la leçon qu’il venait de me donner.
Je désire que DIEU l’éclaire ; qu’il entre dans la voie de la
justice ; sinon il sera foudroyé par les maîtres qu’il aura servis.
Changeant la conversation, Mgr Bianchi me dit :
– Qu’est-ce que vous portez là, dans ce paquet ?
– Des choses qui me sont nécessaires.
Monseigneur me laissa. Nous arrivions au monastère.
Son Éminence le cardinal Ferrieri me dit :
– J’ai une lettre du Pape pour la Communauté : pour vous présenter et
vous recommander à ces bonnes religieuses. Entres autres recommandations, Sa
Sainteté leur dit que vous devez avoir toute votre liberté, et la liberté de
votre temps.
Le parloir s’ouvre. Je remercie chaudement Son Éminence et j’entre.
Ma première visite fut au Très-Haut, dans son Sacrement d’amour. Puis je fus
conduite dans ma cellule, vraie cellule de Visitandine, où les portes n’ont pas
de serrure. Dedans, une petite table à écrire, deux chaises et un lit. C’est
tout. Donc, je ne pouvais pas enfermer mes écrits sous clef, la sœur qui
m’avait montré ma cellule s’étant retirée pour entendre la lecture de la lettre
du Saint-Père.
VI
Trois où quatre jours après, je reçus une lettre du P. Bernard, missionnaire
de la Salette.
Sans m’étendre, je dis seulement que c’était une lettre de
récriminations : « de ma désobéissance aux ordres du Pape, etc.,
etc. »
J’entrevis là l’action de Mgr de Grenoble et de Mgr Bianchi.
Je rendis grâces à Dieu de m’avoir délivrée de leurs mains. – Et surtout
lorsque je compris la manière dont l’Évêque de Grenoble voulait se débarrasser
de moi, ayant, à Grenoble, le P. Berthier pour complice.
Après environ sept ou huit jours, je reçus de ma compagne le cahier, les
papiers, la cire pour cacheter et un voile.
Ces diverses choses avaient été soigneusement enfermées dans une boite en
bois adressée à Son Éminence le cardinal Guidi qui attacha de nouveau la boîte
avec de forts rubans rouges, et scella le tout, et à plusieurs endroits, avec
son sceau sur cire.
Ce fut la Supérieure qui m’apporta la boîte, en plein jour. Or elle avait
été ouverte et fouillée, les rubans étaient coupés et les cachets enlevés. J’en
fis la remarque à la Supérieure qui me répondit humblement : qu’elle était
arrivée comme je la voyais.
Déjà, j’avais remarqué que les lettres que je recevais avaient été
ouvertes ; et de Castellamare di Stabia, on m’avait fait comprendre, en
langue étrangère, que mes lettres envoyées de Rome avaient été ouvertes au
cabinet noir de Mgr Bianchi.
Je dois dire pour ne pas laisser croire qui est innocent de bonne foi que la
Supérieure n’était pour rien dans les trames de Mgr Blanchi et de 1’Évêque de
Grenoble. Elle était une machine inconsciente dont se servait Mgr Bianchi.
J’écrivis à Castellamare, et de là on écrivit au cardinal Guidi, qui envoya
demander à la Supérieure si elle avait reçu, pour agir comme elle le faisait,
un ordre supérieur. – Elle répondit négativement. – Il l’invita à « s’en
tenir aux ordres du Pape ».
En attendant, j’écrivais de jour et une bonne partie de la nuit. Je désirais
avoir terminé en deux mois.
Tantôt la Supérieure venait me dire d’aller faire quelques tours dans le
vaste jardin ; tantôt elle me disait de tenir compagnie à une
infirme ; tantôt d’aller visiter les caves, les souterrains du palais des
Césars ; et tantôt de venir à la récréation. – Mgr Bianchi, qui, sans
doute, voulait ma sanctification, donna de nouveaux ordres à la Supérieure. Il
est inutile de prolonger cette narration... Quelques jours avant mon départ
pour Castellamare, la Supérieure, qui déjà m’avait dit que Mgr Blanchi venait
souvent demander de mes nouvelles, vint me faire presque des excuses :
« Si, quelquefois, elle avait outrepassé la discrétion à mon égard. »
– Je l’embrassai avec affection, en l’assurant qu’elle m’avait toujours traitée
avec trop de bonté. – Elle m’ouvrit son cœur : entre autres choses, elle
me dit :
– Le Saint-Père a envoyé, trois fois environ, le Cardinal Ferrieri pour
savoir si vous écriviez ; si personne ne venait vous visiter, et si le
temps ne vous dure pas, étant enfermée. – Son Éminence paraît vous estimer
beaucoup. Il m’a demandé des nouvelles de votre santé, il m’a recommandé de
bien vous soigner. – Mgr Bianchi est venu, très souvent, me demander bien des
choses sur votre conduite dans la Communauté. Il me semblait tout irrité quand
je lui disais du bien ; et me reprochait de ne pas assez vous faire
pratiquer les vertus. Il m’avait ordonné de lui faire tenir toutes vos lettres,
et aussi celles qui vous étaient adressées ; et, afin que vous ne voyiez
pas qu’elles avaient été ouvertes, de ne vous les remettre que le soir, quand
vous étiez à table. Il m’a commandé de vous humilier, surtout en public, de
vous contrarier, de vous contredire en tout : « Faites-la aller à vos
offices. » Et dernièrement il me dit : « Tâchez qu’elle ne donne
pas d’ambassade aux personnes qui viennent dans le Monastère. Quand elle se
rend avec les religieuses, repoussez-la, dites lui d’aller passer par où
passent les mondaines. Ne lui faites garnir sa lampe du soir, que pour une
petite heure. »
Après que feus fini mes écrits, je les fis porter au Cardinal Ferrieri pour
le Saint-Père, ainsi que ma lettre adressée au Pape, dans laquelle je lui
disais que j’étais à la disposition de Sa Sainteté, pour aller où elle me
dirait d’aller.
Quinze jours passèrent et je n’eus aucune nouvelle. Un mois passé, toujours
pas de nouvelles. Mais Mgr Bianchi est venu ces jours derniers. Je l’ai connu
au zèle de la Supérieure. Cette fois-ci, on veut me faire Visitandine, on veut
me cloîtrer. Déjà j’avais reçu cette nouvelle d’un prêtre français, à qui Mgr
Fava avait écrit : « Enfin, elle est enfermée dans un cloître, d’où
elle ne sortira jamais plus ! » – On avait compté sans le Très-Haut.
Il est vrai qu’on a usé de tout le possible et l’impossible. – J’écrivis de
nouveau au Saint-Père, qui, probablement, n’a jamais reçu mes lettres.
Je tombe malade : je garde le lit quelques jours seulement ; mais
les luttes continuaient bravement. La Supérieure était jeune, les plus
anciennes religieuses étaient à leur aise avec elle. C’est pourquoi, lorsque la
Supérieure entrait avec moi à la récréation, une sœur dit :
– Ma Mère, Mélanie est trop faible pour venir ici. Voyez, elle semble une
déterrée.
Et voyant que la Supérieure ne prenait pas garde, elle dit :
– Ma Mère, on nous a confié Mélanie bien portante et voyez-la
maintenant !
Un autre jour, la même sœur lui dit :
– J’aimerais beaucoup que Mélanie restât longtemps, et même toujours avec
nous, mais pas aux dépens de sa vie ; et vous savez comme elle nous a été
recommandée. C’est devoir de conscience d’avertir le Saint-Père du danger
qu’elle court.
En attendant, la lutte augmentait. Et par surcroît, il m’arrivait des
lettres de la ville, où l’on me traitait de désobéissante, d’entêtée, de
révoltée à la volonté du chef de l’Église et presque d’une damnée !!!
Entre temps, la Supérieure vint me dire : « qu’il ne convenait pas
que je fusse sans voile dans la maison, tandis que les sœurs le portent. »
Aussitôt je mis sur ma tête un voile que je ne quittai plus. – Puis elle m’insinuait
de me faire Visitandine. Je lui dis que le Saint-Père Pie IX avait dit à mon
saint Évêque que, « pour remplir ma mission, je ne pouvais pas être
cloîtrée ». – Une autre fois, la sœur Placide dit à la Supérieure :
– Ma Mère, devant Dieu, pour la paix de ma conscience, je me décharge de la
responsabilité que la Communauté avait acceptée, du soin de Mélanie, pour vous
la laisser tout entière : parce que ce n’est pas à nous de donner d’ordres
à Mélanie : c’est aux personnes qui nous l’ont confiée.
– J’ai écrit, dit la Supérieure, j’ai écrit deux fois.
Enfin, le Cardinal Ferrieri arriva, et entre autres choses il me dit que le
Saint-Père a décidé que je retourne à Castellamare : et que je pouvais
écrire pour que quelqu’un vienne me prendre. Ce qui fut fait.
VII
Dès que je fus en route, hors du couvent, je demandai à ma compagne s’il y
avait encore, à Castellamare, des croyants au divin Message.
– Oui, me répondit-elle, mais à Rome, Mgr Fava, Mgr Bianchi et le Père
Berthier n’ont cessé et ne discontinuent de semer partout calomnies criminelles
et erreurs.
Ce qui se dit contre moi, repris-je, mes péchés le méritent ; et c’est
un exercice de patience pour me bien faire entrer dans ma nullité. Quant au
divin Message, il écrasera les ennemis du Très-Haut. DIEU ne dit-il pas, par la
bouche de Jérémie, que sa parole est un feu ardent, et un marteau qui brise les
pierres ? C’est pourquoi, qui s’insurge contre la parole de DIEU ne fait
autre chose que d’être cause de la répandre davantage.
À ce moment arrivait à nous le bon Père Trévis, qui venait à notre
rencontre. Entre autres choses, je lui dis :
– Avant de quitter Rome, je voudrais voir la nouvelle statue de Notre-Dame
de la Salette, que Mgr Fava est venu commander.
Nous y allâmes.
Entrés dans les ateliers, nous vîmes diverses statues ébauchées. Une seule
était finie. Mais aucune ne paraissait représenter une Vierge quelconque. Je
dis au Père Trévis :
– Mais où est donc la statue, modèle de Mgr de Grenoble ?
– La voici, me dit le monsieur qui nous faisait visiter son atelier.
– Mais non ! mais non ! Monsieur ; ça ne peut pas être
Notre-Dame de la Salette ! Elle n’a rien qui lui ressemble.
– Cependant, dit le monsieur, elle est exactement faite sur le modèle que
vous voyez là derrière, et que l’Évêque de Grenoble m’a donné. D’ailleurs il
doit être bien renseigné comme Évêque du diocèse où l’Apparition eut lieu.
– Sa grandeur Mgr Fava, oui, devait être renseigné ; mais le fait est
qu’il n’a jamais interrogé aucun des deux bergers. Son modèle est donc tout
entier fantaisiste : et avec raison vous pouvez mettre sur le socle de sa
statue : « Statue de la vision privée de Mgr Fava ! »
Elle ne sera jamais la statue de Notre-Dame de la Salette, dont on ne voyait
pas les cheveux, et qui portait une grande croix sur sa poitrine. La madone,
par charité, par compassion, est venue nous enseigner en paroles et en
exemple. Un jour DIEU vengera le mépris fait à sa divine Mère !
Nous nous retirions. Le monsieur, à voix basse, demanda à M. Trévis :
« qui était cette dame à l’air renseigné sur le costume de Notre-Dame de
la Salette ? »
Comme j’allais quitter Rome dans la soirée, M. Trévis lui dit :
– C’est la Bergère de la Salette...
Nous nous dirigeâmes à l’hôtel, et de là à la gare pour Naples. C’est alors
que le Père Trévis et ma compagne dirent les intrigues, les calomnies que
Messeigneurs Bianchi, Fava et le Père Berthier avaient répandues à Rome et en
France par écrit. Tout cela ne me touchait pas : c’etait tout à mon
profit. Ce qui me bouleversait, c’était la fausse statue en marbre commandée
par l’Évêque de Grenoble, et qui devait être couronnée, cette même année 1879,
sur la Montagne de la Salette !!!
– Mon DIEU ! ne permettez pas que l’erreur de l’Évêque de Grenoble et
du Père Berthier triomphe ! Vous, à qui rien n’est impossible, arrêtez les
vains complots des ennemis de la vérité. Ayez pitié de votre peuple ; ayez
pitié de l’aveuglement de beaucoup de vos oints ; convertissez-nous tous à
vous, Seigneur JÉSUS !
Le soir, nous prîmes le train pour Naples-Castellamare di Stabia, et ce fut
pendant ce voyage que mes compagnons m’apprirent la nouvelle guerre que les
journaux noirs faisaient à la divine Apparition, qui disaient :
« Qu’en versant d’abondantes larmes, lorsque j’étais auprès du
Saint-Père, je lui avais déclaré n’avoir rien vu sur la Montagne » ;
Qui disaient :
« Que le Pape ne croyait pas à l’Apparition ; et que c’est pour
cette raison que le Pape fait faire une statue qui ne représentera pas
Notre-Dame de la Salette » ;
Qui disaient :
« Le Pape ne veut plus qu’on mette les enfants devant les statues de
Notre-Dame de la Salette » ;
Qui disaient :
« Mélanie n’a pas voulu obéir au Pape : elle est
excommuniée » ;
Qui disaient :
« Le Pape a emprisonné Mélanie à Rome. Elle fait du tapage. Elle veut
sortir, et le Pape ne veut pas qu’elle sorte, etc., etc. »
VIII
Nous voici arrivés à Castellamare. Une profonde tristesse me serre le cœur.
Je ne retrouverai plus Monseigneur Pétagna, mon saint Évêque.
Il avait quitté la terre d’exil depuis quelques mois ; il était allé
recevoir la noble et sublime récompense que DIEU réserve à ses plus dignes
Ministres, à ceux qui ont combattu le bon combat pour la justice.
Quelques mois après, les journaux et les imprimés pleuvaient de tous côtés,
annonçant avec pompe : « le couronnement de la statue en beau
marbre blanc, exécutée sous les yeux du Souverain Pontife, selon le modèle que
lui avait donné Monseigneur Fava ! »
Entre temps, je recevais de Rome une lettre, et le jour après, j’en recevais
plusieurs de diverses personnes, de Rome aussi, qui, toutes disaient à peu près
ce qui suit :
« Je ne sais, chère Sœur, si vous avez entendu parler du bruit qui
court à Rome ? On dit que, depuis mai dernier, la nouvelle statue de Mgr
de Grenoble n’a pas été travaillée : parce que le sculpteur est atteint
d’infirmité à un bras. »
Une autre lettre :
« Savez-vous, ma très chère Sœur, que le sculpteur de la Vierge de
Monseigneur Fava a été frappé de paralysie au bras ? »
Une autre :
« On vient de nous apprendre que le couronnement de Notre-Dame de la
Salette n’aura pas lieu cette année, à cause d’un accident arrivé au Maître
sculpteur, qui a une paralysie dans les bras : il n’a pas pu faire à temps
son travail. Ou, si le couronnement a lieu, on couronnera le modèle en craie
(plâtre), en attendant que la statue en marbre s’achève... »
Ce qui est vrai, c’est qu’en septembre 1879, on a couronné, avec grande
pompe, le modèle (en plâtre !) de Mgr Fava : par la raison que la
reproduction en marbre n’avait pu être terminée. On n’en disait pas la raison
vraie.
De plusieurs côtés on m’écrivait pour informations, et on me donnait les
nouvelles qui circulaient en France et qui venaient de Mgr Fava et du P.
Berthier. Tantôt c’était que « le sculpteur avait dû s’absenter ».
Tantôt c’était qu’ « il s’était trop fatigué. On lui avait ordonné un
certain temps de repos, etc., etc. ».
Mais, dans mon cher pays des montagnes, où les journaux ne pénètrent
pas : les chemins de fer les plus rapprochés étant à plus de quatre heures
de voiture, on ne connaissait que ce que les Pères de la Salette disaient,
c’est-à-dire : « La statue en marbre blanc sera très
ressemblante ; un chef-d’œuvre de l’art70.
Le modèle a été fait par Sa Grandeur Mgr l’Évêque de Grenoble ; et sur ce
modèle merveilleux, la statue sera faite à Rome, sous les yeux du grand
Pape Léon XIII. Les bergers n’ont pas su rendre le costume de la Vierge. Notre
grand Évêque Mgr Fava, a mieux compris et il a pu rendre l’exactitude de ce
costume du Ciel dans son modèle qui est ravissant de beauté71. »
Le jour du couronnement, les foules étaient accourues. Je laisse la parole à
un témoin oculaire qui m’a raconté le fait :
« La Basilique était parée. La nouvelle statue venue de Rome était sur
le Maître-Autel ; mais cachée par un rideau. Tout le monde palpitait du
désir de voir la vraie Notre-Dame de la Salette. Les personnes qui se
trouvaient au bas de la Basilique montaient sur leurs chaises, pour la voir des
premiers. On trouvait l’office trop long. Enfin on entend un bruit sourd.
C’était la foule qui disait qu’on avait vu bouger le rideau. Enfin, voilà le
rideau qui se baisse lentement. On ne voyait encore que la tête, quand les
habitants de nos contrées s’écrièrent :
« – Ce n’est pas ça ! Ce n’est pas Elle ! Elle a ses
cheveux éparpillés sur ses épaules !
« Le rideau continuait à descendre ; et toujours et à mesure qu’on
voyait plus distinctement, les personnes disaient avec étonnement :
« – Oh ! ce n’est pas Notre-Dame de la Salette : elle n’a pas
sa Croix !
« – Oh ! on lui voit les mains, et elle a un manteau comme les
demoiselles de Paris : ce n’est pas Elle, ce n’est pas Elle.
« Et ce fut une générale désapprobation ; jusqu’à ce que le chant
couvrît les murmures de tous ces braves gens72. »
Je réponds, ici, à deux demandes qui m’ont été faites souvent :
1° Pourquoi les Médailles et les Images représentant Notre-Dame de la
Salette ne sont-elles pas répandues en tous pays, comme le sont, ordinairement,
toutes les autres médailles et images miraculeuses ?
2° Pourquoi ne trouve-t-on pas à acheter des médailles ou des images de
Notre-Dame de la Salette, chez aucun des marchands d’objets de Piété ?
Cette question, je me l’étais faite à moi-même ; et je souffrais de
cette privation. J’aurais voulu en acheter, pour répandre la dévotion à cette
douce Mère partout où j’allais. Ce ne fut qu’en 1871 que je découvris le truc
du vieux serpent.
J’étais venue en France voir ma regrettée mère ; puis à Lyon pour voir
une de mes sœurs. Après être allées à Fourvières, nous entrâmes dans presque
tous les magasins d’objets de piété, sans avoir pu trouver une seule médaille
ou image de la Salette !...
Alors, je dis à ma sœur :
– Sais-tu où se frappent ces médailles ?
– Oui, me dit-elle.
– Conduis-moi.
Nous arrivons et je demande cinq ou six grosses. Le patronne me répond
qu’elle n’en avait plus.
– Comment, lui dis-je. C’est bien ici que se frappent ces médailles qui se
vendent sur la montagne de la Salette ?
– Oui, me dit cette dame, mais les missionnaires nous ont donné leur
confiance, en posant la condition que seront exclus tous les autres négociants
d’objets de piété. Vous pouvez trouver des médailles chez les Pères de la
Salette.
Voilà comment j’ai appris, le cœur rempli de douleur, pourquoi, dans les
autres magasins, les médailles de Notre-Dame de la Salette ne se trouvent pas.
Ne faut-il pas que ces pauvres misérables Pères aient perdu de vue le
Très-Haut, leur âme, l’éternité des peines, pour oser substituer leur gloire,
leur intérêt matériel, à la gloire de ce Dieu qui doit les juger ?...
oh !... oh !... où en sommes-nous arrivés !... Et ces êtres
osaient se dire les Missionnaires de la Salette, tandis que toute leur
préoccupation était d’entasser trésors sur trésors, et qu’ils haïssaient les
pauvres ! Ils ont laissé avoir faim le bon, le désintéressé, le vertueux
Maximin, qui aurait fait pleurer de compassion les pierres !
Sœur Marie de la Croix, Bergère de
la Salette
Pour copie conforme, le 18 mai 1904.
H. RIGAUX,
Curé d’Argœuves.
Les notes qu’on trouvera ici, à chaque page, et qui forment un commentaire suivi du récit de la Bergère, sont de la main d’un excellent prêtre qui eut l’honneur de connaître Mélanie,
personnellement, et d’être son directeur de conscience, vers les derniers temps de sa vie.
L’APPARITION
DE LA
TRÈS SAINTE VIERGE
SUR LA MONTAGNE DE LA SALETTE
LE 19 SEPTEMBRE 1846
DE LA
TRÈS SAINTE VIERGE
SUR LA MONTAGNE DE LA SALETTE
LE 19 SEPTEMBRE 1846
Publiée par la Bergère de la Salette
avec Imprimatur de Mgr l’Évêque De Lecce
avec Imprimatur de Mgr l’Évêque De Lecce
« Eh bien ! mes enfants,
vous le
ferez passer à tout mon peuple. »
ferez passer à tout mon peuple. »
I
Le 18 septembre, veille de la sainte Apparition de la Sainte Vierge, j’étais
seule, comme à mon ordinaire, à garder les quatre vaches de mes Maîtres. Vers
les onze heures du matin, je vis venir auprès de moi un petit garçon. À cette
vue, je m’effrayai, parce qu’il me semblait que tout le monde devait savoir que
je fuyais toutes sortes de compagnies. Cet enfant s’approcha de moi et me
dit : « Petite, je viens avec toi, je suis aussi de Corps. » À
ces paroles, mon mauvais naturel se fit bientôt voir, et, faisant quelques pas
en arrière, je lui dis : « Je ne veux personne, je veux rester
seule. » Puis, je m’éloignais, mais cet enfant me suivait73
en me disant : « Va, laisse-moi avec toi, mon maître m’a dit de venir
garder mes vaches avec les tiennes, je suis de Corps. »
Moi je m’éloignai de lui, en lui faisant signe que je ne voulais
personne ; et après m’être éloignée, je m’assis sur le gazon. Là, je
faisais ma conversation avec les petites fleurs du Bon Dieu.
Un moment après, je regarde derrière moi, et je trouve Maximin assis tout
près de moi. Il me dit aussitôt : « Garde-moi, je serai bien sage74. »
Mais mon mauvais naturel n’entendit pas raison. Je me relève avec précipitation,
et je m’enfuis un peu plus loin sans rien lui dire, et je me remis à jouer avec
les fleurs du Bon Dieu. Un instant après, Maximin était encore là à me dire
qu’il serait bien sage, qu’il ne parlerait pas, qu’il s’ennuierait d’être tout
seul, et que son Maître l’envoyait auprès de moi... etc. Cette fois, j’en eus
pitié, je lui fis signe de s’asseoir, et moi je continuai avec les petites
fleurs du Bon Dieu.
Maximin ne tarda pas à rompre le silence, il se mit à rire (je crois qu’il
se moquait de moi) ; je le regarde et il me dit :
« Amusons-nous, faisons un jeu. » Je ne lui répondis rien, car
j’étais si ignorante que je ne comprenais rien au jeu avec une autre personne,
ayant toujours été seule. Je m’amusais seule avec les fleurs, et Maximin s’approchant
tout à fait de moi, ne faisait que rire en me disant que les fleurs n’avaient
pas d’oreilles pour m’entendre, et que nous devions jouer ensemble. Mais je
n’avais aucune inclination pour le jeu qu’il me disait de faire. Cependant, je
me mis à lui parler, et il me dit que les dix jours qu’il devait passer avec
son Maître allaient bientôt finir, et qu’ensuite il s’en irait à Corps chez son
père, etc.
Tandis qu’il me parlait, la cloche de la Salette se fit entendre, c’était
l’Angelus ; je fis signe à Maximin d’élever son âme à Dieu. Il se
découvrit la tête et garda un moment le silence. Ensuite, je lui dis :
« Veux-tu dîner ? – Oui, me dit-il. Allons. » Nous nous
assîmes ; je sortis de mon sac les provisions que m’avaient données mes
Maîtres, et selon mon habitude, avant d’entamer mon petit pain rond, avec la
pointe de mon couteau, je fis une croix sur mon pain, et au milieu un tout
petit trou, en disant : « Si le diable y est, qu’il en sorte, et si
le Bon Dieu y est, qu’il y reste » et vite, vite, je recouvris le petit
trou. Maximin partit d’un grand éclat de rire, et donna un coup de pied à mon
pain, qui s’échappa de mes mains, roula jusqu’au bas de la montagne et se
perdit.
J’avais un autre morceau de pain, nous le mangeâmes ensemble ; ensuite
nous fîmes un jeu ; puis, comprenant que Maximin devait avoir besoin de
manger75,
je lui indiquai un endroit de la montagne couvert de petits fruits. Je
l’engageai à aller en manger, ce qu’il fit aussitôt ; il en mangea et en
rapporta plein son chapeau. Le soir, nous descendîmes ensemble de la montagne,
et nous nous promîmes de revenir garder nos vaches ensemble.
Le lendemain, 19 septembre76,
je me retrouve en chemin avec Maximin, nous gravissons ensemble la montagne. Je
trouvais que Maximin était très bon, très simple, et que volontiers il parlait
de ce dont je voulais parler ; il était aussi très souple, ne tenant pas à
son sentiment ; il était seulement un peu curieux, car quand je
m’éloignais de lui, dès qu’il me voyait arrêtée, il accourait vite pour voir ce
que je faisais, et entendre ce que je disais avec les fleurs du Bon Dieu ;
et s’il n’arrivait pas à temps, il me demandait ce que j’avais dit. Maximin me
dit de lui apprendre un jeu. La matinée était déjà avancée ; je lui dis de
ramasser des fleurs pour faire le « Paradis »77.
Nous nous mîmes tous les deux à l’ouvrage ; nous eûmes bientôt une
quantité de fleurs de diverses couleurs. L’Angelus du village se fit entendre,
car le ciel était beau, il n’y avait pas de nuages. Après avoir dit au Bon Dieu
ce que nous savions, je dis à Maximin que nous devions conduire nos vaches sur
un petit plateau près du petit ravin, où il y aurait des pierres pour bâtir le
« Paradis ». Nous conduisîmes nos vaches au lieu désigné, et ensuite
nous prîmes notre petit repas ; puis, nous nous mîmes à porter des pierres
et à construire notre petite maison, qui consistait en un rez-de-chaussée, qui,
soi-disant, était notre habitation, puis un étage au-dessus, qui était, selon
nous, le « Paradis ».
