Le
Saint Pape François à Rome, le 18 mars 2013.
LETTRE ENCYCLIQUE
LAUDATO SI’
DU
SAINT-PÈRE FRANÇOIS
SUR LA SAUVEGARDE DE LA
MAISON COMMUNE
1. «
Laudato si’, mi’ Signore », - « Loué sois-tu, mon Seigneur », chantait saint
François d’Assise. Dans ce beau cantique, il nous rappelait que notre maison
commune est aussi comme une sœur, avec laquelle nous partageons l’existence, et
comme une mère, belle, qui nous accueille à bras ouverts : « Loué sois-tu, mon
Seigneur, pour sœur notre mère la terre, qui nous soutient et nous gouverne, et
produit divers fruits avec les fleurs colorées et l’herbe ».[1]
2. Cette
sœur crie en raison des dégâts que nous lui causons par l’utilisation
irresponsable et par l’abus des biens que Dieu a déposés en elle. Nous avons
grandi en pensant que nous étions ses propriétaires et ses dominateurs,
autorisés à l’exploiter. La violence qu’il y a dans le cœur humain blessé par
le péché se manifeste aussi à travers les symptômes de maladie que nous
observons dans le sol, dans l’eau, dans l’air et dans les êtres vivants. C’est
pourquoi, parmi les pauvres les plus abandonnés et maltraités, se trouve notre
terre opprimée et dévastée, qui « gémit en travail d’enfantement » (Bm 8, 22).
Nous oublions que nous-mêmes, nous sommes poussière (cf. Gn 2, 7). Notre propre
corps est constitué d’éléments de la planète, son air nous donne le souffle et
son eau nous vivifie comme elle nous restaure.
Rien de ce monde ne nous
est indifférent
3. Il
y a plus de cinquante ans, quand le monde vacillait au bord d’une crise
nucléaire, le Pape saint Jean
XXIII a écrit une Encyclique dans laquelle il ne se contentait pas de
rejeter une guerre, mais a voulu transmettre une proposition de paix. Il a
adressé son message Pacem
in terris « aux fidèles de l’univers » tout entier, mais il ajoutait «
ainsi qu’à tous les hommes de bonne volonté ». À présent, face à la
détérioration globale de l’environnement, je voudrais m’adresser à chaque
personne qui habite cette planète. Dans mon Exhortation Evangelii
gaudium, j’ai écrit aux membres de l’Église en vue d'engager un processus
de réforme missionnaire encore en cours. Dans la présente Encyclique, je me
propose spécialement d’entrer en dialogue avec tous au sujet de notre maison
commune.
4. Huit
ans après Pacem
in terris, en 1971, le bienheureux Pape Paul
VI s’est référé à la problématique écologique, en la présentant comme
une crise qui est « une conséquence...dramatique » de l’activité sans contrôle
de l’être humain : « Par une exploitation inconsidérée de la nature [l’être
humain] risque de la détruire et d’être à son tour la victime de cette
dégradation ».[2] Il
a parlé également à la FAO de la possibilité de « l’effet des retombées de la
civilisation industrielle, [qui risquait] de conduire à une véritable
catastrophe écologique », en soulignant « l’urgence et la nécessité d’un
changement presque radical dans le comportement de l’humanité », parce que «
les progrès scientifiques les plus extraordinaires, les prouesses techniques
les plus étonnantes, la croissance économique la plus prodigieuse, si elles ne
s’accompagnent d’un authentique progrès social et moral, se retournent en
définitive contre l’homme ».[3]
5. Saint Jean-Paul
II s’est occupé de ce thème avec un intérêt toujours grandissant. Dans
sa première
Encyclique, il a prévenu que l’être humain semble « ne percevoir d’autres
significations de son milieu naturel que celles de servir à un usage et à une
consommation dans l’immédiat ».[4] Par
la suite, il a appelé à une conversion écologique globale.[5] Mais
en même temps, il a fait remarquer qu’on s’engage trop peu dans « la sauvegarde
des conditions morales d’une “écologie humaine” authentique».[6] La
destruction de l’environnement humain est très grave, parce que non seulement
Dieu a confié le monde à l’être humain, mais encore la vie de celui-ci est un
don qui doit être protégé de diverses formes de dégradation. Toute volonté de
protéger et d’améliorer le monde suppose de profonds changements dans « les
styles de vie, les modèles de production et de consommation, les structures de
pouvoir établies qui régissent aujourd’hui les sociétés ».[7] Le
développement humain authentique a un caractère moral et suppose le plein
respect de la personne humaine, mais il doit aussi prêter attention au monde
naturel et « tenir compte de la nature de chaque être et de ses liens mutuels
dans un système ordonné ».[8] Par
conséquent, la capacité propre à l’être humain de transformer la réalité doit
se développer sur la base du don des choses fait par Dieu à l'origine.[9]
6. Mon
prédécesseur Benoît
XVI a renouvelé l’invitation à « éliminer les causes structurelles des
dysfonctionnements de l’économie mondiale et à corriger les modèles de
croissance qui semblent incapables de garantir le respect de l’environnement».[10] Il
a rappelé qu’on ne peut pas analyser le monde seulement en isolant l’un de ses
aspects, parce que « le livre de la nature est unique et indivisible » et
inclut, entre autres, l’environnement, la vie, la sexualité, la famille et les
relations sociales. Par conséquent, « la dégradation de l’environnement est
étroitement liée à la culture qui façonne la communauté humaine».[11] Le
Pape Benoît nous a proposé de reconnaître que l’environnement naturel est
parsemé de blessures causées par notre comportement irresponsable.
L’environnement social a lui aussi ses blessures. Mais toutes, au fond, sont
dues au même mal, c’est-à-dire à l’idée qu’il n’existe pas de vérités
indiscutables qui guident nos vies, et donc que la liberté humaine n’a pas de limites.
On oublie que « l’homme n’est pas seulement une liberté qui se crée de soi.
L’homme ne se crée pas lui-même. Il est esprit et volonté, mais il est aussi
nature».[12] Avec
une paternelle préoccupation, il nous a invités à réaliser que la création
subit des préjudices, là « où nous-mêmes sommes les dernières instances, où le
tout est simplement notre propriété que nous consommons uniquement pour
nous-mêmes. Et le gaspillage des ressources de la Création commence là où nous
ne reconnaissons plus aucune instance au-dessus de nous, mais ne voyons plus
que nous-mêmes ».[13]
Unis par une même
préoccupation
7. Ces
apports des Papes recueillent la réflexion d’innombrables scientifiques,
philosophes, théologiens et organisations sociales qui ont enrichi la pensée de
l’Église sur ces questions. Mais nous ne pouvons pas ignorer qu’outre l’Église
catholique, d’autres Églises et Communautés chrétiennes – comme aussi d’autres
religions – ont nourri une grande préoccupation et une précieuse réflexion sur
ces thèmes qui nous préoccupent tous. Pour prendre un seul exemple remarquable,
je voudrais recueillir brièvement en partie l’apport du cher Patriarche
Œcuménique Bartholomée, avec qui nous partageons l’espérance de la pleine
communion ecclésiale.
8. Le
Patriarche Bartholomée s’est référé particulièrement à la nécessité de se
repentir, chacun, de ses propres façons de porter préjudice à la planète, parce
que « dans la mesure où tous nous causons de petits préjudices écologiques »,
nous sommes appelés à reconnaître « notre contribution – petite ou grande – à
la défiguration et à la destruction de la création ».[14] Sur
ce point, il s’est exprimé à plusieurs reprises d’une manière ferme et
stimulante, nous invitant à reconnaître les péchés contre la création : « Que
les hommes dégradent l’intégrité de la terre en provoquant le changement climatique,
en dépouillant la terre de ses forêts naturelles ou en détruisant ses zones
humides ; que les hommes portent préjudice à leurs semblables par des maladies
en contaminant les eaux, le sol, l’air et l’environnement par des substances
polluantes, tout cela, ce sont des péchés » ;[15] car
« un crime contre la nature est un crime contre nous-mêmes et un péché contre
Dieu ».[16]
9. En
même temps, Bartholomée a attiré l’attention sur les racines éthiques et
spirituelles des problèmes environnementaux qui demandent que nous trouvions
des solutions non seulement grâce à la technique mais encore à travers un
changement de la part de l’être humain, parce qu’autrement nous affronterions
uniquement les symptômes. Il nous a proposé de passer de la consommation au
sacrifice, de l’avidité à la générosité, du gaspillage à la capacité de
partager, dans une ascèse qui « signifie apprendre à donner, et non simplement
à renoncer. C’est une manière d’aimer, de passer progressivement de ce que je
veux à ce dont le monde de Dieu a besoin. C’est la libération de la peur, de
l’avidité, de la dépendance ».[17] Nous
chrétiens, en outre, nous sommes appelés à « accepter le monde comme sacrement
de communion, comme manière de partager avec Dieu et avec le prochain à une
échelle globale. C’est notre humble conviction que le divin et l’humain se
rencontrent même dans les plus petits détails du vêtement sans coutures de la
création de Dieu, jusque dans l’infime grain de poussière de notre planète ».[18]
Saint François d’Assise
10. Je
ne veux pas poursuivre cette Encyclique sans recourir à un beau modèle capable
de nous motiver. J’ai pris son nom comme guide et inspiration au moment de mon
élection en tant qu’Évêque de Rome. Je crois que François est l’exemple par
excellence de la protection de ce qui est faible et d’une écologie intégrale,
vécue avec joie et authenticité. C’est le saint patron de tous ceux qui
étudient et travaillent autour de l’écologie, aimé aussi par beaucoup de
personnes qui ne sont pas chrétiennes. Il a manifesté une attention
particulière envers la création de Dieu ainsi qu’envers les pauvres et les
abandonnés. Il aimait et était aimé pour sa joie, pour son généreux engagement
et pour son cœur universel. C’était un mystique et un pèlerin qui vivait avec
simplicité et dans une merveilleuse harmonie avec Dieu, avec les autres, avec
la nature et avec lui-même. En lui, on voit jusqu’à quel point sont
inséparables la préoccupation pour la nature, la justice envers les pauvres,
l’engagement pour la société et la paix intérieure.
11. Son
témoignage nous montre aussi qu’une écologie intégrale requiert une ouverture à
des catégories qui transcendent le langage des mathématiques ou de la biologie,
et nous orientent vers l’essence de l’humain. Tout comme cela arrive quand nous
tombons amoureux d’une personne, chaque fois qu’il regardait le soleil, la lune
ou les animaux même les plus petits, sa réaction était de chanter, en
incorporant dans sa louange les autres créatures. Il entrait en communication
avec toute la création, et il prêchait même aux fleurs « en les invitant à
louer le Seigneur, comme si elles étaient dotées de raison ».[19] Sa
réaction était bien plus qu’une valorisation intellectuelle ou qu’un calcul
économique, parce que pour lui, n’importe quelle créature était une sœur, unie
à lui par des liens d’affection. Voilà pourquoi il se sentait appelé à protéger
tout ce qui existe. Son disciple saint Bonaventure rapportait que, «
considérant que toutes les choses ont une origine commune, il se sentait rempli
d’une tendresse encore plus grande et il appelait les créatures, aussi petites
soient-elles, du nom de frère ou de sœur ».[20] Cette
conviction ne peut être considérée avec mépris comme un romantisme irrationnel,
car elle a des conséquences sur les opinions qui déterminent notre
comportement. Si nous nous approchons de la nature et de l’environnement sans
cette ouverture à l’étonnement et à l’émerveillement, si nous ne parlons plus
le langage de la fraternité et de la beauté dans notre relation avec le monde,
nos attitudes seront celles du dominateur, du consommateur ou du pur exploiteur
de ressources, incapable de fixer des limites à ses intérêts immédiats. En
revanche, si nous nous sentons intimement unis à tout ce qui existe, la
sobriété et le souci de protection jailliront spontanément. La pauvreté et
l’austérité de saint François n’étaient pas un ascétisme purement extérieur,
mais quelque chose de plus radical : un renoncement à transformer la réalité en
pur objet d'usage et de domination.
12. D’autre
part, saint François, fidèle à l’Écriture, nous propose de reconnaître la
nature comme un splendide livre dans lequel Dieu nous parle et nous révèle
quelque chose de sa beauté et de sa bonté : « La grandeur et la beauté des
créatures font contempler, par analogie, leur Auteur » (Sg 13, 5), et « ce que Dieu
a d’invisible depuis la création du monde, se laisse voir à l’intelligence à
travers ses œuvres, son éternelle puissance et sa divinité » (Bm 1, 20). C’est
pourquoi il demandait qu’au couvent on laisse toujours une partie du jardin
sans la cultiver, pour qu’y croissent les herbes sauvages, de sorte que ceux
qui les admirent puissent élever leur pensée vers Dieu, auteur de tant de
beauté.[21] Le
monde est plus qu’un problème à résoudre, il est un mystère joyeux que nous
contemplons dans la joie et dans la louange.
Mon appel
13. Le
défi urgent de sauvegarder notre maison commune inclut la préoccupation d’unir
toute la famille humaine dans la recherche d’un développement durable et
intégral, car nous savons que les choses peuvent changer. Le Créateur ne nous
abandonne pas, jamais il ne fait marche arrière dans son projet d’amour, il ne
se repent pas de nous avoir créés. L’humanité possède encore la capacité de
collaborer pour construire notre maison commune. Je souhaite saluer, encourager
et remercier tous ceux qui, dans les secteurs les plus variés de l’activité
humaine, travaillent pour assurer la sauvegarde de la maison que nous
partageons. Ceux qui luttent avec vigueur pour affronter les conséquences
dramatiques de la dégradation de l’environnement sur la vie des plus pauvres
dans le monde, méritent une gratitude spéciale. Les jeunes nous réclament un
changement. Ils se demandent comment il est possible de prétendre construire un
avenir meilleur sans penser à la crise de l’environnement et aux souffrances
des exclus.
14. J’adresse
une invitation urgente à un nouveau dialogue sur la façon dont nous
construisons l’avenir de la planète. Nous avons besoin d’une conversion qui
nous unisse tous, parce que le défi environnemental que nous vivons, et ses
racines humaines, nous concernent et nous touchent tous. Le mouvement
écologique mondial a déjà parcouru un long chemin, digne d’appréciation, et il
a généré de nombreuses associations citoyennes qui ont aidé à la prise de
conscience. Malheureusement, beaucoup d’efforts pour chercher des solutions
concrètes à la crise environnementale échouent souvent, non seulement à cause
de l’opposition des puissants, mais aussi par manque d’intérêt de la part des
autres. Les attitudes qui obstruent les chemins de solutions, même parmi les
croyants, vont de la négation du problème jusqu’à l’indifférence, la
résignation facile, ou la confiance aveugle dans les solutions techniques. Il
nous faut une nouvelle solidarité universelle. Comme l’ont affirmé les Évêques
d’Afrique du Sud, « les talents et l’implication de tous sont nécessaires pour
réparer les dommages causés par les abus humains à l'encontre de la création de
Dieu ».[22] Tous,
nous pouvons collaborer comme instruments de Dieu pour la sauvegarde de la
création, chacun selon sa culture, son expérience, ses initiatives et ses
capacités.
