Jean Marcellin. Pierre. Saint Grégoire de Tours, vers 1853.
Première statue du Pavillon Turgot au Pavillon Richelieu, cour
Napoléon, palais du Louvre
Saint Grégoire de Tours
Évêque (✝ 595)
Né à
Clermont-Ferrand, il se rend à Tours pour se faire guérir auprès du tombeau de
saint Martin. Resté
à Tours, il en devient évêque. A sa mort, il laisse de nombreux traités
d'histoire et d'astronomie. Une hagiographie merveilleuse et terrifiante de
saint Julien et de saint Martin; un traité des cycles ecclésiastiques et
surtout une tumultueuse "Histoire des Francs" étonnamment
respectueuse des faits malgré des jugements passionnés, ce qui fait de lui le
premier historien de la France.
Saint Grégoire évêque 573-595. (historique - diocèse de Tours)
À Tours, en 594, saint Grégoire, évêque, qui succéda dans ce siège à saint Euphrone et écrivit l’histoire des Francs et les vertus des saints dans une langue simple et un récit plein de vérité.
Martyrologe
romain
Grégoire de Tours, Histoire des Francs, livres 1 à 6,
page de frontispice. Luxeuil ou Corbie, fin du VIIe siècle.
BnF, Manuscrits, Latin 17655 fol. 2.
Vie
de Saint Grégoire — Évêque de Tours
par l'abbé Odoat
C'est à bon droit qu'on vénère la
mémoire de tous les saints; mais les fidèles honorent en premier lieu ceux qui,
soit par leur science, soit par leur exemple, ont brillé avec plus d'éclat que
les autres. Or, que le bienheureux Grégoire, archevêque de la métropole de
Tours, ait été l'un de ceux-ci ; qu'il ait resplendi de ce double mérite,
c'est ce que prouvent des documents qui ne sont pas d'une faible autorité. Il
est donc certes nécessaire de décrire, fût-ce incomplètement, ses actions, afin
que la renommée d'un tel homme ne soit pas obscurcie quelque jour par le nuage
de l'incertitude. Sans doute il suffit à sa gloire qu'il ait au haut des cieux
le témoignage de Christ, auquel il voulait plaire ; mais parmi nous, ne
serait-ce pas cependant une chose coupable de taire les louanges de l'homme qui
s'efforça de publier celles de tant de saints ? Quelque étendue
qu'atteigne ce petit récit, tous ses hauts faits n'y seront pas racontés, parce
que, négligeant plusieurs choses que la tradition rapporte, nous nous bornons à
un petit nombre de celles qui sont attestées par ses livres. Que si quelqu'un
lui demande des miracles, mesurant judaïquement sur le nombre de miracles la
sainteté de tout personnage, que pensera-t-il de la bienheureuse mère de Dieu
ou de Jean le Précurseur ? Qu'il juge donc plus sainement, et sache qu'au
jour redoutable du jugement, beaucoup de ceux qui ont fait des miracles seront
réprouvés, et que ceux-là seulement qui se sont adonnés aux œuvres de justice
seront accueillis à la droite da souverain juge. Ainsi ce n'est pas pour avoir
opéré des miracles que nous recommandons notre métropolitain, quoique sa vie
n'en soit pas absolument dépourvue, mais nous espérons démontrer que, doux et
humble de coeur, il marcha sur les traces du Christ.
I. Grégoire était originaire de la
région celtique des Gaules ; il naquit dans le pays d'Auvergne. Son père
était Florentius, sa mère Armentaria ; et comme si la noblesse en ce monde se
rapprochait en quelque chose de la générosité divine, ses parents étaient
riches de biens et illustres par leur origine. Mais, chose plus importante, ils
se montraient tellement attachés par une dévotion remarquable aux devoirs de la
servitude envers Dieu, que tout membre de cette famille qui aurait été
irréligieux eût mérité d'être noté comme dégénéré. Nous le démontrerons en
disant quelque chose de ceux qui lui étaient le plus proches. Georgius, qui de
son vivant était sénateur, prit pour épouse Léocadie ; elle descendait de
la race de Vectius Epagatus qui, d'après ce que rapporte Eusèbe au Cinquième
livre de ses histoires, souffrit le martyre et mourut à Lyon avec d'autres
chrétiens du même temps ou plus glorieusement encore. Cette Léocadie mit au
monde saint Gallus, évêque au siège d'Auvergne, et Florentins qui eut l'enfant
dont nous parlons. De ce Florentius son père, d'Armentaria sa mère, de Pierre
son frère, et de sa scieur, l'épouse de Justin, et de ses deux nièces, Heusténie
et Justine élève de sainte Radegonde, Grégoire raconte dans ses Livres des
miracles des choses qui font voir que leur foi et leurs mérites ne furent pas
d'un faible éclat. Aussi jadis Léocadie portait si haut la tête dans cette
Auvergne, terre natale de l'enfant, qu'elle dominait parmi les sénateurs comme
la statue de Rome. C'était de tels personnages qu'était sortie la parenté de
Grégoire : elle fournissait des sénateurs, des juges, et tout ce que je
pourrais citer comme étant au premier rang des citoyens les plus distingués.
Disons donc avec assurance de ses parents que, comme le Seigneur se manifeste
en vous donnant la descendance dont vous êtes digne, c'est un fait qui doit
servir à la louange de Grégoire que de sembler avoir été naturellement porté par
sa famille au renom de sainteté. Fortunat disait en parlant de la race et de la
patrie de Grégoire :
Honneur de ta maison, tête sublime de la cité de Tours, tu sembles parmi les Alpes de l'Auvergne un mont plus élevé qu'elles-mêmes.
Et en s'adressant à sa mère :
Deux fois heureuse par ses mérites, et pour elle et pour le monde, cette Macchabée qui donna au ciel sept enfants dignes des palmes du martyre[i][i] ; et toi aussi, Armentaria, tu es véritablement une heureuse mère, toi qui, brillante par ton enfant, ornée des oeuvres de ton fils, reçois pour couronne la sainteté persévérante de Grégoire.
Ainsi, d'une noble race rejeton plus noble encore, comme une rose qui s'échappe de sa tige en charmant davantage, il reversa sur ses parents l'honneur grandi d'une généreuse nature. Et quoiqu'il ne faille pas rechercher dans les noms la majesté du mystère, lui cependant, par un heureux présage, comme l'événement l'a démontré, reçoit le nom de Grégoire. C'est ainsi qu'en grec on appelle l'homme vigilant ; or il savait observer, non seulement la troisième veille, mais la seconde, ce qui est plus difficile, et même la première, ce qu'on voit très rarement ; et parce qu'il portait le joug du Seigneur dès son enfance, il était assis solitaire, suivant l'expression de Jérémie[ii][ii], ou du moins dans la compagnie de saint Martin. Lorsque son jeune âge prit de la force, il fut consacré à l'étude des lettres, travail où sa tendre intelligence prit ses premiers développements sous l'évêque Gallus, son oncle.
II. On lui faisait donc apprendre
déjà les caractères de l'écriture, quand la divine volonté l'initia aux signes
miraculeux et ennoblit sa sainte enfance en lui montrant des prodiges. En
effet, son père, atteint d'une maladie violente, était couché dans son lit ; le
feu commençait à dévorer la moelle de ses os, le venin de la goutte à tuméfier
son corps, une vapeur brillante à fatiguer son visage, lorsqu'un homme, se
montrant en songe à l'enfant, lui parla : As-tu
lu, lui dit-il, le livre de
Josué ? — L'enfant répondit : Je ne connais rien d'autre que les caractères de l'alphabet, et je
m'attriste à leur étude où je suis attaché malgré moi. J'ignore entièrement
l'existence de ce livre. L'homme reprit : Va, dit-il, arrange
une petite baguette de bois de façon à ce qu'on puisse y mettre ce nom, et
quand il sera écrit avec de l'encre, tu le mettras sur le lit de ton père, du
côté de sa tête. Si tu fais cela, il sera soulagé. Le matin venu,
il apprit à sa mère ce qu'il avait vu. L'enfant au pieux esprit avait compris,
en effet, que la chose, ce ne fut pas lui mais sa mère qui en jugea, devait
être faite. Sa mère ordonne qu'on accomplisse la vision. Ce fut ce que l'on
fit, et aussitôt le père recouvra la santé[iii][iii]. Quoi de plus raisonnable, en
vérité, que la convenance du nom de Jésus et du bois sur lequel ou l'inscrivit
pour le rétablissement de la santé ?
III. Ses parents, en leur qualité
de gens nobles, étaient possesseurs d'un vaste domaine en Bourgogne. Comme ils
étaient voisins de saint Nizier, homme de toute sainteté qui gouvernait la cité
de Lyon, celui-ci fit venir le jeune Grégoire auprès de lui. Lorsqu'on l'amena
en sa présence, le saint homme le contempla quelque temps, et ayant observé dans
cet enfant je ne sais quoi de divin, il demanda qu'on le levât jusqu'à lui, car
il était couché dans son lit; et, comme un habitant du paradis pressentant un
compagnon futur, il se mit à le réchauffer en le pressant dans ses bras,
toutefois (c'est un détail qu'il ne faut point passer sous silence) en se
couvrant entièrement avec sa robe de peur de toucher l'enfant nu, ne fut-ce que
du bout des doigts. Ce même enfant, devenu homme, racontait souvent à ses
auditeurs ce trait de, chasteté et leur conseillait de juger, par cette
précaution d'un homme qui fut parfait, combien nous, si fragiles, tant que nous
sommes, nous devons éviter l'attouchement de la chair. Nizier bénit donc
l'enfant, et après avoir prié pour son bonheur, il le remit à ses gens[iv][iv].
IV. Deux années environ après le
miracle que nous avons raconté, Florentins est de nouveau gagné par la maladie
; la fièvre s'allume, les pieds s'enflent et sont comme tordus par une extrême
douleur. Il était sous le poids d'une fin prochaine et gisait déjà presque
enfermé dans la tombe. Cependant l'enfant vit de nouveau dans son sommeil le
même personnage qui lui demanda s'il ne connaissait pas le livre de Tobie. Nullement, répondit-il. Le
personnage reprit : Sache que Tobie était
aveugle, et que son fils, accompagné d'un ange, le guérit avec du foie de
poisson. Fais donc de même, et ton père sera sauvé. Celui-ci
rapporta ces paroles à sa mère, qui aussitôt envoya les serviteurs à la rivière
: on prend du poisson, et l'on met sur des charbons ardents la partie de ses
viscères qui avait été ordonnée. L'heureuse conclusion du miracle ne se fit pas
attendre, car, dès que la première émanation de l'odeur eut pénétré dans les
narines du père, toute tumeur et toute douleur disparut aussitôt[v][v]. Si c'est une admirable chose que
la bouche de Zacharie ait été ouverte par le mérite de Jean, ce n'est cependant
pas non plus peu de chose que Florentius ait été, non une fois, mais deux fois
guéri par son fils. Ce Florentius et sa femme avaient compris par là que ce
serait un homme habile et heureusement inspiré ; ils ne pouvaient ignorer,
en effet, que la sagesse divine ne l'eût formé pour des devoirs plus délicats
encore. Cependant ils ne le firent pas tonsurer immédiatement, désirant, je
pense, qu'il consentît par lui-même à prendre l'état clérical ; mais on
l'appliquait avec plus de soin aux études littéraires.
V. Il n'était donc encore que
laïque et il avait grandi et d'esprit et de corps, quand, saisi tout à coup
d'un rhume de poitrine et de fièvres violentes, il tomba gravement malade ;
puis sa faiblesse augmenta de jour en jour sans que l'habileté médicale le
soulageât en rien. Son oncle Gallus le visitait souvent, et sa mère
l'entourait, comme fait une mère, de gémissements continuels. Mais au moment où
l'on désespérait déjà de tout secours humain, le ciel inspira au jeune homme de
recourir à l'assistance divine. Il demande donc qu'on le transporte au tombeau
de saint Allyre[vi][vi] (il en était voisin), mais cela ne
lui servit pas beaucoup, car il différait encore d'accomplir ce à quoi cette
maladie devait l'amener. Rapporté chez lui, il commença au bout de peu de temps
à être tellement tourmenté qu'on le regardait comme courant à sa fin. La
souffrance lui fit comprendre enfin la chose; il consola ceux qui pleuraient
sur lui et leur dit. Portez-moi encore
une fois au tombeau de saint Allyre ; j'ai foi qu'il nous donnera
promptement, à moi la guérison et à vous la joie. Ayant donc été
transporté là, il pria le plus haut qu'il pouvait, promettant, s'il était
délivré de ce mal, qu'il prendrait sans aucun retard l'habit clérical. Dès
qu'il eut dit, il sentit sa fièvre se dissiper aussitôt, il répandit par les
narines une quantité de sang, et sa maladie disparut entièrement comme se hâte
de partir un messager qui a obtenu ce pour quoi il était venu. Il coupa donc sa
chevelure et se livra tout entier aux fonctions religieuses[vii][vii].