Cet étage était tout garni de fleurs de différentes couleurs, avec des
couronnes suspendues par des tiges de fleurs. Ce « Paradis » était
couvert par une seule et large pierre que nous avions recouverte de
fleurs ; nous avions aussi suspendu des couronnes tout autour. Le
« Paradis » terminé, nous le regardions ; le sommeil nous
vint ; nous nous éloignâmes de là à environ deux pas, et nous nous
endormîmes sur le gazon.
II
M’étant réveillée, et ne voyant pas nos vaches, j’appelai Maximin et je
gravis le petit monticule. De là, ayant vu que nos vaches étaient couchées
tranquillement, je redescendais et Maximin montait, quand, tout à coup, je vis
une belle lumière plus brillante que le soleil, et à peine ai-je pu dire ces
paroles : « Maximin, vois-tu, là-bas ? Ah ! mon
Dieu ! » En même temps je laisse tomber le bâton que j’avais en main.
Je ne sais ce qui se passait en moi de délicieux dans ce moment, mais je me
sentais attirer, je me sentais un grand respect plein d’amour, et mon cœur
aurait voulu courir plus vite que moi79.
Je regardais bien fortement cette lumière qui était immobile, et comme si
elle se fût ouverte, j’aperçus une autre lumière bien plus brillante et qui
était en mouvement, et dans cette lumière une Très Belle Dame assise sur notre
« Paradis », ayant la tête dans ses mains. Cette Belle Dame s’est
levée, elle a croisé médiocrement ses bras en nous regardant et nous a
dit : « Avancez, mes enfants, n’ayez pas peur ; je suis ici
pour vous annoncer une grande nouvelle. » Ces douces et suaves paroles
me firent voler jusqu’à elle, et mon cœur aurait voulu se coller à elle pour
toujours. Arrivée bien près de la Belle Dame, devant elle à sa droite, elle
commence le discours, et des larmes commencent aussi à couler de ses beaux
yeux :
Si mon peuple ne veut pas se soumettre, je suis forcée de laisser aller
la main de mon Fils. Elle est si lourde et si pesante que je ne puis plus la
retenir.
Depuis le temps que je souffre pour vous autres ! Si je veux que mon
Fils ne vous abandonne pas, je suis chargée de le prier sans cesse. Et pour
vous autres, vous n’en faites pas cas. Vous aurez beau prier, beau faire,
jamais vous ne pourrez récompenser la peine que j’ai prise pour vous autres.
Je vous ai donné six jours pour travailler, je me suis réservé le
septième, et on ne veut pas me l’accorder80.
C’est ce qui appesantit tant le bras de mon Fils.
Ceux qui conduisent les charrettes ne savent pas parler sans y mettre le
Nom de mon Fils au milieu. Ce sont les deux choses qui appesantissent tant le
bras de mon Fils81.
Si la récolte se gâte, ce n’est qu’à cause de vous autres.
Je vous l’ai fait voir l’année passée par les pommes de terre ; vous
n’en avez pas fait cas ; c’est au contraire quand vous en trouviez de
gâtées, vous juriez et vous mettiez le nom de mon Fils. Elles vont continuer à
se gâter ; et à la Noël, il n’y en aura plus.
Ici, je cherchais à interpréter la parole : pomme de terre ;
je croyais comprendre que cela signifiait pommes. La Belle et Bonne Dame,
devinant ma pensée, reprit ainsi :
Vous ne me comprenez pas, mes enfants ? je vais vous le dire
autrement.
La traduction en français est celle-ci :
Si la récolte se gâte, ce n’est rien que pour vous autres ; je vous
l’ai fait voir l’année passée par les pommes de terre, et vous n’en avez pas
fait cas ; c’était au contraire, quand vous en trouviez de gâtées, vous
juriez et vous mettiez le Nom de mon Fils. Elles vont continuer à se gâter, et
à la Noël il n’y en aura plus.
Si vous avez du blé, il ne faut pas le semer.
Tout ce que vous sèmerez, les bêtes le mangeront ; et ce qui viendra
tombera tout en poussière quand vous le battrez. Il viendra une grande famine. Avant
que la famine vienne, les petits enfants au-dessous de sept ans prendront un
tremblement et mourront entre les mains des personnes qui les tiendront ;
les autres feront pénitence par la faim. Les noix deviendront mauvaises ;
les raisins pourriront82.
Ici, la Belle Dame qui me ravissait, resta un moment sans se faire
entendre ; je voyais cependant qu’elle continuait, comme si elle parlait,
de remuer gracieusement ses aimables lèvres. Maximin recevait alors son secret.
Puis, s’adressant à moi, la Très Sainte Vierge me parla et me donna un secret
en français. Ce secret, le voici tout entier, et tel qu’elle me l’a
donné :
III
1. – Mélanie, ce que je vais vous dire maintenant, ne sera pas toujours
secret ; vous pourrez le publier en 185883.
2. – Les prêtres, ministres de mon Fils, les prêtres, par leur mauvaise vie,
par leurs irrévérences et leur impiété à célébrer les saints mystères, par
l’amour de l’argent, l’amour de l’honneur et des plaisirs, les prêtres sont
devenus des cloaques d’impureté. Oui, les prêtres demandent vengeance, et la
vengeance est suspendue sur leurs têtes. Malheur aux prêtres et aux personnes
consacrées à Dieu, lesquelles, par leurs infidélités et leur mauvaise vie,
crucifient de nouveau mon Fils ! Les péchés des personnes consacrées à
Dieu crient vers le Ciel et appellent la vengeance, et voilà que la vengeance
est à leurs portes, car il ne se trouve plus personne pour implorer miséricorde
et pardon pour le peuple ; il n’y a plus d’âmes généreuses, il n’y a plus
personne digne d’offrir la Victime sans tache à l’Éternel en faveur du monde.
3. – Dieu va frapper d’une manière sans exemple.
4. – Malheur aux habitants de la terre ! Dieu va épuiser sa colère, et
personne ne pourra se soustraire à tant de maux réunis.
5. – Les chefs, les conducteurs du peuple de Dieu ont négligé la prière et
la pénitence, et le démon a obscurci leurs intelligences ; ils sont
devenus ces étoiles errantes que le vieux diable traînera avec sa queue pour
les faire périr. Dieu permettra au vieux serpent de mettre des divisions parmi
les régnants, dans toutes les sociétés et dans toutes les familles ; on
souffrira des peines physiques et morales ; Dieu abandonnera les hommes à
eux-mêmes et enverra des châtiments qui se succéderont pendant plus de
trente-cinq ans.
6. – La Société est à la veille des fléaux les plus terribles et des plus grands
évènements ; on doit s’attendre à être gouverné par une verge de fer et à
boire le calice de la colère de Dieu.
7. – Que le Vicaire de mon Fils, le souverain Pontife Pie IX, ne sorte plus
de Rome, après l’année 1859 ; mais qu’il soit ferme et généreux, qu’il
combatte avec les armes de la foi et de l’amour ; je serai avec lui.
8. – Qu’il se méfie de Napoléon ; son cœur est double, et quand il
voudra être à la fois Pape et empereur, bientôt Dieu se retirera de lui ;
il est cet aigle qui, voulant toujours s’élever, tombera sur l’épée dont il
voulait se servir pour obliger les peuples à se faire élever.
9. – L’Italie sera punie de son ambition en voulant secouer le joug du
Seigneur des Seigneurs ; aussi elle sera livrée à la guerre ; le sang
coulera de tous côtés ; les églises seront fermées ou profanées ; les
prêtres, les religieux seront chassés ; on les fera mourir, et mourir
d’une mort cruelle. Plusieurs abandonneront la foi et le nombre des prêtres et
des religieux qui se sépareront de la vraie religion sera grand ; parmi
ces personnes il se trouvera même des Évêques.
10. – Que le Pape se tienne en garde contre les faiseurs de miracles, car le
temps est venu que les prodiges les plus étonnants auront lieu sur la terre et
dans les airs.
11. – En l’année 1864, Lucifer avec un grand nombre de démons seront
détachés de l’enfer : ils aboliront la foi peu à peu et même dans les
personnes consacrées à Dieu ; ils les aveugleront d’une telle manière,
qu’à moins d’une grâce particulière, ces personnes prendront l’esprit de ces
mauvais anges ; plusieurs maisons religieuses perdront entièrement la foi
et perdront beaucoup d’âmes.
12. – Les mauvais livres abonderont sur la terre, et les esprits de ténèbres
répandront partout un relâchement universel pour tout ce qui regarde le service
de Dieu ; ils auront un très grand pouvoir sur la nature ; il y aura
des églises pour servir ces esprits. Des personnes seront transportées d’un
lieu à un autre par ces esprits mauvais, et même des prêtres, parce qu’ils ne
se seront pas conduits par le bon esprit de l’Évangile, qui est un esprit
d’humilité, de charité et de zèle pour la gloire de Dieu. On fera ressusciter
des morts et des justes (c’est-à-dire que ces morts prendront la figure des
âmes justes qui avaient vécu sur la terre, afin de mieux séduire les
hommes ; ces soi-disant morts ressuscités, qui ne seront autre chose que
le démon sous ces figures, prêcheront un autre Évangile contraire à celui du
vrai Christ-Jésus, niant l’existence du Ciel, soit encore les âmes des damnés. Toutes
ces âmes paraîtront comme unies à leurs corps). Il y aura en tous lieux des
prodiges extraordinaires, parce que la vraie foi s’est éteinte et que la fausse
lumière éclaire le monde. Malheur aux Princes de l’Église qui ne se seront
occupés qu’à entasser richesses sur richesses, qu’à sauvegarder leur autorité
et à dominer avec orgueil.
13. – Le Vicaire de mon Fils aura beaucoup à souffrir, parce que, pour un
temps, l’Église sera livrée à de grandes persécutions ; ce sera le temps
des ténèbres ; l’Église aura une crise affreuse.
14. – La sainte foi de Dieu étant oubliée, chaque individu voudra se guider
par lui-même et être supérieur à ses semblables. On abolira les pouvoirs civils
et ecclésiastiques, tout ordre et toute justice seront foulés aux pieds ;
on ne verra qu’homicides, haine, jalousie, mensonge et discorde, sans amour
pour la patrie ni pour la famille.
15. – Le Saint-Père souffrira beaucoup. Je serai avec lui jusqu’à la fin
pour recevoir son sacrifice.
16. – Les méchants attenteront plusieurs fois à sa vie sans pouvoir nuire à
ses jours ; mais ni lui, ni son successeur..., ne verront le triomphe de
l’Église de Dieu.
17. – Les gouvernants civils auront tous un même dessein, qui sera d’abolir
et de faire disparaître tout principe religieux, pour faire place au
matérialisme, à l’athéisme, au spiritisme et à toutes sortes de vices.
18. – Dans l’année 1865, on verra l’abomination dans les lieux saints ;
dans les couvents, les fleurs de l’Église seront putréfiées et le démon se
rendra comme le roi des cœurs. Que ceux qui sont à la tête des communautés
religieuses se tiennent en garde pour les personnes qu’ils doivent recevoir,
parce que le démon usera de toute sa malice pour introduire dans les ordres
religieux des personnes adonnées au péché, car les désordres et l’amour des
plaisirs charnels seront répandus par toute la terre.
19. – La France, l’Italie, l’Espagne et l’Angleterre seront en guerre ;
le sang coulera dans les rues ; le Français se battra avec le Français,
l’Italien avec l’Italien ; ensuite il y aura une guerre générale qui sera
épouvantable. Pour un temps, Dieu ne se souviendra plus de la France ni de
l’Italie, parce que l’Évangile de Jésus-Christ n’est plus connu. Les méchants
déploieront toute leur malice ; on se tuera, on se massacrera mutuellement
jusque dans les maisons.
20. – Au premier coup de son épée foudroyante, les montagnes et la terre
entière trembleront d’épouvante, parce que les désordres et les crimes des
hommes percent la voûte des cieux. Paris sera brûlé et Marseille englouti ;
plusieurs grandes villes seront ébranlées et englouties par des tremblements de
terre : on croira que tout est perdu ; on ne verra qu’homicides, on
n’entendra que bruits d’armes et que blasphèmes. Les justes souffriront
beaucoup ; leurs prières, leur pénitence et leurs larmes monteront
jusqu’au Ciel, et tout le peuple de Dieu demandera pardon et miséricorde, et
demandera mon aide et mon intercession. Alors Jésus-Christ, par un acte de sa
justice et de sa grande miséricorde pour les justes, commandera à ses anges que
tous ses ennemis soient mis à mort. Tout à coup les persécuteurs de l’Église de
Jésus-Christ et tous les hommes adonnés au péché périront, et la terre
deviendra comme un désert. Alors se fera la paix, la réconciliation de Dieu
avec les hommes ; Jésus-Christ sera servi, adoré et glorifié ; la
charité fleurira partout. Les nouveaux rois seront le bras droit de la Sainte
Église, qui sera forte, humble, pieuse, pauvre, zélée et imitatrice des vertus
de Jésus-Christ. L’Évangile sera prêché partout, et les hommes feront de grands
progrès dans la foi, parce qu’il y aura unité parmi les ouvriers de
Jésus-Christ, et que les hommes vivront dans la crainte de Dieu.
21. – Cette paix parmi les hommes ne sera pas longue ; vingt-cinq ans
d’abondantes récoltes leur feront oublier que les péchés des hommes sont cause
de toutes les peines qui arrivent sur la terre.
22. – Un avant-coureur de l’Antéchrist, avec ses troupes de plusieurs
nations, combattra contre le vrai Christ, le seul Sauveur du monde ; il
répandra beaucoup de sang, et voudra anéantir le culte de Dieu pour se faire
regarder comme un Dieu.
23. – La terre sera frappée de toutes sortes de plaies (outre la peste et la
famine qui seront générales) ; il y aura des guerres jusqu’à la dernière
guerre, qui sera alors faite par les dix rois de l’Antéchrist, lesquels rois
auront tous un même dessein et seront les seuls qui gouverneront le monde.
Avant que ceci arrive, il y aura une espèce de fausse paix dans le monde ;
on ne pensera qu’à se divertir ; les méchants se livreront à toutes sortes
de péchés ; mais les enfants de la Sainte Église, les enfants de la foi,
mes vrais imitateurs, croîtront dans l’amour de Dieu et dans les vertus qui me
sont les plus chères. Heureuses les âmes humbles conduites par l’Esprit-Saint !
Je combattrai avec elles jusqu’à ce qu’elles arrivent à la plénitude de l’âge.
24. – La nature demande vengeance pour les hommes, et elle frémit
d’épouvante dans l’attente de ce qui doit arriver à la terre souillée de
crimes.
25. – Tremblez, terre, et vous qui faites profession de servir Jésus-Christ
et qui, au dedans, vous adorez vous-mêmes, tremblez ; car Dieu va vous
livrer à son ennemi, parce que les lieux saints sont dans la corruption ;
beaucoup de couvents ne sont plus les maisons de Dieu, mais les pâturages
d’Asmodée et des siens.
26. – Ce sera pendant ce temps que naîtra l’Antéchrist, d’une religieuse
hébraïque, d’une fausse vierge qui aura communication avec le vieux serpent, le
maître de l’impureté ; son père sera Év. ; en naissant, il vomira des
blasphèmes, il aura des dents ; en un mot ce sera le diable incarné ;
il poussera des cris effrayants, il fera des prodiges, il ne se nourrira que
d’impuretés. Il aura des frères qui, quoiqu’ils ne soient pas comme lui des
démons incarnés, seront des enfants de mal ; à 12 ans, ils se feront
remarquer par leurs vaillantes victoires qu’ils remporteront ; bientôt,
ils seront chacun à la tête des armées, assistés par des légions de l’enfer.
27. – Les saisons seront changées, la terre ne produira que de mauvais
fruits, les astres perdront leurs mouvement réguliers, la lune ne reflétera
qu’une faible lumière rougeâtre ; l’eau et le feu donneront au globe de la
terre des mouvements convulsifs et d’horribles tremblements de terre, qui
feront engloutir des montagnes, des villes (etc.).
28. – Rome perdra la foi et deviendra le siège de l’Antéchrist.
29. – Les démons de l’air avec l’Antéchrist feront de grands prodiges sur la
terre et dans les airs, et les hommes se pervertiront de plus en plus. Dieu
aura soin de ses fidèles serviteurs et des hommes de bonne volonté ;
l’Évangile sera prêché partout, tous les peuples et toutes les nations auront
connaissance de la vérité !
30. – J’adresse un pressant appel à la terre ; j’appelle les vrais
disciples du Dieu vivant et régnant dans les cieux ; j’appelle les vrais
imitateurs du Christ fait homme, le seul et vrai Sauveur des hommes ;
j’appelle mes enfants, mes vrais dévots, ceux qui se sont donnés à moi pour que
je les conduise à mon divin Fils, ceux que je porte pour ainsi dire dans mes
bras, ceux qui ont vécu de mon esprit ; enfin j’appelle les Apôtres des
Derniers Temps, les fidèles disciples de Jésus-Christ qui ont vécu dans un
mépris du monde et d’eux-mêmes, dans la pauvreté et dans l’humilité, dans le
mépris et dans le silence, dans l’oraison et dans la mortification, dans la
chasteté et dans l’union avec Dieu, dans la souffrance et inconnus du monde. Il
est temps qu’ils sortent et viennent éclairer la terre. Allez et montrez-vous
comme mes enfants chéris ; je suis avec vous et en vous, pourvu que votre
foi soit la lumière qui vous éclaire dans ces jours de malheurs. Que votre zèle
vous rende comme des affamés pour la gloire et l’honneur de Jésus-Christ.
Combattez, enfants de lumière, vous petit nombre qui y voyez ; car voici
le temps des temps, la fin des fins.
31. – L’Église sera éclipsée, le monde sera dans la consternation. Mais
voilà Énoch et Élie remplis de l’Esprit de Dieu ; ils prêcheront avec la
force de Dieu, et les hommes de bonne volonté croiront en Dieu, et beaucoup
d’âmes seront consolées ; ils feront de grands progrès par la vertu du
Saint-Esprit et condamneront les erreurs diaboliques de l’Antéchrist.
32. – Malheur aux habitants de la terre ! il y aura des guerres
sanglantes et des famines ; des pestes et des maladies contagieuses ;
il y aura des pluies d’une grêle effroyable d’animaux ; des tonnerres qui
ébranleront des villes ; des tremblements de terre qui engloutiront des
pays ; on entendra des voix dans les airs ; les hommes se battront la
tête contre les murailles ; ils appelleront la mort, et, d’un autre côté,
la mort fera leur supplice ; le sang coulera de tous côtés. Qui pourra
vaincre, si Dieu ne diminue le temps de l’épreuve ? Par le sang, les
larmes et les prières des justes, Dieu se laissera fléchir ; Énoch et Élie
seront mis à mort ; Rome païenne disparaîtra ; le feu du Ciel tombera
et consumera trois villes ; tout l’univers sera frappé de terreur, et
beaucoup se laisseront séduire parce qu’ils n’ont pas adoré le vrai Christ
vivant parmi eux. Il est temps ; le soleil s’obscurcit ; la foi seule
vivra.
33.– Voici le temps ; l’abîme s’ouvre. Voici le roi des rois des
ténèbres. Voici la bête avec ses sujets, se disant le sauveur du monde. Il
s’élèvera avec orgueil dans les airs pour aller jusqu’au ciel ; il sera
étouffé par le souffle de saint Michel Archange. Il tombera et la terre qui,
depuis trois jours, sera en de continuelles évolutions, ouvrira son sein plein
de feu ; il sera plongé pour jamais avec tous les siens dans les gouffres
éternels de l’enfer. Alors l’eau et le feu purifieront la terre et consumeront
toutes les œuvres de l’orgueil des hommes et tout sera renouvelé : Dieu
sera servi et glorifié.
IV
Ensuite la Sainte Vierge me donna, aussi EN FRANÇAIS, la Règle d’un nouvel
Ordre religieux.
Après m’avoir donné la Règle de ce nouvel Ordre religieux, la Sainte Vierge
reprit ainsi la suite du Discours
:
:
« S’ils se convertissent, les pierres et les rochers se changeront
en blé, et les pommes de terre se trouveront ensemencées par les terres.
« Faites-vous bien votre prière, mes enfants ? »
Nous répondîmes tous les deux :
– Oh ! non, Madame, pas beaucoup.
« Ah ! mes enfants, il faut bien la faire, soir et matin. Quand
vous ne pourrez pas mieux faire, dites un Pater et un Ave Maria ; et quand
vous aurez le temps et que vous pourrez mieux faire, vous en direz davantage.
« Il ne va que quelques femmes un peu âgées à la Messe ; les
autres travaillent tout l’été le Dimanche ; et l’hiver, quand ils ne
savent que faire, ils ne vont à la Messe que pour se moquer de la religion. Le
Carême, ils vont à la boucherie comme des chiens84.
« N’avez-vous pas vu du blé gâté, mes enfants ? »
Tous les deux nous avons répondu : – Oh ! non, Madame.
La Sainte Vierge s’adressant à Maximin : « Mais toi, mon
enfant, tu dois bien en avoir vu une fois vers le Coin85,
avec ton père. L’homme de la pièce dit à ton père : Venez voir comme mon
blé se gâte. Vous y allâtes. Ton père prit deux ou trois épis dans sa main, il
les frotta, et ils tombèrent en poussière. Puis, en vous en retournant, quand
vous n’étiez plus qu’à une demi-heure de Corps, ton père te donna un morceau de
pain en te disant : Tiens, mon enfant, mange cette année, car je ne sais
pas qui mangera l’année prochaine, si le blé se gâte comme cela. "
Maximin répondit : – C’est bien vrai, Madame, je ne me le rappelais
pas.
La Très Sainte Vierge a terminé son Discours en français : « Eh
bien ! mes enfants, vous le ferez passer à tout mon peuple. »
La Très Belle Dame traversa le ruisseau ; et, à deux pas du ruisseau,
sans se retourner vers nous qui la suivions (parce qu’elle attirait à elle par
son éclat et plus encore par sa bonté qui m’enivrait, qui semblait me faire
fondre le cœur), elle nous a dit encore :
Puis elle a continué de marcher jusqu’à l’endroit où j’étais montée pour
regarder où étaient mes vaches. Ses pieds ne touchaient que le bout de l’herbe
sans la faire plier. Arrivée sur la petite hauteur, la Belle Dame s’arrêta, et
vite je me plaçai devant elle, pour bien, bien la regarder, et tâcher de savoir
quel chemin elle inclinait le plus à prendre ; car c’était fait de moi,
j’avais oublié et mes vaches et les maîtres chez lesquels j’étais en
service ; je m’étais attachée pour toujours et sans condition à Ma
Dame ; oui, je voulais ne plus jamais, jamais la quitter ; je la
suivais sans arrière-pensée, et dans la disposition de la servir tant que je
vivrais.
Avec Ma Dame, je croyais avoir oublié le paradis ; je n’avais
plus que la pensée de bien la servir en tout ; et je croyais que j’aurais
pu faire tout ce qu’elle m’aurait dit de faire, car il me semblait qu’Elle
avait beaucoup de pouvoir. Elle me regardait avec une tendre bonté qui
m’attirait à Elle ; j’aurais voulu, avec les yeux fermés, m’élancer dans
ses bras. Elle ne m’a pas donné le temps de le faire. Elle s’est élevée
insensiblement de terre à une hauteur d’environ un mètre et plus ; et,
restant ainsi suspendue en l’air un tout petit instant, Ma belle Dame regarda
le Ciel, puis la terre à sa droite et à sa gauche, puis Elle me regarda avec
des yeux si doux, si aimables et si bons, que je croyais qu’elle m’attirait
dans son intérieur, et il me semblait que mon cœur s’ouvrait au sien.
Et tandis que mon cœur se fondait en une douce dilatation, la belle figure
de Ma Bonne Dame disparaissait peu à peu : il me semblait que la lumière
en mouvement se multipliait ou bien se condensait autour de la Très Sainte
Vierge, pour m’empêcher de la voir plus longtemps. Ainsi la lumière prenait la
place des parties du corps qui disparaissaient à mes yeux ; ou bien il
semblait que le corps de Ma Dame se changeait en lumière en se fondant. Ainsi
la lumière en forme de globe s’élevait doucement en direction droite87.
Je ne puis pas dire si le volume de lumière diminuait à mesure qu’elle
s’élevait, ou bien si c’était l’éloignement qui faisait que je voyais diminuer
la lumière à mesure qu’elle s’élevait ; ce que je sais, c’est que je suis
restée la tête levée et les yeux fixés sur la lumière, même après que cette
lumière, qui allait toujours s’éloignant et diminuant de volume, eut fini par
disparaître.
Mes yeux se détachent du firmament, je regarde autour de moi, je vois
Maximin qui me regardait, je lui dis : « Mémin, cela doit être le bon
Dieu de mon père88,
ou la Sainte Vierge, ou quelque grande sainte. » Et Maximin lançant la
main en l’air, il dit : « Ah ! si je l’avais su ! »
V
Le soir du 19 septembre, nous nous retirâmes un peu plus tôt qu’à
l’ordinaire. Arrivée chez mes maîtres, je m’occupais à attacher mes vaches et à
mettre tout en ordre dans l’écurie. Je n’avais pas terminé, que ma maîtresse
vint à moi en pleurant et me dit : « Pourquoi, mon enfant, ne
venez-vous pas me dire ce qui vous est arrivé sur la montagne ? »
(Maximin n’ayant pas trouvé ses maîtres, qui ne s’étaient pas encore retirés de
leurs travaux, était venu chez les miens, et avait raconté tout ce qu’il avait
vu et entendu.) Je lui répondis : « Je voulais bien vous le dire,
mais je voulais finir mon ouvrage, auparavant. » Un moment après, je me
rendis dans la maison, et ma maîtresse me dit : « Racontez ce que
vous avez vu ; le berger de Bruite (c’était le surnom de Pierre Selme,
maître de Maximin) m’a tout raconté. »
Je commence, et, vers la moitié du récit, mes maîtres arrivèrent de leurs
champs ; ma maîtresse, qui pleurait en entendant les plaintes et les
menaces de notre tendre Mère, dit : « Ah ! vous vouliez aller
ramasser le blé demain ; gardez-vous en bien, venez entendre ce qui est
arrivé aujourd’hui à cette enfant et au berger de Selme. » Et se tournant
vers moi, elle dit : « Recommencez tout ce que vous m’avez
dit. » Je recommence ; et, lorsque j’eus terminé, mon Maître
dit : « C’est la Sainte Vierge, ou bien une grande sainte, qui est
venue de la part du Bon Dieu ; mais c’est comme si le Bon Dieu était venu
lui-même ; il faut faire tout ce que cette Sainte a dit. Comment
allez-vous faire pour dire cela à tout son peuple ? » Je lui
répondis : « Vous me direz comment je dois faire, et je le
ferai. » Ensuite il ajouta en regardant sa mère, sa femme et son frère :
« Il faut y penser. » Puis chacun se retira à ses affaires.