15. J’espère
que cette Lettre encyclique, qui s’ajoute au Magistère social de l’Église, nous
aidera à reconnaître la grandeur, l’urgence et la beauté du défi qui se
présente à nous. En premier lieu, je présenterai un bref aperçu des différents
aspects de la crise écologique actuelle, en vue de prendre en considération les
meilleurs résultats de la recherche scientifique disponible aujourd’hui, d’en
faire voir la profondeur et de donner une base concrète au parcours éthique et
spirituel qui suit. À partir de cet aperçu, je reprendrai certaines raisons qui
se dégagent de la tradition judéo-chrétienne, afin de donner plus de cohérence
à notre engagement en faveur de l’environnement. Ensuite, j’essaierai d’arriver
aux racines de la situation actuelle, pour que nous ne considérions pas
seulement les symptômes, mais aussi les causes les plus profondes. Nous
pourrons ainsi proposer une écologie qui, dans ses différentes dimensions,
incorpore la place spécifique de l’être humain dans ce monde et ses relations
avec la réalité qui l’entoure. À la lumière de cette réflexion, je voudrais
avancer quelques grandes lignes de dialogue et d’action qui concernent aussi
bien chacun de nous que la politique internationale. Enfin, puisque je suis
convaincu que tout changement a besoin de motivations et d’un chemin éducatif,
je proposerai quelques lignes de maturation humaine inspirées par le trésor de
l’expérience spirituelle chrétienne.
16. Bien
que chaque chapitre possède sa propre thématique et une méthodologie
spécifique, il reprend à son tour, à partir d’une nouvelle optique, des
questions importantes abordées dans les chapitres antérieurs. C’est le cas
spécialement de certains axes qui traversent toute l’Encyclique. Par exemple :
l’intime relation entre les pauvres et la fragilité de la planète ; la
conviction que tout est lié dans le monde ; la critique du nouveau paradigme et
des formes de pouvoir qui dérivent de la technologie ; l’invitation à chercher
d’autres façons de comprendre l’économie et le progrès ; la valeur propre de
chaque créature ; le sens humain de l’écologie ; la nécessité de débats
sincères et honnêtes ; la grave responsabilité de la politique internationale
et locale ; la culture du déchet et la proposition d’un nouveau style de vie.
Ces thèmes ne sont jamais clos, ni ne sont laissés de côté, mais ils sont
constamment repris et enrichis.
CE QUI SE PASSE
DANS NOTRE MAISON
17. Les
réflexions théologiques ou philosophiques sur la situation de l’humanité et du
monde, peuvent paraître un message répétitif et abstrait, si elles ne se
présentent pas de nouveau à partir d’une confrontation avec le contexte actuel,
en ce qu’il a d’inédit pour l’histoire de l’humanité. Voilà pourquoi avant de
voir comment la foi apporte de nouvelles motivations et de nouvelles exigences
face au monde dont nous faisons partie, je propose de nous arrêter brièvement
pour considérer ce qui se passe dans notre maison commune.
18. L’accélération
continuelle des changements de l’humanité et de la planète s’associe
aujourd’hui à l’intensification des rythmes de vie et de travail, dans ce que
certains appellent “rapidación”. Bien que le changement fasse partie de la
dynamique des systèmes complexes, la rapidité que les actions humaines lui
imposent aujourd’hui contraste avec la lenteur naturelle de l’évolution
biologique. À cela, s’ajoute le fait que les objectifs de ce changement rapide
et constant ne sont pas nécessairement orientés vers le bien commun, ni vers le
développement humain, durable et intégral. Le changement est quelque chose de
désirable, mais il devient préoccupant quand il en vient à détériorer le monde
et la qualité de vie d’une grande partie de l’humanité.
19. Après
un temps de confiance irrationnelle dans le progrès et dans la capacité
humaine, une partie de la société est en train d’entrer dans une phase de plus
grande prise de conscience. On observe une sensibilité croissante concernant
aussi bien l’environnement que la protection de la nature, tout comme une
sincère et douloureuse préoccupation grandit pour ce qui arrive à notre planète.
Faisons un tour, certainement incomplet, de ces questions qui aujourd’hui
suscitent notre inquiétude, et que nous ne pouvons plus mettre sous le tapis.
L’objectif n’est pas de recueillir des informations ni de satisfaire notre
curiosité, mais de prendre une douloureuse conscience, d’oser transformer en
souffrance personnelle ce qui se passe dans le monde, et ainsi de reconnaître
la contribution que chacun peut apporter.
I.
POLLUTION ET CHANGEMENT CLIMATIQUE
Pollution, ordure et
culture du déchet
20. Il
existe des formes de pollution qui affectent quotidiennement les personnes.
L’exposition aux polluants atmosphériques produit une large gamme d’effets sur
la santé, en particulier des plus pauvres, en provoquant des millions de morts
prématurées. Ces personnes tombent malades, par exemple, à cause de
l’inhalation de niveaux élevés de fumées provenant de la combustion qu’elles
utilisent pour faire la cuisine ou pour se chauffer. À cela, s’ajoute la
pollution qui affecte tout le monde, due aux moyens de transport, aux fumées de
l’industrie, aux dépôts de substances qui contribuent à l’acidification du sol
et de l’eau, aux fertilisants, insecticides, fongicides, désherbants et
agro-chimiques toxiques en général. La technologie, liée aux secteurs
financiers, qui prétend être l’unique solution aux problèmes, de fait, est
ordinairement incapable de voir le mystère des multiples relations qui existent
entre les choses, et par conséquent, résout parfois un problème en en créant un
autre.
21. Il
faut considérer également la pollution produite par les déchets, y compris les ordures
dangereuses présentes dans différents milieux. Des centaines de millions de
tonnes de déchets sont produites chaque année, dont beaucoup ne sont pas
biodégradables : des déchets domestiques et commerciaux, des déchets de
démolition, des déchets cliniques, électroniques et industriels, des déchets
hautement toxiques et radioactifs. La terre, notre maison commune, semble se
transformer toujours davantage en un immense dépotoir. À plusieurs endroits de
la planète, les personnes âgées ont la nostalgie des paysages d’autrefois, qui
aujourd’hui se voient inondés d’ordures. Aussi bien les déchets industriels que
les produits chimiques utilisés dans les villes et dans l’agriculture peuvent
provoquer un effet de bio-accumulation dans les organismes des populations
voisines, ce qui arrive même quand le taux de présence d’un élément toxique en
un lieu est bas. Bien des fois, on prend des mesures seulement quand des effets
irréversibles pour la santé des personnes se sont déjà produits.
22. Ces
problèmes sont intimement liés à la culture du déchet, qui affecte aussi bien
les personnes exclues que les choses, vite transformées en ordures. Réalisons,
par exemple, que la majeure partie du papier qui est produit, est gaspillée et
n’est pas recyclée. Il nous coûte de reconnaître que le fonctionnement des
écosystèmes naturels est exemplaire : les plantes synthétisent des substances
qui alimentent les herbivores ; ceux-ci à leur tour alimentent les carnivores,
qui fournissent d’importantes quantités de déchets organiques, lesquels donnent
lieu à une nouvelle génération de végétaux. Par contre, le système industriel
n’a pas développé, en fin de cycle de production et de consommation, la
capacité d’absorber et de réutiliser déchets et ordures. On n’est pas encore
arrivé à adopter un modèle circulaire de production qui assure des ressources
pour tous comme pour les générations futures, et qui suppose de limiter au
maximum l’utilisation des ressources non renouvelables, d’en modérer la
consommation, de maximiser l’efficacité de leur exploitation, de les réutiliser
et de les recycler. Aborder cette question serait une façon de contrecarrer la
culture du déchet qui finit par affecter la planète entière, mais nous
remarquons que les progrès dans ce sens sont encore très insuffisants.
Le climat comme bien
commun
23. Le
climat est un bien commun, de tous et pour tous. Au niveau global, c’est un
système complexe en relation avec beaucoup de conditions essentielles pour la
vie humaine. Il existe un consensus scientifique très solide qui indique que
nous sommes en présence d’un réchauffement préoccupant du système climatique.
Au cours des dernières décennies, ce réchauffement a été accompagné de
l’élévation constante du niveau de la mer, et il est en outre difficile de ne
pas le mettre en relation avec l’augmentation d’événements météorologiques
extrêmes, indépendamment du fait qu’on ne peut pas attribuer une cause
scientifiquement déterminable à chaque phénomène particulier. L’humanité est
appelée à prendre conscience de la nécessité de réaliser des changements de
style de vie, de production et de consommation, pour combattre ce réchauffement
ou, tout au moins, les causes humaines qui le provoquent ou l’accentuent. Il y
a, certes, d’autres facteurs (comme le volcanisme, les variations de l’orbite
et de l’axe de la terre, le cycle solaire), mais de nombreuses études
scientifiques signalent que la plus grande partie du réchauffement global des
dernières décennies est due à la grande concentration de gaz à effet de serre
(dioxyde de carbone, méthane, oxyde de nitrogène et autres) émis surtout à
cause de l’activité humaine. En se concentrant dans l’atmosphère, ils empêchent
la chaleur des rayons solaires réfléchis par la terre de se perdre dans
l’espace. Cela est renforcé en particulier par le modèle de développement
reposant sur l’utilisation intensive de combustibles fossiles, qui constitue le
cœur du système énergétique mondial. Le fait de changer de plus en plus les
utilisations du sol, principalement la déforestation pour l’agriculture, a
aussi des impacts.
24. À
son tour, le réchauffement a des effets sur le cycle du carbone. Il crée un
cercle vicieux qui aggrave encore plus la situation, affectera la disponibilité
de ressources indispensables telles que l’eau potable, l’énergie ainsi que la
production agricole des zones les plus chaudes, et provoquera l’extinction
d’une partie de la biodiversité de la planète. La fonte des glaces polaires et
de celles des plaines d’altitude menace d’une libération à haut risque de
méthane ; et la décomposition de la matière organique congelée pourrait
accentuer encore plus l’émanation de dioxyde de carbone. De même, la
disparition de forêts tropicales aggrave la situation, puisqu’elles contribuent
à tempérer le changement climatique. La pollution produite par le dioxyde de
carbone augmente l’acidité des océans et compromet la chaîne alimentaire
marine. Si la tendance actuelle continuait, ce siècle pourrait être témoin de
changements climatiques inédits et d’une destruction sans précédent des
écosystèmes, avec de graves conséquences pour nous tous. L’élévation du niveau
de la mer, par exemple, peut créer des situations d’une extrême gravité si on
tient compte du fait que le quart de la population mondiale vit au bord de la
mer ou très proche, et que la plupart des mégapoles sont situées en zones
côtières.
25. Le
changement climatique est un problème global aux graves répercussions
environnementales, sociales, économiques, distributives ainsi que politiques,
et constitue l’un des principaux défis actuels pour l’humanité. Les pires
conséquences retomberont probablement au cours des prochaines décennies sur les
pays en développement. Beaucoup de pauvres vivent dans des endroits
particulièrement affectés par des phénomènes liés au réchauffement, et leurs
moyens de subsistance dépendent fortement des réserves naturelles et des
services de l’écosystème, comme l’agriculture, la pêche et les ressources
forestières. Ils n’ont pas d’autres activités financières ni d’autres
ressources qui leur permettent de s’adapter aux impacts climatiques, ni de
faire face à des situations catastrophiques, et ils ont peu d’accès aux services
sociaux et à la protection. Par exemple, les changements du climat provoquent
des migrations d’animaux et de végétaux qui ne peuvent pas toujours s’adapter,
et cela affecte à leur tour les moyens de production des plus pauvres, qui se
voient aussi obligés d’émigrer avec une grande incertitude pour leur avenir et
pour l'avenir de leurs enfants. L’augmentation du nombre de migrants fuyant la
misère, accrue par la dégradation environnementale, est tragique ; ces migrants
ne sont pas reconnus comme réfugiés par les conventions internationales et ils
portent le poids de leurs vies à la dérive, sans aucune protection légale.
Malheureusement, il y a une indifférence générale face à ces tragédies qui se
produisent en ce moment dans diverses parties du monde. Le manque de réactions
face à ces drames de nos frères et sœurs est un signe de la perte de ce sens de
responsabilité à l’égard de nos semblables, sur lequel se fonde toute société
civile.
26. Beaucoup
de ceux qui détiennent plus de ressources et de pouvoir économique ou politique
semblent surtout s’évertuer à masquer les problèmes ou à occulter les
symptômes, en essayant seulement de réduire certains impacts négatifs du
changement climatique. Mais beaucoup de symptômes indiquent que ces effets ne
cesseront pas d’empirer si nous maintenons les modèles actuels de production et
de consommation. Voilà pourquoi il devient urgent et impérieux de développer
des politiques pour que, les prochaines années, l’émission du dioxyde de
carbone et d’autres gaz hautement polluants soit réduite de façon drastique,
par exemple en remplaçant l’utilisation de combustibles fossiles et en
accroissant des sources d’énergie renouvelable. Dans le monde, il y a un niveau
d’accès réduit à des énergies propres et renouvelables. Il est encore
nécessaire de développer des technologies adéquates d’accumulation. Cependant,
dans certains pays, des progrès qui commencent à être significatifs ont été
réalisés, bien qu’ils soient loin d’atteindre un niveau suffisant. Il y a eu
aussi quelques investissements dans les moyens de production et de transport
qui consomment moins d’énergie et requièrent moins de matière première, comme
dans le domaine de la construction ou de la réfection d’édifices pour en
améliorer l’efficacité énergétique. Mais ces bonnes pratiques sont loin de se
généraliser.
27. D’autres
indicateurs de la situation actuelle concernent l’épuisement des ressources
naturelles. Nous sommes bien conscients de l’impossibilité de maintenir le
niveau actuel de consommation des pays les plus développés et des secteurs les
plus riches des sociétés, où l’habitude de dépenser et de jeter atteint des
niveaux inédits. Déjà les limites maximales d’exploitation de la planète ont
été dépassées, sans que nous ayons résolu le problème de la pauvreté.
L’eau potable et pure
représente une question de première importance, parce qu’elle est indispensable
pour la vie humaine comme pour soutenir les écosystèmes terrestres et aquatiques.