VI. Lorsque saint Gallus eut été
appelé à recevoir la juste récompense d'une pieuse vie, l'homme de Dieu, Avitus[viii][viii], recueillit l'adolescent. Après
avoir éprouvé son caractère et ses habitudes morales, il le confia aux soins de
maîtres à l'aide desquels il lui fit gravir les échelons de la sagesse aussi
rapidement que le permit, soit leur activité, soit l'intelligence de leur
disciple. Vous trouverez cela dans la vie déjà mentionnée d'Allyre[ix][ix]. Toutefois, il s'exerça à l'étude
des lettres avec un tel discernement qu'il se gardait d'un double excès il
n'avait pas tout à fait horreur des niaiseries des poètes, et cependant il ne
s'y attachait pas, comme beaucoup le font, d'une manière inconvenante, et son
truc n'était pas l'esclave de leurs séductions. Taisant le nécessaire, il
aiguisa comme sur un caillou la pointe de son esprit, et par là, agissant comme
s'il eût emprunté les vases d'or de l'Égypte pour aller manger la manne au
désert, il pénétra dans l'examen des forces que recèlent les divines écritures.
C'est ce qu'il montre lorsqu'il dit, en parlant de lui-même : Je ne parle pas de la fuite de Saturne, de la
colère de Junon, des adultères de Jupiter ; et, continuant
son discours, il cite d'autres monstrueux personnages jusqu'au moment où il dit
: Méprisant tout cela comme voué à une
ruine prochaine, je retournerai plutôt aux choses divines et à l'Évangile, car
je ne, veux point être pris et enveloppé dans mes filets. Il
montre dans ce passage[x][x] qu'il savait bien ces choses, mais
que son jugement éclairé les repoussait.
VII. A l'époque fixée, il fut
ordonné diacre. Il y avait alors un homme du pays d'Auvergne qui avait emporté
du bois pris au très saint sépulcre du bienheureux Martin ; mais cet homme sans
précaution négligeant le respect dû à ce bois, toute sa famille tomba gravement
malade. Bientôt le mal empira ; et ignorant quelle en était la cause, il
ne s'amendait pas, lorsqu'il vit en songe une figure terrible qui lui demanda
pourquoi il agissait ainsi à son égard. Celui-ci dit qu'il ignorait de quoi il
était question. Ce bois que tu as pris
au lit du seigneur Martin, lui fut-il répondu, tu le gardes sans soin, c'est pourquoi tu as
encouru ces maux ; mais va maintenant le porter au diacre Grégoire[xi][xi]. Celui-ci, j'en suis persuadé,
était déjà un digne prêtre, puisque le seigneur Martin lui confiait ce que son
troupeau possédait de plus précieux. Il y avait en Auvergne, dans ce temps-là,
beaucoup de personnages qui brillaient dons la profession ecclésiastique, et
que ce jeune homme visitait, tantôt lorsqu'ils se trouvaient avec le
bienheureux Avitus, tantôt seuls, en sorte qu'ou bien il prenait d'eux des
exemples de piété, ou bien, par un retour de mutuelle charité, il leur offrait
ce qui pouvait peut-être leur manquer à eux-mêmes. Il révérait le Christ en
eux, et le Christ ne pouvant être contemplé en sa propre personne, il le voyait
en eux comme on voit, au sommet des monts, resplendir un rayon de soleil.
Dirigeant donc ses efforts vers ce but, il cherchait à accomplir, soit par leur
exemple, soit aussi par l'exemple de ceux qui les avaient déjà précédés au
ciel, tout ce qui pouvait servir à la gloire du Christ.
VIII. Parmi ces modèles au milieu
desquels, nous venons de le dire, le Christ resplendissait comme au sommet des
montagnes, il avait remarqué le glorieux seigneur Martin, qui dépasse les
autres ainsi qu'un Olympe, et plus voisin des feux de l'éther, réfléchit les
astres eux-mêmes avec plus d'éclat ; Martin, pour la vénération duquel le
monde entier conspire à bon droit et auquel Grégoire aspirait d'un désir
ardent. Toujours le portant et dans son coeur et sur ses lèvres, il répandait partout
ses louanges. Mais tandis qu'il s'appliquait extrêmement de toutes les
ressources de son esprit à la pratique des vertus, sa chair perdait ses forces,
comme il arrive ordinairement. C'est la même cause qui fit que Daniel s'étant
levé après avoir contemplé en vision son ange, se trouva le corps privé de force[xii][xii] et fut malade pendant de longs
jours. Quant aux vertus, Grégoire profitait, mais quant à la santé du corps, il
était faible, et il se trouva une fois tombé en proie à la fièvre et à une éruption
cutanée qui finit par l'accabler tellement que, ne pouvant plus ni manger ni
boire, il perdit tout espoir de conserver la vie. Une chose seule lui était
restée : la confiance qu'il fondait en Martin n'était nullement ébranlée. Au
contraire, brûlant d'un plus fervent amour, il conçut un tel désir de ce
Martin, que bien que sa tête fût à peine épargnée par les atteintes de la mort,
il n'hésita pas à se mettre en marche pour aller visiter le tombeau du
saint ; les siens ne purent l'en dissuader, et il persista obstinément,
car la fièvre de son corps était moins forte que la fièvre de son amour. Après
deux ou trois étapes, sa faiblesse augmenta par suite du voyage. Mais, même
alors, rien ne put retenir son impatience de recourir à Martin avec la même foi,
et il supplia au nom de la majesté divine ceux qui voulaient l'en détourner de
l'exposer, ou vivant, ou du moins mort, devant le tombeau du saint.
Qu'ajouterai-je ? Il parvint, tant bien que mal, et sa foi justifiée
obtint la guérison qu'il espérait. Et non seulement lui, mais aussi l'un de ses
clercs nommé Armentarius, qui avait été presque à l'article de la mort, dut au
mérite de cette foi son propre salut. Grégoire donc, rendant grâces, tant pour
celui-là que pour lui-même, revint dans sa patrie, rassasié, ou plutôt consumé
plus que jamais de l'amour de Martin[xiii][xiii].
IX. Une fois, qu'il se rendait de
Bourgogne en Auvergne, un violent orage s'éleva au-dessus de lui. L'air épaissi
se rassemble en nuées ; le ciel commence à étinceler de lueurs répétées, à
retentir de vastes grondements de tonnerre, et chacun se sent pâlir et redoute
le danger qui menace. Mais Grégoire, l'âme tranquille, tire de sa poitrine, car
il les portait toujours à son cou, des reliques des saints qu'il élève du côté
des nuages et les leur oppose avec persévérance ; ceux-ci à l'instant se
partagent, les uns à droite, les autres à gauche, et offrent aux voyageurs une
route intacte. Mais l'orgueil, qui le plus souvent naît de la vertu, se glissa
dans l'âme de ce jeune homme ; il se réjouit en lui-même, et, ce qui vient
d'être accordé à ses reliques, c'est à ses mérites qu'il l'attribue. Cependant
quoi de plus voisin de la présomption que la chute ? En effet, le cheval
qu'il montait étant tombé à cette place même, le renversa si durement à terre,
que, meurtri dans toutes les parties de son corps, il pouvait à peine se
relever. Comprenant la cause de son malheur, il prit garde à l'avenir de ne
jamais se laisser vaincre par les aiguillons d'une vaine gloire, mais, chaque
fois que la vertu divine agissait par lui, d'en rapporter l'honneur, non à ses
propres mérites, mais à la puissance des reliques qu'il portait, comme nous
l'avons dit[xiv][xiv]. Et si vous pesez bien ce fait,
vous verrez qu'il est plus admirable d'avoir corrigé son orgueil que d'avoir
séparé les nuages.
X. Grégoire était assidu à la
prière, surtout pendant les heures de la nuit consacrées au repos. La fête de
la bienheureuse vierge Marie était arrivée. Or l'on conserve des reliques
d'elle en Auvergne, dans le village de Marsat. Grégoire, qui alors s'y
trouvait, se mit en devoir, suivant sa coutume, d'aller faire secrètement ses
prières, tandis que les autres étaient plongés dans le sommeil, et ayant
regardé au loin, il vit l'oratoire resplendir d'une grande clarté. Il se figure
donc que quelques dévots l'ont devancé dans la célébration des vigiles ;
cependant, étonné de voir cette grande lumière, il se dirige vers le lieu d'où
elle partait : tout s'y trouvait enseveli dans le silence. Il envoie chercher
le gardien de l'édifice ; mais pendant ce temps la porte s'ouvre
d'elle-même, et, reconnaissant que ce lieu était l'objet d'une visitation
divine, il entre avec respect au milieu d'une angélique veillée. La clarté
qu'il voyait du dehors cessa aussitôt, et il ne vit plus rien que la vertu de
la Vierge glorieuse[xv][xv].
XI. L'an 172 après la mort de saint
Martin, la douzième du règne du roi Sigibert [573], le bienheureux Eufronius, qui, vieillissant au
milieu des vertus, avait été gratifié d'une grâce si grande qu'il semblait
avoir en lui l'esprit de prophétie, fut déposé auprès de ses pères. Le temps
était arrivé où Grégoire, enflammé de l'amour du bienheureux Martin et devenu
capable d'exercer l'office pastoral, devait prendre à sa place le gouvernement
de son église. Le bienheureux Eufronius étant donc mort, le peuple du diocèse
de Tours s'assembla pour s'occuper du choix de son successeur, et à la suite
d'une discussion facile, chacun fut persuadé que Grégoire était celui dont le
choix était préférable. Ils le connaissaient par sa présence très fréquente
dans le pays, et savaient de lui un grand nombre d'actions dignes d'un homme de
bien. Alors tous se réunirent d'une seule voix, et l'on vit par la faveur de
Dieu sa cause réussir. En effet, la foule des clercs et des personnages nobles,
ainsi que le peuple des champs et celui des villes, s’écrièrent tous d'un même
avis qu'il fallait s'arrêter à ce Grégoire, également illustre et par ses
brillants mérites et par sa noblesse, éminent en sagesse, dépassant tous les
autres en générosité, connu des princes, vénérable par sa probité et habile à
toutes les fonctions. Des messagers sont adressés au roi, dans un moment où,
par la volonté du Seigneur, Grégoire se trouvait présent. Averti de ce dont il
s'agissait, avec quelle humilité il tenta de s'excuser ! par combien de
moyens il s'efforça de s'échapper ! Mais où est le vouloir de Dieu, il
faut que le reste fléchisse. Le roi lui impose d'obéir à son autorité, la reine
Brunichilde le presse de se soumettre. Et comme la véritable humilité ne refuse
point l'obéissance, il donne enfin son consentement. Aussitôt, de peur, je
pense, que quelque délai ne lui donnât prétexte de fuir, Egidius, archevêque de
Reims, le consacra, comme l'a écrit le poète Fortunat dans ces vers :
Saint Julien envoie à saint Martin son élève chéri, ce qui lui fut si doux, il le donne à son frère : c'est celui que la main vénérable et paternelle d'Egidius a consacré au Seigneur, afin qu'il dirigeât le peuple, celui qu'aime Radegonde ; Sigebert triomphant l'encourage, et Brunehaut, l'honore. (Liv. V, pièce 2)
Ainsi le siège épiscopal de Tours, dix-huit jours après avoir perdu Eufronius, reçut Grégoire. Quand les habitants de Tours sortirent solennellement au-devant de leur nouveau pasteur, le même poète composa encore à sa louange les vers que voici :
Applaudissez, peuples heureux, dont les voeux viennent d'être accomplis. Votre pontife arrive, c'est l'espoir du troupeau qui vient. Que la vive enfance, que la vieillesse courbée par l'âge, célèbrent cet événement ; que chacun le proclame, car c'est le bonheur de tous. (Ibid.)
Et le poète poursuit en montrant Grégoire célébré par les gens de Tours et intronisé, suivant les formes, sur son siége.
XII. Pour dire brièvement quel il
fut et combien grand il se montra lorsqu'il fut investi de la prélature, c'est
ce que font voir plusieurs églises qu'il reconstruisit entièrement ou dont il
répara les toitures, et ce que disent tout d'abord les livres qu'il a composés
à la louange des saints ou pour l'explication des divines Écritures. L'église
mère que le seigneur Martin avait construite, et qui était en ruines par suite
de sa vétusté, fut réparée par lui en forme cintrée, et il en décora les
murailles d'histoires avant pour sujet les gestes du même Martin. C'est ce que
n'a pas oublié notre chantre mélodieux, lorsqu'il dit, entre autres choses
(Liv. x, pièce l) :
Par le secours de Martin, Grégoire élève l'édifice ; nous retrouvons dans l'homme du jour ce que fut l'homme célèbre d'autrefois.