C’était après le souper. Maximin et ses maîtres vinrent chez les miens pour
raconter ce que Maximin leur avait dit, et pour savoir ce qu’il y avait à
faire : « Car, dirent-ils, il nous semble que c’est la Sainte Vierge
qui a été envoyée par le Bon Dieu ; les paroles qu’Elle a dites le font
croire. Et Elle leur a dit de le faire passer à tout son peuple ; il
faudra peut-être que ces enfants parcourent le monde entier pour faire
connaître qu’il faut que tout le monde observe les commandements du Bon Dieu,
sinon de grands malheurs vont arriver sur nous. » Après un moment de
silence, mon maître dit, en s’adressant à Maximin et à moi :
« Savez-vous ce que vous devez faire, mes enfants ? Demain,
levez-vous de bon matin, allez tous les deux à Monsieur le Curé, et
racontez-lui tout ce que vous avez vu et entendu ; dites-lui bien comment
la chose s’est passée ; il vous dira ce que vous avez à faire. »
Le 20 septembre, lendemain de l’apparition, je partis de bonne heure avec
Maximin. Arrivés à la Cure, je frappe à la porte. La domestique de Monsieur le
Curé vint ouvrir et demanda ce que nous voulions. Je lui dis (en français, moi
qui ne l’avais jamais parlé) : « Nous voudrions parler à Monsieur le
Curé. » – « Et que voulez-vous lui dire ? » nous
demanda-t-elle. – « Nous voulons lui dire, Mademoiselle, qu’hier nous
sommes allés garder nos vaches sur la montagne des Baisses, et après avoir
dîné, etc., etc. » Nous lui racontâmes une bonne partie du discours de la
Très Sainte Vierge. Alors la cloche de l’église sonna ; c’était le dernier
coup de la Messe. Monsieur l’abbé Perrin, curé de la Salette, qui nous avait
entendus, ouvrit sa porte avec fracas : il pleurait ; il se frappait
la poitrine ; il nous dit : « Mes enfants, nous sommes perdus, le
bon Dieu va nous punir. Ah ! mon Dieu, c’est la Sainte Vierge qui vous est
apparue ! » Et il partit pour dire la Sainte Messe. Nous nous
regardâmes avec Maximin et la domestique ; puis Maximin me dit :
« Moi, je m’en vais chez mon père, à Corps. » Et nous nous séparâmes.
N’ayant pas reçu d’ordre de mes Maîtres de me retirer aussitôt après avoir
parlé à Monsieur le Curé, je crus ne pas faire mal en assistant à la Messe. Je
fus donc à l’église. La Messe commence, et, après le premier Évangile, Monsieur
le Curé se tourne vers le peuple et essaie de raconter à ses paroissiens
l’apparition qui venait d’avoir lieu, la veille, sur une de leurs Montagnes, et
les exhorte à ne plus travailler le Dimanche ; sa voix était entrecoupée
par des sanglots, et tout le peuple était ému. Après la Sainte Messe, je me
retirai chez mes maîtres. Monsieur Peytard, qui est encore aujourd’hui Maire de
la Salette, y vint m’interroger sur le fait de l’apparition ; et, après
s’être assuré de la vérité de ce que je lui disais, il se retira convaincu.
Je continuai de rester au service de mes Maîtres jusqu’à la fête de la
Toussaint. Ensuite je fus mise comme pensionnaire chez les religieuses de la
Providence, dans mon pays, à Corps.
VI
La Très Sainte Vierge était très grande et bien proportionnée ; elle
paraissait être si légère qu’avec un souffle on l’aurait fait remuer, cependant
elle était immobile et bien posée. Sa physionomie était majestueuse, imposante,
mais non imposante comme le sont les Seigneurs d’ici-bas. Elle imposait une
crainte respectueuse. En même temps que Sa Majesté imposait du respect mêlé
d’amour, elle attirait à Elle. Son regard était doux et pénétrant ; ses
yeux semblaient parler avec les miens, mais la conversation venait d’un profond
et vif sentiment d’amour envers cette beauté ravissante qui me liquéfiait. La
douceur de son regard, son air de bonté incompréhensible faisait comprendre et
sentir qu’elle attirait à Elle et voulait se donner ; c’était une
expression d’amour qui ne peut pas s’exprimer avec la langue de chair ni avec
les lettres de l’alphabet.
Le vêtement de la Très Sainte Vierge était blanc argenté et tout
brillant ; il n’avait rien de matériel : il était composé de
lumière et de gloire, variant et scintillant. Sur la terre il n’y a pas
d’expression ni de comparaison à donner.
La Sainte Vierge était toute belle et toute formée d’amour ; en la
regardant je languissais de me fondre en elle. Dans ses atours, comme dans sa
personne, tout respirait la majesté, la splendeur, la magnificence d’une Reine
incomparable. Elle paraissait belle, blanche, immaculée, cristallisée,
éblouissante, céleste, fraîche, neuve comme une Vierge ; il semblait que
la parole Amour s’échappait de ses lèvres argentées et toutes pures.
Elle me paraissait comme une bonne Mère, pleine de bonté, d’amabilité, d’amour
pour nous, de compassion, de miséricorde.
La couronne de roses qu’elle avait sur la tête était si belle, si brillante,
qu’on ne peut pas s’en faire une idée ; les roses de diverses couleurs
n’étaient pas de la terre ; c’était une réunion de fleurs qui entouraient
la tête de la Très Sainte Vierge en forme de couronne ; mais les roses se
changeaient ou se remplaçaient ; puis, du cœur de chaque rose il sortait
une si belle lumière qu’elle ravissait et rendait les roses d’une beauté éclatante.
De la couronne de roses s’élevaient comme des branches d’or et une quantité
d’autres petites fleurs mêlées avec des brillants.
Le tout formait un très beau diadème, qui brillait tout seul plus que notre
soleil de la terre.
La Sainte Vierge avait une très jolie Croix suspendue à son cou. Cette Croix
paraissait être dorée, je dis dorée pour ne pas dire une plaque
d’or ; car j’ai vu quelquefois des objets dorés avec diverses nuances
d’or, ce qui faisait à mes yeux un bien plus bel effet qu’une simple plaque
d’or. Sur cette belle Croix toute brillante de lumière, était un Christ, était
Notre Seigneur, les bras étendus sur la Croix. Presque aux deux extrémités de
la Croix, d’un côté il y avait un marteau, de l’autre une tenaille. Le Christ
était couleur de chair naturelle, mais il brillait d’un grand éclat ; et
la lumière qui sortait de tout son corps paraissait comme des dards très
brillants, qui me fendaient le cœur du désir de me fondre en lui. Quelquefois
le Christ paraissait être mort : il avait la tête penchée, et le corps
était comme affaissé, comme pour tomber, s’il n’avait pas été retenu par les
clous qui le retenaient à la Croix.
J’en avais une vive compassion, et j’aurais voulu redire au monde entier son
amour inconnu, et infiltrer dans les âmes des mortels l’amour le plus senti et
la reconnaissance la plus vive envers un Dieu qui n’avait nullement besoin de
nous pour être ce qu’il est, ce qu’il était et ce qu’il sera toujours ; et
pourtant, ô amour incompréhensible à l’homme ! il s’est fait homme, et il
a voulu mourir, oui mourir, pour mieux écrire dans nos âmes et dans notre
mémoire l’amour Fou qu’il a pour nous ! Oh ! que je suis malheureuse
de me trouver si pauvre en expression pour redire l’amour, oui, l’amour de
notre bon Sauveur pour nous ! mais, d’un autre côté, que nous sommes
heureux de pouvoir sentir mieux ce que nous ne pouvons exprimer !
D’autres fois le Christ semblait vivant ; il avait la tête droite, les
yeux ouverts, et paraissait être sur la Croix par sa propre volonté.
Quelquefois aussi il paraissait parler : il semblait vouloir montrer qu’il
était en Croix pour nous, par amour pour nous, pour nous attirer à son amour,
qu’il a toujours un amour nouveau pour nous, que son amour du commencement et
de l’année 33 est toujours celui d’aujourd’hui et qu’il sera toujours.
La Sainte Vierge pleurait presque tout le temps qu’Elle me parla. Ses larmes
coulaient une à une lentement jusque vers ses genoux ; puis, comme des
étincelles de lumière, elles disparaissaient. Elles étaient brillantes et
pleines d’amour. J’aurais voulu La consoler, et qu’Elle ne pleurât plus. Mais
il me semblait qu’Elle avait besoin de montrer ses larmes pour mieux montrer
son amour oublié par les hommes. J’aurais voulu me jeter dans ses bras et lui
dire : « Ma bonne Mère, ne pleurez pas ! je veux vous aimer pour
tous les hommes de la terre. » Mais il me semblait qu’Elle me
disait : « Il y en a tant qui ne me connaissent pas ! »
J’étais entre la mort et la vie, en voyant d’un côté tant d’amour, tant de
désir d’être aimée, et d’un autre côté tant de froideur, tant d’indifférence...
Oh ! ma Mère, Mère toute, toute belle et tout aimable, mon amour, cœur de
mon cœur !...
Les larmes de notre tendre Mère, loin d’amoindrir son air de majesté, de
Reine et de Maîtresse, semblaient, au contraire, l’embellir, la rendre plus
aimable, plus belle, plus puissante, plus remplie d’amour, plus maternelle,
plus ravissante ; et j’aurais mangé ses larmes, qui faisaient sauter mon
cœur de compassion et d’amour. Voir pleurer une Mère, et une telle Mère, sans
prendre tous les moyens imaginables pour la consoler, pour changer ses douleurs
en joie, cela se comprend-il ? Ô Mère plus que bonne ! Vous avez été
formée de toutes les prérogatives dont Dieu est capable ; vous avez comme
épuisé la puissance de Dieu ; vous êtes bonne, et puis bonne de la bonté
de Dieu même ; Dieu s’est agrandi en vous formant son chef-d’œuvre
terrestre et céleste.
La Très Sainte Vierge avait un tablier jaune. Que dis-je, jaune ? Elle
avait un tablier plus brillant que plusieurs soleils ensemble. Ce n’était pas
une étoffe matérielle, c’était un composé de gloire, et cette gloire était
scintillante et d’une beauté ravissante. Tout en la Très Sainte Vierge me
portait fortement, et me faisait comme glisser à adorer et à aimer mon
Jésus dans tous les états de sa vie mortelle.
La Très Sainte Vierge avait deux chaînes, l’une un peu plus large que
l’autre. À la plus étroite était suspendue la Croix dont j’ai fait mention plus
haut. Ces chaînes (puisqu’il faut donner le nom de chaînes) étaient comme des
rayons de gloire d’un grand éclat variant et scintillant.
Les souliers (puisque souliers il faut dire)89
étaient blancs, mais un blanc argenté, brillant ; il y avait des roses
autour. Ces roses étaient d’une beauté éblouissante, et du cœur de chaque rose
sortait une flamme de lumière très belle et très agréable à voir. Sur les
souliers, il y avait une boucle en or, non en or de la terre, mais bien de l’or
du paradis.
La vue de la Très Sainte Vierge était elle-même un paradis accompli. Elle
avait en Elle tout ce qui pouvait satisfaire, car la terre était oubliée.
La Sainte Vierge était entourée de deux lumières. La première lumière, plus
près de la Très Sainte Vierge, arrivait jusqu’à nous ; elle brillait d’un
éclat très beau et scintillant. La seconde lumière s’étendait un peu plus
autour de la Belle Dame et nous nous trouvions dans celle-là ; elle était
immobile (c’est-à-dire qu’elle ne scintillait pas), mais bien plus brillante
que notre pauvre soleil de la terre. Toutes ces lumières ne faisaient pas mal
aux yeux et ne fatiguaient nullement la vue.
Outre toutes ces lumières, toute cette splendeur, il sortait encore des
groupes ou faisceaux de lumières, ou des rayons de lumière, du Corps de la
Sainte Vierge, de ses habits et de partout.
La voix de la Belle Dame était douce ; elle enchantait, ravissait,
faisait du bien au cœur ; elle rassasiait, aplanissait tous les obstacles,
calmait, adoucissait. Il me semblait que j’aurais toujours voulu manger de sa
belle voix, et mon cœur semblait danser ou vouloir aller à sa rencontre pour se
liquéfier en elle.
Les yeux de la Très Sainte Vierge, notre tendre Mère, ne peuvent pas se
décrire par une langue humaine. Pour en parler, il faudrait un séraphin ;
il faudrait plus, il faudrait le langage de Dieu même, de ce Dieu qui a formé
la Vierge Immaculée, chef-d’œuvre de sa toute-puissance.
Les yeux de l’Auguste Marie paraissaient mille et mille fois plus beaux que
les brillants, les diamants et les pierres précieuses les plus
recherchées ; ils brillaient comme deux soleils ; ils étaient doux de
la douceur même, clairs comme un miroir. Dans ses yeux on voyait le
paradis ; ils attiraient à Elle ; il semblait qu’Elle voulait se
donner et attirer. Plus je la regardais, plus je la voulais voir ; plus je
la voyais, plus je l’aimais, et je l’aimais de toutes mes forces.
Les yeux de la Belle Immaculée étaient comme la porte de Dieu, d’où l’on
voyait tout ce qui peut enivrer l’âme. Quand mes yeux se rencontraient90
avec ceux de la Mère de Dieu et la mienne, j’éprouvais au-dedans de moi-même
une heureuse révolution d’amour et de protestation de l’aimer et de me fondre
d’amour.
En nous regardant, nos yeux se parlaient à leur mode, et je l’aimais tant
que j’aurais voulu l’embrasser dans le milieu de ses yeux qui attendrissaient
mon âme, et semblaient l’attirer et la faire fondre avec la sienne. Ses yeux me
plantèrent un doux tremblement dans tout mon être ; et je craignais de
faire le moindre mouvement qui pût lui être désagréable tant soit peu.
Cette seule vue des yeux de la plus pure des Vierges aurait suffi pour être
le Ciel d’un bienheureux ; aurait suffi pour faire entrer une âme dans la
plénitude des volontés du Très-Haut parmi tous les évènements qui arrivent dans
le cours de la vie mortelle ; aurait suffi pour faire faire à cette âme de
continuels actes de louange, de remerciement, de réparation et d’expiation.
Cette seule vue concentre l’âme en Dieu et la rend comme une morte-vivante, ne
regardant toutes les choses de la terre, même les choses qui paraissent les
plus sérieuses, que comme des amusements d’enfants ; elle ne voudrait entendre
parler que de Dieu et de ce qui touche à sa Gloire.
Le péché est le seul mal qu’Elle voit sur la terre. Elle en mourrait de
douleur si Dieu ne la soutenait. Amen91.
Castellamare, le 21 novembre 1878.
MARIE DE LA CROIX, Victime de Jésus,
née MÉLANIE CALVAT, Bergère de la Salette.
née MÉLANIE CALVAT, Bergère de la Salette.
Nihil-obstat ; imprimatur.
Datum Lycii ex Curia Epii, die 15 Nov. 1879.
CARMELUS Archus COSMA,
Vicarius Generalis.
Vicarius Generalis.
ORAISON FUNÈBRE
DE
SOEUR MARIE DE LA CROIX,
NÉE MÉLANIE CALVAT,
BERGÈRE DE LA SAIETTE
prononcée à Messine et, au Service
anniversaire,
dans la Cathédrale d’Altamura,
par le Chanoine Annibal-Marie de France,
publiée avec l’imprimatur de Monseigneur Letterio,
archevêque de Messin
dans la Cathédrale d’Altamura,
par le Chanoine Annibal-Marie de France,
publiée avec l’imprimatur de Monseigneur Letterio,
archevêque de Messin
« Cantabiles mihi erant justificationes
tuae in loco peregrinationis meae. »
« J’ai chanté vos justifications dans le lieu de mon pèlerinage. » (Ps. 118, 54.)
« J’ai chanté vos justifications dans le lieu de mon pèlerinage. » (Ps. 118, 54.)
Une créature angélique, un pur idéal d’innocence et de vertu, une existence
humaine sans tache, très suave, pleine des plus saintes aspirations de Dieu, de
sa gloire et de son éternel Amour, est passée par cette vallée de larmes.
Quand une personne aimée de nous s’envole dans la mort, il en reste un vide
que l’on voudrait combler par le souvenir de la chère mémoire et par des larmes
répandues sur la tombe qui renferme la dépouille aimée. La religion sanctifie
ce sentiment et l’élève au sublime. Elle nous convoque à des cérémonies
funèbres, met sur nos lèvres des prières et des cantiques pour nos défunts,
nous fait assister au grand Sacrifice de l’Expiation et écrit sur la tombe de
ceux qui ne sont plus : Qui credit in me, etiam si mortuus fuerit,
vivet.
Mais, quand se présente le cas exceptionnel que la personne défunte et
regrettée à été l’une de ces âmes rares, consacrées aux plus hautes
perfections, dans lesquelles se trouve un je ne sais quel air surnaturel et
divin, quand ses affections ne se sont pas trouvées renfermées aux seules
limites de la nature, mais ont présenté l’empreinte de l’éternelle Charité,
quand les phases de sa vie et de sa mort sont accompagnées d’évènements et de
circonstances qui sortent de l’ordinaire, oh ! alors la tombe de cette
créature d’élection est un autel, sa mémoire une bénédiction, les cérémonies
funèbres elles-mêmes, les notes plaintives de l’orgue et les voix lugubres des
chantres se changent en un hymne de fête, ou bien forment l’écho de ces
célestes cantiques dont les anges accompagnent cette âme accomplissant son
pèlerinage au royaume de la Gloire.
Et telles sont bien les solennelles obsèques et les cérémonies dont nous
offrons aujourd’hui le tribut à notre bien-aimée défunte, à MÉLANIE CALVAT, la
célèbre bergerette de la Salette.
Des sentiments d’affection et de foi, une intime reconnaissance et une
sainte vénération, voilà les émotions que nous ressentons, nous souvenant
d’elle à la face de Dieu et des hommes. Elle nous a appartenu : il fut
grand l’amour qu’elle eut pour nous, grand aussi l’amour dont nous l’avons
aimée. Maintenant, nous cherchons un soulagement à notre douleur, nous voulons
nous mettre en rapport avec cette chère âme, belle, innocente, tout imprégnée
de l’amour de JÉSUS et de MARIE, qui, néanmoins, palpite pour nous ; nous
voulons l’invoquer sur la terre pour quelle nous entende du Ciel ; nous voulons
demander sa médiation pour qu’elle le prie pour nous.
Vous, jeunes sœurs qui, avec vos orphelines, l’avez eue plus d’une année,
comme votre Mère et votre Maîtresse de sublime vertu, vous éprouvez bien vif le
besoin de témoigner à cette sainte âme, une fois de plus, combien sont grands
vos sentiments de vénération, de tendresse et d’amour pour elle.
Ainsi donc, courage, contemplons-la dans la Foi, brillante et souriante,
bien qu’invisible à nous dans ce saint temple (innixa dilecto suo),
appuyée sur son Bien-Aimé, et commençons son éloge après avoir invoqué le nom
de JÉSUS.
MÉLANIE de la Salette naquit à Corps, petit bourg de France, dans le diocèse
de Grenoble, le 7 novembre 1831, de parents respectables. Son père était maçon
et scieur de long et se nommait PIERRE CALVAT. Sa mère se nommait JULIE BARNAUD.
Les historiens de la célèbre apparition de la Très Sainte Vierge à la
Salette disent qu’avant ce grand évènement, MÉLANIE n’était qu’une pauvre
petite bergère fruste et ignorante, incapable d’apprendre le Pater. Mais
combien ils se trompent ! De grands mystères s’étaient déroulés entre DIEU
et son âme, depuis son enfance. Son bon père, quand elle n’avait que trois ans,
lui montra un Crucifix et lui dit : Vois, ma fille, comme Notre Seigneur JÉSUS-CHRIST
a voulu mourir sur la Croix par amour pour nous ! La petite fille fixa des
regards attentifs et, comme éclairée d’une lumière supérieure, sembla avoir
pénétré en silence le sens intime de cette parole et de cette image. Depuis
lors, une impulsion intérieure la poussait à l’amour de la Croix et du
Crucifié. Avec une intelligence incomparablement au-dessus de son âge, elle
disait : « Le Crucifix de mon père ne parle pas, mais il prie en
silence, je veux l’imiter, je me tairai et je le prierai en silence. » C’est
ainsi qu’elle se préparait à la contemplation. La mère de la petite fille,
femme non méchante, mais colère, la grondait sans cesse et lui intimait l’ordre
de sortir de la maison. La petite MÉLANIE souriait néanmoins et s’efforçait
d’embrasser cette mère irritée. Un jour, elle avait près de cinq ans, sa mère
lui ordonna de s’en aller et de ne plus revenir. La pauvre petite se retira
dans un bosquet voisin et se plaignant de son triste sort, comme elle écrit
dans quelques-uns de ses mémoires, elle s’assit au pied d’un arbre, lasse et
oppressée, et s’y endormit. Un songe mystérieux se présenta à elle et fut comme
le prélude de toute sa vie, de tout son pèlerinage terrestre. Il lui sembla
voir l’enfant JÉSUS, du même âge qu’elle, vêtu d’une robe rose, qui,
l’abordant, lui dit : « Petite sœur, ma chère petite sœur, où
allons-nous ? » Poussée par un instinct divin, elle répondit :
« Au Calvaire. » Alors, le céleste enfant la prit par la main et la
conduisit sur la montagne sainte. Pendant ce voyage, le ciel se couvrit de
nuages et s’obscurcit, et une grande pluie de croix de toutes dimensions lui
tomba sur les épaules. Une foule de gens lui adressaient des injures et lui
témoignaient leur mépris. Effrayée, elle serra la main de son guide céleste,
dont elle avait perdu la vue agréable au milieu des ténèbres. Tout à coup, elle
lâcha la main qui la conduisait et tomba dans une profonde désolation.
Néanmoins, le voyage se termina et elle arriva sur le Calvaire. Là il se passa
une scène horrible. En bas, il s’ouvrit un gouffre de feu, dans lequel des
multitudes de gens se précipitaient ; l’âme épouvantée, et obéissant à une
impulsion divine, elle s’offrit comme victime de toute souffrance pour le salut
éternel des âmes, pour la conversion des pécheurs.
À ce moment, la petite fille s’éveilla ; le soleil apparaissait à
l’horizon, ce songe avait duré toute la nuit.
De retour à la maison paternelle, elle ne raconta rien de ce qui s’était
passé cette nuit, mais garda le silence pour imiter le Crucifix de son père.
Une vie nouvelle de souffrance et de recueillement commençait pour elle. Le
céleste enfant qu’elle avait vu en songe lui est toujours présent à la pensée,
elle lui parle dans le plus intime secret de son cœur, elle lui offre ses
travaux et ses souffrances, et il lui semble qu’il l’appelle toujours du doux
nom de « petite sœur, ma chère petite sœur », au point que, chaque
fois qu’on lui demandait quel était son nom, elle répondait avec une grande
simplicité : « Petite sœur ».
Ainsi cachée et absorbée par les précoces contemplations d’une vie remplie
d’immenses grâces du ciel (dont la révélation causera sans doute une grande
surprise dans le monde religieux), cette créature d’élection, dès son jeune
âge, buvait en silence le calice des humiliations et des mépris, chassée
inhumainement plusieurs fois de la maison maternelle, et envoyée, çà et là, au
service de plusieurs familles de paysans.
Un jour, sa mère irritée voulant, en quelque sorte, s’en défaire, la mit,
par punition (elle nous l’a dit, il y a quelques années, en souriant), en
service sur les montagnes alpestres de la Salette, dans une pauvre famille de
paysans qui lui confièrent le soin de mener leurs vaches au pâturage.
Ces montagnes appartiennent à la grande chaîne des Alpes françaises, élevées
de près de 2 000 mètres au-dessus du niveau de la mer. Là, l’hiver est
très rigoureux, mais quand une belle journée de printemps ou d’été y fait
briller les rayons du soleil, elles offrent un spectacle sublime et enchanteur.
Au loin, tout en haut, à l’horizon, une ceinture de montagnes escarpées, ici
des vallées profondes et, tout autour, des collines et des plateaux revêtus de
verts tapis d’herbe mêlée de petites fleurs sauvages. Ce lieu solitaire, où
l’on ne voyait presque jamais un être humain, fit vite les délices de cette âme
innocente, cachée, séparée du monde et comme intimement unie à son Créateur.
Alors, elle goûtait les paroles du docteur de Clairvaux : « Ô
bienheureuse solitude, ô seule béatitude ! »
Mais quels étaient les mystères du divin amour qui se déroulaient dans ces
lieux solitaires entre cette âme choisie et son Dieu ? Il a été dit :
« Je la conduirai dans la solitude et je parlerai à son cœur. » Elle
prenait plaisir, pendant que ses vaches paissaient, à parler avec les
fleurettes du Bon Dieu, comme elle le disait, à les inviter à louer le
Créateur, et à les plaindre de ne pouvoir l’aimer.
Le 19 septembre 1846, un samedi, survint, sur la montagne de la Salette,
cette célèbre apparition de la Très Sainte Vierge à l’heureuse bergerette et au
petit MAXIMIN, qui, pour huit jours, venait, lui aussi, sur cette montagne avec
ses vaches.
La Sainte Mère de DIEU apparut avec les signes de la Passion, pleurant
pendant tout le temps qu’elle parla aux deux bergers, menaça des châtiments
divins à cause du mépris et de la profanation du Dimanche et confia deux
secrets, l’un à MÉLANIE et l’autre à MAXIMIN. Avant de disparaître, la Sainte
Vierge avait dit : « MES PETITS ENFANTS, TOUT CE QUE JE VIENS DE VOUS
CONFIER, FAITES-LE SAVOIR À MON PEUPLE. »
Cet ordre de la Très Sainte Vierge fut le point de départ d’un autre genre
de vie pour la jeune bergère. Elle fut comme arrachée à sa chère solitude,
enlevée à l’oubli et au mystère de sa vie cachée, et investie d’une mission qui
devait lui causer des douleurs et des larmes, des ovations et des mépris, la
vénération et la calomnie, et de longues pérégrinations de pays en pays.