Les sources d’eau douce approvisionnent des secteurs sanitaires, agricoles et
de la pêche ainsi qu’industriels. La provision d’eau est restée relativement
constante pendant longtemps, mais en beaucoup d’endroits la demande dépasse
l’offre durable, avec de graves conséquences à court et à long terme. De
grandes villes qui ont besoin d’une importante quantité d’eau en réserve,
souffrent de périodes de diminution de cette ressource, qui n’est pas toujours
gérée de façon équitable et impartiale aux moments critiques. Le manque d’eau
courante s’enregistre spécialement en Afrique, où de grands secteurs de la
population n’ont pas accès à une eau potable sûre, ou bien souffrent de
sécheresses qui rendent difficile la production d’aliments. Dans certains pays,
il y a des régions qui disposent de l’eau en abondance et en même temps
d’autres qui souffrent de grave pénurie.
29. Un
problème particulièrement sérieux est celui de la qualité de l’eau disponible
pour les pauvres, ce qui provoque beaucoup de morts tous les jours. Les
maladies liées à l’eau sont fréquentes chez les pauvres, y compris les maladies
causées par les micro-organismes et par des substances chimiques. La diarrhée
et le choléra, qui sont liés aux services hygiéniques et à l’approvisionnement
en eau impropre à la consommation, sont un facteur significatif de souffrance
et de mortalité infantile. Les eaux souterraines en beaucoup d’endroits sont
menacées par la pollution que provoquent certaines activités extractives,
agricoles et industrielles, surtout dans les pays où il n’y a pas de régulation
ni de contrôles suffisants. Ne pensons pas seulement aux décharges des usines.
Les détergents et les produits chimiques qu’utilise la population dans beaucoup
d’endroits du monde continuent de se déverser dans des rivières, dans des lacs
et dans des mers.
30. Tandis
que la qualité de l’eau disponible se détériore constamment, il y a une
tendance croissante, à certains endroits, à privatiser cette ressource limitée,
transformée en marchandise sujette aux lois du marché. En réalité, l’accès à
l’eau potable et sûre est un droit humain primordial, fondamental et universel,
parce qu’il détermine la survie des personnes, et par conséquent il est une
condition pour l’exercice des autres droits humains. Ce monde a une grave dette
sociale envers les pauvres qui n’ont pas accès à l’eau potable, parce que c’est
leur nier le droit à la vie, enraciné dans leur dignité inaliénable. Cette
dette se règle en partie par des apports économiques conséquents pour fournir
l’eau potable et l’hygiène aux plus pauvres. Mais on observe le gaspillage
d’eau, non seulement dans les pays développés, mais aussi dans les pays les
moins développés qui possèdent de grandes réserves. Cela montre que le problème
de l’eau est en partie une question éducative et culturelle, parce que la
conscience de la gravité de ces conduites, dans un contexte de grande
injustice, manque.
31. Une
grande pénurie d’eau provoquera l’augmentation du coût des aliments comme celle
du coût de différents produits qui dépendent de son utilisation. Certaines
études ont alerté sur la possibilité de souffrir d’une pénurie aiguë d’eau dans
quelques décennies, si on n’agit pas en urgence. Les impacts sur
l’environnement pourraient affecter des milliers de millions de personnes, et
il est prévisible que le contrôle de l’eau par de grandes entreprises mondiales
deviendra l’une des principales sources de conflits de ce siècle.[23]
32. Les
ressources de la terre sont aussi objet de déprédation à cause de la conception
de l’économie ainsi que de l’activité commerciale et productive fondées sur
l’immédiateté. La disparition de forêts et d’autres végétations implique en
même temps la disparition d’espèces qui pourraient être à l’avenir des
ressources extrêmement importantes, non seulement pour l’alimentation, mais
aussi pour la guérison de maladies et pour de multiples services. Les diverses
espèces contiennent des gènes qui peuvent être des ressources-clefs pour
subvenir, à l’avenir, à certaines nécessités humaines ou pour réguler certains
problèmes de l’environnement.
33. Mais
il ne suffit pas de penser aux différentes espèces seulement comme à
d’éventuelles “ressources” exploitables, en oubliant qu’elles ont une valeur en
elles-mêmes. Chaque année, disparaissent des milliers d’espèces végétales et
animales que nous ne pourrons plus connaître, que nos enfants ne pourront pas
voir, perdues pour toujours.
L’immense majorité
disparaît pour des raisons qui tiennent à une action humaine. À cause de nous,
des milliers d’espèces ne rendront plus gloire à Dieu par leur existence et ne
pourront plus nous communiquer leur propre message. Nous n’en avons pas le
droit.
34. Probablement,
cela nous inquiète d’avoir connaissance de l’extinction d’un mammifère ou d’un
oiseau, à cause de leur visibilité plus grande. Mais, pour le bon
fonctionnement des écosystèmes, les champignons, les algues, les vers, les
insectes, les reptiles et l’innombrable variété de micro-organismes sont aussi
nécessaires. Certaines espèces peu nombreuses, qui sont d’habitude
imperceptibles, jouent un rôle fondamental pour établir l’équilibre d’un lieu.
Certes, l’être humain doit intervenir quand un géo-système entre dans un état
critique ; mais aujourd’hui le niveau d’intervention humaine, dans une réalité
si complexe comme la nature, est tel que les constants désastres provoqués par
l’être humain appellent une nouvelle intervention de sa part, si bien que
l’activité humaine devient omniprésente, avec tous les risques que cela
implique. Il se crée en général un cercle vicieux où l’intervention de l’être
humain pour résoudre une difficulté, bien des fois, aggrave encore plus la
situation. Par exemple, beaucoup d’oiseaux et d’insectes qui disparaissent à
cause des agro-toxiques créés par la technologie, sont utiles à cette même
agriculture et leur disparition devra être substituée par une autre
intervention technologique qui produira probablement d’autres effets nocifs.
Les efforts des scientifiques et des techniciens, qui essaient d’apporter des
solutions aux problèmes créés par l’être humain, sont louables et parfois
admirables. Mais en regardant le monde, nous remarquons que ce niveau
d’intervention humaine, fréquemment au service des finances et du consumérisme,
fait que la terre où nous vivons devient en réalité moins riche et moins belle,
toujours plus limitée et plus grise, tandis qu’en même temps le développement
de la technologie et des offres de consommation continue de progresser sans
limite. Il semble ainsi que nous prétendions substituer à une beauté,
irremplaçable et irrécupérable, une autre créée par nous.
35. Quand on analyse l’impact environnemental d’une entreprise, on en considère ordinairement les effets sur le sol, sur l’eau et sur l’air, mais on n’inclut pas toujours une étude soignée de son impact sur la biodiversité, comme si la disparition de certaines espèces ou de groupes d’animaux ou de végétaux était quelque chose de peu d’importance. Les routes, les nouvelles cultures, les grillages, les barrages et d’autres constructions prennent progressivement possession des habitats, et parfois les fragmentent de telle manière que les populations d’animaux ne peuvent plus migrer ni se déplacer librement, si bien que certaines espèces sont menacées d’extinction. Il existe des alternatives qui peuvent au moins atténuer l’impact de ces ouvrages, comme la création de corridors biologiques, mais on observe cette attention et cette prévention en peu de pays. Quand on exploite commercialement certaines espèces, on n’étudie pas toujours leur forme de croissance pour éviter leur diminution excessive, avec le déséquilibre de l’écosystème qui en résulterait.
36. La
sauvegarde des écosystèmes suppose un regard qui aille au-delà de l’immédiat,
car lorsqu’on cherche seulement un rendement économique rapide et facile, leur
préservation n’intéresse réellement personne. Mais le coût des dommages
occasionnés par la négligence égoïste est beaucoup plus élevé que le bénéfice
économique qui peut en être obtenu. Dans le cas de la disparition ou de graves
dommages à certaines espèces, nous parlons de valeurs qui excèdent tout calcul.
C’est pourquoi nous pouvons être des témoins muets de bien graves injustices,
quand certains prétendent obtenir d’importants bénéfices en faisant payer au
reste de l’humanité, présente et future, les coûts très élevés de la
dégradation de l’environnement.
37. Quelques
pays ont progressé dans la préservation efficace de certains lieux et de
certaines zones – sur terre et dans les océans – où l’on interdit toute
intervention humaine qui pourrait en modifier la physionomie ou en altérer la
constitution originelle. Dans la préservation de la biodiversité, les
spécialistes insistent sur la nécessité d’accorder une attention spéciale aux
zones les plus riches en variétés d’espèces, aux espèces endémiques rares ou
ayant un faible degré de protection effective. Certains endroits requièrent une
protection particulière à cause de leur énorme importance pour l’écosystème
mondial, ou parce qu’ils constituent d’importantes réserves d’eau et assurent
ainsi d’autres formes de vie.
38. Mentionnons,
par exemple, ces poumons de la planète pleins de biodiversité que sont
l’Amazonie et le bassin du fleuve Congo, ou bien les grandes surfaces aquifères
et les glaciers. On n’ignore pas l’importance de ces lieux pour toute la
planète et pour l’avenir de l’humanité. Les écosystèmes des forêts tropicales
ont une biodiversité d’une énorme complexité, presqu’impossible à répertorier
intégralement, mais quand ces forêts sont brûlées ou rasées pour développer des
cultures, d’innombrables espèces disparaissent en peu d’années, quand elles ne
se transforment pas en déserts arides. Cependant, un équilibre délicat
s’impose, quand on parle de ces endroits, parce qu’on ne peut pas non plus
ignorer les énormes intérêts économiques internationaux qui, sous prétexte de
les sauvegarder, peuvent porter atteinte aux souverainetés nationales. De fait,
il existe « des propositions d’internationalisation de l’Amazonie, qui servent
uniquement des intérêts économiques des corporations transnationales ».[24] Elle
est louable la tâche des organismes internationaux et des organisations de la
société civile qui sensibilisent les populations et coopèrent de façon
critique, en utilisant aussi des mécanismes de pression légitimes, pour que
chaque gouvernement accomplisse son propre et intransférable devoir de
préserver l’environnement ainsi que les ressources naturelles de son pays, sans
se vendre à des intérêts illégitimes locaux ou internationaux.
39. Le
remplacement de la flore sauvage par des aires reboisées, qui généralement sont
des mono‑cultures, ne fait pas ordinairement l’objet d’une analyse adéquate. En
effet, ce remplacement peut affecter gravement une biodiversité qui n’est pas
hébergée par les nouvelles espèces qu’on implante. Les zones humides, qui sont
transformées en terrain de culture, perdent aussi l’énorme biodiversité
qu’elles accueillaient. Dans certaines zones côtières, la disparition des
écosystèmes constitués par les mangroves est préoccupante.
40. Les
océans non seulement constituent la majeure partie de l’eau de la planète, mais
aussi la majeure partie de la grande variété des êtres vivants, dont beaucoup
nous sont encore inconnus et sont menacés par diverses causes. D’autre part, la
vie dans les fleuves, les lacs, les mers et les océans, qui alimente une grande
partie de la population mondiale, se voit affectée par l’extraction désordonnée
des ressources de pêche, provoquant des diminutions drastiques de certaines
espèces. Des formes sélectives de pêche, qui gaspillent une grande partie des
espèces capturées, continuent encore de se développer. Les organismes marins
que nous ne prenons pas en considération sont spécialement menacés, comme
certaines formes de plancton qui constituent une composante très importante
dans la chaîne alimentaire marine, et dont dépendent, en définitive, les
espèces servant à notre subsistance.
41. En
pénétrant dans les mers tropicales et subtropicales, nous trouvons les
barrières de corail, qui équivalent aux grandes forêts de la terre, parce
qu’elles hébergent approximativement un million d’espèces, incluant des poissons,
des crabes, des mollusques, des éponges, des algues, et autres. Déjà, beaucoup
de barrières de corail dans le monde sont aujourd’hui stériles ou déclinent
continuellement : « Qui a transformé le merveilleux monde marin en cimetières
sous-marins dépourvus de vie et de couleurs ? ».[25] Ce
phénomène est dû en grande partie à la pollution qui atteint la mer, résultat
de la déforestation, des monocultures agricoles, des déchets industriels et des
méthodes destructives de pêche, spécialement celles qui utilisent le cyanure et
la dynamite. Il s’aggrave à cause de l’élévation de la température des océans.
Tout cela nous aide à réaliser comment n’importe quelle action sur la nature
peut avoir des conséquences que nous ne soupçonnons pas à première vue, et que
certaines formes d’exploitation de ressources se font au prix d’une dégradation
qui finalement atteint même le fond des océans.
42. Il
est nécessaire d’investir beaucoup plus dans la recherche pour mieux comprendre
le comportement des écosystèmes et analyser adéquatement les divers paramètres
de l’impact de toute modification importante de l’environnement. En effet,
toutes les créatures sont liées, chacune doit être valorisée avec affection et
admiration, et tous en tant qu’êtres, nous avons besoin les uns des autres.
Chaque territoire a une responsabilité dans la sauvegarde de cette famille et
devrait donc faire un inventaire détaillé des espèces qu’il héberge, afin de
développer des programmes et des stratégies de protection, en préservant avec
un soin particulier les espèces en voie d’extinction.
IV.
DÉTÉRIORATION DE LA QUALITÉ
DE LA VIE HUMAINE ET DÉGRADATION SOCIALE
43. Si
nous tenons compte du fait que l’être humain est aussi une créature de ce
monde, qui a le droit de vivre et d’être heureux, et qui de plus a une dignité
éminente, nous ne pouvons pas ne pas prendre en considération les effets de la
dégradation de l’environnement, du modèle actuel de développement et de la
culture du déchet, sur la vie des personnes.
44. Aujourd’hui
nous observons, par exemple, la croissance démesurée et désordonnée de beaucoup
de villes qui sont devenues insalubres pour y vivre, non seulement du fait de
la pollution causée par les émissions toxiques, mais aussi à cause du chaos
urbain, des problèmes de transport, et de la pollution visuelle ainsi que
sonore. Beaucoup de villes sont de grandes structures inefficaces qui
consomment énergie et eau en excès. Certains quartiers, bien que récemment construits,
sont congestionnés et désordonnés, sans espaces verts suffisants. Les habitants
de cette planète ne sont pas faits pour vivre en étant toujours plus envahis
par le ciment, l’asphalte, le verre et les métaux, privés du contact physique
avec la nature.
45. À
certains endroits, en campagne comme en ville, la privatisation des espaces a
rendu difficile l’accès des citoyens à des zones particulièrement belles. À
d’autres endroits, on crée des urbanisations “ écologiques ” seulement au
service de quelques-uns, en évitant que les autres entrent pour perturber une
tranquillité artificielle. Une ville belle et pleine d’espaces verts bien
protégés se trouve ordinairement dans certaines zones “ sûres ”, mais beaucoup
moins dans des zones peu visibles, où vivent les marginalisés de la société.