Et ailleurs :
En restaurant ces fondements antiques, l'excellent évoque leur rend l'éclat dont ils brillaient jadis.
Il répara encore, comme nous l'avons dit, et comme on le trouve dans ses propres chroniques, plusieurs églises telles que l'église de Sainte-Croix au village de Marsat[xvi][xvi].
XIII. Avec quelle ardeur il se
livra, soit a la construction d'édifices religieux, soit à la garde de son
troupeau, c'est ce qui se remarque principalement quand on considère qu'il ne
put recevoir même des hommes les plus saints le modèle de sa perfection. En
effet, pour ne rien dire de ceux dont les péchés, comme dit l'Apôtre, sont
manifestes (tout ce que nous en pourrions dire serait superflu), prenons
seulement deux d'entre ceux chez qui les marques de sainteté sont telles que
personne, excepté Grégoire, n'y pourrait bien répondre, et montrons combien il
se montrait délicat en fait de mérite. Peu de temps après sa consécration,
l'abbé saint Senoch quitta sa cellule et vint le saluer. Le pieux évêque le
reçut avec un grand respect, et après être peu à peu arrivé à le connaître dans
les échanges de la conversation, il ne tarda pas à le voir infecté du poison de
l'orgueil. Mais il le guérit complètement de cet orgueil au moyen de cette
céleste grâce qui l'aidait à pénétrer dans l'appréciation des choses
spirituelles[xvii][xvii]. Il n'eut pas moins de pouvoir
ni moins de sollicitude à l'égard de saint Liphard[xviii][xviii], que le mauvais esprit agitait
de pensées sinistres, au point qu'il avait résolu, à la suite d'une injure
verbale qu'on lui avait faite, d'abandonner le monastère où il s'était depuis
longtemps enfermé. Mais il ne pouvait pas tomber dans ce malheur, celui qui
mérita d'avoir Grégoire pour soutien. Celui-ci, en effet, allant comme à
l'ordinaire à Marmoutier, pour y baiser les marques sacrées laissées par le
souvenir de Martin, se détourna vers la demeure de Liphard, afin de s'informer,
en tendre pasteur, comment se gouvernait une brebis enchaînée dans l'amour du
Christ. Liphard lui ouvrit bientôt ces secrets de son coeur que le diable lui
avait représentés comme raisonnables. Grégoire aussitôt, avec son esprit plein
de sagacité, découvrit les mensonges de Satan, et, soupirant d'une douleur
extrême, il se mit à admonester cet homme et à lui dévoiler, par ses discours
pleins de sens, la ruse diabolique ; puis, rentré dans sa maison, il lui
fit parvenir avec une pieuse sollicitude des livres en harmonie avec la
vocation monastique. Celui-ci, auprès les avoir lus à plusieurs reprises, non
seulement fut guéri de la tentation qu'il avait soufferte, mais devint doué par
la suite d'un esprit beaucoup plus sensé. Ne cherchez rien de plus
magnifique ; n'attendez rien de plus remarquable qu'on puisse dire à la
louange de Grégoire. Si l'âme vaut mieux que le corps, c'est un assez grand
miracle que de la ressusciter en quelqu'un ; le menteur même n'oserait le nier.
Quant à l'empire que sa voix exerçait, quant à l'autorité avec laquelle
l'exemple de sa vie imposait à ses subalternes, le lecteur studieux s'en
assurera dans les livres qu'il a composés lui-même.
XIV. La faiblesse physique
l'incommodait souvent, car il ne prenait aucun soin de ce qui regardait la
chair ; mais chaque fois que le malaise tourmentait trop gravement son
corps fatigué par la pratique rigoureuse des austérités, il recourait à son cher
Martin et aussitôt il était guéri : cela arrivait très souvent. Quand et
dans quelles circonstances, c'est ce qui est raconté dans l'histoire des
miracles de saint Martin, de manière à réjouir le lecteur[xix][xix]. En homme humble et discret, il
commençait par s'administrer des médicaments matériels,mais plus il recherchait
avec modestie ceux-là, se jugeant indique de recevoir l'assistance d'un
miracle, plus la bonté divine tenait en réserve pour lui sa puissance comme
unique médicament. Il lui arriva une fois que, guéri par la vertu habituelle de
saint Martin d'une douleur à la tempe, il conçut peu après, par l'insinuation
du tentateur, la pensée que cette agitation des veines pourrait être calmée par
une saignée. Pendant qu'il y réfléchit en lui-même, il sent battre avec
violence les veines de ses deux tempes, la douleur l'envahit de nouveau avec
plus de force ; aussitôt il court tout troublé à la basilique, implore
d'abord le pardon pour la pensée qu'il avait eue, puis il touche sa tête avec
le voile du sépulcre sacré, et sur-le-champ il s'en retourne guéri[xx][xx].
XV. Il avait déjà composé plusieurs
écrits à la louange de diverses personnes[xxi][xxi] ; et quoiqu'il brûlât de
l'amour de Martin plus que de nul autre, il ne se jugeait digne en aucune façon
de rapporter ce qu'il y avait à écrire sur ses miracles, quand, averti par deux
et trois fois durant son sommeil, il se vit menacé de tomber dans le crime par
son silence. Il avait fait agrandir l'oratoire de Saint-Étienne, situé dans le
faubourg de Tours, et reporter l'autel tout entier un peu plus loin qu'il
n'était ; mais n'ayant trouvé dans cet endroit aucune relique, il envoya
un de ses abbés à l'évêché, pour prendre de celles du martyr saint Étienne. Il
l'envoya en oubliant de lui donner la clef, en sorte que celui-ci, trouvant la
châsse fermée, ne savait à quoi se décider. Retournerait-il à l'évêque pour
avoir la clef, c'était un retard ; apporterait-il la châsse entière, il
savait que cela lui serait désagréable, parce qu'elle contenait des reliques
d'un grand nombre de saints. Tandis qu'il hésitait en lui-même, il vit les
barres se retirer et la châsse s'ouvrir comme pour attester que la grâce divine
s'associait aux travaux de Grégoire. Le prêtre, remerciant Dieu, porta, au
milieu de l'admiration générale, les reliques à Grégoire, qui, à son retour,
trouva la châsse fermée, comme il l'avait laissée[xxii][xxii].
XVI. Grégoire opérait pour la
guérison des malades beaucoup de choses qu'il serait trop long de
raconter ; cependant il en faisait honneur aux saints dont il portait les
reliques, et s'efforçait de s'en dérober le mérite à lui-même. Plus il
l'attribuait humblement à d'autres, plus il était vrai qu'elles s'opéraient par
lui. En voici un exemple. Il s'avançait une fois sur la grand'route portant à
son cou une croix d'or dans laquelle étaient des reliques de la bienheureuse
Marie toujours vierge ou du bienheureux Martin : il aperçut non loin de la
route la cabane d'un pauvre qui brûlait ; elle était couverte, suivant
l'usage des pauvres gens, de feuilles et de menus branchages, c'est-à-dire de
matières inflammables. Le malheureux courait çà et là, avec sa femme et ses
enfants ; il criait, il jetait de l'eau, tout cela en vain. Déjà les flammes
l'emportaient et on ne pouvait plus les arrêter. Mais alors Grégoire accourt,
il élève la croix contre les gerbes de flammes, et bientôt le feu tout entier
se trouve tellement paralysé à l'aspect des saintes reliques, qu'il ne peut
plus brûler, pas même un peu, les parties dont il était déjà maître[xxiii][xxiii].
XVII. Il avait une affaire pour
laquelle il devait se rendre dans la ville de Reims. Après avoir été
gracieusement reçu par l'évêque Égidius, il y passa la nuit et le lendemain,
qui était un dimanche; lorsque le jour fut venu,il alla à l'église pour
converser avec l'évêque. Comme il attendait son arrivée dans la sacristie, car
il ne voulait pas parler dans l'église, Sygo, autrefois référendaire du roi
Sigebert[xxiv][xxiv], s'approcha de lui, et Grégoire
après l'avoir embrassé, le fit asseoir à ses côtés. Ils prièrent quelque temps
ensemble, et Sygo, qui écoutait attentivement Grégoire, sentit une de ses
oreilles, dont il était sourd depuis un certain temps, s'ouvrir tout d'un coup
avec un bruit particulier. Il se mit à faire ses actions de grâce, en racontant
ce que venait de produire en lui le voisinage de Grégoire. Mais l'homme de Dieu
n'oublia pas ses habitudes d'humilité, et, s'efforçant d'enlever à cet homme
l'idée qu'il avait : Ce n'est pas à moi
qu'il faut rendre grâce, dit-il, mon très doux fils, mais au bienheureux Martin, dont j'ai sur moi,
quoique indigne, des reliques, par la vertu desquelles l'ouïe t'a été rendue et
ta surdité dissipée.
XVIII. La charité était tellement
chez lui la vertu dominante, qu'il avait pour ses ennemis eux-mêmes des
sentiments de tendresse. L'exemple suivant le démontrera. Il lui arriva une
fois de se rendre en Bourgogne vers sa vénérable mère. Dans des bois écartés
qui se trouvent au delà de la rivière du Barberon[xxv][xxv], il rencontra des voleurs, qui se
précipitèrent sur sa suite avec une telle violence, qu'ils semblaient vouloir,
non pas seulement dépouiller, mais tuer. Leur irruption ne put effrayer
Grégoire, qui marchait entouré de la protection de Martin : il invoqua son
secours, et il en éprouva si promptement la présence, que les voleurs prirent
la fuite plus rapidement qu'ils n'étaient apparus. Grégoire, usant de sa
charité ordinaire, et sans se troubler au milieu du désordre, rappela les
fuyards, et voulut demander à ces agresseurs de prendre à manger et à boire.
Mais on eût cru qu'ils étaient poursuivis à coups de bâtons, et que leurs
chevaux étaient emportés malgré eux avec une vitesse qui dépassait leurs
forces, si bien qu'ils ne pouvaient entendre la voix qui les rappelait[xxvi][xxvi]. Ainsi se montrait Grégoire,
favorablement écouté d'en haut et appliqué aux œuvres de charité.
XIX. Grâce à lui, la foi du peuple
et sa dévotion croissaient en abondance. Aussi arriva-t-il que l'ennemi malin,
tourmenté d'une vive douleur et ne pouvant contenir les efforts de sa
méchanceté, s'efforçait à haute voix de bouleverser la confiance et du pasteur
et du troupeau. Le jour même de la naissance du Seigneur, comme Grégoire
s'avançait pour célébrer pontificalement la fête, suivant l'usage, dans la
principale basilique de la ville, un possédé, plus furieux que les autres,
commença à se déchaîner outre mesure, et se portant au-devant des groupes qui
marchaient devant Grégoire ou derrière lui, ou qui l'entouraient. C'est en vain, s'écria-t-il, que vous allez fouler le seuil de la maison de
Martin ; c'est en vain que vous allez dans sa maison, car, à cause de vos
crimes sans nombre, il vous a délaissés, il vous a fuis, et c'est à Rome qu'il
fait des miracles. Comme le diable soufflait ces paroles et
d'autres semblables à la foule pressée, sa voix, non seulement trouble les
cœurs des gens de la campagne, mais elle frappe aussi de crainte les clercs et
Grégoire lui-même. Ils entrent dans la basilique en versant des larmes
abondantes, et tous se prosternent sur le pavé en priant, afin d'obtenir la
présence du saint homme. Un homme qui, depuis plus de trois ans, avait deux
mains et un pied paralysés, était prosterné comme les autres devant le saint
autel, implorant le secours du bienheureux Martin, quand, tout à coup envahi
par la fièvre, il commença à souffrir comme s'il eût été à la torture.
Cependant le divin office se célébrait ; et au moment où le pieux évêque,
redoublant de pleurs, attendait la venue du bienheureux Martin, où, suivant
l'usage, on couvrait d'un voile les instruments du divin mystère, le malade fut
pleinement rendu à la santé. Aussitôt Grégoire, plein de joie, rend grâces au
Dieu tout-puissant, et, les yeux remplis d'une pluie de larmes, il éclate en
ces paroles qu'il adresse au peuple : Que
la crainte, mes frères, s'éloigne de vos coeurs, car le bienheureux confesseur
halite avec nous, et vous ne devez nullement croire le diable qui mentit dès le
commencement du monde et n'a jamais connu la vérité. Après qu'il
eut donné au peuple ces paroles de consolation et d'autres encore, la douleur
universelle se changea en joie, et tous, grâce à Martin et à Grégoire,
revinrent chez eux plus contents qu'ils n'étaient venus[xxvii][xxvii].