« Cantabiles mihi erant justificationes tuae in loco peregrinationis
meae. »
Ce ne fut que grâce à une continuelle assistance surnaturelle qu’elle put
résister et persévérer jusqu’à la fin.
L’apparition de la Salette a été une manifestation de la Mère des Douleurs.
La Très Sainte Vierge était apparue pendant les vêpres qui précédaient la fête
de Notre-Dame des Sept Douleurs. Elle avait un crucifix sur sa poitrine, ainsi
que le marteau et les tenailles, symbole éloquent de la mère broyée et désolée.
À partir de ce moment, MÉLANIE fut appelée à participer plus intimement aux
peines de JÉSUS et de MARIE.
Chassée de France par Napoléon III, elle alla en Angleterre et fit sa
profession parmi les Carmélites de Darlington.
Quand vint le moment de publier le secret de la Salette, elle fut relevée de
ses vœux par Pie IX et, depuis ce jour, qui pourrait dire les multiples
vicissitudes traversées par cette créature unique ?
Encore jeune, avec ses vingt-six ans, elle se trouve seule dans le monde,
fugitive, errant à l’aventure, un peu dans un pays, un peu dans un autre. Mais
son esprit comme son cœur se trouvaient toujours concentrés sur un seul
point : l’accomplissement de la volonté divine. En quelque lieu qu’elle se
portât, il semblait qu’autour d’elle l’atmosphère se purifiait et, à son
aspect, chacun était frappé de sa modestie, de sa suavité et même de son
silence. Quand elle se trouvait dans une église, son recueillement et son
attitude humble faisaient entrevoir quelque chose de sa sainteté cachée. Elle
restait ignorée partout où elle se rendait, mais lorsque, après un certain
temps, elle était reconnue et devenait un sujet de vénération, la pure colombe
du Seigneur prenait son vol vers d’autres régions.
En religion, elle avait pris le nom de Sœur Marie de la Croix et elle le
conserva toujours. Dieu la voulait sans cesse crucifiée.
Douée d’une sensibilité exquise, d’un esprit sagace et pénétrant, profonde
et intime dans ses affections, très sensible dans sa compassion des misères
humaines, très généreuse pour le Zèle de la gloire divine et le salut des âmes,
elle passa toute sa vie en une agonie spirituelle que l’on ne pourra comprendre
qu’en DIEU. Ses journées et ses nuits furent remplies de ses pleurs continuels
et de ses gémissements de mystique colombe. La plainte de la Très Sainte Vierge
sur la montagne de la Salette était toujours présente à son esprit, elle y
associait ses larmes qui, à la fin, allèrent jusqu’à faire baisser sa vue. Mais
les rayons vifs et pénétrants de ses yeux noirs pleins d’intelligence et
contemplatifs ne furent pas amoindris.
C’est à l’école de la souffrance que se façonnent les trempes fortes et
robustes de l’esprit. Mais quelle différence entre les héros de la religion et
ceux du siècle ! La souffrance des Saints, c’est l’imitation de JÉSUS-CHRIST,
le pur amour de DIEU, l’amour de la Croix, le triomphe de la grâce sur
l’humaine faiblesse, c’est une souffrance qui se réjouit de donner une preuve
d’amour à l’Aimé, qui s’enivre dans la souffrance elle-même et lui fait prendre
part à cette soif Mystérieuse qui faisait crier au Divin Rédempteur sur la
montagne du Sacrifice : « Sitio », J’ai soif !
La souffrance des âmes qui aiment DIEU a des motifs très élevés et des fins
sublimes. Le cœur, l’âme, les sens sont mis comme en un creuset parce que DIEU
n’est pas aimé, parce que l’on craint de l’offenser, ou souvent parce que, dans
le secret de l’esprit, le vivant Soleil de la Divine Présence se trouve comme
obscurci, ou simplement parce que l’âme aimante voudrait comme s’anéantir afin
que Dieu fût glorifié, ou parce qu’elle voudrait s’échapper du corps et voler
vers les divines caresses, et que l’heure et la minute ne sont pas arrivées.
C’est ce qui faisait crier au Prophète : Hélas, mon pèlerinage n’a pas
encore assez duré !
Telle était la souffrance de cette créature privilégiée. Quelles ont été ses
tribulations intérieures, d’un genre plus qu’ordinaire, ce n’est pas ici le
lieu de les dépeindre. Elle a confié à une personne que, toute jeune encore,
elle eut dix années d’enfer dans son esprit. Alors on la crut folle ou
hallucinée, alors on la conduisit à la Grande Chartreuse. Néanmoins, chose
merveilleuse que l’on ne rencontre que dans la vie des Saints, elle-même
n’était jamais rassasiée de souffrir pour JÉSUS-CHRIST. Elle disait dans ses
transports : « Je demande au Seigneur de me faire souffrir et de me
cacher. » Véritable caractère d’une vertu solide et d’une profonde
humilité.
Et ici, je ne dois pas passer sous silence un long et saint martyre que
souffrit cette sainte privilégiée pendant toute sa vie.
Admettant, bien qu’avec une foi purement humaine, l’apparition de la Très
Sainte Vierge à la Salette, nous pouvons également admettre, en raison de diverses
déclarations explicites de MÉLANIE CALVAT, que la Très Sainte Vierge, dès
qu’elle lui eut confié un secret, lui aurait ensuite révélé qu’il sortirait de
la Sainte Église un insigne ordre religieux, dit des nouveaux Apôtres ou des
Missionnaires de la Mère de DIEU, qui seront répandus par tout le monde et
feront un bien immense à la Catholicité. Cette congrégation comportera un
second ordre et un Tiers-Ordre. Ils seront enflammés, pour la gloire de DIEU et
le salut des âmes, d’une ardeur semblable à celle des premiers Apôtres. Les
paroles contenues dans le Secret de MÉLANIE et par lesquelles la Très Sainte
Vierge annonce la formation de ce grand ordre religieux n’ont, en vérité, rien
de notre humanité ; elles respirent un souffle divin, elles sont la simplicité
mise en harmonie avec le sublime. La Très Sainte Vierge, après avoir annoncé
cet évènement futur, donna à MÉLANIE la règle que devait suivre ce nouvel ordre
religieux. Cette règle, MÉLANIE la conserva de mémoire dans son esprit pendant
douze ans, sans l’avoir écrite. « Il semblait qu’elle était imprimée en
moi », disait-elle. Plus tard, le moment marqué par la Très Sainte Vierge
pour la divulgation du Secret étant arrivé, MÉLANIE écrivit cette règle, mais
alors il lui devint impossible de bien la conserver présente à la mémoire.
Cette règle fut soumise au jugement d’une commission de cardinaux de la
Sainte Église et jugée par eux irréprochable. Elle est comme un chapitre de
l’Évangile et contient la quintessence de la perfection chrétienne mise en pratique
avec la plus grande douceur et avec charité.
Or MÉLANIE souffrit pendant toute sa vie une agonie spirituelle, dans
l’attente de voir l’accomplissement de la parole de la Très Sainte Vierge et
l’organisation des nouveaux Apôtres de la Sainte Église. Loin de là, elle fut
témoin des persécutions que la dévotion à Notre-Dame de la Salette eut à
supporter, par la volonté de Dieu, et au point qu’à chaque persécution, cette
dévotion semblait devoir s’anéantir. Ses regards étaient toujours tournés vers
Rome, attendant que la suprême autorité de l’Église couronnât de gloire et
d’honneur la Salette, et qu’il en sortît enfin la fondation après laquelle elle
soupirait. Mais la prudence du Saint-Siège en pareille affaire et la divine
Providence qui règle et dispose tout avaient amené cette sainte créature à une
continuelle et parfaite résignation à la volonté divine. Alors, elle aura dit
avec Ezéchias : « Ecce in pace amaritudo mea amarissima ! »
Souvent, elle se considérait elle-même comme un obstacle à l’accomplissement du
plan divin, et alors elle s’anéantissait devant Dieu, se mortifiait de
différentes manières et souhaitait la mort, soupirait après elle, la demandait
dans ses prières.
C’est de cette manière que cette pauvre exilée sur la terre chantait le cantique
de ses destinées. « Cantabiles mihi erant justificationes tuae in loco
peregrinationis meae. »
Si celle qui apparut sur la montagne de la Salette fut la Très Sainte Vierge
Marie, la Mère immaculée de DIEU, si ce fut cette Mère incomparable qui confia son
secret à MÉLANIE et à MAXIMIN et donna une règle très sainte pour un nouvel
ordre religieux très nombreux des derniers Apôtres, qui pourra douter que la
promesse de la Reine du Ciel doit recevoir son entier accomplissement ?
Dans ce cas, réjouis-toi, ô innocente bergère de la Salette, réjouis-toi en DIEU,
ô âme choisie entre mille ; ton long martyre n’a été qu’une préparation à
une grâce si ineffable ! Le sacrifice de ta vie simple, offerte en
holocauste à travers les souffrances et les mortifications de toutes sortes,
sera béni de JÉSUS et de MARIE, et son fruit sera une génération d’élus. Et qui
pourra les nommer ? Generationes ejus, quis enarrabit ?
Que DIEU est admirable dans ses œuvres ! La vie humble, cachée et
pénitente de MÉLANIE sera devenue, en face de l’infinie bonté de DIEU, un titre
à sa miséricorde en faveur de l’humanité ; la vie de MÉLANIE, qui
commençait à être connue et admirée, maintenant qu’elle-même est séparée de ce
monde, sera peut-être un motif pour hâter cette divine règle, dictée par la
Très Sainte Vierge et, par suite, les biens immenses qui pourront en découler.
DIEU connaît le chemin des cœurs. Il est écrit que belles sont les voies de
la Sagesse : « Viae ejus viae pulchrae. » Lorsque dans la
vie d’une sainte créature, à une solide vertu se trouve joint un ensemble de
situations diverses, d’évènements et de fruits intrinsèques et extrinsèques,
dans lequel le beau, le sublime, le pathétique frappent, attirent, envahissent
le cœur et l’imagination, alors tout l’homme est conquis et gagné à la vérité.
J’ai cru découvrir quelque chose de semblable dans cette vie et dans les
diverses péripéties traversées par cette élue du Seigneur, au point de ne
savoir s’il fut, à notre époque, dans le monde, une autre qui pût lui être
comparée. Les quelques mémoires qu’elle écrivit sur elle-même, par obéissance,
mettront le comble à ces merveilles. Tout d’abord, c’est une petite fille qui
habite dans les bois, souvent entourée d’animaux sauvages et d’oiseaux divers,
se jouant avec les uns comme avec les autres : puis c’est une jeune
bergère solitaire qui conduit les moutons et les vaches dans les endroits
escarpés et sauvages et là, assise à l’ombre d’un arbre touffu, prie ou cause
avec les fleurs.
Mais voici que les grandes splendeurs du surnaturel l’environnent, la
transportent jusqu’au ciel. La Toute Belle, Celle qui est lumière, amour,
grâce, poésie de l’infini, la Vierge Marie se montra à Elle, lui parla. Voici
que le nom de la petite bergère inconnue vole de bouche en bouche et remplit le
monde.
Oh ! combien ont envié son sort ! Combien ont désiré la
voir ! la vénérer ! combien ont essayé de baiser au moins le bord de
ses vêtements. Mais la voici devenue plus belle encore du soin continuel et
plein d’humilité qu’elle prenait de se cacher ! L’heureuse bergère devient
aussitôt une vierge sacrée, vouée à l’Époux Céleste.
Les habits de la pénitence, le silence des saints cloîtres donnent un nouvel
éclat à sa beauté céleste. Elle était alors dans la fleur de ses vingt ans.
D’ici peu d’années, la bergère de la Salette, l’habitante des bois, la
virginale colombe se trouve vouée au pèlerinage du monde, elle entre dans une
nouvelle phase de son existence qui doit durer toute sa vie. Pendant cinquante
ans environ, Mélanie de la Salette accomplit une mission ou un sacrifice auquel
Dieu la destinait par ses fins impénétrables. Une vie nomade, errante, de pays
en pays, toujours dans l’espoir d’en trouver un où elle pût se cacher à tous,
et où les hommes n’offenseraient pas DIEU ! « Quelques-uns, me
disait-elle un jour, croient que je me plais à voyager et à aller de çà, de
là ! mais combien ils se trompent ! » Et combien elle avait de
motifs pour justifier ses pérégrinations !
Mais une halte de la sainte élue du Seigneur dans ses divers pèlerinages
nous vaut le doux, le suave souvenir de notre ville de Messine et de ce pieux
Institut religieux de charité. Il est bien juste que nous évoquions cette
sainte mémoire et que nous vous en entretenions quelque peu, puisque c’est pour
Elle que nous sommes ici recueillis au pied du Saint Autel et que nous
célébrons cette cérémonie funèbre.
Messine, la cité de Marie très sainte, a reçu de tout temps les marques
particulières de l’amour de Celle qui lui a promis sa protection perpétuelle.
Il y a sept ans que MÉLANIE de la Salette vint demeurer ici, pendant un an et
18 jours. Son arrivée fut précédée de quelques signes qui tiennent du miracle.
Ce qui donna naissance à un si grand bien fut que notre Institut traversait
alors une période de difficultés telle qu’il semblait devoir être supprimé.
Depuis quelque temps, un séjour de peu d’heures à Castellamare di Stabia
m’avait fait souvenir de ce que je savais par la renommée, c’est-à-dire, que la
Bergère de la Salette se trouvait là ! Grand fut mon désir de la
connaître, mais ce fut en vain ; parce que cette colombe fugitive avait
porté ailleurs son nid. Elle se trouvait à Galatina, diocèse de Lecce. Il me
resta un vide dans le cœur.
De retour à Messine, j’en écrivis à Mgr Zola, d’heureuse mémoire, alors
évêque de Lecce, qui me donna gracieusement l’adresse de MÉLANIE, et bientôt
j’entrai en correspondance avec la servante du Seigneur. Oh ! quel parfum
de Sainteté me semblait s’exhaler de ses lettres. Je m’en trouvais transporté
au Paradis ! Un jour elle m’écrivit qu’elle allait quitter Galatina, mais
qu’elle ne ferait connaître à personne sa nouvelle adresse. Cela me surprit et
je me décidai à aller la trouver pour l’inviter à venir à Messine dans notre
Institut. Ce fut pour moi comme un voyage de dévotion vers la Sainte
Vierge ; je souriais à la pensée de voir et d’entendre parler cette
heureuse créature qui avait vu la Sainte Mère de DIEU et l’avait entendue
parler.
J’ai vu Mélanie dans sa pauvre demeure, j’ai conversé avec elle, je l’ai
entendue raconter la Grande Apparition de la Salette ; et saintes et
profondes furent mes émotions. Je l’invitai à venir à Messine, mais elle ne se
décida pas. Elle me parla avec affection de Messine, me dit qu’elle portait sur
elle, imprimée, la lettre de la Très Sainte Vierge aux habitants de Messine92,
et me la montra traduite en français. Finalement, elle ne se décida pas. De
retour, je trouvai mon pauvre institut près de sa fin. Alors, je m’enhardis à
exposer cette situation à l’Élue du Seigneur et lui renouvelai l’invitation,
lui demandant de venir au moins pour une année. Immédiatement elle me répondit
qu’elle acceptait, et qu’elle viendrait dans le but d’organiser et de former
cette Communauté des Filles du Divin Zèle du Cœur de JÉSUS, qui sont préposées
à l’éducation des orphelines recueillies, et qui ont embrassé la sainte Mission
d’obéir, par vœu, au précepte du Divin Zèle du Cœur de JÉSUS, Rogate ergo
Dominum.
Oh ! mes filles en Jésus-Christ, quel bonheur pour vous ! MÉLANIE,
la fille de prédilection de MARIE Très Sainte, la créature sage, noble et
aimable, a été l’Éducatrice et en quelque sorte la fondatrice de votre humble
Institut.
Vous ne pourrez jamais oublier quel jour heureux fut celui de sa venue parmi
vous. C’était le 14 septembre 1897, le cinquième jour de la neuvaine de N.-D.
de la Salette, le Saint jour de l’Exaltation de la Sainte Croix ;
admirable mais inévitable coïncidence de la part de Celle qui, sur la montagne
de la Salette, avait vu la Très Sainte Vierge et devait changer son nom en
celui de Sœur Marie de la Croix. Il était 10 heures du matin quand Sœur Marie
de la Croix se présenta sur cette place du Saint-Esprit, je l’attendais au
seuil de ce Saint Temple. En la voyant, je ne pus m’empêcher de m’écrier :
D’où me vient tant d’honneur qu’une préférée de la Mère de DIEU vient me
trouver ? Mais elle, se mettant de suite à genoux, demanda la bénédiction
du prêtre, ensuite elle entra dans la maison du Seigneur et assista dans un
profond recueillement au Très Saint Sacrifice de la Messe. Vous toutes, mes
sœurs, ainsi que vos orphelines, vous l’attendiez dans la grande salle du
parloir. Vous étiez dans une sainte attente, comme si, à travers une créature
terrestre, vous eussiez dû voir la Très Sainte Vierge en personne. Et non
seulement la voir, mais la posséder au milieu de vous ; quel guide
maternel et quelle Maîtresse ! À son entrée, accompagnée de moi, vous êtes
tombées à genoux, saisies de respect et d’affection et vous avez demandé sa bénédiction.
Mais l’humble servante du Seigneur, confuse, se prosterna elle-même à terre
et demanda la bénédiction du ministre de DIEU pour elle et pour vous. Telle fut
son arrivée dans notre pauvre Institut.
Je ne veux pas vous rappeler davantage les merveilles qu’elle opéra ici. Mon
DIEU ! nous avons assisté à des manières d’agir non communes ! Tout,
dans cette créature, était nouveau et souvent mystique. Assurément la vertu qui
était en elle et transperçait faisait souvenir des vies des Saints. Tout
d’abord elle était d’une charmante innocence : c’était une colombe très
pure qui semblait avoir plané au-dessus de toutes les misères humaines sans
avoir été effleurée d’une seule goutte. C’était un lis parfumé de virginité,
c’était une toute petite enfant sortant des fonts baptismaux, mais cependant
riche en prudence et en sagesse. Plus d’une fois, nous avons vu des oiseaux
entrer dans le Monastère et jusque dans sa chambre, comme s’ils la cherchaient
pour jouer avec elle.
L’esprit de mortification et de pénitence qui l’animait était remarquable.
Elle prenait excessivement peu de nourriture, à peine quelques onces, et
l’absorbait à petites bouchées. À Galatina, un kilogramme de pain lui durait
quinze jours. Chez nous, elle en prenait à peine une once ou deux par jour.
Elle buvait également fort peu, et jamais à pleines gorgées. Avant d’être parmi
nous, elle restait par semaines trois jours consécutifs sans boire et
disait : « Il y a de si grandes soifs par le monde ! » Le
jour de Pâques, nous l’avons vue solenniser à table cette grande Fête, en
prenant la moitié d’un œuf ! Jamais un fruit, jamais une douceur. Son
sommeil ne dépassait pas trois heures et toujours sur la terre nue, comme vous
avez pu le constater, mes sœurs. Combien de fois, dans le calme de la nuit, l’avez-vous
vue passer, une lumière à la main, à travers les dortoirs ! Que
dirons-nous des macérations de son corps virginal ? Que signifiaient ces
linges couverts aux épaules de sang frais, que vous avez eu occasion de trouver
en mettant ses vêtements à la lessive ? Que signifiait cette table toute
hérissée de clous disposés en croix, qui donnait le frisson et que nous
conservons avec des traces de taches de sang ?
Néanmoins, calme, sereine, tranquille, consommée dans la vertu et la
souffrance, elle semblait extérieurement n’avoir rien ressenti ; gracieuse
et délicate dans sa démarche, ses manières et son langage, et comme si en elle
les contrastes s’étaient harmonisés, elle était recueillie et sociable, humble
et imposante, aimable et réservée, forte et soumise, et celle qui était restée
une toute petite enfant semblait supérieure à une personne adulte et mûre. Elle
était, en réalité, simple comme la colombe et prudente comme le serpent.
Je voudrais avoir le langage d’un ange pour vous parler de notre MÉLANIE et
vous donner une idée de son amour ardent pour Notre Seigneur JÉSUS-CHRIST et la
Très Sainte Vierge MARIE. En vérité, sa vie fut une vie d’amour ! Elle
aimait DIEU du pur amour, et les flammes de cet incendie mystique la
consumaient tantôt plus, tantôt moins. Tous les sens, toutes les fibres, toutes
les facultés de cette créature de DIEU tressaillaient d’amour. Vous vous
souvenez avec quel transport d’amour elle se nourrissait, toute une journée, de
JÉSUS au Saint-Sacrement. C’était son expression : « Ce que j’aime,
je voudrais le manger ! »
Ah ! j’ai mis à une épreuve son amour pour le Saint-Sacrement un jour
que, inopinément et sans qu’elle s’y attendît, je lui défendis de s’approcher
de la Sainte Communion. Elle tressaillit, se trouva mal et tomba à terre comme
morte. J’ai pu alors me faire une idée de ce qu’est un véritable esprit de
vertu, quand, ayant repris ses sens, elle parut pendant tout le reste de cette
journée aussi douce, aussi humble, aussi suave, et même davantage ; et
moins que jamais, vous n’avez pu vous défendre de votre admiration habituelle.
Mais le pur amour de DIEU engendre le zèle de sa gloire et du salut des âmes.
Le zèle, a dit le Saint Évêque de Genève, est la flamme de la charité. Grand
était le zèle qui brûlait dans le cœur virginal de Mélanie. Elle aurait voulu
s’immoler à chaque instant pour que DIEU fût glorifié, JÉSUS connu et aimé en
tous lieux, et toutes les âmes sanctifiées et sauvées. Sa foi vivante et son
zèle ardent lui faisaient considérer les prêtres comme de nouveaux Christs,
et lui faisaient désirer que le Monde fût rempli de vrais Ministres du
Sanctuaire.
Je ne doute pas que, pour ce motif, elle n’ait vivement aimé notre humble
institut, et que, depuis qu’elle l’a connu, elle ne l’ait porté toujours en son
cœur, en faisant l’objet de ses ardentes prières, parce que nous avions pris
pour notre devise et notre mission cette grande parole de l’Évangile, ce
céleste précepte sorti du divin zèle du Cœur de JÉSUS : Rogate ergo
Dominum Messis ut mittat operarios in Messem suam.
Oh ! mes Sœurs, cette prière que vous récitez dévotement tous les
jours, combien elle l’avait à cœur ! elle voyait dans cette humble
institution sortie de ses mains et dans cet esprit de prière comme le
précurseur de sa chère fondation des nouveaux Apôtres ou des Missionnaires de
la Mère de DIEU. Elle voulut même attacher à son vêtement le scapulaire du Cœur
de JÉSUS portant cette parole sacrée, qui forme notre devise :
« Demandez au maître de la moisson d’envoyer des ouvriers à son
champ », et ce ne sera ni vous, ni moi, mes sœurs, qui donnerons un
démenti à cette réflexion qu’elle me fit un jour, en français : « Je
suis de votre Congrégation. »
Je renonce à décrire les merveilles dont vous ou moi avons été témoins
pendant que MÉLANIE demeura parmi nous. Je ne dis rien de ses recueillements
subits, dans lesquels elle semblait hors de ses sens et comme ravie en
extase ; rien de cette sorte de divination des cœurs qui lui faisait lire
les pensées cachées, rien des deux ou trois guérisons d’orphelines survenues à
la suite d’un signe de Croix fait par elle, rien de son extraordinaire
confiance en la Très Sainte Vierge, grâce à laquelle elle semblait avoir
toujours dans les mains, et à temps voulu, les objets, la nourriture ou
l’argent, selon les besoins de la Maison. Faisons silence sur tout cela et ne
préjugeons rien des jugements autorisés qu’il appartient à l’autorité de
prononcer.
... Qu’il passa vite pour nous, le temps que nous gardâmes MÉLANIE de la
Salette ! Vint le jour de son départ ; elle en était profondément
attristée. Vous vous souvenez avec quelle humilité elle se prosternait en vous
demandant pardon à grands cris ; et vous, avec des plaintes amères, mais
hélas ! plus compréhensibles que les siennes, vous faisiez comme
elle ! « Mère, lui disiez-vous, à travers vos sanglots, vous
souviendrez-vous de nous ? nous recommanderez-vous au
Seigneur ? » Et elle : « Oui, mes filles, toujours je vous
porterai dans mon cœur ; toujours je prierai pour vous..., je vous laisse pour
supérieure la Très Sainte Vierge. »
De Messine elle alla à Moncaliéri ; de Moncaliéri en France. Elle fut à
Diou ; elle fut à Cusset. Mais un jour elle dit : « Je ne veux
pas rester en France ; je ne veux pas mourir chez les Francs-Maçons. »
C’est alors qu’elle se résolut à retourner dans sa chère Italie, chercher
quelque refuge isolé où personne ne la connût, où, dans le silence et la
solitude, elle pût se préparer à la mort. Dès ce moment, les feux du divin
amour étaient devenus en elle irrésistibles ; elle se sentait fortement
attirée au Ciel.
Altamura, de la province de Bari, ville heureuse et bénie, fut le terme de
ses pèlerinages terrestres. Elle y arriva en juin 1904. Elle avait alors 72
ans, et était comme à bout de forces. S. E. Mgr Cecchini, le très digne Évêque
des deux diocèses d’Altamura et d’Acquaviva, lui fit grand accueil : il
savait quel trésor Dieu envoyait à sa ville épiscopale ! Sur les instantes
prières de la Servante du Seigneur, il garda fidèlement le secret de sa venue.
Il la confia, sans la nommer, à la noble et pieuse famille Gianuzzi qui ne
tarda pas à constater l’extraordinaire sainteté de cette admirable étrangère,
et se prit bien vite à l’aimer autant qu’à la vénérer ; mais Elle, qui,
détachée de toute affection terrestre, chassée même de la maison de sa mère,
avait passé dans le silence et le secret les premières années de sa petite
enfance, Dieu la destinait à mourir dans une chambre étroite, dans un abandon
total, loin de la présence, loin des secours de toute créature humaine.