46. Parmi
les composantes sociales du changement global figurent les effets de certaines
innovations technologiques sur le travail, l’exclusion sociale, l’inégalité
dans la disponibilité et la consommation d’énergie et d’autres services, la
fragmentation sociale, l’augmentation de la violence et l’émergence de
nouvelles formes d’agressivité sociale, le narcotrafic et la consommation
croissante de drogues chez les plus jeunes, la perte d’identité. Ce sont des
signes, parmi d’autres, qui montrent que la croissance de ces deux derniers
siècles n’a pas signifié sous tous ses aspects un vrai progrès intégral ni une
amélioration de la qualité de vie. Certains de ces signes sont en même temps
des symptômes d’une vraie dégradation sociale, d’une rupture silencieuse des liens
d’intégration et de communion sociale.
47. À
cela s’ajoutent les dynamiques des moyens de communication sociale et du monde
digital, qui, en devenant omniprésentes, ne favorisent pas le développement
d’une capacité de vivre avec sagesse, de penser en profondeur, d’aimer avec
générosité. Les grands sages du passé, dans ce contexte, auraient couru le
risque de voir s’éteindre leur sagesse au milieu du bruit de l’information qui
devient divertissement. Cela exige de nous un effort pour que ces moyens de
communication se traduisent par un nouveau développement culturel de
l’humanité, et non par une détérioration de sa richesse la plus profonde. La
vraie sagesse, fruit de la réflexion, du dialogue et de la rencontre généreuse
entre les personnes, ne s’obtient pas par une pure accumulation de données qui
finissent par saturer et obnubiler, comme une espèce de pollution mentale. En
même temps, les relations réelles avec les autres tendent à être substituées,
avec tous les défis que cela implique, par un type de communication transitant
par Internet. Cela permet de sélectionner ou d’éliminer les relations selon
notre libre arbitre, et il naît ainsi un nouveau type d’émotions artificielles,
qui ont plus à voir avec des dispositifs et des écrans qu’avec les personnes et
la nature. Les moyens actuels nous permettent de communiquer et de partager des
connaissances et des sentiments. Cependant, ils nous empêchent aussi parfois
d’entrer en contact direct avec la détresse, l’inquiétude, la joie de l’autre
et avec la complexité de son expérience personnelle. C’est pourquoi nous ne
devrions pas nous étonner qu’avec l’offre écrasante de ces produits se
développe une profonde et mélancolique insatisfaction dans les relations
interpersonnelles, ou un isolement dommageable.
48. L’environnement
humain et l’environnement naturel se dégradent ensemble, et nous ne pourrons
pas affronter adéquatement la dégradation de l’environnement si nous ne prêtons
pas attention aux causes qui sont en rapport avec la dégradation humaine et
sociale. De fait, la détérioration de l’environnement et celle de la société
affectent d’une manière spéciale les plus faibles de la planète : « Tant
l’expérience commune de la vie ordinaire que l’investigation scientifique
démontrent que ce sont les pauvres qui souffrent davantage des plus graves
effets de toutes les agressions environnementales ».[26] Par
exemple, l’épuisement des réserves de poissons nuit spécialement à ceux qui
vivent de la pêche artisanale et n’ont pas les moyens de la remplacer ; la
pollution de l’eau touche particulièrement les plus pauvres qui n’ont pas la
possibilité d’acheter de l’eau en bouteille, et l’élévation du niveau de la mer
affecte principalement les populations côtières appauvries qui n’ont pas où se
déplacer. L’impact des dérèglements actuels se manifeste aussi à travers la
mort prématurée de beaucoup de pauvres, dans les conflits générés par manque de
ressources et à travers beaucoup d’autres problèmes qui n’ont pas assez
d’espace dans les agendas du monde.[27]
49. Je
voudrais faire remarquer que souvent on n’a pas une conscience claire des
problèmes qui affectent particulièrement les exclus. Ils sont la majeure partie
de la planète, des milliers de millions de personnes. Aujourd’hui, ils sont
présents dans les débats politiques et économiques internationaux, mais il
semble souvent que leurs problèmes se posent comme un appendice, comme une
question qui s’ajoute presque par obligation ou de manière marginale, quand on
ne les considère pas comme un pur dommage collatéral. De fait, au moment de
l’action concrète, ils sont relégués fréquemment à la dernière place. Cela est
dû en partie au fait que beaucoup de professionnels, de leaders d’opinion, de
moyens de communication et de centres de pouvoir sont situés loin d’eux, dans
des zones urbaines isolées, sans contact direct avec les problèmes des exclus.
Ceux-là vivent et réfléchissent à partir de la commodité d’un niveau de
développement et à partir d’une qualité de vie qui ne sont pas à la portée de
la majorité de la population mondiale. Ce manque de contact physique et de
rencontre, parfois favorisé par la désintégration de nos villes, aide à
tranquilliser la conscience et à occulter une partie de la réalité par des
analyses biaisées. Ceci cohabite parfois avec un discours “ vert ”. Mais
aujourd’hui, nous ne pouvons pas nous empêcher de reconnaître qu’une vraie
approche écologique se transforme toujours en une approche sociale, qui doit
intégrer la justice dans les discussions sur l’environnement, pour écouter tant
la clameur de la terre que la clameur des pauvres.
50. Au
lieu de résoudre les problèmes des pauvres et de penser à un monde différent,
certains se contentent seulement de proposer une réduction de la natalité. Les
pressions internationales sur les pays en développement ne manquent pas,
conditionnant des aides économiques à certaines politiques de “ santé
reproductive ”. Mais « s’il est vrai que la répartition inégale de la
population et des ressources disponibles crée des obstacles au développement et
à l’utilisation durable de l’environnement, il faut reconnaître que la
croissance démographique est pleinement compatible avec un développement
intégral et solidaire ».[28] Accuser
l’augmentation de la population et non le consumérisme extrême et sélectif de
certains est une façon de ne pas affronter les problèmes. On prétend légitimer
ainsi le modèle de distribution actuel où une minorité se croit le droit de
consommer dans une proportion qu’il serait impossible de généraliser, parce que
la planète ne pourrait même pas contenir les déchets d’une telle consommation.
En outre, nous savons qu’on gaspille approximativement un tiers des aliments
qui sont produits, et « que lorsque l’on jette de la nourriture, c’est comme si
l’on volait la nourriture à la table du pauvre ».[29] De
toute façon, il est certain qu’il faut prêter attention au déséquilibre de la
distribution de la population sur le territoire, tant au niveau national qu’au
niveau global, parce que l’augmentation de la consommation conduirait à des
situations régionales complexes, à cause des combinaisons de problèmes liés à
la pollution environnementale, au transport, au traitement des déchets, à la
perte de ressources et à la qualité de vie, entre autres.
51. L’inégalité
n’affecte pas seulement les individus, mais aussi des pays entiers, et oblige à
penser à une éthique des relations internationales. Il y a, en effet, une vraie
“ dette écologique ”, particulièrement entre le Nord et le Sud, liée à des
déséquilibres commerciaux, avec des conséquences dans le domaine écologique, et
liée aussi à l’utilisation disproportionnée des ressources naturelles,
historiquement pratiquée par certains pays. Les exportations de diverses
matières premières pour satisfaire les marchés du Nord industrialisé ont causé
des dommages locaux, comme la pollution par le mercure dans l’exploitation de
l’or ou par le dioxyde de souffre dans l’exploitation du cuivre. Il faut
spécialement tenir compte de l’utilisation de l’espace environnemental de toute
la planète, quand il s’agit de stocker les déchets gazeux qui se sont accumulés
durant deux siècles et ont généré une situation qui affecte actuellement tous
les pays du monde. Le réchauffement causé par l’énorme consommation de certains
pays riches a des répercussions sur les régions les plus pauvres de la terre,
spécialement en Afrique, où l’augmentation de la température jointe à la
sécheresse fait des ravages au détriment du rendement des cultures. À cela,
s’ajoutent les dégâts causés par l’exportation vers les pays en développement
des déchets solides ainsi que de liquides toxiques, et par l’activité polluante
d’entreprises qui s’autorisent dans les pays moins développés ce qu’elles ne
peuvent dans les pays qui leur apportent le capital : « Nous constatons que
souvent les entreprises qui agissent ainsi sont des multinationales, qui font
ici ce qu’on ne leur permet pas dans des pays développés ou du dénommé premier
monde. Généralement, en cessant leurs activités et en se retirant, elles
laissent de grands passifs humains et environnementaux tels que le chômage, des
populations sans vie, l’épuisement de certaines réserves naturelles, la
déforestation, l’appauvrissement de l’agriculture et de l’élevage local, des
cratères, des coteaux triturés, des fleuves contaminés et quelques œuvres
sociales qu’on ne peut plus maintenir ».[30]
52. La dette extérieure des pays pauvres s’est transformée en un instrument de contrôle, mais il n’en est pas de même avec la dette écologique. De diverses manières, les peuples en développement, où se trouvent les plus importantes réserves de la biosphère, continuent d’alimenter le développement des pays les plus riches au prix de leur présent et de leur avenir. La terre des pauvres du Sud est riche et peu polluée, mais l’accès à la propriété des biens et aux ressources pour satisfaire les besoins vitaux leur est interdit par un système de relations commerciales et de propriété structurellement pervers. Il faut que les pays développés contribuent à solder cette dette, en limitant de manière significative la consommation de l’énergie non renouvelable et en apportant des ressources aux pays qui ont le plus de besoins, pour soutenir des politiques et des programmes de développement durable. Les régions et les pays les plus pauvres ont moins de possibilités pour adopter de nouveaux modèles en vue de réduire l’impact des activités de l’homme sur l’environnement, parce qu’ils n’ont pas la formation pour développer les processus nécessaires, et ils ne peuvent pas en assumer les coûts. C’est pourquoi il faut maintenir claire la conscience que, dans le changement climatique, il y a des responsabilités diversifiées et, comme l’ont exprimé les Évêques des États-Unis, on doit se concentrer « spécialement sur les besoins des pauvres, des faibles et des vulnérables, dans un débat souvent dominé par les intérêts les plus puissants ».[31] Nous avons besoin de renforcer la conscience que nous sommes une seule famille humaine. Il n’y a pas de frontières ni de barrières politiques ou sociales qui nous permettent de nous isoler, et pour cela même il n’y a pas non plus de place pour la globalisation de l’indifférence.
VI.
LA FAIBLESSE DES RÉACTIONS
53. Ces
situations provoquent les gémissements de sœur terre, qui se joignent au
gémissement des abandonnés du monde, dans une clameur exigeant de nous une
autre direction. Nous n’avons jamais autant maltraité ni fait de mal à notre
maison commune qu’en ces deux derniers siècles. Mais nous sommes appelés à être
les instruments de Dieu le Père pour que notre planète soit ce qu’il a rêvé en
la créant, et pour qu’elle réponde à son projet de paix, de beauté et de
plénitude. Le problème est que nous n’avons pas encore la culture nécessaire
pour faire face à cette crise ; et il faut construire des leaderships qui
tracent des chemins, en cherchant à répondre aux besoins des générations
actuelles comme en incluant tout le monde, sans nuire aux générations futures.
Il devient indispensable de créer un système normatif qui implique des limites
infranchissables et assure la protection des écosystèmes, avant que les
nouvelles formes de pouvoir dérivées du paradigme techno-économique ne
finissent par raser non seulement la politique mais aussi la liberté et la
justice.
54. La
faiblesse de la réaction politique internationale est frappante. La soumission
de la politique à la technologie et aux finances se révèle dans l’échec des
Sommets mondiaux sur l’environnement. Il y a trop d’intérêts particuliers, et
très facilement l’intérêt économique arrive à prévaloir sur le bien commun et à
manipuler l’information pour ne pas voir affectés ses projets. En ce sens, le
Document d’Aparecida réclame que « dans les interventions sur les ressources
naturelles ne prédominent pas les intérêts des groupes économiques qui ravagent
déraisonnablement les sources de la vie ».[32] L’alliance
entre l’économie et la technologie finit par laisser de côté ce qui ne fait pas
partie de leurs intérêts immédiats. Ainsi, on peut seulement s’attendre à
quelques déclarations superficielles, quelques actions philanthropiques
isolées, voire des efforts pour montrer une sensibilité envers l’environnement,
quand, en réalité, toute tentative des organisations sociales pour modifier les
choses sera vue comme une gêne provoquée par des utopistes romantiques ou comme
un obstacle à contourner.
55. Peu
à peu certains pays peuvent enregistrer des progrès importants, le
développement de contrôles plus efficaces et une lutte plus sincère contre la
corruption. Il y a plus de sensibilité écologique de la part des populations,
bien que cela ne suffise pas pour modifier les habitudes nuisibles de
consommation, qui ne semblent pas céder mais s’amplifient et se développent.
C’est ce qui arrive, pour donner seulement un exemple simple, avec
l’augmentation croissante de l’utilisation et de l’intensité des climatiseurs.
Les marchés, en cherchant un gain immédiat, stimulent encore plus la demande.
Si quelqu’un observait de l’extérieur la société planétaire, il s’étonnerait
face à un tel comportement qui semble parfois suicidaire.
56. Pendant
ce temps, les pouvoirs économiques continuent de justifier le système mondial
actuel, où priment une spéculation et une recherche du revenu financier qui
tendent à ignorer tout contexte, de même que les effets sur la dignité humaine
et sur l’environnement. Ainsi, il devient manifeste que la dégradation de
l’environnement comme la dégradation humaine et éthique sont intimement liées.
Beaucoup diront qu’ils n’ont pas conscience de réaliser des actions immorales,
parce que la distraction constante nous ôte le courage de nous rendre compte de
la réalité d’un monde limité et fini. Voilà pourquoi aujourd’hui « tout ce qui
est fragile, comme l’environnement, reste sans défense par rapport aux intérêts
du marché divinisé, transformés en règle absolue ».[33]
57. Il
est prévisible que, face à l’épuisement de certaines ressources, se crée
progressivement un scénario favorable à de nouvelles guerres, déguisées en
revendications nobles. La guerre produit toujours de graves dommages à
l’environnement comme à la richesse culturelle des populations, et les risques
deviennent gigantesques quand on pense aux armes nucléaires ainsi qu’aux armes biologiques.
En effet, « malgré l’interdiction par des accords internationaux de la guerre
chimique, bactériologique et biologique, en réalité la recherche continue dans
les laboratoires pour développer de nouvelles armes offensives capables
d’altérer les équilibres naturels ».[34] Une
plus grande attention est requise de la part de la politique pour prévenir et
pour s’attaquer aux causes qui peuvent provoquer de nouveaux conflits. Mais
c’est le pouvoir lié aux secteurs financiers qui résiste le plus à cet effort,
et les projets politiques n’ont pas habituellement de largeur de vue. Pourquoi
veut-on préserver aujourd'hui un pouvoir qui laissera dans l’histoire le
souvenir de son incapacité à intervenir quand il était urgent et nécessaire de
le faire ?