XX. Puisque nous venons de parler
de la naissance du Seigneur, nous mentionnerons ce qui arriva un jour de Noël à
notre évêque. Pendant la nuit sacro-sainte de cette solennité, fatigué des
cérémonies de la veille, il s'était mis un instant sur son lit, quand un homme
s'avança vers lui avec vivacité en lui disant : Lève-toi pour retourner à l'église. Il se réveilla, fit
le signe de la croix et se rendormit. L'homme recommença et loi donna un second
avertissement ; mais se sentant encore lourd à son réveil, il s'endormit de
nouveau. Alors cet homme, venant pour la troisième fois, lui donna un soufflet
sur la joue et lui dit. C'est toi qui
dois admonester les autres pour les faire aller aux vigiles, et voilà que tu te
laisses si longtemps dominer par le sommeil. Frappé de cette
parole, Grégoire revint d'un pas rapide à l'église[xxviii][xxviii]. Il était tellement agréable
aux yeux de la Divinité, qu'il ne pouvait pas, même sous le prétexte de
l'humaine faiblesse, se permettre de négliger un moment son salut.
XXI. Nous croyons devoir ajouter à
ce récit comment Dieu voulut le reprendre, afin qu'il ne péchât pas non plus
par suite de la légèreté d'autrui. Comme le bienheureux Martin l'avait guéri
d'une maladie désespérée, de manière à ce qu'il pût aller le lendemain à
l'église, pour ne pas se fatiguer cependant aux solennités de la messe, il
avait ordonné à l’un de ses prêtres d'en faire la célébration. Mais ce prêtre
avant prononcé avec je ne sais quelle incorrection les paroles consacrées,
quelques-uns des assistants se mirent à se moquer de lui, disant qu'il eût
mieux fait de se taire que de parler aussi grossièrement. La nuit venue,
Grégoire vit un homme en songe qui lui dit qu'il ne fallait faire aucune
observation sur les mystères de Dieu. Il résulta de là pour lui qu'il ne devait
pas permettre à des sots ou à des hommes légers de rabaisser les saints
mystères en sa présence.
XXII. Souvent l'homme de Dieu,
comme un vrai gardien de lui-même et de son troupeau, allait au loin, soit pour
l’utilité des siens, soit pour son propre salut. Une fois, en allant prier au
tombeau de saint Hilaire, il se détourna pour visiter la reine sainte
Radegonde. Tous deux, semblables à des habitants du paradis, s'entretenaient
entre eux des choses célestes, quand l'huile qui coulait ordinairement goutte à
goutte devant les reliques de la sainte croix devint tellement abondante à
l'arrivée de l'évêque, qu'en l'espace de moins d'une heure, il en coula plus
d'un sextier. Lorsque cette bienheureuse reine fut sur le point d'être appelée
devant le roi des cieux, Grégoire, l'homme de Dieu, reçut la nouvelle qu'elle
était à sa fin ; mais elle était déjà trépassée quand il accourut, et il
donna la sépulture à ses saints membres. En même temps il bénit solennellement
l'autel établi sur le tombeau, en réservant toutefois à l'évêque du lieu, qui
par hasard était alors absent, le soin de fermer le cercueil[xxix][xxix].
XXIII. Il avait une affaire qui
l'obligeait à traverser le fleuve de la Garonne près du château de Blaye ;
mais ce fleuve avait tellement grossi, qu'il inspirait une assez grande
crainte, rien qu'à le regarder. Non loin de là repose saint Romain, prêtre que
notre Martin ensevelit, ainsi qu'il est raconté dans sa vie. Comme les
bourrasques de vent d'un côté, les montagnes liquides de l'autre mettaient le
navigateur en grand péril, il leva les yeux au ciel, puis regarda l'église de
ce saint Romain, et la mer entière s'aplanit bientôt si complètement que tout
bruit sinistre s'évanouit et qu'il fut transporté sans courir aucun danger sur
l'autre rive[xxx][xxx].
XXIV. Il avait accompli déjà seize
années d'épiscopat, lorsque son homonyme, le grand Grégoire, fut placé sur le
siège apostolique [590 – Grégoire le Grand].
On croit qu'ils ont été quelque temps attachés l'un à l'autre d'une étroite
amitié ; et ce, sentiment serait bien naturel, car Fortunat compare le
pape à Grégoire de Nazianze, et dit que la personne de ce dernier fut comme un
présent fait à l'Orient, celle de Grégoire de Rome un présent fait au Midi, et
notre Grégoire à nous un présent aux contrées occidentales. Ce dernier s'étant
rendu à l'église des Saints Apôtres[xxxi][xxxi], le saint-père le reçut avec une
grande déférence ; et l'ayant conduit à l'endroit où saint Pierre confessa
le Christ, il s'arrêta à ses côtés, attendant jusqu'à ce qu'il eût achevé sa
prière. Et tandis qu'il attendait, il considérait avec étonnement, car c'était
un génie profond, les secrètes dispensations de Dieu à l'égard de l'homme qu'il
avait sous les yeux, et qui, petit par la taille, avait reçu du ciel une telle
abondance de grâce. Celui-ci s'en aperçut aussitôt par une perception divine,
et, se relevant après sa prière, il se tourna vers le pape de l'air calme qu'il
conservait toujours et lui dit : C'est
le Seigneur qui nous a faits, et non pas nous qui nous sommes faits nous-mêmes
; il est le même dans les petites choses et dans les grandes. Le
pape comprit que ces paroles répondaient à sa pensée, et, tout réjoui de cette
observation, il commença à professer une vénération profonde pour cette grâce
qu'il avait seulement admirée jusque-là dans Grégoire, et il honora le siège
épiscopal de Tours du don d'une chaise d'or qui devait y être toujours
conservée.
XXV. Déjà saint Martin, glorifiant
partout son disciple Grégoire, avait manifesté de bien des manières combien il
le favorisait ; mais, voulant même coopérer à ses œuvres, il daigna quelquefois
y être présent avec tout l'éclat qui l'accompagne, tout en restant invisible.
Ayant intention de consacrer un oratoire dans une salle qui servait de cabinet
à son prédécesseur, Grégoire y transportait des reliques de saint Saturnin,
qu'il avait prises avec un grand respect dans la basilique du seigneur Martin.
Il y avait en effet un choeur considérable de prêtres et de lévites en robes
blanches, une noble assemblée de citoyens décorés de fonctions, une foule
nombreuse de peuple du second ordre ; les cierges rayonnaient majestueusement,
les croix se haussaient dans les airs. Lorsqu'on fut arrivé à la porte, une
lueur terrible remplissant tout d'un coup la chambre frappa tous les yeux d'un
éclat excessif, et, se prolongeant, courait çà et là comme la foudre. Tout le
monde, saisi d'une peur extrême, était prosterné sur le sol. Mais Grégoire,
comme s'il eût été dans le secret de ce miracle si grand, les exhorta avec
fermeté et leur dit : Ne craignez rien ;
souvenez-vous de quelle manière on vit un globe de feu sortir de la tête du
bienheureux Martin pour s'élever vers le ciel, et croyez qu'il est venu lui
meure avec ses saintes reliques afin de nous visiter. Tous alors
magnifièrent Dieu, et cet homme vénérable répétait avec les clercs : Bénit soit celui qui vient au nom du Seigneur ;
Dieu Notre-Seigneur a lui sur nous[xxxii][xxxii].
XXVI. Qu'il suffise de ce peu de
paroles sur notre évêque. Nous ne le recommandons pas au moyen d'une quantité
de miracles, comme on en attribue d'ordinaire même à des réprouvés, mais cette
sorte de gloire ne lui manqua pas non plus. C'en est assez d'ailleurs pour
faire briller son honneur qu'il ait suivi, humble de cœur, l'exemple du Christ,
et qu'il n'ait point mis son espérance dans les trésors d'or et d'argent. C'est
certainement avoir fait des choses miraculeuses que d'avoir pu, comme nous
l'avons montré plus haut, en partie du moins, se garder des liens du péché.
Être exempt de péchés, est une gloire supérieure à toute autre. La vingt et
unième année de son épiscopat[xxxiii][xxxiii], c'est-à-dire au moment où il
eut rempli le nombre de trois fois sept ans dans la foi envers la sainte
Trinité, il fut déposé auprès de ses ancêtres, moins rassasié de jours, car il
avait été ordonné à l'âge de près de trente ans[xxxiv][xxxiv], que plein de perfection.
Toutefois, celui-là n'est pas entièrement scellé dans la tombe, auquel il reste
que sa parole même est vivante dans le monde; et de même que nous croyons
Grégoire uni il saint Martin dans le ciel, de même son saint corps est voisin
du sien dans le tombeau. Ceux de Tours donc, s'ils ne veulent passer pour
ingrats, eu égard aux présents divins qu'ils ont reçus, doivent se, rappeler
toujours combien Dieu les a protégés. Le patron qu'il leur a donné n'est pas un
saint ordinaire : c'est Martin, duquel on ne sait pas où commencer ses
louanges, ni quelle louange particulière faire de lui, puisque ses moindres
actions sont manifestement plus grandes, comme on l'a écrit, que les plus
grandes actions des autres. Toutes les nations du monde, pour ainsi dire,
témoignent quel honneur on doit lui porter en le chérissant d'une affection si
étroite, que même en notre temps, où la piété devient si tiède, nous voyons
affluer à son très saint tombeau une foule de gens dont le pays et le langage
sont inconnus, en sorte qu'on peut dire avec justice de ce Martin : Toute la terre est avide de le voir.
Leur zèle condamne énergiquement et à bon droit notre inertie, à nous qui
sommes près de lui; mais il est clair que ce n'est pas sans une dispensation
divine que son amour a pénétré tous les cœurs au point de rendre sa mémoire
partout douce comme celle d'un second Josias, et qu'il s'est tellement étendu
par toutes les contrées de la terre, que là où règne le nom du Christ, là
Martin est honoré. Aux habitants de la Touraine a encore été donné Grégoire, homme
remarquable par la sainteté et aussi par la science, afin que la cité de Tours
ne fut pas une ville sans éclat et destituée de la pratique des lettres, mais
qu'elle fût plutôt illustrée par lui après l'avoir été par Martin, connue la
ville de Romulus, après les apôtres, fut décorée d'un autre Grégoire. Soyons
assurés que nous avons Grégoire pour avocat et pour gardien, soit auprès de
Dieu, soit auprès du bienheureux Martin, et que nous pouvons lui confier nos
besoins pour qu'il y satisfasse. Grégoire, en effet, ne perdra point le
souvenir de la bonté qui l'animait ainsi que Martin dont il nous a fait
connaître avec tant de sollicitude le cœur compatissant. Pour nous montrer
cette compassion, il a recueilli les miracles du saint, afin que tous ceux qui
sauraient à l'avenir quel nombre énorme il en a opéré, et de quelle importance
ils étaient et quelles maladies désespérées il guérissait, ne puissent jamais
douter de sa puissance. Et s'il arrive, par suite de la différence des temps,
que les miracles matériels ont cessé, croyons cependant toujours qu'il opère en
nos âmes celui de les soutenir par sa vertu. Que Grégoire donc, qui connaissait
la miséricorde de Martin, lui rappelle toujours son troupeau; que toujours il
lui demande le maintien du saint lieu où Martin repose, et qu'il le prie pour
la prospérité de tout le royaume. N'oublions pas non plus comment il a conservé
jusque dans sa propre sépulture ses habitudes d'humilité. Il s'était fait
ensevelir dans un endroit placé de telle manière, qu'il devait être sans cesse
foulé aux pieds par tout le monde[xxxv][xxxv], et l'on était empêché
nécessairement par la disposition du lieu de lui témoigner jamais aucun
respect. Mais le troupeau du bienheureux Martin, ne pouvant supporter de telles
choses, a levé de cette place l'ami de son seigneur, et l'a déposé avec le
respect convenable dans un riche mausolée élevé à la gauche du sépulcre saint[xxxvi][xxxvi]. Il est mort le 17 novembre,
dans la semaine même consacrée à Martin[xxxvii][xxxvii] : de telle sorte qu'après
avoir commencé, déjà malade, à célébrer la fête du saint, il put l'achever
joint avec lui dans le ciel, par la grâce du Seigneur Jésus-Christ, Dieu
vivant, qui règne avec le Père et le Saint-Esprit aux siècles des siècles. Amen.