C’est sa coutume, à Dieu, de révéler à ses chers serviteurs le jour et
l’heure de leur mort. Avait-il réservé cette grâce à la favorite de la Très
Sainte Vierge ? nous l’ignorons. Il faut pourtant remarquer que MÉLANIE CALVAT,
trois mois avant sa mort, quitta la pieuse famille Gianuzzi en lui rendant
humblement grâces pour sa cordiale hospitalité, et se retira dans un petit
quartier de la ville, le plus écarté, là où elle pouvait le plus facilement se
cacher à tous les regards. Tous les matins elle se rendait à la cathédrale pour
y entendre la Sainte Messe et s’y nourrir de « son cher ami de
l’Eucharistie ». Rien qu’à la voir, les fidèles étaient dans l’admiration
devant le recueillement profond de cette inconnue.
Le 15 décembre de cette même année 1904, jour octave de la fête mondiale de
l’Immaculée Conception, et veille de la neuvaine préparatoire de Noël, on ne
vit pas venir à l’église la Servante du Seigneur.
Mgr l’Évêque se hâte d’envoyer chez elle son valet de chambre, s’informer si
elle a besoin de quelque chose. On frappe à la porte ; pas de réponse. On
refrappe, on refrappe avec bruit ; toujours le silence. On va vite
prévenir Monseigneur qui, soupçonnant un accident grave, avise l’autorité
civile. Celle-ci se rend sur les lieux, constate que personne ne répond, brise
la porte et entre.
La Servante du Seigneur gisait sans vie sur la terre nue.
De la sorte sont morts de grands saints à qui l’Église a donné les honneurs
des autels ; saint Paul l’ermite et sainte Marie l’Égyptienne, dans le
désert ; saint François Xavier, sur une plage ; et dans une étable,
sainte Germaine Cousin, cette bergère de France dont la vie a bien des
ressemblances avec la vie de MÉLANIE.
Remarquons pourtant que la miséricorde de Dieu, cette Providence, pleine
d’amour pour ceux qui l’aiment, avait déjà précédemment pris ses dispositions
pour sa servante. En France, avant son départ pour Altamura, elle avait été sur
le point de mourir, et, comme si elle eût été sur son lit de mort, elle avait
reçu le saint Viatique et l’Extrême-Onction. Oh ! bienheureux ceux dont la
vie est avec Jésus, dont la vie s’éteint dans l’amour de Jésus ! Beati
mortui qui in Domino moriuntur... Elle avait vécu pauvre, solitaire,
pénitente ; elle n’avait désiré que l’oubli : seule avec Dieu !
Elle voulait mourir comme elle avait vécu !
Mais saurons-nous les inventions délicates et pleines d’amour de son
Bien-Aimé, de celui qui est fidèle et vrai, dans ces solennels moments ?
Qui nous dira les secours pleins d’affection de l’Immaculée, de celle qui, sur
la montagne de la Salette, s’était montrée à elle, si belle et si
majestueuse ! Et cette assistance réconfortante des anges, ses
frères ? Tout cela a été dérobé aux regards des hommes...
Mais ce serait se tromper que de voir dans cette mort sur la terre nue la
simple conséquence imprévue d’une syncope. Non ! son lit, elle ne s’en
servait pas, la servante de Dieu, innocente pénitente. Nous l’avons déjà dit,
c’est sur la terre nue qu’elle prenait, pendant quelques heures de la nuit, son
repos et son sommeil... N’est-ce pas le cas de s’écrier : Moriatur
anima mea morte justorum ? Cette « Juste », puissions-nous
mourir comme elle mourut ? Puisse la fin de notre vie ressembler à la
sienne !
Adieu, âme si belle ! Adieu, créature d’amour, ouvrage complet de
l’amour, du très pur et très saint amour de Jésus, le Souverain Bien !
Adieu, Vierge vigilante et prudente ! Quand, dans le calme de la nuit, la
voix de l’Époux t’appela, sans retard, tu courus à Lui, avec la Lampe mystique,
la lampe remplie d’huile et ruisselante de splendeur !... Pour toi sont
finis les travaux, les longs et fatigants voyages, les pèlerinages épuisants,
les profondes agonies d’amour, du saint Amour avec sa faim insatiable et son
inextinguible soif de la Justice qui n’habite pas cette terre ! À cette
heure, c’est le Très-Haut qui est ton héritage !... Oui, cette pensée nous
est très douce : les flammes expiatrices n’ont pas été pour toi, ou du
moins ton passage y a été rapide, et te voilà, pour l’éternité, entrée dans la
joie de ton Dieu ! Oui, ils sont réalisés dans le bonheur, ces ardents
désirs de l’union sans fin avec le Seigneur, qui, si souvent, t’arrachaient ce
cri : « Quand viendra l’heure ? Oh ! quand l’heure
viendra-t-elle !... » Sois dans l’allégresse, dilate ton cœur dans la
vision béatifique de ce Jésus, l’objet de tes soupirs, l’aspiration perpétuelle
de ton âme pleine d’amour, ce Jésus que tu n’as pas craint de suivre sur sa
voie douloureuse ! Sa croix, elle a été pour toi délices, sourire et
joies, « fleur qui jamais ne se flétrit », écrivais-tu souvent !
Oh ! que de fois, semblable à l’Épouse du Cantique, tu as langui d’amour
pour le Bien-Aimé ! C’était un feu qui s’élançait de ta poitrine !...
Et quand, entrée dans le royaume de l’Éternelle Gloire, quand tu as vu la Reine
sans tache, Celle qui avait comme affolé ton cœur d’un amour d’enfant, si
tendre et si plein de confiance, ce cri : « Madonna mia !
Madonna mia ! » avec lequel tu acclamas la Grande Reine... tout cela,
comment pourrais-je le dire !...
Ô MÉLANIE, de ce trône élevé sur lequel Dieu vous a assise au Ciel, vos
regards s’abaissent-ils encore sur cette terre ? Nous aimez-vous toujours
avec ce cœur qui nous a tant aimés en ces bas lieux de l’exil ? Mais que
dis-je ? Est-ce que tout amour d’ici-bas ne se perfectionne pas au contact
de Dieu ? Est-il possible que, dans le Ciel, les Bienheureux n’aiment pas
ceux qui les aiment ? Oui ! En Dieu vous nous aimez... Un jour,
pendant que vous étiez au milieu des pauvres orphelines, on vous disait :
« Mère (on vous donnait ce doux nom), Mère, une fois partie, vous ne
penserez plus à nous. – Ah ! répondiez-vous, vous ne connaissez pas mon
cœur ! »
À cette heure où dans le Royaume de l’Éternel Amour vous nous aimez de la
parfaite Charité, ah ! ne cessez pas de prier pour nous. Priez pour tous
ceux qui vous vénèrent comme une créature céleste. Priez pour ces vierges,
« les Filles du Divin Zèle », pour l’éducation religieuse desquelles
vous avez dépensé une année de votre vie, avec des soins plus que maternels,
avec une direction sage et éclairée, avec un zèle tout particulier pour les
remettre dans la voie du Seigneur. Vous le savez, ces pieuses filles consacrées
au Très Saint Cœur de Jésus et vouées par vous-même à Marie, la Mère Immaculée,
vous regardaient comme une déléguée de la Très Sainte Vierge venue au milieu
d’elles, il y a sept ans, et qui semblait avoir toujours été parmi elles.
Et sur moi aussi, sur moi qui apporte à votre mémoire ce faible tribut
d’hommages, sur moi qui de votre noble cœur ai reçu tant de témoignages de
votre pure et sainte dilection, sur moi aussi daignez répandre le puissant
secours de vos prières à l’adorable Rédempteur Jésus-Christ et à Marie sa Mère
immaculée !...
LA RÈGLE DE L’ORDRE
DE LA MÈRE DE DIEU
« Mélanie, ce que je vais vous dire à
présent ne sera pas secret ; c’est la Règle que vous ferez suivre
exactement à mes filles, qui seront ici lorsqu’elle sera approuvée par les
supérieurs. Mes Missionnaires suivront la même Règle. »
1. Les membres de l’Ordre de la Mère de Dieu aimeront Dieu par-dessus toutes
choses et leur prochain comme eux-mêmes pour le pur amour de Dieu.
2. L’Esprit de cet Ordre n’est pas autre que l’Esprit de Jésus-Christ en soi
et l’esprit de Jésus dans les âmes.
3. Les membres de cet Ordre s’appliqueront à étudier Jésus-Christ et à
l’imiter, et plus Jésus sera connu, plus ils s’humilieront à la vue de leur
néant, de leur faiblesse, de leur incapacité à faire un bien réel dans les âmes
sans la grâce divine.
4. Ils seront d’une obéissance parfaite en tout et partout.
5. Chacun d’eux se conservera dans une grande chasteté de corps et d’esprit
afin que Jésus-Christ fasse sa demeure en eux.
6. Les membres de cet Ordre n’auront qu’un cœur et qu’une âme en l’amour de
Jésus-Christ.
7. Aucun n’aura rien en propre pour soi, mais que tout soit commun, sans
ambitionner la moindre des choses passagères ; je veux que mes enfants
soient nus, dépouillés de tout.
8. Ils auront une grande charité, sans bornes ; ils souffriront tout de
tout le monde, à l’exemple de leur Divin Maître et ne feront souffrir personne.
9. Les membres de l’Ordre obéiront à leurs supérieurs et leur rendront
l’honneur et le respect qui leur sont dus, avec une grande simplicité de cœur.
10. La supérieure veillera avec douceur à l’observance de la règle ; de
temps en temps elle se consultera avec le Père Missionnaire qui aura soin de
vos âmes, afin d’être aidée dans le bon gouvernement de la maison ; elle
sera la plus humble et sera plus sévère pour elle que pour les autres. Elle
corrigera les fautes de ses filles avec une grande douceur et prudence ;
elle élèvera toujours son âme à Dieu avant de faire une correction.
11. Il y aura dans le sanctuaire le Saint-Sacrement exposé le jour et la
nuit, pendant les mois de septembre, de février et mai, où les membres de
l’Ordre se feront un bonheur de passer d’heureuses heures quand la charité ou
le salut des âmes ne les retiendront pas ailleurs.
12. Ils mèneront une vie bien intérieure, quoique laborieuse, unissant la
vie contemplative à la vie active ; ils se sacrifieront et se feront tous
victimes de Jésus et de Jésus crucifié.
13. Ils recevront tous les jours, avec une vraie piété, le Pain de
Vie ; vous pourrez cependant retrancher la communion à quelques membres
quand vous verrez qu’ils ne suivent pas les traces de Jésus crucifié.
14. Outre les jeûnes commandés par l’Église, ils jeûneront encore pendant
les mois de septembre, février et mai. Ils se serviront de quelques instruments
de pénitence ; ceux qui seront trop faibles et ne pourront pas faire les
œuvres d’expiation, offriront avec humilité et douceur leur infirmité à
Jésus-Christ.
15. Ils jeûneront tous les vendredis et feront quelque pénitence. Toutes ces
œuvres seront offertes pour les âmes du Purgatoire, en faveur de la conversion
des pécheurs et pour leur propre avancement dans l’amour de Dieu.
16. Les membres de l’Ordre seront très humbles et très doux envers les
séculiers, et les recevront avec une grande bonté ; ceux qui seront les
plus humbles auront la première place dans le cœur de Jésus, ainsi que dans le
mien.
17. Les membres n’auront qu’un cœur et qu’une âme ; aucun ne tiendra à
sa propre volonté.
18. Ils seront d’une pureté angélique, ils observeront une grande modestie
en tout et partout.
19. Tous garderont un grand silence, évitant avec soin les conversations
inutiles avec les étrangers.
20. Les sujets qui voudront être reçus seront dans la disposition bien
sincère de se donner à Dieu entièrement et de se sacrifier pour son amour. Ils
s’attacheront bien à l’obéissance, qui les conduira au ciel.
21. Ils ne seront admis au nombre des postulants qu’après avoir fait une
retraite de 12 jours, pendant laquelle retraite ils feront au Père
Missionnaire, confesseur de la Communauté, une confession générale à travailler
de toutes leurs forces à se sanctifier et à acquérir les vertus propres ;
s’ils sont disposés à travailler de toutes leurs forces, à se sanctifier et à
acquérir les vertus propres d’une Victime qui veut s’immoler chaque jour pour
le Dieu du ciel et de la terre, ils seront reçus au Noviciat et seront trois
mois avant de prendre le costume de l’Ordre ; et ils se rappelleront bien
qu’ils n’ont été reçus dans la maison de la Mère de Dieu que pour travailler à
leur sanctification par la prière, par la pénitence et par toutes les œuvres
qui regardent la gloire de Dieu et le salut des âmes.
22. Mes Missionnaires seront les Apôtres des derniers temps ; ils
prêcheront l’Évangile de Jésus-Christ dans toute sa pureté par toute la terre.
23. Ils auront un zèle infatigable, ils prêcheront la réforme des cœurs, la
pénitence et l’observation de la Loi de Dieu ; ils prêcheront sur la
nécessité de la prière, sur le mépris des choses de la terre, sur la mort, le
jugement, le paradis et l’enfer, sur la vie, la mort et la résurrection de
Jésus-Christ. Ils fortifieront les hommes dans la foi, afin que quand le démon
viendra, un grand nombre ne soit pas trompé.
24. On formera bien les nouveaux sujets aux vertus chrétiennes et aux
pratiques de l’humilité, de charité, d’obéissance, de renoncement et de
douceur.
25. Le Noviciat sera de six ans ; ceux qui auront donné la preuve des
solides vertus et qui voudront se ranger au nombre des combattants de
Jésus-Christ dans cet Ordre, demanderont cette grâce à genoux à la Supérieure,
et après que vous leur aurez fait connaître leurs obligations à la Règle que je
vous donne, s’ils vous promettent de l’observer fidèlement, vous les recevrez.
26. L’oraison se fera en commun dans le sanctuaire, à l’heure qui sera
convenable et qui sera établie.
27. On mangera au réfectoire commun ce qui sera nécessaire pour soutenir la
vie et pour travailler à la gloire de Dieu ; en même temps que l’on
donnera au corps ce qui lui convient, l’âme se fortifiera par une sainte
lecture qui se fera pendant le repas.
28. On aura le plus grand soin des membres infirmes et malades.
29. Si un membre offensait un autre membre par quelque parole ou autre acte,
qu’il répare sa faute le plus tôt possible.
30. Tous les membres de cet Ordre feront la génuflexion chaque fois qu’ils
passeront devant le Tabernacle où est Jésus-Christ.
31. Chaque fois que les sujets se rencontreront, l’un dira : « Que
Jésus soit aimé de tous les cœurs ! » ; l’autre répondra :
« Ainsi soit-il ».
32. Les religieuses diront l’office, comme les religieuses de Corenc près
Grenoble ; les chapitres et autres pratiques se feront de même.
33. Tous les membres porteront une croix comme la mienne.
Observez bien ma Règle ».
Nihil obstat
: Sainte-Marie de la Pierre-qui-Vire, 22 août
1952, Dom Denis HURRE, Abbé.
Imprimatur : Sens, en la fête du Christ-Roi, 26 octobre 1952.
Frédéric LAMY, Archevêque.
VUE
DU COSTUME ET DES ŒUVRES
AUXQUELLES SERONT EMPLOYÉS
LES FILS ET LES FILLES
DE L’ORDRE DE LA MÈRE DE DIEU
DU COSTUME ET DES ŒUVRES
AUXQUELLES SERONT EMPLOYÉS
LES FILS ET LES FILLES
DE L’ORDRE DE LA MÈRE DE DIEU
En même temps que la Très Sainte Vierge me donnait les Règles et me parlait
des Apôtres des derniers temps, je voyais une immense plaine avec des
monticules. Mes yeux voyaient tout. J’ignore si c’était les yeux du corps...
Mais je serais mieux selon la vérité si je disais que je vis la terre
au-dessous de moi, de manière que je voyais l’univers entier avec ses
habitants, vaquant à leurs occupations, chacun selon son état (non pas tous par
justice mais bien par ambition. Et, par un juste châtiment de Dieu, ils étaient
en guerre avec eux-mêmes).
Je vis donc cette immense plaine avec ses habitants. Dans certaines parties
les hommes étaient blancs ; en d’autres, ils étaient couleur bois, ou bien
un peu plus ou un peu moins foncés. Je vis, en d’autres pays, des hommes qui
étaient presque jaunes, couleur paille bien claire et avec des yeux rouges. Et
d’autres pays où ils étaient tout noirs comme du charbon. Je vis des pays où
les habitants étaient très petits de taille ; et d’autres pays où ils
étaient fort grands. Eh bien, je vis que les Missionnaires et les Religieuses
étaient dans ces pays et dans toutes les parties du globe.
Je vis les Apôtres des derniers temps avec leur costume. Ils avaient une
soutane noire, pas très fine, et sans boutons ; des agrafes en tenaient
lieu, à la soutane comme à la pèlerine. Leurs chapeaux étaient très grossiers
et les cornes bien formées94.
Leurs ceintures étaient blanches, d’un tissu grossier. Elles étaient à peu près
larges comme cette ligne
__________________________________95
et les bouts pendaient presque jusqu’au bas de la soutane. Sur un des bouts
de la ceinture il y avait ces trois lettres, en couleur rouge : M.P.J.
(Mourir pour Jésus). Sur l’autre bout il y avait ces trois lettres en couleur
bleue96 :
E.D.M. (Enfant de Marie).
Ils portaient tous une croix assez grande, suspendue au cou par un gros
cordon noir ; et le bout du pied de la croix entrait dans la ceinture, du
côté gauche. Mais quand ils prêchaient ou faisaient quelque fonction
religieuse, elle était suspendue sur leur poitrine. À leur ceinture, du côté
droit, était suspendu un chapelet et à ce chapelet il y avait une croix sans
Christ. Je vis que les Apôtres des derniers temps avaient des souliers blancs
(dans les longues courses ils les portaient noirs) avec une boucle dessus.
Les religieuses qui entraient les premières dans l’Ordre de la Mère de Dieu
étaient des religieuses de la Providence de Grenoble : j’en vis deux et
une seule sœur converse. Elles furent parmi les premières qui, après avoir reçu
l’esprit de l’Ordre, en prirent le costume en la fête de l’Incarnation du divin
Rédempteur97.
Je vis qu’elles avaient la robe noire et grossière, faite presque comme un sac98,
les manches larges. Leurs souliers étaient blancs, avec les boucles dessus. La
ceinture, le chapelet et la Croix étaient comme ceux des Pères. Elles n’avaient
pas de bonnet, mais une chose blanche qui encadrait la figure. Au-dessus était
un voile noir, qui pendait assez bas par derrière. Elles avaient une espèce de
pèlerine blanche.
Je vis que les Missionnaires prêchaient, confessaient, assistaient les
mourants, donnaient des retraites : aux prêtres99,
aux rois et à ceux qui composaient leur cour, aux grands, aux soldats, aux
employés, aux pauvres, aux enfants, aux religieux, aux religieuses, aux femmes
et aux vierges. Je vis, en certains endroits, des Missionnaires auprès des
malades, des pauvres, des prisonniers, et baptisant des enfants et des grandes
personnes.
En d’autres endroits, je vis les Disciples des Apôtres des derniers
temps : je compris bien clairement que ces Messieurs que j’appelle les
Disciples faisaient partie de l’Ordre. C’étaient des hommes libres : des
jeunes gens qui, ne se sentant pas appelés au sacerdoce, voulant cependant
embrasser la vie chrétienne, faire leur salut, accompagnaient les Pères dans
quelques missions et travaillaient de tout leur pouvoir à leur propre
sanctification et au salut des âmes. Ils étaient très saints et très zélés pour
la gloire de Dieu. Ces disciples étaient auprès des malades qui ne voulaient
pas se confesser, auprès des pauvres, des blessés, des réunions, des
prisonniers, des sectes, etc., etc. J’en vis même qui mangeaient et buvaient
avec des impies et plusieurs de ceux qui ne voulaient pas entendre parler de
Dieu ni des prêtres. Et voilà que ces Anges terrestres tâchaient, par tous les
moyens imaginables, de leur parler, et de les amener à Dieu, et de sauver ces
pauvres âmes, qui ont chacune la valeur du sang de Jésus-Christ, fou d’amour
pour nous. Cette vue était bien claire, bien précise, et ne laissait aucun
doute sur ce que je voyais ; et j’admirais la grandeur de Dieu, son amour
pour les hommes, et les saintes industries dont il usait pour les sauver tous.
Et je voyais que son amour ne peut pas être compris sur la terre, parce qu’il
dépasse tout ce que les hommes les plus saints peuvent concevoir.
Je vis donc que l’Évangile de Jésus-Christ était prêché dans toute sa pureté
par toute la terre et à tous les peuples.
Je vis que les Religieuses étaient occupées à toutes sortes d’œuvres
spirituelles et corporelles, et s’étendaient, comme les Missionnaires par toute
la terre.
Avec elles il y avait des femmes et des filles remplies de zèle, qui
aidaient les religieuses dans leurs œuvres. Ces veuves et ces filles étaient
des personnes qui, sans vouloir se lier par les vœux de Religion, désiraient
servir le bon Dieu, vaquer à leur salut et mener une vie retirée du monde.
Elles étaient vêtues de noir et étaient très simples100.
Elles portaient aussi une croix sur la poitrine, comme les Disciples, mais un
peu moins grande que celle des Missionnaires, et elle n’était pas extérieure.
Je vis et je compris que les Apôtres des derniers temps et les Religieuses
faisaient les trois vœux de Religion. De plus, ils faisaient la promesse de se
donner et de donner à la Très Sainte Vierge, pour les âmes du purgatoire, en
faveur de la conversion des pécheurs, toutes leurs prières, toutes leurs
pénitences, en un mot toutes leurs œuvres méritoires. Les Disciples et les
femmes faisaient aussi cette promesse ou oblation à la Très Sainte Vierge.
Je vis que les Missionnaires vivaient en communauté, et qu’ils disaient
l’Office divin ensemble, au chœur. Dans quelques maisons ils n’étaient pas
nombreux. Je vis que les Disciples qui savaient lire disaient l’Office de la
Sainte Vierge dans leur chapelle.
Je vis aussi que les Religieuses, ainsi que les femmes, disaient l’Office de
la Sainte Vierge.
Je compris en Dieu que les Apôtres des derniers temps devaient marcher sur
les traces des Apôtres de la primitive Église de Jésus-Christ, avec cette
différence que le Supérieur général avait soin de rappeler (quand cela se
pouvait faire), chaque année, les membres de l’Ordre dans la Maison centrale,
pour faire une retraite de dix jours. Et je vis que, quand des membres de
l’Ordre étaient très éloignés, cette retraite se faisait dans chaque
maison ; ou bien ils se rendaient dans une des Maisons centrales de la
Province. Ces retraites se faisaient dans le but de se retremper dans la
ferveur, et dans l’observance de la Règle.
Je vis que les Supérieurs changeaient et envoyaient des sujets dans une des
Maisons de l’Ordre, établie exprès pour les infirmes et pour les membres qui
avaient perdu leur première ferveur par l’influence et la contagion des grands
de la terre, et qui s’étaient rendus mous et avaient perdu la charité et le
zèle. Les malades étaient bien soignés dans cette maison 101.
Je vis que notre doux Sauveur regardait les ouvriers de cet Ordre avec
beaucoup de complaisance, parce qu’ils servaient le bon Dieu avec un entier et
complet dévouement, sans recherche d’eux-mêmes. Étant entièrement détachés de
toutes les choses de la terre, ils étaient totalement entre les mains de la
Providence de Dieu, remplis de foi et de confiance en Dieu.
Je vis les âmes du Purgatoire comme en fête, pour les bienfaits qu’elles
recevaient des Apôtres des derniers temps et des Religieuses ; et je vis
que les âmes souffrantes du Purgatoire, qui étaient délivrées ou qui avaient
encore quelque chose à expier, et qui en avaient le pouvoir, priaient beaucoup,
et que de nombreuses conversions se faisaient par leurs prières. Car je vis que
Dieu voulait que les Missionnaires et les Religieuses de cet Ordre missent
toutes leurs prières, pénitences et bonnes œuvres entre les mains de Marie,
leur première Supérieure et leur Maîtresse, pour les âmes du Purgatoire, en
faveur de la conversion des pécheurs du monde entier.
Je vis et je compris que le bon Dieu voulait que cet Ordre luttât contre
tous les abus qui ont amené le décadence du Clergé et de l’état religieux et la
ruine de la Société chrétienne.
Beaucoup d’Ordres et de Congrégations religieuses rentraient dans leur
première ferveur, par les soins et les exemples des Pères ; ou bien se
fondaient dans l’Ordre de la Mère de Dieu.
Je vis que cet Ordre ne recevait jamais jamais pour Missionnaires ni pour
Religieuses des personnes dont les parents avaient besoin de la charité
d’autrui, ou besoin de ce fils et de cette fille pour les servir. Et quand les
parents de quelqu’un des membres étaient tombés dans la misère, la Communauté,
par amour pour le quatrième Commandement, par prudence, par charité, et pour la
tranquillité de ses membres, dont les parents étaient affligés, donnaient
abondamment, selon ses besoins, à cette famille. Et cela se faisait avec une
grande charité, avec une grande joie, et reconnaissance envers Dieu, de ce
qu’il donnait à la Communauté l’occasion de soulager les membres de Jésus, qui
s’est donné à nous tout entier.
Je vis que les membres de l’Ordre de la Mère de Dieu faisaient tous leurs
efforts pour se dépouiller entièrement de l’esprit du siècle corrompu,
s’avancer dans l’amour de Dieu et acquérir les vertus de Notre-Seigneur
Jésus-Christ. Ils avaient de très bas sentiments d’eux-mêmes. Ils étaient très
unis entre eux, n’ayant ni ambition, ni envie, ni jalousie, ne désirant en
toutes choses que de plaire à leur Divin Maître ; ne désirant rien hors du
Cœur de Jésus, où ils habitaient plus ou moins étroitement, selon que leur
amour était plus pur et plus généreux. Cet amour de Jésus produisait en eux les
fruits d’une grande obéissance, d’une profonde humilité et simplicité, d’une
très grande mortification, d’un zèle très ardent, et d’un parfait abandon entre
les mains du Divin Maître.
Je vis que cet Ordre était comme le foyer de toutes les œuvres, et comme un
autel perpétuel où la prière était incessante pour les divers besoins de la
Sainte Église, pour les âmes tièdes et pour la conversion des pécheurs du monde
entier.