58. Dans
certains pays, il y a des exemples positifs de réussites dans les améliorations
de l’environnement tels que l’assainissement de certaines rivières polluées
durant de nombreuses décennies, ou la récupération de forêts autochtones, ou
l’embellissement de paysages grâce à des œuvres d’assainissement
environnemental, ou des projets de construction de bâtiments de grande valeur
esthétique, ou encore, par exemple, grâce à des progrès dans la production
d’énergie non polluante, dans les améliorations du transport public. Ces
actions ne résolvent pas les problèmes globaux, mais elles confirment que
l’être humain est encore capable d’intervenir positivement. Comme il a été créé
pour aimer, du milieu de ses limites, jaillissent inévitablement des gestes de
générosité, de solidarité et d’attention.
59. En
même temps, une écologie superficielle ou apparente se développe, qui consolide
un certain assoupissement et une joyeuse irresponsabilité. Comme cela arrive
ordinairement aux époques de crises profondes, qui requièrent des décisions
courageuses, nous sommes tentés de penser que ce qui est en train de se passer
n’est pas certain. Si nous regardons les choses en surface, au-delà de quelques
signes visibles de pollution et de dégradation, il semble qu’elles ne soient
pas si graves et que la planète pourrait subsister longtemps dans les
conditions actuelles. Ce comportement évasif nous permet de continuer à
maintenir nos styles de vie, de production et de consommation. C’est la manière
dont l’être humain s’arrange pour alimenter tous les vices autodestructifs : en
essayant de ne pas les voir, en luttant pour ne pas les reconnaître, en retardant
les décisions importantes, en agissant comme si de rien n’était.
60. Finalement,
reconnaissons que diverses visions et lignes de pensée se sont développées à
propos de la situation et des solutions possibles. À l’extrême, d’un côté,
certains soutiennent à tout prix le mythe du progrès et affirment que les
problèmes écologiques seront résolus simplement grâce à de nouvelles
applications techniques, sans considérations éthiques ni changements de fond.
De l’autre côté, d’autres pensent que, à travers n’importe laquelle de ses
interventions, l’être humain ne peut être qu’une menace et nuire à l’écosystème
mondial, raison pour laquelle il conviendrait de réduire sa présence sur la
planète et d’empêcher toute espèce d’intervention de sa part. Entre ces deux
extrêmes, la réflexion devrait identifier de possibles scénarios futurs, parce
qu’il n’y a pas une seule issue. Cela donnerait lieu à divers apports qui
pourraient entrer dans un dialogue en vue de réponses intégrales.
61. Sur
beaucoup de questions concrètes, en principe, l’Église n’a pas de raison de
proposer une parole définitive et elle comprend qu’elle doit écouter puis
promouvoir le débat honnête entre scientifiques, en respectant la diversité
d’opinions. Mais il suffit de regarder la réalité avec sincérité pour constater
qu’il y a une grande détérioration de notre maison commune. L’espérance nous
invite à reconnaître qu’il y a toujours une voie de sortie, que nous pouvons
toujours repréciser le cap, que nous pouvons toujours faire quelque chose pour
résoudre les problèmes. Cependant, des symptômes d’un point de rupture semblent
s’observer, à cause de la rapidité des changements et de la dégradation, qui se
manifestent tant dans des catastrophes naturelles régionales que dans des
crises sociales ou même financières, étant donné que les problèmes du monde ne
peuvent pas être analysés ni s’expliquer de façon isolée. Certaines régions sont
déjà particulièrement en danger et, indépendamment de toute prévision
catastrophiste, il est certain que l’actuel système mondial est insoutenable de
divers points de vue, parce que nous avons cessé de penser aux fins de l’action
humaine : « Si le regard parcourt les régions de notre planète, il s’aperçoit
immédiatement que l’humanité a déçu l’attente divine ».[35]
L’ÉVANGILE DE LA CREATION
62. Pourquoi
inclure dans ce texte, adressé à toutes les personnes de bonne volonté, un
chapitre qui fait référence à des convictions de foi ? Je n’ignore pas que,
dans les domaines de la politique et de la pensée, certains rejettent avec
force l’idée d’un Créateur, ou bien la considèrent comme sans importance au
point de reléguer dans le domaine de l’irrationnel la richesse que les
religions peuvent offrir pour une écologie intégrale et pour un développement
plénier de l’humanité. D’autres fois on considère qu’elles sont une
sous-culture qui doit seulement être tolérée. Cependant, la science et la
religion, qui proposent des approches différentes de la réalité, peuvent entrer
dans un dialogue intense et fécond pour toutes deux.
63. Si
nous prenons en compte la complexité de la crise écologique et ses multiples
causes, nous devrons reconnaître que les solutions ne peuvent pas venir d’une
manière unique d’interpréter et de transformer la réalité. Il est nécessaire
d’avoir aussi recours aux diverses richesses culturelles des peuples, à l’art
et à la poésie, à la vie intérieure et à la spiritualité. Si nous cherchons
vraiment à construire une écologie qui nous permette de restaurer tout ce que
nous avons détruit, alors aucune branche des sciences et aucune forme de
sagesse ne peut être laissée de côté, la sagesse religieuse non plus, avec son
langage propre. De plus, l’Église catholique est ouverte au dialogue avec la
pensée philosophique, et cela lui permet de produire diverses synthèses entre
foi et raison. En ce qui concerne les questions sociales, cela peut se
constater dans le développement de la doctrine sociale de l’Église, qui est
appelée à s’enrichir toujours davantage à partir des nouveaux défis.
64. Par
ailleurs, même si cette Encyclique s’ouvre au dialogue avec tous pour chercher
ensemble des chemins de libération, je veux montrer dès le départ comment les
convictions de la foi offrent aux chrétiens, et aussi à d’autres croyants, de
grandes motivations pour la protection de la nature et des frères et sœurs les
plus fragiles. Si le seul fait d’être humain pousse les personnes à prendre
soin de l’environnement dont elles font partie, « les chrétiens, notamment,
savent que leurs devoirs à l’intérieur de la création et leurs devoirs à
l’égard de la nature et du Créateur font partie intégrante de leur foi ».[36] Donc,
c’est un bien pour l’humanité et pour le monde que nous, les croyants, nous
reconnaissions mieux les engagements écologiques qui jaillissent de nos convictions.
II.
LA SAGESSE DES RÉCITS BIBLIQUES
65. Sans
répéter ici l’entière théologie de la création, nous nous demandons ce que
disent les grands récits bibliques sur la création et sur la relation entre
l’être humain et le monde. Dans le premier récit de l’œuvre de la création,
dans le livre de la Genèse, le plan de Dieu inclut la création de l’humanité.
Après la création de l’être humain, il est dit que « Dieu vit tout ce qu’il
avait fait : cela était très bon » (Gn 1, 31). La Bible enseigne que chaque
être humain est créé par amour, à l’image et à la ressemblance de Dieu (cf. Gn
1, 26). Cette affirmation nous montre la très grande dignité de toute personne
humaine, qui « n’est pas seulement quelque chose, mais quelqu’un. Elle est
capable de se connaître, de se posséder, et de librement se donner et entrer en
communion avec d’autres personnes ».[37] Saint
Jean-Paul II a rappelé que l’amour très particulier que le Créateur a pour
chaque être humain lui confère une dignité infinie.[38] Ceux
qui s’engagent dans la défense de la dignité des personnes peuvent trouver dans
la foi chrétienne les arguments les plus profonds pour cet engagement. Quelle
merveilleuse certitude de savoir que la vie de toute personne ne se perd pas
dans un chaos désespérant, dans un monde gouverné par le pur hasard ou par des
cycles qui se répètent de manière absurde ! Le Créateur peut dire à chacun de
nous : « Avant même de te former au ventre maternel, je t’ai connu » (Jr 1, 5).
Nous avons été conçus dans le cœur de Dieu, et donc, « chacun de nous est le
fruit d’une pensée de Dieu. Chacun de nous est voulu, chacun est aimé, chacun
est nécessaire ».[39]
66. Les
récits de la création dans le livre de la Genèse contiennent, dans leur langage
symbolique et narratif, de profonds enseignements sur l’existence humaine et
sur sa réalité historique. Ces récits suggèrent que l’existence humaine repose
sur trois relations fondamentales intimement liées : la relation avec Dieu,
avec le prochain, et avec la terre. Selon la Bible, les trois relations vitales
ont été rompues, non seulement à l’extérieur, mais aussi à l’intérieur de nous.
Cette rupture est le péché. L’harmonie entre le Créateur, l’humanité et
l’ensemble de la création a été détruite par le fait d’avoir prétendu prendre
la place de Dieu, en refusant de nous reconnaître comme des créatures limitées.
Ce fait a dénaturé aussi la mission de « soumettre » la terre (cf. Gn 1, 28),
de « la cultiver et la garder» (Gn 2, 15). Comme résultat, la relation,
harmonieuse à l’origine entre l’être humain et la nature, est devenue
conflictuelle (cf. Gn 3, 17-19). Pour cette raison, il est significatif que
l’harmonie que vivait saint François d’Assise avec toutes les créatures ait été
interprétée comme une guérison de cette rupture. Saint Bonaventure disait que
par la réconciliation universelle avec toutes les créatures, d’une certaine
manière, François retournait à l’état d’innocence.[40] Loin
de ce modèle, le péché aujourd’hui se manifeste, avec toute sa force de
destruction, dans les guerres, sous diverses formes de violence et de
maltraitance, dans l’abandon des plus fragiles, dans les agressions contre la
nature.
67. Nous
ne sommes pas Dieu. La terre nous précède et nous a été donnée. Cela permet de
répondre à une accusation lancée contre la pensée judéo-chrétienne : il a été
dit que, à partir du récit de la Genèse qui invite à “dominer” la terre (cf. Gn
1, 28), on favoriserait l’exploitation sauvage de la nature en présentant une
image de l’être humain comme dominateur et destructeur. Ce n’est pas une
interprétation correcte de la Bible, comme la comprend l’Église. S’il est vrai
que, parfois, nous les chrétiens avons mal interprété les Écritures, nous
devons rejeter aujourd’hui avec force que, du fait d’avoir été créés à l’image
de Dieu et de la mission de dominer la terre, découle pour nous une domination
absolue sur les autres créatures. Il est important de lire les textes bibliques
dans leur contexte, avec une herméneutique adéquate, et de se souvenir qu’ils
nous invitent à “cultiver et garder” le jardin du monde (cf. Gn 2, 15). Alors
que “cultiver” signifie labourer, défricher ou travailler, “garder” signifie
protéger, sauvegarder, préserver, soigner, surveiller. Cela implique une
relation de réciprocité responsable entre l’être humain et la nature. Chaque
communauté peut prélever de la bonté de la terre ce qui lui est nécessaire pour
survivre, mais elle a aussi le devoir de la sauvegarder et de garantir la
continuité de sa fertilité pour les générations futures ; car, en définitive, «
au Seigneur la terre » (Ps 24, 1), à lui appartiennent « la terre et tout ce
qui s’y trouve » (Dt 10, 14). Pour cette raison, Dieu dénie toute prétention de
propriété absolue : « La terre ne sera pas vendue avec perte de tout droit, car
la terre m’appartient, et vous n’êtes pour moi que des étrangers et des hôtes »
(Lv 25, 23).
68. Cette
responsabilité vis-à-vis d’une terre qui est à Dieu implique que l’être humain,
doué d’intelligence, respecte les lois de la nature et les délicats équilibres
entre les êtres de ce monde, parce que « lui commanda, eux furent créés, il les
posa pour toujours et à jamais sous une loi qui jamais ne passera » (Ps 148,
5b-6). C’est pourquoi la législation biblique s’attarde à proposer à l’être
humain diverses normes, non seulement en relation avec ses semblables, mais
aussi en relation avec les autres êtres vivants : « Si tu vois tomber en chemin
l’âne ou le bœuf de ton frère, tu ne te déroberas pas [...] Si tu rencontres en
chemin un nid avec des oisillons ou des œufs, sur un arbre ou par terre, et que
la mère soit posée sur les oisillons ou les œufs, tu ne prendras pas la mère
sur les petits » (Dt 22, 4.6). Dans cette perspective, le repos du septième
jour n’est pas proposé seulement à l’être humain, mais aussi « afin que se
reposent ton âne et ton bœuf » (Ex 23, 12). Nous nous apercevons ainsi que la
Bible ne donne pas lieu à un anthropocentrisme despotique qui se
désintéresserait des autres créatures.
69. En
même temps que nous pouvons faire un usage responsable des choses, nous sommes
appelés à reconnaître que les autres êtres vivants ont une valeur propre devant
Dieu et, « par leur simple existence ils le bénissent et lui rendent gloire »[41],
puisque « le Seigneur se réjouit en ses œuvres » (Ps 104, 31). Précisément en
raison de sa dignité unique et par le fait d’être doué d’intelligence, l’être
humain est appelé à respecter la création avec ses lois internes, car « le
Seigneur, par la sagesse, a fondé la terre » (Pr 3, 19). Aujourd'hui l’Église
ne dit pas seulement que les autres créatures sont complètement subordonnées au
bien de l’homme, comme si elles n’avaient aucune valeur en elles-mêmes et que
nous pouvions en disposer à volonté. Pour cette raison, les Évêques d’Allemagne
ont enseigné au sujet des autres créatures qu’« on pourrait parler de la
priorité de l’être sur le fait d’être utile »[42].
Le Catéchisme remet en cause, de manière très directe et insistante, ce qui
serait un anthropocentrisme déviant : « Chaque créature possède sa bonté et sa perfection
propres [...] Les différentes créatures, voulues en leur être propre,
reflètent, chacune à sa façon, un rayon de la sagesse et de la bonté infinies
de Dieu. C’est pour cela que l’homme doit respecter la bonté propre de chaque
créature pour éviter un usage désordonné des choses ».[43]
70. Dans
le récit concernant Caïn et Abel, nous voyons que la jalousie a conduit Caïn à
commettre l’injustice extrême contre son frère. Ce qui a provoqué à son tour
une rupture de la relation entre Caïn et Dieu, et entre Caïn et la terre dont
il a été exilé. Ce passage est résumé dans la conversation dramatique entre
Dieu et Caïn. Dieu demande : « Où est ton frère Abel ? ». Caïn répond qu’il ne
sait pas et Dieu insiste : « Qu’as-tu fait ? Écoute le sang de ton frère crier
vers moi du sol ! Maintenant, sois maudit et chassé du sol fertile » (Gn 4,
9-11). La négligence dans la charge de cultiver et de garder une relation
adéquate avec le voisin, envers lequel j’ai le devoir d’attention et de
protection, détruit ma relation intérieure avec moi-même, avec les autres, avec
Dieu et avec la terre. Quand toutes ces relations sont négligées, quand la
justice n’habite plus la terre, la Bible nous dit que toute la vie est en
danger. C’est ce que nous enseigne le récit sur Noé, quand Dieu menace
d’exterminer l’humanité en raison de son incapacité constante à vivre à la
hauteur des exigences de justice et de paix : « La fin de toute chair est
arrivée, je l’ai décidé, car la terre est pleine de violence à cause des hommes
» (Gn 6, 13). Dans ces récits si anciens, emprunts de profond symbolisme, une
conviction actuelle était déjà présente : tout est lié, et la protection
authentique de notre propre vie comme de nos relations avec la nature est
inséparable de la fraternité, de la justice ainsi que de la fidélité aux
autres.