FIN DE
LA VIE DE SAINT GRÉGOIRE
[xxxviii][i] Les sept frères Macchabées et
leur mère, martyrs de la religion juive, mis à mort en l'an 168 av. J.-C., par
l'ordre da roi de Syrie Antiochus Épiphane.
[xxxix][ii] Lamentations, I. 1.
[xl][iii] Liv. De la gloire des confesseurs, par Grégoire, ch. XI.
[xli][iv] Vies des pères, par Grégoire, liv. VIII, § 2.
[xlii][v] Gloire des confesseurs, ch. XI.
[xliii][vi] Hillidius, vulgairement saint Alire ou Allyre.
[xliv][vii] Vies des Pères, ch. II, § 2.
[xlv][viii] Évêque de Clermont.
[xlvi][ix] Au § Ier.
[xlvii][x] Passage tiré de la préface du
livre De la gloire des martyrs. Le
dernier membre de phrase de la citation (non enim vel vinciri cupio meït retibus vel involvi)
manque dans tous les manuscrits qui nous sont restés du texte original de
Grégoire.
[xlix][xii] Daniel, ch. X, v. 3, 16,
17.
[l][xiii] Des miracles de saint Martin, liv. I, ch. XXXII.
[lii][xv] Ibid., ch. IX.
[liii][xvi] Près Riom (Puy-de-Dôme).
Fortunat parle de cette fondation (liv. II, ch. III), et dom Ruinart mentionne
cette église, devenue paroissiale comme subsistant encore de son temps, à la
fin du XVIIe siècle.
[lv][xviii] Ibid., ch. XX, § 3.
[lvi][xix] En effet, sans parler des
miraculeuses guérisons que Grégoire raconte comme les ayant vu s'accomplir en
faveur de tous ses proches, de son père arraché plusieurs fois à la mort (Gl. des Mart., LXXXIV, et Gl. des conf., XL), de sa mère guérie
d'un mal de jambe dont elle avait souffert pendant trente-quatre ans (Mir. de S.-M., III, 10), de son frère
Pierre (Mir. de S.-Jul., XXIV), de
son beau-frère Justin (Mir. de S.-M.,
II, 2), de son oncle Gallus, délivré d'une épine qu'il s'était mise en marchant
pieds nus dans les champs (Mir. de
S.-Jul., XXIII) ; d'une foule enfin de ses parents, amis ou serviteurs, le
pieux évêque de Tours est intarissable quand il parle des miracles opérés sur
sa propre personne par l’intervention céleste, surtout par la puissance de
saint Martin. Ainsi un lot de reliques provenant de l'héritage de son père et
enfermées dans un étui d'or, lui servait à conjurer l'incendie et l'orage (Gl. des Mart., LXXXIV), et saint Julien
lui enleva une fois des douleurs de tête résultant d'un coup de soleil (Mir. de S.-Jul., XXV) ; mais, par le
grand saint Martin, il obtint d'échapper, sur la seule invocation de son nom (Mir. de S.-Jul., I, 30), à une attaque
de brigands ; d'être délivré de la fièvre et de pustules sur tout le corps, en
se faisant porter à son tombeau (ibid.,
I, 32) ; de la dysenterie (ibid., II,
1) et du mal de dents (ibid., III,
60) au moyen de la poussière qu'on recueillait sur le sépulcre ou sur le sol
environnant et qu'on buvait délayée dans de l'eau; de la migraine (ibid., II, 60), d'une inflammation d'entrailles
(ibid., IV, 1), et d'une arête de
poisson qui était restée trois jours dans sa gorge (ibid., III, 1), en appliquant sur la partie malade les tentures
drapées au-dessus du monument ; d'un gonflement de la langue et des lèvres en
frottant sur la grille qui l'entourait le bout de sa langue (ibid., IV, 2) ; enfin il chassait la
grêle loin de ses vignes en mettant sur l'arbre le plus élevé qui s'y trouvât (ibid., I, 34) un peu de cire découlée
des cierges qu'on brûlait sur ce tombeau merveilleux.
[lvii][xx] Mirac. de S. Martin, liv. II, ch. LX.
[lviii][xxi] Les critiques modernes
pensent que ce fut par le récit des miracles du tombeau de saint Martin qu'il
commença ses travaux littéraires.
[lx][xxiii] Ibid., ch. XI.
[lxi][xxiv] Voy. Hist. ecclés. des Francs, liv. V, ch. III, et Mirac. de S. Martin, liv. III, ch. XVII.
[lxii][xxv] Verberim ou Berberim. On
croit que c'est le Barberon, petit affluent du Dolon, rivière qui se jette dans
le Rhône près de Vienne.
[lxvi][xxix] Ibid., ch. V.
[lxvii][xxx] De la Gloire des Confesseurs, ch. XLVI.
[lxviii][xxxi] C'est-à-dire au Vatican, à
Rome. Dom Ruinart dit à ce sujet : Il semble que Grégoire dut faire ce voyage en l'année 594 ;
car il passa dans les Gaules, d'après les Vies des Pères et autres de ses
écrits, les trois années qui précédèrent, et pendant lesquelles Grégoire le
Grand gouvernait déjà l'Eglise comme souverain pontife. Ce voyage,
dont il n'y a pas d'autre mention que ces ligues de l'abbé Odon, et dont on ne
trouve pas trace dans les écrits de Grégoire, est extrêmement douteux.
[lxix][xxxii] Gloire des Confesseurs, ch. XX.
[lxx][xxxiii] Environ l’année 594 par
conséquent, Grégoire ayant été ordonné en 573.
[lxxi][xxxiv] Fermè tricennalis. Grégoire
rapporte lui-même (Mirac. de S. Martin,
liv. III, ch. X) que sa mère, aussitôt après l’avoir mis au monde, ressentit
une douleur à la jambe dont elle ne fut guérie que trente-quatre ans après,
lorsque étant venue le voir à Tours, elle put prier au tombeau de saint Martin.
Post
ordinationem mean advenit Turonis, dit-il, et plus loin : discessit dolor
qui per triginta quatuor annos feminam fatigaverut. C'est en se
reportant, d'après ce passage, à trente-quatre ans avant l'année 573, où
Grégoire fut revêtu de la dignité épiscopale, qu'on a placé sa naissance à l'an
539. Mais Grégoire ne dit pas que ce fut de suite après son ordination que sa
mère vint le voir. Les mots dont il se sert permettent de croire qu'elle ne
vint qu'au bout de quelque temps ; dès lors, pourquoi n'ajouterait-on pas foi
aux paroles d'Odon, qui dit avec une certaine recherche d'exactitude que
Grégoire n'avait pas tout à fait trente ans quand il parvint à l'épiscopat ?
Odon était mieux renseigné que nous sur les dates de la vie de Grégoire, par
les obituaires de l'église où l'évêque était enterré, et peut-être par les
inscriptions gravées sur les deux tombeaux dont il parle un peu plus loin. —
Grégoire ainsi serait né en 543.
[lxxii][xxxv] C'est dire clairement
qu'il était inhumé sous une dalle gravée. Les archéologues ne font cependant
pas remonter si haut les exemples de ce qu'ils appellent les pierres tombales.
Voy. l'Abécédaire de M. de Caumont, Architect. relig., 1854, p. 231.
[lxxiii][xxxvi] Le tombeau de Grégoire de
Tours, reconstruit avec luxe par saint Ouen à la fin du septième siècle, puis
rétabli, au commencement du onzième, après les ravages des Normands, par Hervé,
trésorier de l'église de Tours, disparut en 1562 sous les coups des Huguenots.
On lit dans les délibérations du chapitre de Saint-Martin de Tours, qu'à la
date du 1er juillet 1563, les chanoines ordonnèrent qu'on remettrait en place dans
leur église l'un des grands os des bras de saint Martin avec un fragment de sa
tête et quelques morceaux des crânes de saint Brice et de saint Grégoire qui
avaient échappé au feu. Ces derniers débris n'ont pas survécu à la
tourmente de 1793.
[lxxiv][xxxvii] L'église célèbre la fête
de saint Martin le 11 novembre.
COLLECTION
DES MÉMOIRES
RELATIFS
A L'HISTOIRE DE FRANCE,
depuis la fondation
de la monarchie française jusqu'au 13e siècle
AVEC UNE INTRODUCTION DES SUPPLÉMENS, DES NOTICES ET DES NOTES;
Par
M. GUIZOT,
PROFESSEUR D'HISTOIRE MODERNE A L’ACADÉMIE DE PARIS.
.
Notice sur Grégoire de Tours
Du cinquième au
douzième siècle, le clergé presque seul a écrit l’histoire. C’est que seul qui
savait écrire, a-t-on dit. Il y en a encore une autre raison, et plus puissante
peut-être. L’idée même de l’histoire ne subsistait, à cette époque, que dans
l’esprit des ecclésiastiques ; eux seuls s’inquiétaient du passé et de
l’avenir. Pour les barbares brutaux et ignorants, pour l’ancienne population
désolée et avilie, le présent était tout ; de grossiers plaisirs ou
d’affreuses misères absorbaient le temps et les pensées ; comment ces
hommes auraient-ils songé à recueillir les souvenirs de leurs ancêtres, à transmettre
les leurs à leurs descendants ? Leur vue ne se portait point au-delà de
leur existence personnelle ; ils vivaient concentrés dans la passion,
l’intérêt, la souffrance ou le péril du moment. On a tort de croire que, dans
les premiers temps surtout, le clergé seul sût écrire ; la civilisation
romaine n’avait pas disparu tout à coup ; il restait, dans les cités, des
laïques naguères riches, puissants, lettrés, d’illustres sénateurs, comme les
appelle Grégoire de Tours. Mais ceux-là même tombèrent bientôt dans le plus
étroit, le plus apathique égoïsme. A l’aspect de leur pays ravagé, de leurs
monuments détruits, de leurs propriétés enlevées, au milieu de cette
instabilité violente et de cette dévastation sauvage, tout sentiment un peu
élevé, toute idée un peu étendue s’évanouit ; tout intérêt pour le passé
ou l’avenir cessa : ceux qui étaient vieux et usés crurent à la fin du
monde ; ceux qui étaient jeunes et actifs prirent parti, les uns dans
l’Église, les autres parmi les barbares eux-mêmes. Le clergé seul, confiant en
ses croyances et investi de quelque force, continua de mettre un grand prix à
ses souvenirs, à ses espérances et comme seul il avait des pensées qui ne se
renfermaient pas dans le présent, seul il prit plaisir à raconter à d’autres générations
ce qui se passait sous ses yeux.
De tous les monuments
qu’il nous a transmis sur ce long et sombre chaos, le plus important est, à
coup sûr, l’Histoire ecclésiastique des Francs de Grégoire de
Tours ; titre singulier[i]
et qui révèle le secret de l’état social à cette époque. Ce n’est pas
l’histoire distincte de l’Église, ce n’est pas non plus l’histoire civile et
politique seule qu’a voulu retracer l’écrivain ; l’une et l’autre se sont
offertes en même temps à sa pensée, et tellement unies, qu’il n’a pas cru
pouvoir les séparer. Le clergé et les Francs, c’était alors en effet toute la
société, la seule du moins qui prît vraiment part aux événements et pût
prétendre à une histoire. Le reste de la population vivait et mourait
misérable, inactif, ignoré.
L’origine de Grégoire
de Tours semblait le vouer à l’Église ; la famille de sa grand’mère
Léocadie, l’une des plus considérables du Berry, avait donné au christianisme
Vettius Epagatus, l’un des premiers et des plus illustres martyrs des
Gaules ; son père Florentius et sa mère Armentaria descendaient l’un et
l’autre de S. Grégoire, évêque de Langres ; il avait pour grand oncle Saint
Nicet[ii],
évêque de Lyon, et pour oncle Saint Gal, évêque de Clermont ; tous les
souvenirs de ses ancêtres se rattachaient aux épreuves ou aux triomphes de la
foi ; et, lorsqu’il naquit en Auvergne le 30 novembre 539, sa famille y
était depuis longtemps distinguée par les grandeurs religieuses et mondaines.
La naissance d’un frère nommé Pierre et d’une sœur dont on ignore le nom, avait
précédé la sienne ; mais soit que la renommée qu’il acquit plus tard ait
rejailli sur son enfance, soit qu’en effet on eût remarqué en lui de bonne
heure un penchant peu commun pour l’étude et la piété, tout indique qu’il fut,
dès ses jeunes ans, l’objet de la prédilection et des espérances de tous ses parents.