Léon BLOY, 1908
NOTES
1.
En pleurant ! Les Anges ne pleurent pas, mais la Reine des Anges
pleure, et c’est pour cela qu’Elle est leur Reine.
2.
« Le peuple ne veut pas se soumettre et la Cité du Très-Haut est forcée ! »
Représentez-vous les Anges et les Saints poussant cette clameur d’alarme dans
le ciel !
3.
Chien. Je rappelle que telle est l’expression dont il a plu à la Mère de
Dieu de se servir.
4.
Sur cette question de l’auberge et des aubergistes, voir le chapitre XXV du
présent ouvrage.
5.
Voir chapitre XXV.
6.
Témoignage de l’Évangéliste saint Matthieu : chap. XIII, v. 34.
7.
Moniteur du 21 septembre 1846.
8.
Job, XXIX, 18, 19 et 20.
9.
Hymne O quot undis lacrymarum, fête de Notre-Dame des Sept-Douleurs.
12.
Cant. II, 14.
14.
Missa Spineae D. N. J. C. Introitus.
15.
Léon Bloy : Le Désespéré.
16.
Léon Bloy : Le Fils de Louis XVI.
17.
Joël III, 18. Joël planus in principiis, in fine obscurior, a dit saint
Jérôme parlant à des hommes qui ne pouvaient pas connaître le Sacré-Cœur.
19.
I Petr. III, 20.
20.
Les quatre derniers mots donnent l’idée d’une construction défectueuse et
amphibologique. Raison de plus, semble-t-il, pour les respecter.
21.
Défense et explication du Secret de Mélanie de la Salette. Nîmes, 1881.
22.
« Nous vivons sous un prince ennemi de la fraude », avait déjà dit
Molière.
23.
Là, elle fut relevée des vœux non solennels qu’elle avait faits,
en février 1856, au Carmel d’Angleterre. De l’aveu de Pie IX, en effet, la
mission que la Sainte Vierge lui avait confiée à la Salette lui défendait de
rester cloîtrée. Bientôt même vint de Rome, consultée à son sujet, cette autre
réponse : « Cachez-la autant que vous le pourrez. »
C’était par crainte du carbonaro couronné, l’homme au « cœur
double », dénoncé comme tel par la Sainte Vierge elle-même à sa
confidente, avec ordre précis de dire à Pie IX : « Qu’il se méfie de
Napoléon ! » – ce que fit celle-ci dans la rédaction de son secret
pour le Saint-Père, secret qui fut remis à Sa Sainteté, le 18 juillet 1851,
comme on l’a déjà vu. L’Empereur ne pouvait supporter Mélanie, se sentant visé
défavorablement par son Message. Aussi fut-il donné suite à ce prudent avis.
24.
Les documents relatifs à cette honteuse affaire ont été publiés, en 1898, chez
l’éditeur Chamuel, à Paris. Mélanie, Bergère de la Salette, et le cardinal
Perraud.
25.
Mélanie habitait à Altamura une petite maison « hors les murs ». Elle
y était seule depuis peu de temps ; et, seul de son diocèse, Mgr
Cecchini savait qu’elle était la sainte dont on lui avait confié la garde. Tous
les matins elle se rendait à la cathédrale, assistait au Saint-Sacrifice,
communiait et allait ensuite à l’évêché prendre un peu de café sans pain, puis
se retirait dans sa solitude. C’était toute sa nourriture pour la journée. Vers
midi, Monseigneur, qui n’avait pas eu encore l’occasion de surprendre ce
don de vivre presque sans nourriture, lui faisait porter, par un familier de
l’évêché, son repas qu’elle donnait aux pauvres. Le 15 décembre, ne la voyant
pas à la cathédrale, il prit de l’inquiétude et envoya chez elle. Les volets
étaient fermés et aucune réponse n’ayant été faite, il se décida à faire
prévenir les autorités civiles. La porte fut ouverte et on trouva la pieuse
fille morte, par terre. Elle était entièrement vêtue, ses vêtements modestement
disposés ; ses bras en croix formaient comme un appui pour son front. On
n’eut qu’à la mettre religieusement dans le cercueil...
26.
Manifestatio Immaculatae V. M. a Sacro Numismate. Graduale. Missale
Romanum.
27.
Secret de Mélanie, 2e alinéa. « Il y a ceci de remarquable,
faisait observer, il y a 30 ans, Amédée Nicolas, qu’aucune communauté religieuse
de femmes n’a réclamé. Seuls les prêtres séculiers ou réguliers ont poussé des
cris. »
28.
Le Salut par les Juifs.
29.
Ce quelqu’un, à proprement parler, n’eut pas de lit de mort. Un matin,
il fut trouvé mort sur son plancher, – comme, plus tard, Mélanie – mais, au
contraire de la sainte fille, dévêtu, les bras tordus, les poings crispés, le
visage, les yeux, exprimant l’effroi d’une horrible vision.
30.
Notre Dame de la Salette et ses deux Élus. 160 lettres de Mélanie.
Paris, Weibel, 9, rue Clovis.
31.
Expulsés de la Sainte Montagne, les anciens Missionnaires emportèrent la
caisse, les vases sacrés couverts de pierreries et jusqu’au Diadème de la
Sainte Vierge !!! Il fallut recourir au Pape pour leur faire rendre
ces richesses du Pèlerinage.
32.
Notre Dame de la Salette et ses deux Élus.
33.
– L’Évangile est-il fermé, oui ou non ? me demandait, il y a plus de 25
ans, un assomptionniste fameux, ennemi des prophéties et des illuminations
exceptionnelles. – Moins que vous, mon cher père, lui répondis-je. Ce n’était
pas très spirituel, mais on fait ce qu’on peut, dans le dernier carré.
34.
Depuis l’Apparition, dit l’abbé Félicien Bliard, la Bergère a toujours conservé
une vue claire et distincte de toutes les parties du Secret, bien qu’il
soit d’une grande étendue et tort complexe ; elle a gardé le souvenir
fidèle de toutes les paroles de la Très Sainte Vierge et l’intelligence
de tout ce qu’elle a entendu. En même temps que la Vierge parlait à la
petite Bergère, celle-ci était élevée à une sublime vision dans laquelle elle
voyait clairement tout ce qui lui était dit. Et pendant un quart de siècle,
rien ne lui a échappé, tout est resté fidèlement gravé dans son esprit. De là
cette connaissance si assurée qu’elle semble avoir de l’avenir. Dans les longs
entretiens que j’ai eus avec elle, j’ai été frappé de la lucidité, de la
précision, de la fermeté inébranlable de ses idées. En la ramenant sur le même
sujet, je la trouvais toujours semblable à elle-même, sans ombre d’hésitation.
Du reste, elle est sobre de paroles et je l’ai trouvée admirable de simplicité,
de candeur et de prudence. Lorsque, dans nos conférences, je touchais à des
points qu’elle ne doit pas encore découvrir, j’avais lieu d’admirer son silence
ou l’adresse avec laquelle elle savait éluder toute réponse. »
35.
Notre Dame de la Salette et ses deux Élus. La correspondance de Mélanie
(160 lettres) donne à ce livre un intérêt extraordinaire et surnaturel. On a
comme la sensation d’avoir heureusement escaladé la Montagne des Prophètes qui
est « au-dessus du globe de la terre », d’après Anne-Catherine
Emmerich.
36.
L’ancien maire de Corps, M. Barbe, a, dans ses mains, un billet de 200 fr. (je
crois) que Maximin avait emprunté aux Missionnaires pour ne pas mourir de faim.
Il l’a retiré après la mort de Maximin, l’a payé afin d’avoir cette preuve de
leur dureté et de leur avarice. M. Barbe, à qui j’ai écrit vainement pour avoir
une photographie de ce document, vit-il encore ?
37.
Défense et explication du Secret de Mélanie. Nîmes, 1881.
38.
Mélanie, Bergère de la Salette, et le cardinal Perraud, Paris Chamuel,
1898.
39.
Je demande pardon pour la liberté que j’ai l’air de prendre avec le texte de
saint Luc, mais il m’est impossible de ne pas me souvenir de Noël, quand je
pense aux deux sublimes enfants pauvres sur leur Montagne : « Vous
avez trouvé de jeunes enfants enveloppés de langes et posés dans une
crèche. »
40.
Ecclésiastique, XLVIII, 27.
41.
Où n’entraînerait pas un tel travail ? Il faut une longue étude des Livres
Saints pour savoir combien il est difficile de trouver son chemin dans la forêt
toujours vierge des Assimilations. Exemple : Le Discours parle des noix
qui deviendront mauvaises. Or, la Vulgate les nomme exactement six
fois, cinq fois dans l’Exode, où elles prêtent leur forme aux bobèches
du Chandelier du Tabernacle, et une seule fois dans le Cantique des
Cantiques, lorsqu’il est question de Marie qui descend dans son
jardin : « Qui est Celle qui vient, se levant comme l’aurore, belle
comme la lune, élue comme le soleil, terrible comme l’armée des osts ordonnée ?
Je suis descendue dans le jardin des noix, afin de voir les pommes des vallées,
et pour regarder si la vigne était en fleur et si germinaient les
grenades. » Cant. VI, 9 et 10. Ce texte, lu à la Salette, par un chrétien
attentif, pourra lui sembler un peu formidable.
42.
C’était le 14 juillet 1907. Mgr Henry parlait, du haut de la
chaire de la Salette, à plus de mille pèlerins : « Vous êtes venus en
foule... en cette Fête nationale et MARIALE !!!? » leur
disait-il, signifiant ainsi une sorte de plain-pied festival entre les
assassins de la Bastille et Notre Dame des Sept Douleurs.
« ... Monseigneur expose ensuite le Fait de la Salette... Il
distingue avec soin le Message public et le Message secret. Les enfants
reçurent l’ordre et la mission de « faire passer le premier à tout le
peuple de Marie », c’est-à-dire au monde entier (ce que la haine n’a pas
permis) ; le second n’était destiné qu’aux Bergers eux-mêmes (Démenti
épiscopal à la Sainte Vierge qui avait dit à Mélanie : Vous pourrez le
publier en 1858) qui, parfaitement conscients de cette distinction
nécessaire (?) et toujours prêts à redire le Discours de la Belle Dame, ne
consentirent, après cinq ans de silence et de réserve absolue, à révéler leurs
Secrets qu’au Pape seul. À ce propos, Sa Grandeur met en garde les fidèles
contre tous les écrits et commentaires fantaisistes qui circulent et prétendent
reproduire le « Secret de Mélanie ». (Reproduction bénie par
Pie IX, approuvée par plusieurs évêques, encouragée, 25 ans, par le silence de
Léon XIII. Mais cela ne suffit à aucun évêque de Grenoble.) Encore une fois, le
Pape seul. À ce propos, Sa Grandeur met en garde les fidèles contre toutes les
élucubrations publiées récemment. L’Évêque de Grenoble attend que Rome ait
parlé. (Toujours même tactique du Démon. Si Rome parlait, on lui répondrait
comme Fava : « Prouvez-moi que vous avez raison. »)
Annales de Notre-Dame de la Salette
, août 1907.
43.
Les prie-Dieu capitonnés. Prévarication dénoncée par saint Jacques, II, 2, 3,
4.
44.
Les chefs, les conducteurs du peuple de Dieu ont négligé la prière et la
pénitence... 5e paragraphe du Secret.
Ceux qui conduisent les charrettes
, est-il dit dans le Discours. Ce rapprochement
saisira les personnes habituées au mystère des concordances. « Ceux qui
conduisent les charrettes » ne sont-ils pas évidemment les prêtres qui ne
savent pas parler sans mettre le nom de mon Fils au milieu ? Pater mî,
pater mî, currus Israël, auriga ejus. IV Reg. II, 12, XIII, 14.
45.
Il est inutile de faire observer l’actualité de cette page, écrite il y a plus
de vingt ans.
46.
Léon Bloy : Mon Journal. « Lettre sur l’incendie du Bazar de
Charité. »
47.
Une tradition porte que la France, après de longues iniquités, à une époque qui
ressemble à la nôtre, se réveillera, un matin, sans voir se lever le soleil.
Plusieurs jours durant, elle demeurerait dans les ténèbres au milieu desquelles
des spectres, sortis de l’enfer, viendraient tourmenter les vivants.
Il existe une prédiction analogue de la Vénérable Anna-Maria Taïgi, morte en
1837.
48.
On sait que l’Apparition eut lieu un samedi, le 19 septembre
1846, veille, cette année-là, de la fête de N.-D. des Sept-Douleurs, et à l’heure
des premières vêpres. C’était aussi le dernier jour des Quatre-Temps de
septembre. Le matin même, la grande Liturgie fériale avait lu ces paroles du
Lévitique : « C’est le jour très fameux des Expiations et il sera
appelé Saint... C’est le jour de propitiation pour vous réconcilier au
Seigneur. Toute âme qui ne se sera pas affligée en ce jour périra. » Et
bientôt après, à l’Évangile, ô miracle ! l’histoire, précisément,
de la Femme courbée depuis dix-huit ans, redressée par Jésus et glorifiant
Dieu !!! Missel romain.
49.
Quatre fois dans saint Luc, deux fois dans saint Jean. Chaque fois, Elle monte
un des Six degrés du Trône d’ivoire de ce Salomon éternel, à la droite de qui
est marquée sa place, au milieu des Douze Lionceaux de l’Apostolat. Il Par. IX,
18 et 19.
50.
Matth. XXV, 35 et 42.
51.
Quelques-uns ne manqueront pas de dire que je suis un ennemi de Lourdes.
Hélas ! je donnerais facilement ma vie, Dieu le sait, et je consentirais à
subir des tourments affreux plutôt que de décrier un sanctuaire où Marie s’est
manifestée par des prodiges. Je sais, d’ailleurs, que le miracle de Lourdes a
été une suite du miracle de la Salette, comme l’arc-en-ciel est une
suite de l’orage, et j’espère, un jour, le montrer beaucoup mieux que par cette
image. Maïs c’est le droit de tout chrétien d’avoir une préférence, un attrait
particulier. Je crois même que c’est son devoir de le suivre, Dieu lui
désignnant ainsi son chemin.
« Je demande deux choses », écrivais-je, il y a quelques
années : « 1° un chrétien bien portant allant à Lourdes pour y
obtenir le bienfait de la maladie ; 2° un autre chrétien riche, guéri à
Lourdes par le plus indubitable miracle, et revenant distribuer tout son bien
aux pauvres. Tant que je n’aurai pas vu ces deux choses, je croirai que
l’Ennemi a voulu profaner, par le Cabotinage, la Médiocrité et l’Avarice, le
lieu unique où fut AFFIRMÉ celui de tous les Mystères qu’il doit le plus
abhorrer : l’Immaculée Conception. »
La Vierge de Lourdes a recommandé la pénitence, objectera-t-on. On
sait ce que c’est que la pénitence des gens du monde.
52.
Marie d’Agreda.
53.
1858 ! L’année de l’Apparition de Lourdes !
54.
Le cardinal Prosper Caterini, secrétaire et non préfet de la
congrégation, comme on le publia par erreur alors, né en 1795, premier diacre
du titre de Sainte-Marie-in-Via-Lata, mourut l’année d’après, en octobre
1881, à l’âge de 86 ans. Requiescat in pace, ainsi que Mgr Cortet, mort
il y a quelques années seulement.
55.
On a poursuivi l’année dernière, pour faux en écritures, un ecclésiastique
superbe qui avait accusé Mélanie d’être une FAUSSAIRE. Sicut fecit sic fiet
ei.
56.
Cette page, tout à fait inédite, complète ou confirme ce qui a été dit plus
haut, chap. XIV, du don de prophétie conféré à la Bergère.
57.
Ps. 67, v. 14. Matines de Pentecôte. Ce psaume chargé de mystère appartient
liturgiquement au Saint-Esprit.
58.
Conformité presque littérale avec le 30e alinéa du Secret de
Mélanie, cité dans l’introduction du présent ouvrage.
59.
Traité de la vraie Dévotion à la Sainte Vierge, 1re partie,
chap. I : J’ai espéré en attendant.
60.
Paris, Plon, 1890.
61.
On sait aussi, depuis plus d'un demi-siècle, que c'est un signe de modestie,
chez les catholiques modernes, d'écrire d'une manière épouvantable, et que cela
est soigneusement enseigné dans leurs Instituts, à tel point que tout ce qui
fut écrit postérieurement aux Oraisons funèbres, ou à la Henriade,
est jugé négligeable, détraquant ou libidineux. Le sublime Père Picard
m'affirma un jour, à la honte de son ordre, qu'Ernest Hello était un FOU. Son
successeur, le Père Bailly, et ses éliacins de la Croix ou du Pèlerin,
ont vraiment abusé de la doctrine.
62.
Mgr Ginoulhiac dit à Mélanie : « Je viens de voir Maximin qui a
refusé de me dire son secret, à moi, son évêque !!! Il s’en
repentira !!! Mais vous, vous êtes plus raisonnable, vous avez plus de
connaissance que lui ; je pense que vous n’allez pas refuser d’obéir à
votre évêque... » Et sur le refus de la pauvre enfant de désobéir à la
Sainte Vierge, il lui fit la même menace : « Vous vous en
repentirez ! » Il ne tint que trop parole. Quand vint pour elle
le moment de faire profession, de prononcer ses vœux chez les Religieuses de la
Providence de Corenc, il s’y opposa, malgré les Religieuses qui disaient
combien elle était pieuse, et chercha, par tous les moyens et vexations
possibles, à la faire partir. Finalement il l’embarqua pour l’Angleterre, avec
défense de le dire même à ses parents. Bien mieux, il donna des ordres pour la
forcer à faire des vœux de clôture. Comme elle refusait de les faire, à cause
de la mission qu’elle aurait à remplir après 1858, et qu’aucune pression,
aucune insistance ne pouvait vaincre sa résistance, les religieuses lui
dirent : « Où irez-vous ? Mgr G*** nous a écrit que si vous
revenez dans son diocèse, il vous excommuniera partout où vous
résiderez. »
63.
Je me suis exprimé plus fortement encore, à l’époque des Missionnaires. La
Femme pauvre, pages 100 et 101.
64.
L’Écho de la Sainte Montagne, par Mlle des Brulais. Chez Henri Douchet,
à Méricourt-l’Abbé (Somme), il n’existe pas de livre plus recommandable sur les
commencements de la Salette.
65.
Léon BLOY, Le Fils de Louis XVI. Ce n’est pas ici le lieu de montrer, ne
fût-ce qu’en raccourci, l’histoire effrayante et fantasmatique de Louis XVII.
Lire Le Dernier Roi légitime de France, par Henri PROVINS, et
l’inestimable ouvrage plus récent d’Otto FRIEDRICHS : Correspondance
intime et inédite de Louis XVII.
66.
Le Fils de Louis XVI.
67.
Mélanie est morte le 14 décembre de la même année. Cette lettre précieuse peut
donc être considérée comme une sorte de testament. Il va de soi que le style
de la Bergère a été scrupuleusement respecté.
68.
Je ne souligne pas ces dernières lignes. Mélanie ne les ayant pas soulignées
elle-même. On est prié seulement de les remarquer.
69.
Cet endroit, non plus que le précédent, n’a pas été souligné par Mélanie.
70.
Ce chef-d’œuvre de l’art est d’une ânerie et d’une laideur
incompréhensibles pour quiconque ignore la profonde inintelligence esthétique
des chrétiens modernes.
71.
Il faut être missionnaire de la Salette ou rédacteur de La Croix pour
écrire une telle réclame, où TOUS les mots sont ridicules.
72.
Le cardinal Guibert, délégué de Léon XIII, ne voulant, à cause de son grand
âge, monter les marches du reposoir, un missionnaire prit le diadème et le
plaça lui-même sur la tête de la statue de plâtre. On la mit au rebut, quand la
statue de marbre fut achevée. Laquelle des deux est couronnée ? Ni l’une
ni l’autre. 1° Le Saint-Père ne couronne pas une statue en plâtre ; 2° Il
est essentiel que la couronne soit placée par le délégué : il peut
se faire aider, mais il faut qu’il intervienne physiquement ; 3° La statue
doit être celle qui sera honorée.
Le décret du couronnement de Notre-Dame de la Salette n’a donc pas été
exécuté ! Quand on l’exécutera, on couronnera la vraie statue de
l’Apparition. La prière de Mélanie : « Mon Dieu, ne permettez pas que
l’erreur de 1’Évêque de Grenoble et du Père Berthier triomphe, etc. » ne
pouvait être plus complètement exaucée. Tout fut manqué, même le Discours.
Mgr Paulinier, qui devait le prononcer, se trouva fatigué, Mgr Fava LUT des
tirades contre les francs-maçons. Même la procession, on ne put la faire.
Aucun ordre dans cette foule mécontente. – Aucun miracle n’a été accordé aux
prières faites devant cette statue. Mélanie avait dit : « La statue
du faux couronnement ne fera jamais de miracles. »
73.
Mélanie avait alors quatorze ans et dix mois, mais ni grande ni forte, elle en
paraissait à peine dix. Elle était par tempérament très timide, et ses longues
années de services chez des étrangers, ainsi que le peu de tendresse de sa mère
qui ne l’avait jamais embrassée, n’avaient pas servi à réformer ce
défaut de caractère. Mais la pieuse enfant, que le Ciel avait visitée longtemps
avant 1846, recherchait surtout la solitude pour être unie à Dieu. Son
« Aimable Frère » lui avait dit : « Ma Sœur, fuyez le bruit
du monde, aimez la retraite et le recueillement : ayez votre cœur à la
Croix et la Croix dans votre cœur ; que Jésus-Christ soit votre seule
occupation. Aimez le silence et vous entendrez la voix du Dieu du Ciel qui vous
parlera au cœur ; ne formez de liaison avec personne et Dieu sera votre
tout. »
74.
Maximin n’avait qu’onze ans et portait au moins trois ans au-dessus de son âge.
Il n’avait jamais été en service et n’avait été demandé à son père, charron à
Corps, que pour remplacer, pendant huit jours, un berger malade. Le père s’y
était refusé d’abord, disant que « Mémin », étourdi comme il était,
laisserait tomber les vaches dans les précipices ; il n’avait cédé que sur
la promesse qu’il y aurait toujours quelqu’un pour le surveiller.
« Mémin » était aussi candide que vif, indiscret et espiègle :
« Garde-moi, je serai bien sage », quelle simplicité !
Mais c’était la turbulence et le mouvement perpétuel ; et quoique très
intelligent, il était si inattentif, qu’en trois ans son père avait eu de la
peine à lui apprendre le « Notre Père » et « Je vous salue
Marie » ; il l’appelait « l’innocent ».
Mélanie ne savait ni ne comprenait le français. Maximin ne le parlait pas,
mais il en comprenait quelques mots.
75.
Au lieu de gronder l’étourdi qui, d’un leste coup de pied, avait fait rouler au
bas de la montagne le premier petit pain, non seulement elle partage avec lui
le second, mais ne pense qu’au besoin qu’il doit avoir de manger et ne songe
pas à elle. Les privations, les pénitences que cette frêle enfant s’imposait
depuis des années, et qu’elle a continuées toute sa vie, ont été plus
qu’héroïques : elles ont été miraculeuses.
76.
Le 19 septembre, cette année-là, tombait la veille de la fête de Notre-Dame des
Sept-Douleurs, dont l’Église récitait les premières Vêpres à l’heure même de
l’Apparition. Le discours de la Sainte Vierge, son vêtement, ses larmes, le
chemin qu’elle fit, qui a exactement les sinuosités de celui du Calvaire, tout
fut en rapport avec cette fête, afin que nous ne doutions pas que nos révoltes
contre Dieu et son Église sont les sept glaives qui, au pied de la Croix, ont
transpercé son cœur.
77.
L’étourdi, dont tout le temps se passait à Corps en amusements de son âge,
s’ennuie comme la veille et demande encore à jouer. La Bergère, qui ne s’est
jamais amusée, lui apprend alors à faire un « Paradis » !...
Marie a réuni ses deux chers enfants, de caractères si opposés, et la main
de sa providence a su amener « l’innocent » sur la montagne d’une
manière si naturelle, que le berger remplacé, qui, demain, sera guéri et
reprendra son service, dira avec une charmante ingénuité : « J’ai bien
eu du malheur ! – Comment donc ? – Je suis tombé malade : sans
cela j’aurais vu la Sainte Vierge ! C’est moi que Mémin a
remplacé... Puis, tout justement, c’est pendant ces huit jours qu’il a
vu la Sainte Vierge. Ah ! Monsieur, sans cette maladie, c’est moi qui
aurais vu la Sainte Vierge ! »
Ce jeune homme était doux, tranquille et pieux. Mais il fallait à la Mère de
Dieu un bon étourdi, comme Maximin, qui ne vît rien dans l’Apparition,
et qui ne s’aperçut pas lui-même.
78.
Puisqu’il n’a pas encore été question de la Belle Dame, l’empressement de
Mélanie à signaler cette particularité dénote son admiration de la bonté de la
Sainte Vierge qui témoigna ainsi qu’elle avait agréé leur petite récréation.
79.
Le premier sentiment de Maximin, qui n’avait jamais eu d’apparition et crut que
Mélanie avait peur, fut différent. « Va, dit-il, prends ton bâton » et
brandissant le sien avec menace : « si elle nous touche, je lui en jetterai
un bon coup ». – Déjà la lumière s’était ouverte : Mélanie reconnu
aussitôt la Sainte Vierge et fut saisie de crainte, presque d’effroi de voir
pleurer la Sainte Vierge, qu’elle n’avait jamais vue que dans la béatitude.
80.
La Sainte Vierge parle ici au nom de Dieu, et le Christ vivant qu’elle
portait sur son cœur prononça les paroles en même temps.
81.
Sans l’observation du Dimanche, il ne peut y avoir de vie religieuse. Voilà
quinze siècles que Tertullien répétait ces paroles aux fidèles de son
temps : « Sans le Dimanche il ne peut y avoir de chrétiens. Non
est christianus dominica. » Aussi, au milieu des questions adressées
par les persécuteurs aux martyrs, on distinguait surtout celle-ci :
« Observez-vous le dimanche ? » et, sur leur réponse affirmative,
c’était assez, on reconnaissait là le christianisme pour ainsi dire tout
entier. Mais la Sainte Vierge reproche à son peuple un second crime plus énorme
encore que la violation du Dimanche, c’est le Blasphème. Lorsque toute bouche,
non seulement ne prie plus, mais blasphème ; lorsqu’un peuple entier,
comme en France, n’oublie pas seulement d’honorer Dieu, mais l’insulte et le
nie, quels châtiments ne mérite-t-il pas ? « Ce sont les deux
choses qui appesantissent tant le bras de mon Fils. »
82.