71. Même
si « la méchanceté de l’homme était grande sur la terre » (Gn 6, 5) et que Dieu
« se repentit d’avoir fait l’homme sur la terre » (Gn 6, 6), il a cependant
décidé d’ouvrir un chemin de salut à travers Noé qui était resté intègre et
juste. Ainsi, il a donné à l’humanité la possibilité d’un nouveau commencement.
Il suffit d’un être humain bon pour qu’il y ait de l’espérance ! La tradition
biblique établit clairement que cette réhabilitation implique la redécouverte
et le respect des rythmes inscrits dans la nature par la main du Créateur. Cela
se voit, par exemple, dans la loi sur le Sabbat. Le septième jour, Dieu se
reposa de toutes ses œuvres. Il ordonna à Israël que chaque septième jour soit
un jour de repos, un Sabbat (cf. Gn 2, 2-3 ; Ex 16, 23 ; 20, 10). Par ailleurs,
une année sabbatique fut également instituée pour Israël et sa terre, tous les
sept ans (cf. Lv 25, 1-4), pendant laquelle un repos complet était accordé à la
terre ; on ne semait pas, on moissonnait seulement ce qui était indispensable
pour subsister et offrir l’hospitalité (cf. Lv 25, 4-6). Enfin, passées sept
semaines d’années, c’est-à-dire quarante-neuf ans, le Jubilé était célébré,
année de pardon universel et d’« affranchissement de tous les habitants » (Lv
25, 10). Le développement de cette législation a cherché à assurer l’équilibre
et l’équité dans les relations de l’être humain avec ses semblables et avec la
terre où il vivait et travaillait. Mais en même temps c’était une
reconnaissance que le don de la terre, avec ses fruits, appartient à tout le
peuple. Ceux qui cultivaient et gardaient le territoire devaient en partager
les fruits, spécialement avec les pauvres, les veuves, les orphelins et les étrangers
: « Lorsque vous récolterez la moisson de votre pays, vous ne moissonnerez pas
jusqu’à l’extrême bout du champ. Tu ne glaneras pas ta moisson, tu ne
grappilleras pas ta vigne et tu ne ramasseras pas les fruits tombés dans ton
verger. Tu les abandonneras au pauvre et à l’étranger » (Lv 19, 9-10).
72. Les
Psaumes invitent souvent l’être humain à louer le Dieu créateur : « qui
affermit la terre sur les eaux, car éternel est son amour ! » (Ps 136, 6). Mais
ils invitent aussi les autres créatures à le louer : « Louez-le Soleil et Lune,
louez-le, tous les astres de lumière ; louez-le, cieux des cieux, et les eaux
par-dessus les cieux ! Qu’ils louent le nom du Seigneur : lui commanda et ils
furent créés » (Ps 148, 3-5). Nous existons non seulement par le pouvoir de
Dieu, mais aussi face à lui et près de lui. C’est pourquoi nous l’adorons.
73. Les
écrits des prophètes invitent à retrouver la force dans les moments difficiles
en contemplant le Dieu tout-puissant qui a créé l’univers. Le pouvoir infini de
Dieu ne nous porte pas à fuir sa tendresse paternelle, parce qu’en lui
affection et vigueur se conjuguent. De fait, toute saine spiritualité implique
en même temps d’accueillir l’amour de Dieu, et d’adorer avec confiance le
Seigneur pour sa puissance infinie. Dans la Bible, le Dieu qui libère et sauve
est le même qui a créé l’univers, et ces deux modes divins d’agir sont
intimement et inséparablement liés : « Ah Seigneur, voici que tu as fait le
ciel et la terre par ta grande puissance et ton bras étendu. À toi, rien n’est
impossible ! [...] Tu fis sortir ton peuple Israël du pays d’Égypte par signes
et prodiges » (Jr 32, 17.21). « Le Seigneur est un Dieu éternel, créateur des
extrémités de la terre. Il ne se fatigue ni ne se lasse, insondable est son
intelligence. Il donne la force à celui qui est fatigué, à celui qui est sans
vigueur il prodigue le réconfort » (Is 40, 28b-29).
74. L’expérience
de la captivité à Babylone a engendré une crise spirituelle qui a favorisé un
approfondissement de la foi en Dieu, explicitant sa toute-puissance créatrice,
pour exhorter le peuple à retrouver l’espérance dans sa situation malheureuse.
Des siècles plus tard, en un autre moment d’épreuves et de persécution, quand
l’Empire romain cherchait à imposer une domination absolue, les fidèles
retrouvaient consolation et espérance en grandissant dans la confiance au Dieu
tout-puissant, et ils chantaient : « Grandes et merveilleuses sont tes œuvres,
Seigneur, Dieu Maître-de-tout ; justes et droites sont tes voies, ô Roi des
nations » (Ap 15, 3). S’il a pu créer l’univers à partir de rien, il peut aussi
intervenir dans ce monde et vaincre toute forme de mal. Par conséquent
l’injustice n’est pas invincible.
75. Nous
ne pouvons pas avoir une spiritualité qui oublie le Dieu tout-puissant et
créateur. Autrement, nous finirions par adorer d’autres pouvoirs du monde, ou
bien nous nous prendrions la place du Seigneur au point de prétendre piétiner
la réalité créée par lui, sans connaître de limite. La meilleure manière de
mettre l’être humain à sa place, et de mettre fin à ses prétentions d’être un
dominateur absolu de la terre, c’est de proposer la figure d’un Père créateur
et unique maître du monde, parce qu’autrement l’être humain aura toujours
tendance à vouloir imposer à la réalité ses propres lois et intérêts.
76. Pour la tradition judéo-chrétienne, dire “création”, c’est signifier plus que “nature”, parce qu’il y a un rapport avec un projet de l’amour de Dieu dans lequel chaque créature a une valeur et une signification. La nature s’entend d’habitude comme un système qui s’analyse, se comprend et se gère, mais la création peut seulement être comprise comme un don qui surgit de la main ouverte du Père de tous, comme une réalité illuminée par l’amour qui nous appelle à une communion universelle.
77. «
Par la parole du Seigneur les cieux ont été faits » (Ps 33, 6). Il nous est
ainsi indiqué que le monde est issu d’une décision, non du chaos ou du hasard,
ce qui le rehausse encore plus. Dans la parole créatrice il y a un choix libre
exprimé. L’univers n’a pas surgi comme le résultat d’une toute puissance
arbitraire, d’une démonstration de force ni d’un désir d’auto-affirmation. La
création est de l’ordre de l’amour. L’amour de Dieu est la raison fondamentale
de toute la création : « Tu aimes en effet tout ce qui existe, tu n’as de
dégout pour rien de ce que tu as fait ; car si tu avais haï quelque chose, tu
ne l’aurais pas formé » (Sg 11, 24). Par conséquent, chaque créature est
l’objet de la tendresse du Père, qui lui donne une place dans le monde. Même la
vie éphémère de l’être le plus insignifiant est l’objet de son amour, et, en
ces peu de secondes de son existence, il l’entoure de son affection. Saint
Basile le Grand disait que le Créateur est aussi « la bonté sans mesure »,[44] et
Dante Alighieri parlait de l’« amour qui meut le soleil et les étoiles ».[45] Voilà
pourquoi à partir des œuvres créées, on s’élève « vers sa miséricorde pleine
d’amour ».[46]
78. En
même temps, la pensée judéo-chrétienne a démystifié la nature. Sans cesser de
l’admirer pour sa splendeur et son immensité, elle ne lui a plus attribué de
caractère divin. De cette manière, notre engagement envers elle est davantage
mis en exergue. Un retour à la nature ne peut se faire au prix de la liberté et
de la responsabilité de l’être humain, qui fait partie du monde avec le devoir
de cultiver ses propres capacités pour le protéger et en développer les
potentialités. Si nous reconnaissons la valeur et la fragilité de la nature, et
en même temps les capacités que le Créateur nous a octroyées, cela nous permet
d’en finir aujourd’hui avec le mythe moderne du progrès matériel sans limite.
Un monde fragile, avec un être humain à qui Dieu en confie le soin, interpelle
notre intelligence pour reconnaître comment nous devrions orienter, cultiver et
limiter notre pouvoir.
79. Dans
cet univers, constitué de systèmes ouverts qui entrent en communication les uns
avec les autres, nous pouvons découvrir d’innombrables formes de relations et
de participations. Cela conduit à penser également à l’ensemble comme étant ouvert
à la transcendance de Dieu, dans laquelle il se développe. La foi nous permet
d’interpréter le sens et la beauté mystérieuse de ce qui arrive. La liberté
humaine peut offrir son apport intelligent à une évolution positive, mais elle
peut aussi être à l’origine de nouveaux maux, de nouvelles causes de souffrance
et de vrais reculs. Cela donne lieu à la passionnante et dramatique histoire
humaine, capable de se convertir en un déploiement de libération, de
croissance, de salut et d’amour, ou en un chemin de décadence et de destruction
mutuelle. Voilà pourquoi l’action de l’Église ne tente pas seulement de
rappeler le devoir de prendre soin de la nature, mais en même temps « elle doit
aussi surtout protéger l’homme de sa propre destruction ».[47]
80. Cependant
Dieu, qui veut agir avec nous et compte sur notre coopération, est aussi
capable de tirer quelque chose de bon du mal que nous commettons, parce que «
l’Esprit Saint possède une imagination infinie, propre à l’Esprit divin, qui
sait prévoir et résoudre les problèmes des affaires humaines, même les plus
complexes et les plus impénétrables ».[48] Il
a voulu se limiter lui-même de quelque manière, en créant un monde qui a besoin
de développement, où beaucoup de choses que nous considérons mauvaises,
dangereuses ou sources de souffrances, font en réalité partie des douleurs de
l’enfantement qui nous stimulent à collaborer avec le Créateur.[49] Il
est présent au plus intime de toute chose, sans conditionner l’autonomie de sa
créature, et cela aussi donne lieu à l’autonomie légitime des réalités
terrestres.[50] Cette
présence divine, qui assure la permanence et le développement de tout être, «
est la continuation de l’action créatrice ».[51] L’Esprit
de Dieu a rempli l’univers de potentialités qui permettent que, du sein même
des choses, quelque chose de nouveau peut surgir : « La nature n’est rien
d’autre que la connaissance d’un certain art, concrètement l’art divin inscrit
dans les choses, et par lequel les choses elles-mêmes se meuvent vers une fin
déterminée. Comme si l’artisan constructeur de navires pouvait accorder au bois
de pouvoir se modifier de lui-même pour prendre la forme de navire ».[52]
81. Bien
que l’être humain suppose aussi des processus évolutifs, il implique une
nouveauté qui n’est pas complètement explicable par l’évolution d’autres
systèmes ouverts. Chacun de nous a, en soi, une identité personnelle, capable
d’entrer en dialogue avec les autres et avec Dieu lui-même. La capacité de
réflexion, l’argumentation, la créativité, l’interprétation, l’élaboration
artistique, et d’autres capacités inédites, montrent une singularité qui
transcende le domaine physique et biologique. La nouveauté qualitative qui
implique le surgissement d’un être personnel dans l’univers matériel suppose
une action directe de Dieu, un appel particulier à la vie et à la relation d’un
Tu avec un autre tu. À partir des récits bibliques, nous considérons l’être
humain comme un sujet, qui ne peut jamais être réduit à la catégorie d’objet.
82. Mais
il serait aussi erroné de penser que les autres êtres vivants doivent être
considérés comme de purs objets, soumis à la domination humaine arbitraire.
Quand on propose une vision de la nature uniquement comme objet de profit et
d’intérêt, cela a aussi de sérieuses conséquences sur la société. La vision qui
consolide l’arbitraire du plus fort a favorisé d’immenses inégalités,
injustices et violences pour la plus grande partie de l’humanité, parce que les
ressources finissent par appartenir au premier qui arrive ou qui a plus de
pouvoir : le gagnant emporte tout. L’idéal d’harmonie, de justice, de
fraternité et de paix que propose Jésus est aux antipodes d’un pareil modèle,
et il l’exprimait ainsi avec respect aux pouvoirs de son époque : « Les chefs
des nations dominent sur elles en maîtres, et les grands leur font sentir leur
pouvoir. Il n’en doit pas être ainsi parmi vous : au contraire, celui qui
voudra devenir grand parmi vous sera votre serviteur» (Mt 20, 25-26).
83. L’aboutissement
de la marche de l’univers se trouve dans la plénitude de Dieu, qui a été
atteinte par le Christ ressuscité, axe de la maturation universelle.[53] Nous
ajoutons ainsi un argument de plus pour rejeter toute domination despotique et
irresponsable de l’être humain sur les autres créatures. La fin ultime des
autres créatures, ce n’est pas nous. Mais elles avancent toutes, avec nous et
par nous, jusqu’au terme commun qui est Dieu, dans une plénitude transcendante
où le Christ ressuscité embrasse et illumine tout ; car l’être humain, doué
d’intelligence et d’amour, attiré par la plénitude du Christ, est appelé à
reconduire toutes les créatures à leur Créateur.
IV.
LE MESSAGE DE CHAQUE CRÉATURE DANS L’HARMONIE DE TOUTE LA CRÉATION
84. Quand
nous insistons pour dire que l’être humain est image de Dieu, cela ne doit pas
nous porter à oublier que chaque créature a une fonction et qu’aucune n’est
superflue. Tout l’univers matériel est un langage de l’amour de Dieu, de sa
tendresse démesurée envers nous. Le sol, l’eau, les montagnes, tout est caresse
de Dieu. L’histoire de l’amitié de chacun avec Dieu se déroule toujours dans un
espace géographique qui se transforme en un signe éminemment personnel, et
chacun de nous a en mémoire des lieux dont le souvenir lui fait beaucoup de
bien. Celui qui a grandi dans les montagnes, ou qui, enfant, s’asseyait pour
boire l’eau au ruisseau, ou qui jouait sur une place de son quartier, quand il
retourne sur ces lieux se sent appelé à retrouver sa propre identité.