Il reçut en naissant les noms de George et de Florentius, son grand père et son
père, et les a inscrits lui-même en tête de ses ouvrages ; ce fut
seulement lorsqu’il parvint à l’évêché de Tours, que, d’après l’usage du temps,
il prit le nom du plus illustre de ses ancêtres, Saint Grégoire, évêque de
Langres, son bisaïeul. Son père mourut peu après sa naissance ; mais sa mère,
femme d’un mérite distingué, à ce qu’il paraît, se voua avec passion à
l’éducation d’un fils dont la faible complexion alarmait chaque jour sa
tendresse, et dont les dispositions précoces promettaient à son orgueil
maternel les plus douces joies. Les familles romaines n’avaient pas encore
perdu tout souvenir d’un temps, non plus heureux pour le peuple en général,
mais moins barbare et qui laissait quelque éclat aux anciennes grandeurs ;
elles mettaient encore du prix à la science, aux lettres, à la gloire polie et
humaine. L’Église seule leur offrait quelques moyens d’y parvenir. Le jeune
Grégoire fut confié aux soins de son oncle Saint Gal, alors évêque d’Auvergne ;
son grand oncle, Saint Nicet, évêque de Lyon, s’occupa aussi de ses progrès et
de son avenir. Saint Avite, successeur de Saint Gal, lui porta la même
affection. Saint Odon, abbé de Cluni, au dixième siècle, et qui a écrit sa vie,
raconte avec complaisance les marques de dévotion fervente que donnait Grégoire
encore enfant, et les miracles opérés en faveur de sa santé sur le tombeau de
Saint Hillide. Mais il semble que la guérison ne fut jamais que
momentanée ; car, dans un nouvel accès de maladie, le jeune homme, déjà
ordonné diacre, se fit transporter à Tours, sur le tombeau de Saint Martin,
alors la gloire des Gaules et l’objet de sa vénération particulière. Dans ce
voyage, les citoyens de Tours le prirent en grande estime ; son esprit
était animé, son caractère doux, son instruction plus étendue que celle de la
plupart des prêtres, et il l’avait dirigée avec ardeur vers les sciences
sacrées : Je ne m’occupe point, dit-il lui-même, de la fuite
de Saturne, ni de la colère de Junon, ni des adultères de Jupiter ; je
méprise toutes ces choses qui tombent en ruines, et m’applique bien plutôt aux
choses divines, aux miracles de l’Évangile. Le peuple partageait ce sentiment ;
c’était celui des meilleurs hommes de l’époque, de tous ceux qui conservaient
quelque énergie morale, quelque goût vraiment actif pour le développement
intellectuel, et lorsque le jeune Florentius retourna en Auvergne après avoir
été guéri par l’intervention de Saint Martin, il laissa le peuple comme le clergé
de Tours pleins d’admiration pour la sainteté de son langage, de sa vie et de
son savoir.
Il en reçut bientôt
la preuve la plus éclatante. En 575, pendant un voyage qu’il fit, on ne sait
pourquoi, à la cour de Sigebert roi d’Austrasie, auquel appartenait l’Auvergne,
Euphronius, évêque de Tours, vint à mourir ; et d’une voix unanime, dit le
biographe, le clergé et le peuple élurent à sa place Grégoire absent et âgé
seulement de trente-quatre ans. Des députés partirent aussitôt pour aller
solliciter du roi Sigebert la confirmation de ce choix. Grégoire hésita ;
l’abbé de Cluni l’affirme du moins : sa jeunesse et sa mauvaise santé
l’effrayaient ; mais Sigebert et la reine Brunehault joignirent leurs
sollicitations à celles des députés ; il accepta, fut sacré par Egidius
(Gilles), évêque de Reims, le 22 août 573, et partit aussitôt pour son évêché.
C’est dans les
monuments du siècle, et surtout dans Grégoire de Tours lui-même, qu’il faut
apprendre ce qu’était alors l’existence d’un évêque, quel éclat, quel pouvoir,
mais aussi quels travaux et quels périls y étaient attachés. Tandis que la
force avide et brutale errait incessamment sur le territoire, réduisant les
pauvres à la servitude, les riches à la pauvreté, détruisant aujourd’hui les
grandeurs qu’elle avait créées hier, livrant toutes choses aux hasards d’une
lutte toujours imminente et toujours imprévue, c’était dans quelques cités
fameuses, près du tombeau de leurs saints, dans le sanctuaire de leurs églises,
que se réfugiaient les malheureux de toute condition, de toute origine, le
Romain dépouillé de ses domaines, le Franc poursuivi par la colère d’un roi ou
la vengeance d’un ennemi, des bandes de laboureurs fuyant devant des bandes de
barbares, toute une population qui n’avait plus ni lois à réclamer, ni
magistrats à invoquer, qui ne trouvait plus nulle part, pour son repos et sa
vie, sûreté ni protection. Dans les églises seulement quelque ombre de droit
subsistait encore et la force se sentait saisie de quelque respect. Les évêques
n’avaient, pour défendre cet unique asile des faibles, que l’autorité de leur
mission, de leur langage, de leurs censures ; il fallait qu’au nom seul de
la foi, ils réprimassent des vainqueurs féroces ou rendissent quelque énergie à
de misérables vaincus. Chaque jour ils éprouvaient l’insuffisance de ces
moyens ; leur richesse excitait l’envie, leur résistance, le
courroux ; de fréquentes attaques, de grossiers outrages venaient les
menacer ou les interrompre dans les cérémonies saintes ; le sang coulait dans
les églises, souvent celui de leurs prêtres, même le leur. Enfin ils exerçaient
la seule magistrature morale qui demeurât debout au milieu de la société
bouleversée, magistrature, à coup sûr, la plus périlleuse qui fût jamais.
Beaucoup d’évêques
étaient fort loin de se montrer dignes d’une situation si difficile et si
haute ; il n’est aucun désordre, aucun crime dont on ne rencontre, dans
l’histoire du clergé de cette époque, d’effroyables exemples. Mais Grégoire de
Tours fut de ceux qui s’en scandalisaient et quelquefois les reprenaient
vertement. Je ne redirai point ici les événements de sa vie religieuse et
politique ; il les a racontés dans son histoire. On y verra que, soit
qu’il s’agit de défendre ou le clergé en général, ou lui-même, ou les
privilèges de son église, ou les proscrits qui s’y étaient réfugiés, soit qu’il
fût appelé à maintenir ou à rétablir la paix dans sa ville, soit qu’il
intervînt comme négociateur tour à tour employé par les divers rois Francs, il
ne manqua ni de prudence ni de courage. On s’est étonné de sa superstition, de
sa crédulité, de son ignorance, de son ardeur contre les hérétiques ; il faut
bien plutôt s’étonner de ce qu’il ne s’est point attribué à lui-même le don des
miracles qu’il accordait à tant d’autres, de ses efforts pour s’instruire, de
la douceur qu’il témoigna souvent, même aux brigands qui avaient pillé son
église et aux Ariens ou aux Juifs que ses arguments n’avaient pas convertis.
Peu d’ecclésiastiques de son temps, il est aisé de s’en convaincre, avaient une
dévotion, je ne dirai pas aussi éclairée, mais moins aveugle, et tenaient, en
ce qui touchait à l’Église, une conduite aussi modérée. On lui a reproché la
confusion de son histoire, les fables absurdes dont elle est semée, sa
partialité pour les rois orthodoxes, quels que soient leurs forfaits, et tous
ces reproches sont légitimes ; mais il n’est aucun de ses contemporains
qui ne les mérite encore davantage, aucun qui, à tout prendre, ait agi avec
autant de droiture, étudié avec autant de soin, et donné, dans ses écrits et sa
vie, autant de preuves de bon sens, de justice et d’humanité.
Aussi obtint-il
constamment, dans le cours de son épiscopat, l’affection du peuple de Tours et
la considération des rois Barbares. Il faut bien se servir des termes qui
répondent aux sentiments qu’éprouvaient alors les hommes, et qu’ils ont
employés eux-mêmes, quelque emphatiques qu’ils nous paraissent aujourd’hui.
Grégoire de Tours fut vénéré comme un des plus saints évêques, et admiré comme
une des lumières de l’Église. Le voyage que, selon l’abbé de Cluni, il fit à
Rome, en 592 ou 594, pour voir le pape Saint Grégoire le Grand, est fort
douteux, car il n’en a parlé nulle part ; mais le récit du biographe n’en
prouve pas moins quel éclat conservaient encore au dixième siècle son nom et sa
mémoire. Arrivé devant le pontife, dit-il, il
s’agenouilla et se mit en prières ; le pontife, qui était d’un sage et profond
esprit, admirait en lui-même les secrètes dispensations de Dieu qui avait
déposé, dans un corps si petit et si chétif, tant de grâces divines. L’évêque ,
intérieurement averti, par la volonté d’en haut, de la pensée du pontife, se
leva, et le regardant d’un air tranquille : c’est le Seigneur qui
nous a faits, dit-il, et non pas nous-même ; il est le même
dans les grands et dans les petits. Le saint pape, voyant qu’il répondait
ainsi à son idée, le prit encore en plus grande vénération, et eut tant à cœur
d’illustrer le siège de Tours qu’il lui fit présent d’une chaire d’or qu’on
conserve encore dans cette église.
Grégoire était en
effet de très petite taille et sa mauvaise santé dura toute sa vie. Deux mois
après son élévation à l’épiscopat, il fut atteint d’une maladie si grave que sa
mère, malade elle-même et qui s’était retirée en Bourgogne, se hâta d’accourir,
malgré les fatigues et les périls du voyage, auprès de son fils chéri.
L’intervention de Saint Martin réussit seule à guérir le nouvel évêque, qui
bien des fois encore fut obligé d’y avoir recours. Enfin, le 17 novembre 593 [iii],
les miracles même devinrent inefficaces ; l’évêque de Tours mourut à 54
ans, après 20 ans et quelques mois d’épiscopat, et fut élevé au nombre des
saints.
Il laissait, en
mourant, de nombreux ouvrages dont il avait pris soin de dresser lui-même la
liste, et qui, à l’exception de quatre, sont parvenus jusqu’à nous ; en
voici la liste et le sujet :
1°. L’Histoire
Ecclésiastique des Francs.
2°. Un traité de la Gloire des Martyrs, recueil de légendes en cent sept chapitres,
consacré au récit des miracles des martyrs.
3°. Un traité des Miracles de Saint Julien, martyr à Brioude en Auvergne, en
cinquante chapitres.
4°. Un traité de la Gloire des Confesseurs, en cent douze chapitres.
5°. Un traité des Miracles de Saint Martin de Tours, en quatre livres.
6°. Un recueil
intitulé, Vies des Pères, en vingt chapitres, et qui contient
l’histoire de vingt-deux saints ou saintes de l’Église gallicane.
7°. Un traité des Miracles de Saint André, sur l’authenticité duquel on a élevé
quelques doutes qui paraissent mal fondés.
Les ouvrages perdus
sont :
1°. Un Commentaire
sur les Psaumes.
2°. Un traité sur les
Offices de l’Église.
3°. Une préface que
Grégoire de Tours avait mise en tête d’un traité des Messes de
Sidoine Apollinaire.
4°. Une traduction
latine du martyre des sept Dormans.
Enfin on a attribué à
Grégoire de Tours plusieurs écrits qui ne sont pas de lui.
De tous ces ouvrages,
et malgré quelques faits ou quelques détails sur l’esprit et les moeurs du
temps, épars dans les recueils de légendes, l’histoire
ecclésiastique des Francs est le seul qui soit demeuré pour nous important
et curieux. Tout porte à croire que cg, fut le dernier travail de l’auteur ;
son récit s’étend jusqu’en 591, époque voisine de sa mort, et presque tous ses
autres ouvrages y sont cités, tandis que l’histoire des Francs ne l’est dans
aucun. Elle est divisée en dix livres. Le premier, résumé absurde et confus de
l’histoire ancienne et universelle du monde, serait aussi dépourvu d’intérêt
que de vérité chronologique s’il ne contenait quelques détails sur
l’établissement du christianisme dans les Gaules ; détails de peu de
valeur, il est vrai, quant à l’histoire des événements, mais qui peignent
naïvement, et quelquefois avec charme, l’état des esprits et des moeurs ; peu
d’anecdotes de ce temps sont plus touchantes, plus poétiques même que celle des
deux Amans : ce livre finit à la mort de Saint Martin de Tours, en 397. Le
second livre s’étend de la mort de Saint Martin à celle de Clovis Ier,
c’est-à-dire, de l’an 397 à l’an 511. Le troisième, de la mort de Clovis Ier à
celle de Théodebert Ier, roi d’Australie, de l’an 511 à l’an 547. Le quatrième,
de la mort de Théodebert Ier à celle de Sigebert Ier, roi d’Austrasie, de l’an
547 à l’an 575. Le cinquième comprend les cinq premières années du règne de
Childebert Ier, roi d’Australie, de l’an 575 à l’an 580. Le sixième finit, à la
mort de Chilpéric, en 584. Le septième est consacré à l’année 585. Le huitième
commence au voyage que fit le roi Gontran à Orléans, au mois de juillet 585, et
finit à la mort de Leuvigild, roi d’Espagne, en 586. Le neuvième s’étend de
l’an 587 à l’an 589. Le dixième enfin s’arrête à la mort de Saint Yrieix, abbé
en Limousin, c’est-à-dire, au mois d’août 591 [iv].