Ces menaces étaient conditionnelles : « Si mon peuple ne veut pas
se soumettre. » Le mouvement de conversion qui se produisit après
l’Apparition ne fut pas suffisant : la plupart se sont réalisées à la
lettre.
La Sainte Vierge avait dit que les pommes de terre continueraient à se gâter
et qu’à Noël il n’y en aurait plus. Or, dès le commencement de l’hiver, les
pauvres gens mouraient de faim dans la montagne : ils n’avaient pas seulement
une pomme de terre à manger. Il en fut ainsi dans toute la France et à
l’étranger, mais surtout en Irlande. Tous les journaux de Londres du 21 janvier
1847 disaient : « La perte résultant, pour l’Irlande seulement, du
manque de récolte des pommes de terre peut être évaluée à 12 millions de livres
sterling, faisant 300 millions de francs. » (Gazette du Midi, 28
janvier 1847.) Cette disette ayant continué plusieurs années, la population de
l’île descendit en 1866-1867, de huit millions à cinq millions. Ces trois
millions d’Irlandais moururent de faim ou émigrèrent...
Elle avait dit que le blé serait mangé par les bêtes et tomberait en
poussière. Or, la maladie du « pictin » se déclara en 1851, et causa
en Europe des pertes énormes.
Voici ce qu’un correspondant de l’Univers écrivait sur cette maladie
du blé, numéro du 15 juillet 1856 :
« J’ai ouvert les alvéoles ou pailles desséchées. Les unes ne
renferment aucune graine, ce sont sans doute celles qui ont été envahies les
premières et quand les embryons étaient à peine noués. Les autres renferment un
grain amaigri et desséché que rien ne nourrit ; ce sont celles qui ont été
envahies plus tard. Dans les unes et les autres nous avons trouvé, sous forme
de poudre jaune, des petits vers qui, sans doute, produisent tous ces ravages.
Chacun peut, aujourd’hui, constater le même phénomène : il suffit de se
rendre au premier champ de blé, de prendre en mains quelques épis, d’ouvrir les
corolles marquées à leur racine d’une tache noire, et l’on verra pulluler les animalcules... »
Elle avait dit qu’il viendrait une grande famine et Que les hommes feraient
pénitence par la faim. Or, en 1854-1855, le blé se vendait en France 55 et 60
francs les cent kilogrammes. D’après des statistiques publiées par le
Constitutionnel et l’Univers en 1856, la cherté des vivres aurait
amené en France, pour les deux années 1854 et 1855, la mort de cent
cinquante-deux mille personnes ; et de plus d’un million, pour toute
l’Europe, d’après les autres journaux. Et l’Univers du 12 décembre 1856
ajoutait : « Sous cet euphémisme Décès résultant de la cherté,
il faut lire : Morts de misère et de faim... On ignore le chiffre
de 1856, mais la cause n’a pas disparu... »
En Espagne le gouvernement acheta du blé pour 60 millions de réaux, afin
d’éviter la disette. – En Pologne, les vivres étaient si chers, en 1856, que
l’empereur de Russie augmenta d’un tiers le traitement des fonctionnaires.
Elle avait dit qu’avant la famine, les petit enfants prendraient un
tremblement et mourraient entre les mains des personnes qui les tiendraient.
Or, en 1847, la réalisation de la menace débuta par une grande mortalité des
petits enfants dans le canton de Corps. En 1854, dans la France,
soixante-quinze mille enfants au-dessous de sept ans moururent de la suette.
Un froid glacial les saisissait, suivi d’un tremblement qui amenait la mort
après deux heures de souffrances.
Elle avait dit que les noix deviendraient mauvaises. Or, un rapport adressé
en 1852 au ministre de l’intérieur a constaté que la maladie des noyers avait
anéanti cette récolte, l’année précédente, dans le Lyonnais, le Beaujolais et
l’Isère et que c’était une calamité pour ces régions, dont la récolte des noix
est une des principales ressources.
Elle avait dit que les raisins pourriraient. Or le fléau dure encore. Voilà
bientôt 60 ans que les raisins pourrissent...
Le seul accomplissement des menaces prophétiques publiques ne suffit-il pas
pour qu’on dise : Si la Salette n’est pas un article de foi, c’est un
article de bonne foi ; si la Salette n’est pas un dogme, c’est une grâce
immense dont on n’a pas assez profité ?
En commentant et méditant le Secret, verset par verset, nous verrons que ses
menaces prophétiques, plus nombreuses et beaucoup plus graves que celles du
discours public, se sont pleinement réalisées jusqu’à ce jour. C’est le
flambeau divin par excellence, car la prophétie n’est possible qu’à Dieu. Il
est évident qu’il est au-dessus du pouvoir des créatures, non seulement de
diriger les évènements lointains, mais encore de les prévoir avec certitude,
quand leurs causes n’existent pas encore.
La grande Apparition de la Salette a été éclairée de tous les flambeaux.
Trois ans et quelques mois après, M. l’abbé Michel Perrin, qui desservait le
pèlerinage, attestait, les pièces en main, plus de deux cent cinquante
guérisons obtenues par l’invocation de Notre-Dame de la Salette. La
fontaine, qui ne « fluait » qu’à la fonte des neiges ou à la suite
des grandes pluies, et qui, depuis, résiste à toutes les sécheresses, est un
miracle permanent.
Flambeau divin, les interrogatoires qu’on fit subir aux enfants. N’était-il
pas miraculeux de voir deux enfants qui, la veille, ne parlaient pas le
français, débiter un long discours sans comprendre, et s’expliquer aisément en
cette langue ? « Les interrogatoires les plus subtils ne les
effraient point, les phrases les plus captieuses ne les déconcertent
point ; ils échappent à tous les pièges au moyen de réponses claires et
péremptoires. Confrontés ou séparés, leurs dépositions s’harmonisent, se
complètent, se corroborent, et cela sur des détails sans valeur. Les
théologiens se sont avoués vaincus, les jurisconsultes et les savants, d’abord
d’une hardiesse extrême, craignirent bientôt d’y voir trop clair. Après l’un de
ces interrogatoires, on disait à Mélanie :
– Mon enfant, n’êtes-vous pas ennuyée de répéter si souvent les mêmes
choses ?
– Non, Monsieur.
– Cela doit pourtant vous ennuyer, surtout quand on vous fait des questions
embarrassantes ?
– Monsieur, on m’a jamais fait des questions embarrassantes... »
Silence et stupéfaction ! Tout l’auditoire se regarde, et chacun est très
embarrassé de s’être ainsi évertué en vain.
L’abbé Dupanloup, qui devint évêque d’Orléans, avouait avoir été battu
par ces deux enfants. « Il faut remarquer, écrivait-il le 11 juin 1848, que
jamais accusés n’ont été, en justice, poursuivis de questions sur un crime
comme ces deux pauvres petits paysans le sont depuis deux ans sur la vision
qu’ils racontent. À des difficultés souvent préparées d’avance, quelquefois
longuement et insidieusement méditées, ils ont toujours opposé des réponses
promptes, brèves, claires, précises, péremptoires. On sent qu’ils seraient
radicalement incapables de tant de présence d’esprit, si tout cela n’était la
vérité. On les a vu conduire, comme on conduirait des malfaiteurs, sur le lieu
même, ou de leur révélation ou de leur imposture ; ni les personnages les
plus graves et les plus distingués ne les déconcertent, ni les menaces et les
injures ne les effraient, ni les caresses et la douceur ne les font fléchir, ni
les plus longs interrogatoires ne les fatiguent, ni la fréquente répétition de
toutes ces épreuves ne les trouve en contradiction, soit chacun avec lui-même,
soit l’un avec l’autre. »
Cette assistance surnaturelle a duré toute leur vie.
Un savant professeur de théologie et son ami, curé dans une grande ville,
étaient venus à la Salette, avec une douzaine d’objections préparées et
étudiées d’avance, pour les proposer à Maximin, lorsqu’il quitterait son
échoppe, pour venir, sur la demande des pèlerins (qui le préféraient aux
Missionnaires), faire le récit du miracle. Lorsque Maximin eut achevé son
exposition, le professeur proposa la première objection. Maximin se borna à
dire : « Passez à la seconde » ; les mêmes choses se
passèrent à la 2e, à la 3e, à la 4e et la 5e
objection ; Maximin répondit alors en quelques mots ; il fit crouler
les cinq objections, et cet écroulement entraîna celui des sept autres. En
voyant cela, ce professeur et ce curé nous dirent à nous-même, car nous étions
à côté d’eux : « Ce jeune homme est toujours dans sa mission ;
il est assisté par la Sainte Vierge aujourd’hui comme aux premiers jours ;
c’est évident pour nous. Aucun théologien, fût-il le plus savant du monde,
n’aurait pu faire un pareil tour de force. Tout cela est certainement
surhumain. Il nous a mieux prouvé le miracle qu’on n’aurait pu le faire par les
plus fortes démonstrations. » AMEDÉE NICOLAS.
Tous ces signes divins ne sont pour ainsi dire rien auprès des merveilles de
grâces opérées dans les âmes. Convertir les pécheurs, les ramener à Jésus, tel
est le but de l’apparition de la Salette et tel fut l’effet partout où elle fut
comprise. N’était-il pas miraculeux de voir se convertir, au récit de ces
enfants, des foules qui les accueillaient d’abord avec la dernière prévention
et très souvent avec mépris ? Dès la première année, le canton de Corps
fut entièrement renouvelé. Non seulement on n’y entendait plus blasphémer, non
seulement on n’y voyait personne travailler le dimanche, mais tous
fréquentaient les églises et, dès 1847, presque tous faisaient leurs Pâques.
Ainsi à Corps, sur une population de 1 800 habitants, il n’y eut pas
trente personnes qui négligèrent cet important devoir.
Mais pourquoi nous étendre sur ces signes divins, lorsque chacun peut
alléguer une autorité supérieure : celle de la Sainte Église. Si la
Salette n’est pas un article de foi, c’est un article de bonne foi ; si ce
n’est pas un dogme, c’est une grâce dont on n’a pas assez profité.
83.
Délai admirable ! La Sainte Vierge voulait que Mélanie fût déliée de son
Secret, aussitôt après son apparition à Lourdes, le 11 février 1858 ! Il
est étonnant que personne n’ait semblé remarquer cela. (Léon Bloy).
84.
La Vierge très pure se sert d’une expression énergique, pour faire entendre
que, dans un seul exemple d’intempérance, elle veut flétrir les plaies hideuses
du sensualisme. Ne pouvant découvrir ces plaies sous les yeux des enfants, elle
nous les signale suffisamment, puisque non seulement dans le langage de la
Sainte Écriture, mais dans toutes les langues, le mot « chiens »
désigne les pécheurs qui ne cachent pas la honte de leurs vices.
85.
Le Coin est le nom d’une terre située à quelque distance de Corps.
86.
La Sainte Vierge montre l’importance qu’Elle attache à son enseignement. Elle
est venue, en effet, nous ramener à l’observation « in spiritu et
veritate » de la Loi de Dieu. Elle a si bien résumé, dans son
discours, les enseignements de son Fils, qu’il est impossible de parler d’une
manière utile aux chrétiens, aux religieux et aux ecclésiastiques de nos jours,
sans retomber, qu’on le veuille ou non, dans ce qu’Elle vient de dire. Aussi,
après avoir commencé comme son Fils : « poenitemini »
(Marc, I, 15). « Si mon peuple ne veut pas se soumettre »,
elle termine comme lui : « Docete omnes gentes » (Math.
XXVIII, 19) « Vous le ferez passer à tout mon peuple ». Ces
dernières paroles, Elle les redit. Un souverain ne répète pas un ordre qu’il
vient de donner ; mais Elle fit entendre aux enfants que, la première
fois, il s’agissait de la partie de son discours destinée à être rendue
immédiatement publique, et, la seconde fois, des secrets.
87.
Maximin : « Nous ne vîmes plus qu’un globe de feu s’élever et
pénétrer dans le firmament. – Dans notre langage naïf, nous avons appelé ce
globe le second soleil. Nos regards furent longtemps attachés sur l’endroit où
le globe lumineux avait disparu. Je ne puis dépeindre ici l’extase dans
laquelle nous nous trouvions. Je ne parle que de moi ; je sais très bien
que tout mon être tait anéanti, que tout le système organique était arrêté en
ma personne. Lorsque nous eûmes le sentiment de nous-mêmes, Mélanie et moi nous
nous regardions sans pouvoir prononcer un seul mot, tantôt levant les yeux vers
le ciel, tantôt les portant à nos pieds, et autour de nous, tantôt interrogeant
du regard tout ce qui nous environnait. Nous semblions chercher le personnage
resplendissant que je n’ai plus revu. »
88.
Voilà un passage qui a certainement semblé bien insignifiant à bon nombre de
lecteurs. Mélanie qui prend la Belle Dame pour « le bon Dieu de son
père » ! Quel style ! Quelle idée singulière de nous transcrire
de la sorte, en plein récit officiel du Grand Fait, cette remarque enfantine,
pour ne pas dire mesquine ! Était-ce pour égayer la narration par la réplique
assez terre-à-terre de Maximin qui, d’habitude, a des réparties plus
originales ? Vraiment cette petite ligne est bien insignifiante..
.
Pour ceux qui ont eu le bonheur de connaître personnellement la pieuse
narratrice, cette ligne anodine est l’une des plus charmantes du récit. Elle la
leur fait revivre ; elle leur rappelle une des délicatesses de ce
caractère aussi admirable en réalité qu’avide d’ombre et d’oubli.
« Mémin, cela doit être le bon Dieu de mon père. » Vous
paraît-elle seulement insignifiante, cette phrase, ne la trouvez-vous pas aussi
un peu choquante, si vous vous souvenez de cette allusion que nous avons
eu déjà l’occasion de faire aux apparitions célestes si multipliées dont avait
été favorisée la petite enfance de Mélanie ? Quoi ! depuis une
dizaine d’années elle vivait dans la familiarité presque constante de Celle
qu’elle appelait sa Mère ; et, dans cette journée du 19 septembre, elle ne
la reconnaît pas ! Elle se trompe aussi grossièrement ! Elle la prend
pour le « Bon Dieu de son père » ! De qui se moque-t-on
ici ? N’est-ce pas une effronterie, plutôt qu’une phrase
« insignifiante ? »...
Et nous qui avons eu la joie de voir Mélanie de près, cette parole qu’elle
se rappelle avoir dite à Maximin nous comble d’allégresse ! Nous la voyons,
ce jour-là, telle que nous l’avons toujours connue.
Elle ne se moquait pas, certes, de Maximin, pas plus qu’elle ne se moquait,
par exemple, de moi vers la fin de sa vie, en me laissant croire que c’était
par inattention, indifférence, paresse ou originalité, qu’elle arrivait en
retard, ou même n’arrivait pas du tout à l’église à son heure habituelle, un ou
deux jours par semaine. Je n’aurais jamais su le mystère si, un jour de
semblable absence, je n’étais rentré chez elle à l’improviste, sans qu’elle eût
le temps de faire disparaître un preuve matérielle de ses sanglants stigmates.
J’abusai de ma prétendue autorité. Il lui fallut s’expliquer. Et, malgré elle,
pressée par mes questions, elle m’avoua que Notre-Seigneur, crucifié, lui
apparaissant, l’associait aux souffrances de sa Passion... Et tout ce qu’on
saura d’elle, un jour, c’est par des moyens pareils qu’on en a surpris la
connaissance...
Oh ! que l’humilité était belle dans cette âme formée par
l’« Aimable Frère » ! C’est bien Lui qui avait enseigné à cette
âme, avec le « Sacramentum Regis (Le sacrement du Roi) »,
l’art difficile de « cacher le secret du Roi » ! Ces effusions
des intimités divines, il fallait les dérober à tout regard étranger... et on
dirait que tout le travail de sa vie extérieure consistait à les cacher. Une
âme qui est dans des rapports quasi ininterrompus avec le monde surnaturel et
qui ne doit laisser apercevoir cela à personne ! Une âme qui est à l’école
de Celui qui sait tout, et qui doit tout ignorer !... Elle avait pris le
bon moyen, elle se mettait, comme par instinct, au niveau de ceux qui lui
parlaient.
J’ai été témoin, à ce sujet, de choses véritablement stupéfiantes et que
l’heure viendra peut-être de raconter... Au 19 septembre elle était enfant, et
elle parlait à Maximin comme aurait parlé un enfant. Ce lui est si naturel
qu’elle ne s’aperçoit pas même qu’elle met en œuvre la plus belle des
vertus ; et, tout simplement, sans s’en douter, elle la pratique, elle en
est tout embaumée, en plein public : car lorsqu’on publie un récit comme
le sien, on est bien au milieu de la foule ! Mais que lui importe ?
Elle n’y pense pas ! Et elle écrit la phrase
« insignifiante » : « Cela doit être le bon Dieu de mon
père » !...
Le soir de ce grand jour, sa maîtresse la trouvera dans l’écurie fondant en
larmes. Ces larmes qu’elle avait retenues devant Maximin, elle saura bien tes
comprimer encore, dès qu’elle s’apercevra qu’elle n’est pas seule. Elle ne doit
pleurer qu’en secret sur ces choses dont elle doit paraître la messagère inconsciente,
mais qu’elle a trop bien comprises... Qu’importe du reste qu’elle verse ou non
des larmes ? On les mentionnera, et c’est tout : nul ne songe à
demander : Pourquoi ? Elle a fermé toutes les curiosités avec sa
phrase enfantine sur « le bon Dieu de son père ».
Je m’exprimais mal tout à l’heure, en disant que Mélanie se mettait au
niveau de son milieu. Verrait-on dans ces mots quelque chose comme une
condescendance orgueilleuse qui la poussait, non sans quelque dédain, à
s’incliner de la sorte ? Non, ce n’est pas elle qui se mettait à ce
niveau. Elle n’avait qu’à se laisser faire : c’est l’« Aimable
Frère » qui faisait tout.
Entre ses mains, l’âme humble n’a qu’à se prêter : Mélanie tout
simplement se prêtait. Et c’était vraiment si simple que personne ne songeait à
s’en étonner. Notre-Seigneur se fait ainsi des âmes qui ne sont que pour Lui de
belles fleurs pour son « Jardin fermé ». La Bergère disparaît-elle
assez dans ce long récit où, pourtant, elle est perpétuellement en
scène !...
L’heure viendra, que j’attends avec impatience, de soulever tous ces voiles,
« Opera Dei revelare honorificum est (Il est honorable de révéler
les œuvres de Dieu) ». Qu’il nous suffise, pour le moment, d’admirer, sans
essayer de les comprendre, toutes ces précautions divines. Notre-Seigneur
aimait tant cette âme, qu’il la voulait pour Lui et rien que pour Lui. Et elle,
comme elle se soumettait, docile et simple, à toutes les exigences de l’Ami
céleste ! Prenez-la deux ans après l’Apparition : les écrivains ont tôt
fait de nous dire que jusqu’à l’âge de 17 ans et malgré les soins des
Religieuses de Corps, elle ne put être suffisamment instruite pour faire sa
première communion, et ne put apprendre l’alphabet (a). Ils trouvent là
l’occasion facile d’un savant commentaire du texte : « Quae stulta
sunt mundi elegit Deus ut confundat sapientes (Dieu choisit ce qui est fou
aux yeux du monde afin de confondre les sages). » C’est dur pourtant pour
une jeune fille de passer pour sotte à ce point ! Recevoir les leçons du
grand docteur de l’Éternelle Sagesse en personne, avoir été formée à cette
école, et ne pouvoir, devant le jury de la première communion, réciter la
lettre du catéchisme !... On n’a pas remarqué que, tout d’un coup,
sans qu’elle s’en rendît compte elle-même, elle s’était trouvée aussi instruite
que ses compagnes... Son âge de 17 ans expliquera tout : il est tout
naturel en effet qu’une jeune fille de 17 ans, profondément ignorante la
veille, sache lire le lendemain. Personne n’en fut surpris ; et l’on put
voir enfin cet enfant, à l’esprit si longtemps borné, prendre place dans les
rangs des petites communiantes de onze ans. Toute la paroisse de Corps était
convaincue qu’elle communiait pour la première fois... Comme l’« Aimable
Frère » cachait bien des secrets ! Non, la « Petite Sœur »
ne se mettait pas au niveau de son milieu ; c’était Lui qui la mettait,
par amour, par « préservatif », bien au-dessous de ce niveau.
(a) Pour qu’elle apprît à lire, elles ne lui enseignèrent pas de vive voix
la lettre du catéchisme : « Quand vous saurez lire, lui disait-on,
vous l’apprendrez dans votre livre et ferez votre première communion. »
89.
Maximin : « Lorsque je dois parler de la Belle Dame qui m’est apparue
sur la Sainte Montagne, j’éprouve l’embarras que devait éprouver saint Paul en
descendant du troisième ciel. Non, l’œil de l’homme n’a jamais vu, son oreille
n’a jamais entendu ce qu’il m’a été donné de voir et d’entendre.
« Comment des enfants ignorants, appelés à s’expliquer sur des choses
si extraordinaires, auraient-ils rencontré une justesse d’expression que des
esprits d’élite ne rencontrent pas toujours pour peindre des objets
vulgaires ? Qu’on ne s’étonne donc pas si ce que nous avons appelé bonnet,
couronne, fichu, chaînes, roses, tablier, robe,
bas, boucles et souliers, en avait à peine la forme. Dans
ce beau costume, il n’y avait rien de terrestre ; les rayons seuls et de
nuances différentes s’entrecroisant, produisaient un magnifique ensemble que
nous avons amoindri et matérialisé.
« Une expression n’a de valeur que par l’idée qu’on y attache ;
mais où trouver, dans notre langue, des expressions pour rendre des choses dont
les hommes n’ont nulle idée. C’était une lumière, mais lumière bien différente
de toutes les autres ; elle allait directement à mon cœur sans passer par
mes organes et cependant avec une harmonie que les plus beaux concerts ne
sauraient reproduire, que dis-je ? avec une saveur que les plus douces
liqueurs ne sauraient avoir.
« Je ne sais quelles comparaisons employer, parce que les comparaisons
prises dans le monde sensible sont atteintes du défaut que je reproche aux mots
de notre langue ; elles n’offrent pas à l’esprit l’idée que je veux
rendre. Lorsqu’à la fin d’un feu d’artifice la foule s’écrie :
« Voici le bouquet », y a-t-il un rapport bien grand entre une
réunion de fleurs et un ensemble de fusées qui éclatent ? Non,
assurément ; eh bien ! la distance qui sépare les comparaisons que
j’emploie et les idées que je veux rendre est infiniment plus considérable
encore. »
90.
La Sainte Vierge n’a pas permis au petit berger de voir ses yeux. Il n’a pu la
voir pleurer : il ne savait pas ce qu’étaient ces étincelles de lumière
qui disparaissaient vers les genoux de la Belle Dame. Elle ne lui a pas même
permis de contempler son visage : « J’ai pas pu voir sa figure
qui éblouissait. »
91.
« Amen, qu’il en soit ainsi ! » Immense souffrance et abandon
toujours à la volonté divine... Comme la sainte enfant se peint admirablement
dans ce cri impersonnel qui est ici d’une sublime simplicité ! La connaissance
que Dieu lui donnait des Péchés qui se font sur la terre, l’« odeur »
du péché est la seule souffrance dont elle se soit plainte... Pour expier, elle
pleura tellement qu’elle devint aveugle pendant son séjour à Darlington. Elle
recouvra la vue par un miracle, mais ses larmes ne cessant de couler, sa vue
redevint très faible.
92.
La ville de Messine se glorifie de posséder une lettre que la Sainte Vierge
écrivit à ses habitants qui venaient de recevoir la foi chrétienne.
93.
Mélanie fut souvent communiée par Notre-Seigneur lui-même et jouissait de la
vue continuelle de son ange gardien. Or deux habitants d’Altamura ont affirmé
avoir entendu dans l’appartement de la « pieuse dame française » à
l’Angelus du soir, la nuit qu’elle est morte, des chants angéliques sur l’air
de Pange lingua et le tintement d’une clochette comme lorsque l’on porte
le Saint-Viatique.
Devant un auditoire qui connaissait ce témoignage, l’orateur s’est donc
borné à l’insinuer, et la solennité d’une oraison funèbre exigeait cette
discrétion. Quelqu’un lui écrivit de vouloir bien confirmer la déposition de
ces deux témoins, ou la démentir formellement. Voici sa réponse :
« Je vous certifie qu’il est très vrai que le gentilhomme Pascal
Massari, d’Altamura, personnage respectable, digne de foi, et une dame, voisins
de Mélanie, m’ont affirmé (et sont prêts à prêter serment) avoir entendu, le
premier, le chant de Pange lingua qu’accompagnaient des voix angéliques,
avec des tintements de clochette ; l’autre un bruit continu de clochette
comme quand on porte le Saint-Viatique.
« J’ai recueilli ces dépositions en présence de deux prêtres de mes
amis, dont l’un est Français, après avoir posé à ces personnes de minutieuses
et précises questions. »
94.
Trois cornes, a-t-elle dit.
95.
La ligne tracée par Mélanie a 112 millimètres.
96.
Bleu du ciel. (Explication orale de Mélanie).
97.
Elles ne seront pas les premières. Toutefois les premières n’auront pas encore
le costume, quand celles de Corenc se présenteront. (Explication orale de
Mélanie).
98.
C’est-à-dire, sans taille. (Explication orale de Mélanie).
99.
Dans une conversation elle a dit aussi « Aux évêques ».
100.
Mélanie portait leur costume. Dans son intérieur elle avait un petit bonnet.
101.
Vu la manière de parler de Mélanie, les infirmes et malades dont il est
question dans cet alinéa sont les infirmes et malades spirituels. (Sous
réserve).
SOURCE : http://livres-mystiques.com/partieTEXTES/Leonbloy/quipleure.html
La Madonna lungo i secoli è apparsa molte volte, lasciando messaggi, incitando alla preghiera ed al pentimento dei peccati. Per lo più i destinatari di tali apparizioni sono stati veggenti o persone di umili condizioni e di animo innocente, quasi a garanzia della veridicità degli eventi che si verificavano. Così fu, solo per citare alcune tra le più famose e ritenute autentiche, per l’apparizione nel 1531 di Guadalupe in Messico a san Juan Diego Cuauhtlatoatzin, un indio analfabeta; per quella di Lourdes nel 1858 a santa Bernadette Soubirous; per quella di Fatima nel 1917 ai tre pastorelli Giacinta, Francesco e Lucia.