85. Dieu
a écrit un beau livre « dont les lettres sont représentées par la multitude des
créatures présentes dans l’univers ».[54] Les
Évêques du Canada ont souligné à juste titre qu’aucune créature ne reste en
dehors de cette manifestation de Dieu : « Des vues panoramiques les plus larges
à la forme de vie la plus infime, la nature est une source constante
d’émerveillement et de crainte. Elle est, en outre, une révélation continue du
divin ».[55] Les
Évêques du Japon, pour leur part, ont rappelé une chose très suggestive : «
Entendre chaque créature chanter l’hymne de son existence, c’est vivre
joyeusement dans l’amour de Dieu et dans l’espérance ».[56] Cette
contemplation de la création nous permet de découvrir à travers chaque chose un
enseignement que Dieu veut nous transmettre, parce que « pour le croyant
contempler la création c’est aussi écouter un message, entendre une voix
paradoxale et silencieuse ».[57] Nous
pouvons affirmer qu’« à côté de la révélation proprement dite, qui est contenue
dans les Saintes Écritures, il y a donc une manifestation divine dans le soleil
qui resplendit comme dans la nuit qui tombe ».[58] En
faisant attention à cette manifestation, l’être humain apprend à se reconnaître
lui-même dans la relation avec les autres créatures : « Je m’exprime en
exprimant le monde ; j’explore ma propre sacralité en déchiffrant celle du
monde ».[59]
86. L’ensemble
de l’univers, avec ses relations multiples, révèle mieux l’inépuisable richesse
de Dieu. Saint Thomas d’Aquin faisait remarquer avec sagesse que la
multiplicité et la variété proviennent « de l’intention du premier agent », qui
a voulu que « ce qui manque à chaque chose pour représenter la bonté divine
soit suppléé par les autres »,[60] parce
qu’« une seule créature ne saurait suffire à [...] représenter comme il
convient »[61] sa
bonté. C’est pourquoi nous avons besoin de saisir la variété des choses dans
leurs relations multiples.[62] Par
conséquent, on comprend mieux l’importance et le sens de n’importe quelle
créature si on la contemple dans l’ensemble du projet de Dieu. Le Catéchisme
l’enseigne ainsi : « L’interdépendance des créatures est voulue par Dieu. Le
soleil et la lune, le cèdre et la petite fleur, l’aigle et le moineau : le
spectacle de leurs innombrables diversités et inégalités signifie qu’aucune des
créatures ne se suffit à elle-même. Elles n’existent qu’en dépendance les unes
des autres, pour se compléter mutuellement, au service les unes des autres ».[63]
87. Quand
nous prenons conscience du reflet de Dieu qui se trouve dans tout ce qui
existe, le cœur expérimente le désir d’adorer le Seigneur pour toutes ses
créatures, et avec elles, comme cela est exprimé dans la belle hymne de saint
François d’Assise :
« Loué sois-tu, mon
Seigneur,
avec toutes tes
créatures,
spécialement messire
frère soleil,
qui est le jour, et par
lui tu nous illumines.
Et il est beau et
rayonnant avec grande splendeur,
de toi, Très Haut, il
porte le signe.
Loué sois-tu, mon
Seigneur,
pour sœur lune et les
étoiles,
dans le ciel tu les as
formées
claires, précieuses et
belles.
Loué sois-tu, mon
Seigneur, pour frère vent,
et pour l’air et le nuage
et le ciel serein
et tous les temps,
par lesquels à tes
créatures tu donnes soutien.
Loué sois-tu, mon
Seigneur, pour sœur eau,
qui est très utile et
humble,
et précieuse et chaste.
Loué sois-tu, mon
Seigneur, pour frère feu,
par lequel tu illumines
la nuit,
et il est beau et joyeux,
et robuste et fort ».[64]
88. Les
Évêques du Brésil ont souligné que toute la nature, en plus de manifester Dieu,
est un lieu de sa présence. En toute créature habite son Esprit vivifiant qui
nous appelle à une relation avec lui.[65] La
découverte de cette présence stimule en nous le développement des « vertus
écologiques ».[66] Mais
en disant cela, n’oublions pas qu’il y a aussi une distance infinie entre la
nature et le Créateur, et que les choses de ce monde ne possèdent pas la
plénitude de Dieu. Autrement, nous ne ferions pas de bien aux créatures, parce
que nous ne reconnaîtrions pas leur vraie et propre place, et nous finirions
par exiger d’elles indûment ce que, en leur petitesse, elles ne peuvent pas
nous donner.
89. Les créatures de ce monde ne peuvent pas être considérées comme un bien sans propriétaire : « Tout est à toi, Maître, ami de la vie » (Sg 11, 26). D’où la conviction que, créés par le même Père, nous et tous les êtres de l’univers, sommes unis par des liens invisibles, et formons une sorte de famille universelle, une communion sublime qui nous pousse à un respect sacré, tendre et humble. Je veux rappeler que « Dieu nous a unis si étroitement au monde qui nous entoure, que la désertification du sol est comme une maladie pour chacun et nous pouvons nous lamenter sur l’extinction d’une espèce comme si elle était une mutilation ».[67]
90. Cela
ne signifie pas que tous les êtres vivants sont égaux ni ne retire à l’être
humain sa valeur particulière, qui entraîne en même temps une terrible
responsabilité. Cela ne suppose pas non plus une divinisation de la terre qui
nous priverait de l’appel à collaborer avec elle et à protéger sa fragilité.
Ces conceptions finiraient par créer de nouveaux déséquilibres pour échapper à
la réalité qui nous interpelle.[68] Parfois
on observe une obsession pour nier toute prééminence à la personne humaine, et
il se mène une lutte en faveur d’autres espèces que nous n’engageons pas pour
défendre l’égale dignité entre les êtres humains. Il est vrai que nous devons
nous préoccuper que d’autres êtres vivants ne soient pas traités de manière
irresponsable. Mais les énormes inégalités qui existent entre nous devraient
nous exaspérer particulièrement, parce que nous continuons à tolérer que les
uns se considèrent plus dignes que les autres. Nous ne nous rendons plus compte
que certains croupissent dans une misère dégradante, sans réelle possibilité
d’en sortir, alors que d’autres ne savent même pas quoi faire de ce qu’ils
possèdent, font étalage avec vanité d’une soi-disant supériorité, et laissent
derrière eux un niveau de gaspillage qu’il serait impossible de généraliser
sans anéantir la planète. Nous continuons à admettre en pratique que les uns se
sentent plus humains que les autres, comme s’ils étaient nés avec de plus
grands droits.
91. Le
sentiment d’union intime avec les autres êtres de la nature ne peut pas être
réel si en même temps il n’y a pas dans le cœur de la tendresse, de la
compassion et de la préoccupation pour les autres êtres humains. L’incohérence
est évidente de la part de celui qui lutte contre le trafic d’animaux en voie
d’extinction mais qui reste complètement indifférent face à la traite des
personnes, se désintéresse des pauvres, ou s’emploie à détruire un autre être
humain qui lui déplaît. Ceci met en péril le sens de la lutte pour
l’environnement. Ce n’est pas un hasard si dans l’hymne à la création où saint
François loue Dieu pour ses créatures, il ajoute ceci : « Loué sois-tu, mon
Seigneur, pour ceux qui pardonnent par amour pour toi ». Tout est lié. Il faut
donc une préoccupation pour l’environnement unie à un amour sincère envers les
êtres humains, et à un engagement constant pour les problèmes de la société.
92. D’autre
part, quand le cœur est authentiquement ouvert à une communion universelle,
rien ni personne n’est exclu de cette fraternité. Par conséquent, il est vrai
aussi que l’indifférence ou la cruauté envers les autres créatures de ce monde
finissent toujours par s’étendre, d’une manière ou d’une autre, au traitement
que nous réservons aux autres êtres humains. Le cœur est unique, et la même
misère qui nous porte à maltraiter un animal ne tarde pas à se manifester dans
la relation avec les autres personnes. Toute cruauté sur une quelconque
créature « est contraire à la dignité humaine».[69] Nous
ne pouvons pas considérer que nous aimons beaucoup si nous excluons de nos
intérêts une partie de la réalité : « Paix, justice et sauvegarde de la
création sont trois thèmes absolument liés, qui ne pourront pas être mis à part
pour être traités séparément sous peine de tomber de nouveau dans le
réductionnisme ».[70] Tout
est lié, et, comme êtres humains, nous sommes tous unis comme des frères et des
sœurs dans un merveilleux pèlerinage, entrelacés par l’amour que Dieu porte à
chacune de ses créatures et qui nous unit aussi, avec une tendre affection, à
frère soleil, à sœur lune, à sœur rivière et à mère terre.
VI.
LA DESTINATION COMMUNE DES BIENS
93. Aujourd’hui
croyants et non croyants, nous sommes d’accord sur le fait que la terre est
essentiellement un héritage commun, dont les fruits doivent bénéficier à tous.
Pour les croyants cela devient une question de fidélité au Créateur, puisque
Dieu a créé le monde pour tous. Par conséquent, toute approche écologique doit
incorporer une perspective sociale qui prenne en compte les droits fondamentaux
des plus défavorisés. Le principe de subordination de la propriété privée à la
destination universelle des biens et, par conséquent, le droit universel à leur
usage, est une “règle d’or” du comportement social, et « le premier principe de
tout l’ordre éthico-social ».[71] La
tradition chrétienne n’a jamais reconnu comme absolu ou intouchable le droit à
la propriété privée, et elle a souligné la fonction sociale de toute forme de
propriété privée. Saint Jean-Paul II a rappelé avec beaucoup de force cette
doctrine en affirmant que « Dieu a donné la terre à tout le genre humain pour
qu’elle fasse vivre tous ses membres, sans exclure ni privilégier personne ».[72] Ce
sont des paroles denses et fortes. Il a souligné qu’« un type de développement qui
ne respecterait pas et n’encouragerait pas les droits humains, personnels et
sociaux, économiques et politiques, y compris les droits des nations et des
peuples, ne serait pas non plus digne de l’homme ».[73] Avec
une grande clarté, il a expliqué que « l’Église défend, certes, le droit à la
propriété privée, mais elle enseigne avec non moins de clarté que sur toute
propriété pèse toujours une hypothèque sociale, pour que les biens servent à la
destination générale que Dieu leur a donnée ».[74] Par
conséquent, il a rappelé qu’« il n’est [...] pas permis, parce que cela n’est
pas conforme au dessein de Dieu, de gérer ce don d’une manière telle que tous
ces bienfaits profitent seulement à quelques uns ».[75] Cela
remet sérieusement en cause les habitudes injustes d’une partie de l’humanité.[76]
94. Le
riche et le pauvre ont une égale dignité parce que « le Seigneur les a faits
tous les deux » (Pr 22, 2), « petits et grands, c’est lui qui les a faits » (Sg
6, 7), et « il fait lever son soleil sur les méchants et sur les bons » (Mt 5,
45). Cela a des conséquences pratiques, comme celles qu’ont énoncées les
Évêques du Paraguay : « Tout paysan a le droit naturel de posséder un lot de
terre raisonnable, où il puisse établir sa demeure, travailler pour la
subsistance de sa famille et avoir la sécurité de l’existence. Ce droit doit
être garanti pour que son exercice ne soit pas illusoire mais réel. Cela
signifie que, en plus du titre de propriété, le paysan doit compter sur les
moyens d’éducation technique, sur des crédits, des assurances et la
commercialisation ».[77]
95. L’environnement
est un bien collectif, patrimoine de toute l’humanité, sous la responsabilité
de tous. Celui qui s’approprie quelque chose, c’est seulement pour
l’administrer pour le bien de tous. Si nous ne le faisons pas, nous chargeons
notre conscience du poids de nier l’existence des autres. Pour cette raison,
les Évêques de Nouvelle Zélande se sont demandés ce que le commandement « tu ne
tueras pas » signifie quand « vingt pour cent de la population mondiale
consomment les ressources de telle manière qu’ils volent aux nations pauvres,
et aux futures générations, ce dont elles ont besoin pour survivre ».[78]
96. Jésus
reprend la foi biblique au Dieu créateur et met en relief un fait fondamental :
Dieu est Père (cf. Mt 11, 25). Dans les dialogues avec ses disciples, Jésus les
invitait à reconnaître la relation paternelle que Dieu a avec toutes ses
créatures, et leur rappelait, avec une émouvante tendresse, comment chacune
d’elles est importante aux yeux de celui-ci : « Ne vend-on pas cinq passereaux
pour deux as ? Et pas un d’entre eux n’est en oubli devant Dieu » (Lc 12, 6). «
Regardez les oiseaux du ciel : ils ne sèment ni ne moissonnent ni ne
recueillent en des greniers, et votre Père céleste les nourrit» (Mt 6, 26).
97. Le
Seigneur pouvait inviter les autres à être attentifs à la beauté qu’il y a dans
le monde, parce qu’il était lui-même en contact permanent avec la nature et y
prêtait une attention pleine d’affection et de stupéfaction. Quand il
parcourait chaque coin de sa terre, il s’arrêtait pour contempler la beauté
semée par son Père, et il invitait ses disciples à reconnaître dans les choses
un message divin : « Levez les yeux et regardez les champs, ils sont blancs
pour la moisson » (Jn 4, 35). « Le Royaume des Cieux est semblable à un grain
de sénevé qu’un homme a pris et semé dans son champ. C’est bien la plus petite
de toutes les graines, mais quand il a poussé, c’est la plus grande des plantes
potagères, qui devient même un arbre » (Mt 13, 31-32).
98. Jésus
vivait en pleine harmonie avec la création, et les autres s’en émerveillaient :
« Quel est donc celui-ci pour que même la mer et les vents lui obéissent ? »
(Mt 8, 27). Il n’apparaissait pas comme un ascète séparé du monde ou un ennemi
des choses agréables de la vie. Il disait, se référant à lui-même : « Vient le
Fils de l’homme, mangeant et buvant, et l’on dit : voilà un glouton et un
ivrogne» (Mt 11, 19). Il était loin des philosophies qui dépréciaient le corps,
la matière et les choses de ce monde. Cependant, ces dualismes malsains en sont
arrivés à avoir une influence importante chez certains penseurs chrétiens au
long de l’histoire, et ont défiguré l’Évangile. Jésus travaillait de ses mains,
au contact direct quotidien avec la matière créée par Dieu pour lui donner
forme avec son habileté d’artisan. Il est frappant que la plus grande partie de
sa vie ait été consacrée à cette tâche, dans une existence simple qui ne
suscitait aucune admiration. « N’est-il pas le charpentier, le fils de Marie ?»