L’ouvrage entier comprend ainsi, à partir de la mort de Saint Martin, un espace
de cent soixante-quatorze ans ; les cinquante-deux dernières années sont
celles auxquelles l’historien avait assisté.
Tout indique qu’il
écrivit son histoire à deux reprises différentes ; plusieurs manuscrits ne
contiennent que les six premiers livres, et ce sont les seuls que connût
Fédégaire lorsque dans le siècle suivant, il entreprit un abrégé des
chroniqueurs qui l’avaient précédé. Il est donc probable que les quatre
derniers livres furent composés après la publication des premiers ;
peut-être même ne furent-ils répandus qu’après la mort de l’auteur. Cependant,
leur authenticité n’est pas moins certaine.
Imprimée pour la
première fois à Paris, en 1561, l’Histoire des Francs l’a été
fort souvent depuis ; je ne dirai rien des nombreux travaux d’érudition et
de critique dont elle a été l’objet ; ils ont été reproduits et résumés
avec le plus grand soin dans l’édition qui fait partie du Recueil
des historiens des Gaules et de la France, et dont nous avons adopté le
texte. Deux traductions françaises de l’ouvrage de Grégoire de Tours ont été
publiées, l’une, en 1610, par Claude Bonnet, avocat au parlement de Grenoble,
l’autre, en 1688, par l’abbé de Marolles. Elles sont l’une et l’autre
extrêmement fautives, et la première est souvent plus inintelligible que
l’original.
La meilleure ou
plutôt la seule bonne édition des oeuvres complètes de Grégoire de Tours est
celle que publia dom Ruinart, en 1699, in-folio. La préface est pleine de
savantes recherches.
Les deux
dissertations les plus complètes et les plus exactes sur la vie et les écrits
de notre historien sont : 1° celle qui se trouve dans le tome 3e de l’Histoire littéraire de la France, par les Bénédictins (page 372 -
397 ) ; 2° un mémoire de M. Lévesque de La Ravalière dans la Collection
des mémoires de l’Académie des Inscriptions et Belles-lettres, tome 26,
page 598 - 637.
François Guizot
[i] Un assez grand nombre de manuscrits portent pour titre Historia Francorum, ou Gesta Francorum ; quelques-uns même simplement Chronicæ ; mais les plus anciens sont intitulés Historia
ecclesiastica Francorum, et le début du second livre indique
clairement que tel est en effet le titre que Grégoire de Tours a dû donner à
son ouvrage.
[ii] Ou Saint Nizier.
[iii] Selon M. Lévesque de La Ravalière, et 595 selon dom Ruinart.
[iv] Malgré l’enchaînement chronologique des dix livres de l’Histoire des
Francs, il s’en faut beaucoup que les événements y soient bien classés et
toujours rapportés à leur vrai temps ; il y règne au contraire une extrême
confusion, et l’on rencontre sans cesse, dans chaque livre, des récits qui
devraient appartenir aux livres antérieurs ou postérieurs.
SOURCE : http://remacle.org/bloodwolf/historiens/gregoire/notice.htm
Grégoire
de Tours
Saint Grégoire de Tours
(Georgius, Florentius, Gregorius) a été un évêque de Tours de 573 à 593
ou 594, né dans la cité des Arvernes, aujourd'hui
Clermont-Ferrand,
le 30 novembre 538, mort à Tours le 17 novembre 593 ou 594. Il était apparenté
par son père comme par sa mère aux plus illustres familles sénatoriales de la
Gaule. Il comptait parmi ses parents un martyr, Vettius Epagathus, et plusieurs
évêques, Gallus d'Auvergne, Nicetius de Lyon, Euphronius de
Tours, Tetricus et Gregorius de Langres. Ayant
perdu de bonne heure son père Florentius, il fut élevé par sa mère, par son
oncle Gallus et par Avitus, successeur de Gallus. L'illustration de sa famille
et son mérite personnel lui valurent la faveur du roi d'Austrasie, Sigebert, à qui
appartenaient l'Auvergne et la Touraine. A la mort d'Euphronius, en 573, il fut
choisi par le clergé et par le peuple de Tours et confirmé par Sigebert comme
évêque de cette ville. Il ajouta sans doute alors le nom de Gregorius, en
souvenir de son grand-oncle saint Grégoire de Langres, à ceux qu'il tenait de
son aïeul et de son père.
Après la mort de Chilpéric,
Grégoire de Tours fut comblé de faveurs, ainsi que son église, par le roi de
Burgondie, Gontran,
et par le roi d'Austrasie, Childebert.
Il se rendit plusieurs fois à la cour de ce dernier et fut envoyé par lui, en
588, auprès de Gontran, pour obtenir la confirmation du traité d'Andelot
. Malgré le désordre de ces
temps de guerre civile et de barbarie, malgré d'incessants voyages entrepris,
soit pour se rendre auprès des rois, soit pour assister à des conciles,
Grégoire s'occupait avec zèle de tous les détails de son ministère, faisait
reconstruire ou restaurer les églises de son diocèse, et il trouvait encore le
temps de composer, pendant ses vingt années d'épiscopat, des oeuvres historiques
très considérables qui lui ont mérité en France
le titre de Père de
l'histoire. Elles contiennent en effet un véritable trésor de
renseignements sur l'histoire politique et sur l'histoire religieuse de la Gaule
au Ve et au VIe siècle.
Descendant d'un des premiers martyrs de la
foi chrétienne en Gaule, uni de coeur à plusieurs églises par sa parenté avec
leurs évêques, élevé en Auvergne, le dernier boulevard de l'indépendançe
gallo-romaine, le pays d'origine de l'empereur Avitus et de
l'évêque Sidoine,
enfin évêque de Tours, la ville de saint Martin, sanctuaire vénéré entre tous,
vrai centre religieux où l'on affluait de toutes parts pour visiter le tombeau
de l'apôtre des Gaules, Grégoire de Tours se trouva préparé à ce rôle
d'historien par son éducation, par sa haute situation ecclésiastique, par ses
voyages, par ses relations avec tous les grands personnages de son temps. Son
instruction littéraire avait été très superficielle; aussi écrivait-il une
langue rude et incorrecte, plus rapprochée du parler vulgaire de ses
contemporains que de la latinité classique; mais la rusticité dont il s'excuse
n'est pas sans charme naïf, et son style ne manque pas de couleur ni même
parfois d'éloquence. S'il est dépourvu de sens critique, il a du moins une
sincérité qui permet de corriger par ses récits même ses erreurs de jugement.
Si la barbarie de son temps a parfois émoussé la délicatesse de son sens moral,
on admire cependant en lui l'ardeur de sa piété, la hardiesse courageuse avec
laquelle il défend toutes les causes qu'il croit justes, et une tendresse de
coeur qui faisait de lui un véritable père des pauvres, des malades, des
opprimés.
Son oeuvre principale est l'Historia Francorum en dix livres. Le premier contient un résumé de l'histoire universelle et de l'histoire de l'Eglise jusqu'à la mort de saint Martin; le second raconte l'histoire de la Gaule et des Francs de la mort de saint Martin à celle de Clovis. Les livres III et IV nous conduisent jusqu'à la mort de Sigebert (575). Les deux livres suivants comprennent les dix années pendant lesquelles Chilpéric fut maître de Tours. Enfin les quatre derniers sont consacrés au récit des événements des années 584 à 594.
Son oeuvre principale est l'Historia Francorum en dix livres. Le premier contient un résumé de l'histoire universelle et de l'histoire de l'Eglise jusqu'à la mort de saint Martin; le second raconte l'histoire de la Gaule et des Francs de la mort de saint Martin à celle de Clovis. Les livres III et IV nous conduisent jusqu'à la mort de Sigebert (575). Les deux livres suivants comprennent les dix années pendant lesquelles Chilpéric fut maître de Tours. Enfin les quatre derniers sont consacrés au récit des événements des années 584 à 594.
A côté de cet ouvrage capital qui nous
fournit un récit détaillé des actes des rois francs de Clodion à Childebert
Il et un tableau saisissant de la société du VIe
siècle, Grégoire a composé une série d'ouvrages hagiographiques de moindre
importance, mais très précieux aussi pour l'histoire ecclésiastique et
l'histoire des moeurs. Ce sont-: les Libri septem miraculorum comprenant
quatre livres de Miracula S. Martini, le De Gloria
Martyrum, les Miracula S. Juliani, le De Gloria
Confessorum et le De Vita Patrum, recueil des vies de
vingt-trois abbés, évêques et reclus. Il a traduit du syriaque, avec l'aide
d'un interprète, Ia Passio septem dormientium apud Ephesum, et
du grec les Miracula S. Andreae et peut-être les Miracula
S. Thomae. Il a encore composé un court écrit liturgique, le De
Cursu Slellarum, un commentaire sur les Psaumes
dont nous n'avons conservé
que quelques fragments, et une préface au livre De Missis de Sidoine Apollmaire.
Il a dans le dernier chapitre de son Histoire, sorte d'épilogue
de son oeuvre entière, donné lui-même la liste de tous ses écrits originaux. (G.
Monod).
Gregory of Tours B (RM)
Born at Clermont-Ferrand, c. 538; died at Tours c. 596. Gregory of Tours is
remembered chiefly as an historian of the Franks, but his feast day as a saint
is celebrated at Tours and in some other French dioceses.
Gregorius Florentius
belonged to an important Gallo-Roman family of Auvergne that contained many
other saints and bishops, and took the name Gregory later in life. He was
raised by his uncle Saint Gallus of Clermont, after the death of his father,
studied Scripture under Saint Avitus, a priest of Clermont.
Saint Gregory was
appointed to the see of Tours in 573. He was an influential, energetic, and
much-travelled bishop, whose difficulties were greatly increased by civil
disturbances and political fluctuations; his faithfulness to his religious
office made enemies for him in high places, notably the notorious Queen
Fredegund.
He soon came into
conflict with King Chilperic when Tours came under the king's control in 576,
and Gregory supported Meroveus, the king's son, against the king. The
differences culminated in the charge of treason against Gregory by Leudastis,
whom Gregory had removed as count of Tours. The charges were proven false by a
council appointed to investigate them, and Leudastis was punished for perjury.
Things improved
with subsequent monarchs after Chilperic's death in 584. Gregory rebuilt the
cathedral and several churches, converted heretics, and was known for his
ability, justice, charity, and religious fervor. He was a great bishop much
revered by Saint Gregory the Great.
Of Gregory's
extensive writings the most valuable is the History of the Franks, a source
book for the Middle Ages in western Europe, written with verve and enthusiasm
to show his Frankish contemporaries the error of their ways. His book is now
the best historical source of the Merovingian period.
His hagiographical
works, the Glory of the Martyrs, the Life of the (Gallic) Fathers, and others,
are less Lives of saints than collections of wonders related of them. Gregory
formed a library from which Venantius Fortunatus did not disdain to borrow; all
his writing was done after he became bishop, a sufficiently remarkable
performance seeing that bad health was added to his episcopal labors (Attwater,
Benedictines, Delaney, Encyclopedia).
In art Saint
Gregory of Tours has the fish near him, with whose liver he healed his father.
Because he was a great historian, he is sometimes shown with a pen and book
(Roeder).
SOURCE : http://www.saintpatrickdc.org/ss/1117.shtml
Gregorio apparteneva a una delle piú illustri famiglie della nobiltà gallo-romana; essa contava un martire, cinque vescovi poi onorati come santi, dei senatori. Suo padre, di salute cagionevole, morí giovane senza avere mai occupato cariche pubbliche, lasciando alla vedova Armentaria la cura di allevare i loro tre figli, Giorgio, Pietro, che diverrà diacono e morrà assassinato da un invidioso, e una figlia di cui si ignora il nome, che sposerà un certo Giustino.