Ma dodici anni prima delle apparizioni di Lourdes, così conosciute nel mondo, la Madonna era già apparsa nella stessa Francia a La Salette, località del dipartimento dell’Isère, nel cuore del circo delle Alpi francesi, in cui scorre il fiume Drac, a circa 1800 metri sul livello del mare.
I veggenti
Come successe e sarebbe succeduto in seguito per altre apparizioni, la Vergine si è incontrata con due pastorelli: Mélanie Calvat, di circa 15 anni, e Maximin Giraud, undicenne. Erano molto poveri sia economicamente, sia culturalmente (nessuno dei due era mai andato a scuola, né al catechismo) e trascurati negli affetti.
Mélanie Calvat, o Mathieu-Calvat, viveva presso i contadini dei dintorni di Corps, paese in cui era nata il 7 novembre 1831. Collocata a servizio come pastorella, ritornava in famiglia solo nell’inverno, quando si soffriva la fame e il freddo: per questo maturò un carattere introverso e divenne timida e chiusa, di poche parole; rispondeva molte volte solo con dei sì o dei no.
Maximin Giraud, anch’egli nato a Corps il 26 agosto 1835, era invece molto vivace: trascorreva il suo tempo libero correndo con il suo cane Loulou e una capretta. Rimasto orfano di madre a diciassette mesi, preferiva stare fuori casa, lontano dalla sua matrigna.
Mélanie e Maximin fanno amicizia
Verso la metà di settembre del 1846, un contadino delle alture Ablandins, Pierre Selme, aveva il suo pastorello ammalato: quindi scese a Corps dal suo amico Germain Giraud a chiedere in prestito per alcuni giorni il figlio Maximin. Nonostante il padre avesse affermato che il ragazzo fosse troppo distratto per fare il pastore, glielo concesse, a partire dal 14 settembre.
Il 17 settembre conobbe sui pascoli Mélanie Calvat, con la quale tentò di chiacchierare, anche se la ragazza non ne aveva voglia. Comunque, dopo aver scoperto di essere nativi entrambi di Corps, decisero di venire il giorno seguente sullo stesso pascolo.
19 settembre 1846
Quindi il sabato 19 settembre 1846 salirono di buon’ora i versanti del monte Planeau, al di sopra del villaggio di La Salette, guidando ognuno quattro mucche a pascolare. Dopo una mattinata calma di pascolo, a mezzogiorno, al suono dell’Angelus della campana del villaggio sottostante, pranzarono con pane e formaggio e bevvero l’acqua fresca della “fontana degli uomini”, detta così per distinguerla da quella per le bestie; vennero poi raggiunti da altri pastorelli che controllavano altri bovini più a valle.
Dopo il pranzo Mélanie e Maximin si divisero dagli altri: attraversato un ruscello, si stesero sull’erba e, contrariamente alle loro abitudini, si assopirono al tepore del sole di fine estate. Svegliatisi di botto con il pensiero delle mucche che si erano allontanate, le ritrovarono nell’altro versante e cominciarono la discesa.
Una Bella Signora che piange
A metà strada, presso una piccola sorgente, Mélanie per prima vide su un mucchio di pietre un globo di fuoco «come se il sole fosse caduto lì» e lo indicò a Maximin. Da quella sfera luminosa cominciò ad apparire una donna, seduta con la testa fra le mani, i gomiti sulle ginocchia, profondamente triste.
Davanti al loro stupore, la Signora si alzò e con voce dolce, ma in lingua francese, disse loro: «Avvicinatevi figli miei, non abbiate paura, sono qui per annunciarvi una grande notizia». Rincuorati, i ragazzi si avvicinarono e videro che la figura stava piangendo
Appariva alta, luminosa, vestita come le donne del luogo: lunga tunica, grande grembiule alla vita, uno scialle incrociato e annodato dietro, una cuffia da contadina. Numerose rose le incoronavano la testa e orlavano il suo scialle e i suoi calzari. Sulla fronte splendeva una luce simile ad un diadema. Sulle spalle aveva una lunga catena, mentre da un’altra catenina pendeva sul petto un crocifisso sfavillante, ai lati del quale erano presenti un martello e una tenaglia mezza aperta.
Il messaggio
I due pastorelli raccontarono in seguito ai loro interlocutori, agli inquirenti o ai semplici pellegrini, che la Signora piangeva per tutto il tempo che parlò loro. Sostanzialmente, con piccole sfumature, riferirono insieme o separatamente le stesse parole del messaggio della Signora, che, è bene ricordare, essi non riconobbero in quel momento come la Madonna.
La Vergine parlò molto in questa unica apparizione a La Salette, citando, oltre a problemi generali e mondiali, anche episodi locali, con riferimenti personali a episodi della famiglia di Maximin e facendo riferimento a esempi della vita dei campi. Inizialmente si espresse in francese, ma subito passò al dialetto di Corps, parlato dai ragazzi.
Non è possibile riportare in questo breve spazio tutto il messaggio e la sua necessaria interpretazione. Ne citiamo solo alcuni brani: «Se il mio popolo non vuole sottomettersi, sono costretta a lasciare libero il braccio di mio Figlio. Esso è così forte e così pesante che non posso più trattenerlo». «Da quanto tempo soffro per voi!». «Se voglio che mio Figlio non vi abbandoni, sono incaricata di pregarlo incessantemente e voi non ci fate caso. Per quanto pregherete e farete, mai potrete compensare la pena che mi sono presa per voi». «Vi ho dato sei giorni per lavorare, mi sono riservato il settimo e non me lo volete concedere. È questo che appesantisce tanto il braccio di mio Figlio». «E anche quelli che guidano i carri non sanno che bestemmiare il nome di mio Figlio. Queste sono le due cose che tanto appesantiscono il braccio di mio Figlio».
Poi parlò separatamente, di nuovo in francese, ai due ragazzi, in modo che solo uno riuscisse ad ascoltarla. Alla fine oltrepassò il ruscello e iniziò a salire il versante opposto. Senza più voltarsi diede un ultimo invito: «Ebbene, bambini miei, voi lo farete sapere a tutto il mio popolo». Giunta sulla cima del colle, s’innalzò da terra e man mano spari, lasciando stupefatti i due pastorelli che l’avevano seguita.
Le reazioni nel villaggio
Scesi alle cascine dove lavoravano, i pastorelli raccontarono l’incontro con la bella Signora per giustificare anche il ritardo nel tornare. L’indomani, domenica, scesero dal parroco don Jacques Perrin a raccontargli l’incontro: il sacerdote, durante la celebrazione, si sentì commosso e non mancò di far cenno all’evento nella predica domenicale.
Il sindaco, invece, per tutta la sera cercò di far ritrattare Mélanie, promettendo, minacciando, ma lei rispose: «La Signora mi ha detto di dirlo e lo dirò». L’uomo scese anche a Corps da Maximin, nel frattempo rientrato in famiglia, e poté constatare che il racconto del candido ragazzo corrispondeva a quello di Mélanie.
La sera stessa, i datori di lavoro dei ragazzi e un loro vicino ebbero la felice idea di mettere per iscritto, sotto dettatura di Mélanie, le parole della Vergine: è il primo documento scritto, controfirmato dai tre uomini.
Il decreto di approvazione diocesana
Rapidamente la notizia si diffuse: cominciarono ad arrivare giornalisti, funzionari, inquirenti inviati dal vescovo di Grenoble, monsignor Philibert de Bruillard, cui spettava di diritto pronunciarsi sul fatto avvenuto nella sua Diocesi. Personalmente era convinto della verità di quanto accaduto e dell’incapacità di ingannare dei due pastorelli, ma dovette nominare una commissione d’inchiesta. I ragazzi vennero ripetutamente ascoltati, furono raccolte informazioni e data libertà di parola ai contraddittori.
Solo dopo cinque anni d’indagini, il 19 settembre 1851, monsignor de Bruillard emanò il suo decreto, il cui primo articolo recitava: «Noi dichiariamo che l’Apparizione della Madonna a due pastorelli, il 19 settembre 1846, su una montagna della catena delle Alpi, situata nella parrocchia de La Salette, vicaria foranea di Corps, reca in se stessa tutti i caratteri della verità ed i fedeli hanno fondate ragioni per crederla indubitabile e certa».
I Missionari di Nostra Signora de La Salette e il santuario
Inoltre, il 1° maggio 1852, il vescovo annunciò con lettera ufficiale la costruzione di un santuario sul luogo e la fondazione di un corpo di missionari diocesani per l’assistenza spirituale dei pellegrini, col nome di “Missionari di Nostra Signora de La Salette”.
Il 2 febbraio 1858 i primi sei sacerdoti pronunciarono i primi voti. La congregazione si espanse in tutto il mondo, modellando la sua organizzazione con l’opera illuminata di padre Silvano Maria Giraud, coadiuvato da altri uomini di valore. I Missionari sono affiancati dal ramo femminile delle Suore di Nostra Signora de La Salette che comprende, dal 1955, i primi due movimenti religiosi sorti nei primi anni dopo l’apparizione e all’inizio del Novecento: le Religiose Riparatrici e le Suore Missionarie di Nostra Signora de La Salette.
Infine, sul luogo dell’apparizione, fu costruita dal 1861 al 1879 una basilica in stile neoromanico, gestita dall’ Associazione dei Pellegrini de La Salette, cui è stata affidata, insieme al complesso ricettivo, dalla diocesi di Grenoble. I Missionari e le Suore di Nostra Signora de La Salette ne assicurano la funzionalità e la spiritualità, essendo questa ormai la loro culla e Casa Madre.
Il messaggio e i segreti
Nel mese di luglio 1851 i due pastorelli, su richiesta dell’autorità ecclesiastica, trascrissero il loro segreto, che fu consegnato a papa Pio IX. Bisogna tuttavia operare una distinzione: il messaggio che la Madonna incaricò loro di divulgare richiamava gli uomini alla conversione, al rispetto del giorno festivo dedicato a Dio e alla condanna della bestemmia, culminando con l’invito alla penitenza per alleviare le calamità naturali.
Invece i segreti affidati ai due veggenti, scoperti nel 1999 dall’abbé Michel Corteville, erano così divisi: quello a Mélanie consisteva nell’annuncio di grandi calamità per la Francia e per l’Europa, con riferimento all’anticristo e alla rovina di Parigi e una dura reprimenda contro le persone consacrate ma infedeli; quello affidato a Maximin annunciava la misericordia e la speranza.
Il destino dei veggenti
Il 19 settembre 1855 il nuovo vescovo di Grenoble, monsignor de Ginoulhiac, riassumeva così la situazione: «La missione dei fanciulli è terminata, comincia quella della Chiesa». Tuttavia, entrambi non ebbero una vita felice: furono sottoposti singolarmente ad interrogatori, a volte creduti, a volte no. Comunque monsignor de Ginoulhiac, in un decreto dottrinale del 4 novembre 1854, precisò che le qualità morali dei veggenti, sia prima sia dopo l’apparizione, non fossero importanti in relazione alla realtà dell’accaduto.
Maximin Giraud mantenne sempre un animo semplice, anche nei travagli della sua vita: viaggiò molto, andò in collegio e in seminario, lavorò quindi in farmacia e per breve tempo si arruolò come zuavo pontificio. Diventò socio di un mercante di liquori, ma non riuscì a far quadrare i conti. Tornò dunque a Corps e vi morì la sera del 1° marzo 1875, a 39 anni, celibe, munito dei conforti religiosi.
Quanto a Mélanie Calvat, rimase quattro anni presso le Suore della Provvidenza a Corps, ma divenne oggetto di attenzioni e premure dei visitatori e non venne ammessa ai voti. Entrò e uscì da vari conventi in alcune Nazioni europee, poi si stabilì a Castellammare di Stabia in provincia di Napoli, dove mise per iscritto i suoi presunti segreti. Spostatasi a Galatina presso Lecce, venne visitata da sant’Annibale Maria Di Francia, che le domandò aiuto per salvare la congregazione delle Figlie del Divino Zelo, da lui fondata a Messina; dopo un anno, lasciò il suo compito. In seguito a ulteriori viaggi, si stabilì in incognito ad Altamura in provincia di Bari, dove morì nella notte tra il 13 e il 14 dicembre 1904, a 73 anni.
Autore: Antonio Borrelli ed Emilia Flocchini
Note: Per maggiori informazioni:
Missionari de La Salette - Curia provinciale
Via Andersen, 15
00168 Roma
Tel. 06.616.624.37
e-mail: prov.salette@tin.it
Nostra Signora de La Salette
Apparizione: 19 settembre 1846
Il
19 settembre 1846 a La Salette, nel cuore delle Alpi francesi, la Vergine Maria
apparve a due pastorelli poco più che adolescenti, Mélanie Calvat e Maximin
Giraud. Le sue parole e il suo atteggiamento mesto costituirono un invito alla
conversione, tramite il rispetto del giorno festivo e l’opposizione alla
bestemmia. Dopo cinque anni d’indagini, il 19 settembre 1851, monsignor de
Bruillard, vescovo di Grenoble, emanò il decreto con cui l’apparizione era
approvata. Sul luogo del fatto prodigioso venne presto costruita una basilica,
dove la Madonna è onorata come “riconciliatrice dei peccatori”.
Nella linea delle
apparizioni autentiche
La Madonna lungo i secoli è apparsa molte volte, lasciando messaggi, incitando alla preghiera ed al pentimento dei peccati. Per lo più i destinatari di tali apparizioni sono stati veggenti o persone di umili condizioni e di animo innocente, quasi a garanzia della veridicità degli eventi che si verificavano. Così fu, solo per citare alcune tra le più famose e ritenute autentiche, per l’apparizione nel 1531 di Guadalupe in Messico a san Juan Diego Cuauhtlatoatzin, un indio analfabeta; per quella di Lourdes nel 1858 a santa Bernadette Soubirous; per quella di Fatima nel 1917 ai tre pastorelli Giacinta, Francesco e Lucia.
Ma dodici anni prima delle apparizioni di Lourdes, così conosciute nel mondo, la Madonna era già apparsa nella stessa Francia a La Salette, località del dipartimento dell’Isère, nel cuore del circo delle Alpi francesi, in cui scorre il fiume Drac, a circa 1800 metri sul livello del mare.
I veggenti
Come successe e sarebbe succeduto in seguito per altre apparizioni, la Vergine si è incontrata con due pastorelli: Mélanie Calvat, di circa 15 anni, e Maximin Giraud, undicenne. Erano molto poveri sia economicamente, sia culturalmente (nessuno dei due era mai andato a scuola, né al catechismo) e trascurati negli affetti.
Mélanie Calvat, o Mathieu-Calvat, viveva presso i contadini dei dintorni di Corps, paese in cui era nata il 7 novembre 1831. Collocata a servizio come pastorella, ritornava in famiglia solo nell’inverno, quando si soffriva la fame e il freddo: per questo maturò un carattere introverso e divenne timida e chiusa, di poche parole; rispondeva molte volte solo con dei sì o dei no.
Maximin Giraud, anch’egli nato a Corps il 26 agosto 1835, era invece molto vivace: trascorreva il suo tempo libero correndo con il suo cane Loulou e una capretta. Rimasto orfano di madre a diciassette mesi, preferiva stare fuori casa, lontano dalla sua matrigna.
Mélanie e Maximin fanno amicizia
Verso la metà di settembre del 1846, un contadino delle alture Ablandins, Pierre Selme, aveva il suo pastorello ammalato: quindi scese a Corps dal suo amico Germain Giraud a chiedere in prestito per alcuni giorni il figlio Maximin. Nonostante il padre avesse affermato che il ragazzo fosse troppo distratto per fare il pastore, glielo concesse, a partire dal 14 settembre.
Il 17 settembre conobbe sui pascoli Mélanie Calvat, con la quale tentò di chiacchierare, anche se la ragazza non ne aveva voglia. Comunque, dopo aver scoperto di essere nativi entrambi di Corps, decisero di venire il giorno seguente sullo stesso pascolo.
19 settembre 1846
Quindi il sabato 19 settembre 1846 salirono di buon’ora i versanti del monte Planeau, al di sopra del villaggio di La Salette, guidando ognuno quattro mucche a pascolare. Dopo una mattinata calma di pascolo, a mezzogiorno, al suono dell’Angelus della campana del villaggio sottostante, pranzarono con pane e formaggio e bevvero l’acqua fresca della “fontana degli uomini”, detta così per distinguerla da quella per le bestie; vennero poi raggiunti da altri pastorelli che controllavano altri bovini più a valle.
Dopo il pranzo Mélanie e Maximin si divisero dagli altri: attraversato un ruscello, si stesero sull’erba e, contrariamente alle loro abitudini, si assopirono al tepore del sole di fine estate. Svegliatisi di botto con il pensiero delle mucche che si erano allontanate, le ritrovarono nell’altro versante e cominciarono la discesa.
Una Bella Signora che piange
A metà strada, presso una piccola sorgente, Mélanie per prima vide su un mucchio di pietre un globo di fuoco «come se il sole fosse caduto lì» e lo indicò a Maximin. Da quella sfera luminosa cominciò ad apparire una donna, seduta con la testa fra le mani, i gomiti sulle ginocchia, profondamente triste.
Davanti al loro stupore, la Signora si alzò e con voce dolce, ma in lingua francese, disse loro: «Avvicinatevi figli miei, non abbiate paura, sono qui per annunciarvi una grande notizia». Rincuorati, i ragazzi si avvicinarono e videro che la figura stava piangendo
Appariva alta, luminosa, vestita come le donne del luogo: lunga tunica, grande grembiule alla vita, uno scialle incrociato e annodato dietro, una cuffia da contadina. Numerose rose le incoronavano la testa e orlavano il suo scialle e i suoi calzari. Sulla fronte splendeva una luce simile ad un diadema. Sulle spalle aveva una lunga catena, mentre da un’altra catenina pendeva sul petto un crocifisso sfavillante, ai lati del quale erano presenti un martello e una tenaglia mezza aperta.
Il messaggio
I due pastorelli raccontarono in seguito ai loro interlocutori, agli inquirenti o ai semplici pellegrini, che la Signora piangeva per tutto il tempo che parlò loro. Sostanzialmente, con piccole sfumature, riferirono insieme o separatamente le stesse parole del messaggio della Signora, che, è bene ricordare, essi non riconobbero in quel momento come la Madonna.
La Vergine parlò molto in questa unica apparizione a La Salette, citando, oltre a problemi generali e mondiali, anche episodi locali, con riferimenti personali a episodi della famiglia di Maximin e facendo riferimento a esempi della vita dei campi. Inizialmente si espresse in francese, ma subito passò al dialetto di Corps, parlato dai ragazzi.
Non è possibile riportare in questo breve spazio tutto il messaggio e la sua necessaria interpretazione. Ne citiamo solo alcuni brani: «Se il mio popolo non vuole sottomettersi, sono costretta a lasciare libero il braccio di mio Figlio. Esso è così forte e così pesante che non posso più trattenerlo». «Da quanto tempo soffro per voi!». «Se voglio che mio Figlio non vi abbandoni, sono incaricata di pregarlo incessantemente e voi non ci fate caso. Per quanto pregherete e farete, mai potrete compensare la pena che mi sono presa per voi». «Vi ho dato sei giorni per lavorare, mi sono riservato il settimo e non me lo volete concedere. È questo che appesantisce tanto il braccio di mio Figlio». «E anche quelli che guidano i carri non sanno che bestemmiare il nome di mio Figlio. Queste sono le due cose che tanto appesantiscono il braccio di mio Figlio».
Poi parlò separatamente, di nuovo in francese, ai due ragazzi, in modo che solo uno riuscisse ad ascoltarla. Alla fine oltrepassò il ruscello e iniziò a salire il versante opposto. Senza più voltarsi diede un ultimo invito: «Ebbene, bambini miei, voi lo farete sapere a tutto il mio popolo». Giunta sulla cima del colle, s’innalzò da terra e man mano spari, lasciando stupefatti i due pastorelli che l’avevano seguita.
Le reazioni nel villaggio
Scesi alle cascine dove lavoravano, i pastorelli raccontarono l’incontro con la bella Signora per giustificare anche il ritardo nel tornare. L’indomani, domenica, scesero dal parroco don Jacques Perrin a raccontargli l’incontro: il sacerdote, durante la celebrazione, si sentì commosso e non mancò di far cenno all’evento nella predica domenicale.
Il sindaco, invece, per tutta la sera cercò di far ritrattare Mélanie, promettendo, minacciando, ma lei rispose: «La Signora mi ha detto di dirlo e lo dirò». L’uomo scese anche a Corps da Maximin, nel frattempo rientrato in famiglia, e poté constatare che il racconto del candido ragazzo corrispondeva a quello di Mélanie.
La sera stessa, i datori di lavoro dei ragazzi e un loro vicino ebbero la felice idea di mettere per iscritto, sotto dettatura di Mélanie, le parole della Vergine: è il primo documento scritto, controfirmato dai tre uomini.
Il decreto di approvazione diocesana
Rapidamente la notizia si diffuse: cominciarono ad arrivare giornalisti, funzionari, inquirenti inviati dal vescovo di Grenoble, monsignor Philibert de Bruillard, cui spettava di diritto pronunciarsi sul fatto avvenuto nella sua Diocesi. Personalmente era convinto della verità di quanto accaduto e dell’incapacità di ingannare dei due pastorelli, ma dovette nominare una commissione d’inchiesta. I ragazzi vennero ripetutamente ascoltati, furono raccolte informazioni e data libertà di parola ai contraddittori.
Solo dopo cinque anni d’indagini, il 19 settembre 1851, monsignor de Bruillard emanò il suo decreto, il cui primo articolo recitava: «Noi dichiariamo che l’Apparizione della Madonna a due pastorelli, il 19 settembre 1846, su una montagna della catena delle Alpi, situata nella parrocchia de La Salette, vicaria foranea di Corps, reca in se stessa tutti i caratteri della verità ed i fedeli hanno fondate ragioni per crederla indubitabile e certa».
I Missionari di Nostra Signora de La Salette e il santuario
Inoltre, il 1° maggio 1852, il vescovo annunciò con lettera ufficiale la costruzione di un santuario sul luogo e la fondazione di un corpo di missionari diocesani per l’assistenza spirituale dei pellegrini, col nome di “Missionari di Nostra Signora de La Salette”.
Il 2 febbraio 1858 i primi sei sacerdoti pronunciarono i primi voti. La congregazione si espanse in tutto il mondo, modellando la sua organizzazione con l’opera illuminata di padre Silvano Maria Giraud, coadiuvato da altri uomini di valore. I Missionari sono affiancati dal ramo femminile delle Suore di Nostra Signora de La Salette che comprende, dal 1955, i primi due movimenti religiosi sorti nei primi anni dopo l’apparizione e all’inizio del Novecento: le Religiose Riparatrici e le Suore Missionarie di Nostra Signora de La Salette.
Infine, sul luogo dell’apparizione, fu costruita dal 1861 al 1879 una basilica in stile neoromanico, gestita dall’ Associazione dei Pellegrini de La Salette, cui è stata affidata, insieme al complesso ricettivo, dalla diocesi di Grenoble. I Missionari e le Suore di Nostra Signora de La Salette ne assicurano la funzionalità e la spiritualità, essendo questa ormai la loro culla e Casa Madre.
Il messaggio e i segreti
Nel mese di luglio 1851 i due pastorelli, su richiesta dell’autorità ecclesiastica, trascrissero il loro segreto, che fu consegnato a papa Pio IX. Bisogna tuttavia operare una distinzione: il messaggio che la Madonna incaricò loro di divulgare richiamava gli uomini alla conversione, al rispetto del giorno festivo dedicato a Dio e alla condanna della bestemmia, culminando con l’invito alla penitenza per alleviare le calamità naturali.
Invece i segreti affidati ai due veggenti, scoperti nel 1999 dall’abbé Michel Corteville, erano così divisi: quello a Mélanie consisteva nell’annuncio di grandi calamità per la Francia e per l’Europa, con riferimento all’anticristo e alla rovina di Parigi e una dura reprimenda contro le persone consacrate ma infedeli; quello affidato a Maximin annunciava la misericordia e la speranza.
Il destino dei veggenti
Il 19 settembre 1855 il nuovo vescovo di Grenoble, monsignor de Ginoulhiac, riassumeva così la situazione: «La missione dei fanciulli è terminata, comincia quella della Chiesa». Tuttavia, entrambi non ebbero una vita felice: furono sottoposti singolarmente ad interrogatori, a volte creduti, a volte no. Comunque monsignor de Ginoulhiac, in un decreto dottrinale del 4 novembre 1854, precisò che le qualità morali dei veggenti, sia prima sia dopo l’apparizione, non fossero importanti in relazione alla realtà dell’accaduto.
Maximin Giraud mantenne sempre un animo semplice, anche nei travagli della sua vita: viaggiò molto, andò in collegio e in seminario, lavorò quindi in farmacia e per breve tempo si arruolò come zuavo pontificio. Diventò socio di un mercante di liquori, ma non riuscì a far quadrare i conti. Tornò dunque a Corps e vi morì la sera del 1° marzo 1875, a 39 anni, celibe, munito dei conforti religiosi.
Quanto a Mélanie Calvat, rimase quattro anni presso le Suore della Provvidenza a Corps, ma divenne oggetto di attenzioni e premure dei visitatori e non venne ammessa ai voti. Entrò e uscì da vari conventi in alcune Nazioni europee, poi si stabilì a Castellammare di Stabia in provincia di Napoli, dove mise per iscritto i suoi presunti segreti. Spostatasi a Galatina presso Lecce, venne visitata da sant’Annibale Maria Di Francia, che le domandò aiuto per salvare la congregazione delle Figlie del Divino Zelo, da lui fondata a Messina; dopo un anno, lasciò il suo compito. In seguito a ulteriori viaggi, si stabilì in incognito ad Altamura in provincia di Bari, dove morì nella notte tra il 13 e il 14 dicembre 1904, a 73 anni.
Autore: Antonio Borrelli ed Emilia Flocchini
Note: Per maggiori informazioni:
Missionari de La Salette - Curia provinciale
Via Andersen, 15
00168 Roma
Tel. 06.616.624.37
e-mail: prov.salette@tin.it
Voir aussi : http://lasalette.cef.fr/