Dopo la morte del marito, Armentaria lasciò Clermont e venne a stabilirsi nel regno di Borgogna presso Cavaillon, dove aveva una proprietà. Il piccolo Gregorio aveva allora otto anni; uno dei suoi zii, il futuro vescovo di Lione, s. Nicezio, si incaricò della sua educazione. Un altro zio, s. Gallo, aveva fondato a Clermont, sua città episcopale, una scuola diretta da Avito, anche lui futuro vescovo. Gregorio frequentò questa scuola e prese un gusto vivissimo agli studi e l'amore per i libri: infatti, divenuto vescovo, cercò di procurarsi una biblioteca ben fornita. Lesse molto, soprattutto libri storici; infatti, delle citazioni o reminiscenze che si trovano fra le sue opere è possibile affermare che lesse la Cronaca di Eusebio, tradotta da s. Girolamo, e la sua Storia Ecclesiastica, tradotta da Rufino, le Ricognizioni di Clemente, il libro degli Uomini illustri di s. Girolamo, passiones di martiri e Vitue di santi, specialmente i libri di Sulpizio Severo su s. Martino.e lesse anche Sidonio Apollinare. Dell'opera di Virgilio studiò a memoria lunghi frammenti tanto che soleva citare spesso l'Eneide. Lesse anche Sallustio e forse Aulo Gellio e Plinio, ma non conosceva Cicerone che attraverso s. Girolamo.
Fu soprattutto attirato dagli scritti sacri, specialmente dalla Bibbia come informa lui stesso. Le citazioni che fa della Sacra Scrittura nei suoi scritti provano che doveva averla letta nelle versioni popolari di quelle "antiche Bibbie latine fatte per il popolo da gente del popolo, di cui il testo del Pentateuco di Lione ci dà un'idea molto esatta e il cui latino, pieno di barbarismi e di scorrettezze di ogni genere, non era adatto ad inculcare il rispetto della grammatica, né a rendere il suo orecchio piú delicato".
Gregorio Iesse ed usò alcuni apocrifi del Nuovo Testamento e una collezione di estratti apocrifi degli Atti degli Apostoli. Conobbe anche, ma non molto, s. Girolamo, Cassiano, Sedulio, Lattanzio, Marziano Capella, s. Ilario di Poitiers, il Liber pontificalis. I Padri della Chiesa non occuparono alcun posto nelle sue citazioni, ma non si può concludere che non li avesse letti.
All'età di venticinque anni, Gregorio fu ordinato diacono della Chiesa dell'Alvernia; poco tempo dopo, cadde gravemente malato, ma fece un pellegrinaggio alla tomba di s. Martino, dove ottenne la guarigione. Poi rimase qualche tempo a Tours presso il vescovo Eufronio, suo cugino. Soggiornò in seguito in Borgogna poi a Lione, dove assolse le funzioni di diacono presso suo zio Nicezio.
Durante la sua permanenza a Reims nel 578 ebbe notizia della morte di suo cugino vescovo di Tours e della propria elezione a succedergli, fatta diciotto giorni dopo la morte del predecessore. Ricevette la consacrazione episcopale a Reims dalle mani del vescovo Egidio indi raggiunse la sua città residenziale. Fra i vescovi di Tours solo cinque non erano della sua famiglia, non c'è da stupirsi quindi che sia succeduto a suo cugino, inoltre egli aveva nella Chiesa franca, fama di sapiente e di sant'uomo.
Tours si trovava, dopo la divisione del 567, nel regno di Sigeberto regno in verità composto di territori distaccati, aventi per capitali Reims e Tours. Quando Gregorio accedette all'episcopato, la Chiesa gallo-romana era in un periodo di adattamento ad una situazione nuova. La Gallia stava perdendo; il suo aspetto romano ed entrava nel periodo barbarico. Politicamente il paese riunificato da Clotario I, era stato diviso dopo la sua morte, nel dicembre 561, fra i suoi quattro figli, Cariberto, Gontranno, Sigeberto e Chilperico. Cariberto fu re dell'Ovest, da Amiens fino ai Pirenei con Parigi per capitale (Tours era in questa parte); Gontranno ebbe Orléans, il Berry, le vallate della Saona e del Rodano; Sigeberto ebbe, con Reims, i paesi dell'Est sul bacino della Mosa, del Reno e, al di là di questo fiume, il dominio su diverse tribú germaniche fino all'Elba, ebbe inoltre, l'Alvernia e una parte della Provenza. Chilperico ebbe la parte piú piccola verso Nord con capitale Soissons. Ma essendo Cariberto morto nel 567, i suoi tre fratelli se ne divisero il territorio in maniera bizzarra. Chilperico, che aveva sposato una schiava affrancata, Fredegonda di triste memoria, ottenne il Nord e il Mezzogiorno, piú Rouen e il suo territorio, Evreux, Le Mans, Angers e la Bretagna, Bordeaux, Limoges, Cahors, il Béarn e Bigorre. Sigeberto ricevette Tours, Poitiers e qualche altro dominio al Sud della Garonna. Gontranno ottenne Nantes, Saintes, Angouleme, Périgueux e Agen. La città di Parigi restò indivisa fra i tre fratelli.
Data l'instabilità provocata da queste frequenti divisioni di territori, la guerra civile era una minaccia costante e spesso una triste realtà. Per giunta i costumi rudi dell'epoca facevano sí che, anche senza guerre e razzie, gli assassini, gli assedi alle città fossero frequenti. La Chiesa soffriva nel suo clero, nel suo patrimonio e specialmente nei suoi edifici spesso rovinati o bruciati.
La città di Tours aveva allora una grande importanza, la sua posizione geografica, la sua ricchezza la rendevano invidiabile. Essa era inoltre un centro spirituale della Gallia: il vescovo di Tours, infatti, successore di s. Martino e custode del suo sepolcro, era uno dei grandi personaggi della Chiesa franca.
Autore: Jacques Lahache
SOURCE : http://www.santiebeati.it/dettaglio/78100
San Gregorio di Tours Vescovo
Clermont-Ferrand (Francia), ca. 538 - Tours, 17
novembre 594
Etimologia: Gregorio = colui che risveglia, dal greco
Emblema: Bastone pastorale
Martirologio Romano: A Tours in Neustria sempre in Francia, san
Gregorio, vescovo, che succedette in questa sede a sant’Eufronio e compose una
storia dei Franchi con stile chiaro e semplice.
Giorgio
Fiorentino, che prese il nome di Gregorio in occasione della sua consacrazione
episcopale, in memoria di un bisavolo che fu vescovo di Langres, nacque
nell'Alvernia, a Clermont, il 30 novembre 538. L'anno della sua nascita ci è
noto da qualche punto di riferimento contenuto nei suoi scritti. Tuttavia gli
storici di Gregorio hanno interpretato diversamente questi dati cronologici; la
maggioranza si accorda però sulla data del 538 e sembra che questa
interpretazione sia definitiva.
Gregorio apparteneva a una delle piú illustri famiglie della nobiltà gallo-romana; essa contava un martire, cinque vescovi poi onorati come santi, dei senatori. Suo padre, di salute cagionevole, morí giovane senza avere mai occupato cariche pubbliche, lasciando alla vedova Armentaria la cura di allevare i loro tre figli, Giorgio, Pietro, che diverrà diacono e morrà assassinato da un invidioso, e una figlia di cui si ignora il nome, che sposerà un certo Giustino.
Dopo la morte del marito, Armentaria lasciò Clermont e venne a stabilirsi nel regno di Borgogna presso Cavaillon, dove aveva una proprietà. Il piccolo Gregorio aveva allora otto anni; uno dei suoi zii, il futuro vescovo di Lione, s. Nicezio, si incaricò della sua educazione. Un altro zio, s. Gallo, aveva fondato a Clermont, sua città episcopale, una scuola diretta da Avito, anche lui futuro vescovo. Gregorio frequentò questa scuola e prese un gusto vivissimo agli studi e l'amore per i libri: infatti, divenuto vescovo, cercò di procurarsi una biblioteca ben fornita. Lesse molto, soprattutto libri storici; infatti, delle citazioni o reminiscenze che si trovano fra le sue opere è possibile affermare che lesse la Cronaca di Eusebio, tradotta da s. Girolamo, e la sua Storia Ecclesiastica, tradotta da Rufino, le Ricognizioni di Clemente, il libro degli Uomini illustri di s. Girolamo, passiones di martiri e Vitue di santi, specialmente i libri di Sulpizio Severo su s. Martino.e lesse anche Sidonio Apollinare. Dell'opera di Virgilio studiò a memoria lunghi frammenti tanto che soleva citare spesso l'Eneide. Lesse anche Sallustio e forse Aulo Gellio e Plinio, ma non conosceva Cicerone che attraverso s. Girolamo.
Fu soprattutto attirato dagli scritti sacri, specialmente dalla Bibbia come informa lui stesso. Le citazioni che fa della Sacra Scrittura nei suoi scritti provano che doveva averla letta nelle versioni popolari di quelle "antiche Bibbie latine fatte per il popolo da gente del popolo, di cui il testo del Pentateuco di Lione ci dà un'idea molto esatta e il cui latino, pieno di barbarismi e di scorrettezze di ogni genere, non era adatto ad inculcare il rispetto della grammatica, né a rendere il suo orecchio piú delicato".
Gregorio Iesse ed usò alcuni apocrifi del Nuovo Testamento e una collezione di estratti apocrifi degli Atti degli Apostoli. Conobbe anche, ma non molto, s. Girolamo, Cassiano, Sedulio, Lattanzio, Marziano Capella, s. Ilario di Poitiers, il Liber pontificalis. I Padri della Chiesa non occuparono alcun posto nelle sue citazioni, ma non si può concludere che non li avesse letti.
All'età di venticinque anni, Gregorio fu ordinato diacono della Chiesa dell'Alvernia; poco tempo dopo, cadde gravemente malato, ma fece un pellegrinaggio alla tomba di s. Martino, dove ottenne la guarigione. Poi rimase qualche tempo a Tours presso il vescovo Eufronio, suo cugino. Soggiornò in seguito in Borgogna poi a Lione, dove assolse le funzioni di diacono presso suo zio Nicezio.
Durante la sua permanenza a Reims nel 578 ebbe notizia della morte di suo cugino vescovo di Tours e della propria elezione a succedergli, fatta diciotto giorni dopo la morte del predecessore. Ricevette la consacrazione episcopale a Reims dalle mani del vescovo Egidio indi raggiunse la sua città residenziale. Fra i vescovi di Tours solo cinque non erano della sua famiglia, non c'è da stupirsi quindi che sia succeduto a suo cugino, inoltre egli aveva nella Chiesa franca, fama di sapiente e di sant'uomo.
Tours si trovava, dopo la divisione del 567, nel regno di Sigeberto regno in verità composto di territori distaccati, aventi per capitali Reims e Tours. Quando Gregorio accedette all'episcopato, la Chiesa gallo-romana era in un periodo di adattamento ad una situazione nuova. La Gallia stava perdendo; il suo aspetto romano ed entrava nel periodo barbarico. Politicamente il paese riunificato da Clotario I, era stato diviso dopo la sua morte, nel dicembre 561, fra i suoi quattro figli, Cariberto, Gontranno, Sigeberto e Chilperico. Cariberto fu re dell'Ovest, da Amiens fino ai Pirenei con Parigi per capitale (Tours era in questa parte); Gontranno ebbe Orléans, il Berry, le vallate della Saona e del Rodano; Sigeberto ebbe, con Reims, i paesi dell'Est sul bacino della Mosa, del Reno e, al di là di questo fiume, il dominio su diverse tribú germaniche fino all'Elba, ebbe inoltre, l'Alvernia e una parte della Provenza. Chilperico ebbe la parte piú piccola verso Nord con capitale Soissons. Ma essendo Cariberto morto nel 567, i suoi tre fratelli se ne divisero il territorio in maniera bizzarra. Chilperico, che aveva sposato una schiava affrancata, Fredegonda di triste memoria, ottenne il Nord e il Mezzogiorno, piú Rouen e il suo territorio, Evreux, Le Mans, Angers e la Bretagna, Bordeaux, Limoges, Cahors, il Béarn e Bigorre. Sigeberto ricevette Tours, Poitiers e qualche altro dominio al Sud della Garonna. Gontranno ottenne Nantes, Saintes, Angouleme, Périgueux e Agen. La città di Parigi restò indivisa fra i tre fratelli.
Data l'instabilità provocata da queste frequenti divisioni di territori, la guerra civile era una minaccia costante e spesso una triste realtà. Per giunta i costumi rudi dell'epoca facevano sí che, anche senza guerre e razzie, gli assassini, gli assedi alle città fossero frequenti. La Chiesa soffriva nel suo clero, nel suo patrimonio e specialmente nei suoi edifici spesso rovinati o bruciati.
La città di Tours aveva allora una grande importanza, la sua posizione geografica, la sua ricchezza la rendevano invidiabile. Essa era inoltre un centro spirituale della Gallia: il vescovo di Tours, infatti, successore di s. Martino e custode del suo sepolcro, era uno dei grandi personaggi della Chiesa franca.
Autore: Jacques Lahache
SOURCE : http://www.santiebeati.it/dettaglio/78100