(Mc 6, 3). Il a sanctifié de cette manière le travail et lui a conféré une
valeur particulière pour notre maturation. Saint Jean-Paul II enseignait qu’«
en supportant la peine du travail en union avec le Christ crucifié pour nous,
l’homme collabore en quelque manière avec le Fils de Dieu à la Rédemption ».[79]
99. Pour
la compréhension chrétienne de la réalité, le destin de toute la création passe
par le mystère du Christ, qui est présent depuis l’origine de toutes choses : «
Tout est créé par lui et pour lui » (Col 1, 16).[80] Le
Prologue de l’Évangile de Jean (1, 1-18) montre l’activité créatrice du Christ
comme Parole divine (Logos). Mais ce prologue surprend en affirmant que cette
Parole « s’est faite chair » (Jn 1, 14). Une Personne de la Trinité s’est
insérée dans le cosmos créé, en y liant son sort jusqu’à la croix. Dès le
commencement du monde, mais de manière particulière depuis l’Incarnation, le
mystère du Christ opère secrètement dans l’ensemble de la réalité naturelle,
sans pour autant en affecter l’autonomie.
100. Le
Nouveau Testament ne nous parle pas seulement de Jésus terrestre et de sa
relation si concrète et aimable avec le monde. Il le montre aussi comme
ressuscité et glorieux, présent dans toute la création par sa Seigneurie
universelle : « Dieu s’est plu à faire habiter en lui toute plénitude et par
lui à réconcilier tous les êtres pour lui, aussi bien sur la terre que dans les
cieux, en faisant la paix par le sang de sa croix » (Col 1, 19-20). Cela nous
projette à la fin des temps, quand le Fils remettra toutes choses au Père et
que « Dieu sera tout en tous » (1Co 15, 28). De cette manière, les créatures de
ce monde ne se présentent plus à nous comme une réalité purement naturelle,
parce que le Ressuscité les enveloppe mystérieusement et les oriente vers un
destin de plénitude. Même les fleurs des champs et les oiseaux qu’émerveillé il
a contemplés de ses yeux humains, sont maintenant remplis de sa présence
lumineuse.
LA RACINE HUMAINE DE LA CRISE ECOLOGIQUE
101. Il
ne sert à rien de décrire les symptômes de la crise écologique, si nous n’en
reconnaissons pas la racine humaine. Il y a une manière de comprendre la vie et
l’activité humaine qui a dévié et qui contredit la réalité jusqu’à lui nuire.
Pourquoi ne pouvons-nous pas nous arrêter pour y penser ? Dans cette réflexion,
je propose que nous nous concentrions sur le paradigme technocratique dominant
ainsi que sur la place de l’être humain et de son action dans le monde.
I.
LA TECHNOLOGIE : CRÉATIVITÉ ET POUVOIR
102. L’humanité
est entrée dans une ère nouvelle où le pouvoir technologique nous met à la
croisée des chemins. Nous sommes les héritiers de deux siècles d’énormes vagues
de changement : la machine à vapeur, le chemin de fer, le télégraphe,
l’électricité, l’automobile, l’avion, les industries chimiques, la médecine moderne,
l’informatique, et, plus récemment, la révolution digitale, la robotique, les
biotechnologies et les nanotechnologies. Il est juste de se réjouir face à ces
progrès, et de s’enthousiasmer devant les grandes possibilités que nous ouvrent
ces constantes nouveautés, parce que « la science et la technologie sont un
produit merveilleux de la créativité humaine, ce don de Dieu ».[81] La
modification de la nature à des fins utiles est une caractéristique de
l’humanité depuis ses débuts, et ainsi la technique « exprime la tendance de
l’esprit humain au dépassement progressif de certains conditionnements
matériels ».[82] La
technologie a porté remède à d’innombrables maux qui nuisaient à l’être humain
et le limitaient. Nous ne pouvons pas ne pas valoriser ni apprécier le progrès
technique, surtout dans la médecine, l’ingénierie et les communications. Et
comment ne pas reconnaître tous les efforts de beaucoup de scientifiques et de
techniciens qui ont apporté des alternatives pour un développement durable ?
103. La
techno-science, bien orientée, non seulement peut produire des choses
réellement précieuses pour améliorer la qualité de vie de l’être humain, depuis
les objets usuels pour la maison jusqu’aux grands moyens de transports, ponts,
édifices, lieux publics, mais encore est capable de produire du beau et de
“projeter” dans le domaine de la beauté l’être humain immergé dans le monde
matériel. Peut-on nier la beauté d’un avion, ou de certains gratte-ciels ? Il y
a de belles œuvres picturales et musicales réalisées grâce à l’utilisation de
nouveaux instruments techniques. Ainsi, dans la recherche de la beauté de la
part de celui qui produit la technique, et en celui qui contemple cette beauté,
se réalise un saut vers une certaine plénitude proprement humaine.
104. Mais
nous ne pouvons pas ignorer que l’énergie nucléaire, la biotechnologie,
l’informatique, la connaissance de notre propre ADN et d’autres capacités que
nous avons acquises, nous donnent un terrible pouvoir. Mieux, elles donnent à
ceux qui ont la connaissance, et surtout le pouvoir économique d’en faire
usage, une emprise impressionnante sur l’ensemble de l’humanité et sur le monde
entier. Jamais l’humanité n’a eu autant de pouvoir sur elle-même et rien ne
garantit qu’elle s’en servira toujours bien, surtout si l’on considère la
manière dont elle est en train de l’utiliser. Il suffit de se souvenir des
bombes atomiques lancées en plein XXème siècle, comme du grand déploiement
technologique étalé par le nazisme, par le communisme et par d’autres régimes
totalitaires au service de l’extermination de millions de personnes, sans
oublier, qu’aujourd’hui, la guerre possède des instruments toujours plus
mortifères. En quelles mains se trouve et pourrait se trouver tant de pouvoir ?
Il est terriblement risqué qu’il réside en une petite partie de l’humanité.
105. On
a tendance à croire « que tout accroissement de puissance est en soi ‘progrès’,
un degré plus haut de sécurité, d’utilité, de bien-être, de force vitale, de
plénitude des valeurs »,[83] comme
si la réalité, le bien et la vérité surgissaient spontanément du pouvoir
technologique et économique lui-même. Le fait est que « l’homme moderne n’a pas
reçu l’éducation nécessaire pour faire un bon usage de son pouvoir »,[84] parce
que l’immense progrès technologique n’a pas été accompagné d’un développement
de l’être humain en responsabilité, en valeurs, en conscience. Chaque époque
tend à développer peu d’auto-conscience de ses propres limites. C’est pourquoi,
il est possible qu’aujourd’hui l’humanité ne se rende pas compte de la gravité
des défis qui se présentent, et « que la possibilité devienne sans cesse plus
grande pour l’homme de mal utiliser sa puissance » quand « existent non pas des
normes de liberté, mais de prétendues nécessités : l’utilité et la sécurité ».[85] L’être
humain n’est pas pleinement autonome. Sa liberté est affectée quand elle se
livre aux forces aveugles de l’inconscient, des nécessités immédiates, de
l’égoïsme, de la violence. En ce sens, l’homme est nu, exposé à son propre
pouvoir toujours grandissant, sans avoir les éléments pour le contrôler. Il
peut disposer de mécanismes superficiels, mais nous pouvons affirmer qu’il lui
manque aujourd’hui une éthique solide, une culture et une spiritualité qui le
limitent réellement et le contiennent dans une abnégation lucide.
II.
LA GLOBALISATION
DU PARADIGME TECHNOCRATIQUE
106. Le
problème fondamental est autre, encore plus profond : la manière dont
l’humanité a, de fait, assumé la technologie et son développement avec un
paradigme homogène et unidimensionnel. Une conception du sujet y est mise en
relief qui, progressivement, dans le processus logique et rationnel, embrasse
et ainsi possède l’objet qui se trouve à l’extérieur. Ce sujet se déploie dans
l’élaboration de la méthode scientifique avec son expérimentation, qui est déjà
explicitement une technique de possession, de domination et de transformation.
C’est comme si le sujet se trouvait devant quelque chose d’informe, totalement
disponible pour sa manipulation. L’intervention humaine sur la nature s’est
toujours vérifiée, mais longtemps elle a eu comme caractéristique
d’accompagner, de se plier aux possibilités qu’offrent les choses elles-mêmes.
Il s’agissait de recevoir ce que la réalité naturelle permet de soi, comme en
tendant la main. Maintenant, en revanche, ce qui intéresse c’est d’extraire
tout ce qui est possible des choses par l’imposition de la main de l’être
humain, qui tend à ignorer ou à oublier la réalité même de ce qu’il a devant
lui. Voilà pourquoi l’être humain et les choses ont cessé de se tendre
amicalement la main pour entrer en opposition. De là, on en vient facilement à
l’idée d’une croissance infinie ou illimitée, qui a enthousiasmé beaucoup
d’économistes, de financiers et de technologues. Cela suppose le mensonge de la
disponibilité infinie des biens de la planète, qui conduit à la “ presser ”
jusqu’aux limites et même au-delà des limites. C’est le faux présupposé « qu’il
existe une quantité illimitée d’énergie et de ressources à utiliser, que leur
régénération est possible dans l’immédiat et que les effets négatifs des
manipulations de l’ordre naturel peuvent être facilement absorbés ».[86]
107. On
peut dire, par conséquent, qu’à l’origine de beaucoup de difficultés du monde
actuel, il y a avant tout la tendance, pas toujours consciente, à faire de la
méthodologie et des objectifs de la techno-science un paradigme de compréhension
qui conditionne la vie des personnes et le fonctionnement de la société. Les
effets de l’application de ce moule à toute la réalité, humaine et sociale, se
constatent dans la dégradation de l’environnement, mais cela est seulement un
signe du réductionnisme qui affecte la vie humaine et la société dans toutes
leurs dimensions. Il faut reconnaître que les objets produits par la technique
ne sont pas neutres, parce qu’ils créent un cadre qui finit par conditionner
les styles de vie, et orientent les possibilités sociales dans la ligne des
intérêts de groupes de pouvoir déterminés. Certains choix qui paraissent
purement instrumentaux sont, en réalité, des choix sur le type de vie sociale
que l’on veut développer.
108. Il
n’est pas permis de penser qu’il est possible de défendre un autre paradigme
culturel, et de se servir de la technique comme d’un pur instrument, parce
qu’aujourd’hui le paradigme technocratique est devenu tellement dominant qu’il
est très difficile de faire abstraction de ses ressources, et il est encore
plus difficile de les utiliser sans être dominé par leur logique. C’est devenu
une contre-culture de choisir un style de vie avec des objectifs qui peuvent
être, au moins en partie, indépendants de la technique, de ses coûts, comme de
son pouvoir de globalisation et de massification. De fait, la technique a un
penchant pour chercher à tout englober dans sa logique de fer, et l’homme qui
possède la technique « sait que, en dernière analyse, ce qui est en jeu dans la
technique, ce n’est ni l’utilité, ni le bien-être, mais la domination : une
domination au sens le plus extrême de ce terme ».[87] Et
c’est pourquoi « il cherche à saisir les éléments de la nature comme ceux de
l’existence humaine ».[88] La
capacité de décision, la liberté la plus authentique et l’espace pour une
créativité alternative des individus, sont réduits.
109. Le
paradigme technocratique tend aussi à exercer son emprise sur l’économie et la
politique. L’économie assume tout le développement technologique en fonction du
profit, sans prêter attention à d’éventuelles conséquences négatives pour
l’être humain. Les finances étouffent l’économie réelle. Les leçons de la crise
financière mondiale n’ont pas été retenues, et on prend en compte les leçons de
la détérioration de l’environnement avec beaucoup de lenteur. Dans certains
cercles on soutient que l’économie actuelle et la technologie résoudront tous
les problèmes environnementaux. De même on affirme, en langage peu académique,
que les problèmes de la faim et de la misère dans le monde auront une solution
simplement grâce à la croissance du marché. Ce n’est pas une question de
validité de théories économiques, que peut-être personne aujourd’hui n’ose
défendre, mais de leur installation de fait dans le développement de
l’économie. Ceux qui n’affirment pas cela en paroles le soutiennent dans les
faits quand une juste dimension de la production, une meilleure répartition des
richesses, une sauvegarde responsable de l’environnement et les droits des
générations futures ne semblent pas les préoccuper. Par leurs comportements,
ils indiquent que l’objectif de maximiser les bénéfices est suffisant. Mais le
marché ne garantit pas en soi le développement humain intégral ni l’inclusion
sociale.[89] En
attendant, nous avons un « surdéveloppement, où consommation et gaspillage vont
de pair, ce qui contraste de façon inacceptable avec des situations permanentes
de misère déshumanisante » ;[90] et
les institutions économiques ainsi que les programmes sociaux qui permettraient
aux plus pauvres d’accéder régulièrement aux ressources de base ne se mettent
pas en place assez rapidement. On n’a pas encore fini de prendre en compte les
racines les plus profondes des dérèglements actuels qui sont en rapport avec
l’orientation, les fins, le sens et le contexte social de la croissance
technologique et économique.
110. La spécialisation de la technologie elle‑même implique une grande difficulté pour regarder l’ensemble. La fragmentation des savoirs sert dans la réalisation d’applications concrètes, mais elle amène en général à perdre le sens de la totalité, des relations qui existent entre les choses, d’un horizon large qui devient sans importance. Cela même empêche de trouver des chemins adéquats pour résoudre les problèmes les plus complexes du monde actuel, surtout ceux de l’environnement et des pauvres, qui ne peuvent pas être abordés d’un seul regard ou selon un seul type d’intérêts. Une science qui prétendrait offrir des solutions aux grandes questions devrait nécessairement prendre en compte tout ce qu’a produit la connaissance dans les autres domaines du savoir, y compris la philosophie et l’éthique sociale. Mais c’est une habitude difficile à prendre aujourd’hui. C’est pourquoi de véritables horizons éthiques de référence ne peuvent pas non plus être reconnus. La vie est en train d’être abandonnée aux circonstances conditionnées par la technique, comprise comme le principal moyen d’interpréter l’existence. Dans la réalité concrète qui nous interpelle, divers symptômes apparaissent qui montrent cette erreur, comme la dégradation de l’environnement, l’angoisse, la perte du sens de la vie et de la cohabitation. On voit ainsi, une fois de plus, que « la réalité est supérieure à l’idée ».[91]
111. La
culture écologique ne peut pas se réduire à une série de réponses urgentes et
partielles aux problèmes qui sont en train d’apparaître par rapport à la
dégradation de l’environnement, à l’épuisement des réserves naturelles et à la
pollution. Elle devrait être un regard différent, une pensée, une politique, un
programme éducatif, un style de vie et une spiritualité qui constitueraient une
résistance face à l’avancée du paradigme technocratique. Autrement, même les
meilleures initiatives écologiques peuvent finir par s’enfermer dans la même
logique globalisée. Chercher seulement un remède technique à chaque problème
environnemental qui surgit, c’est isoler des choses qui sont entrelacées dans la
réalité, et c’est se cacher les vraies et plus profondes questions du système
mondial.
112. Cependant,
il est possible d’élargir de nouveau le regard, et la liberté humaine est
capable de limiter la technique, de l’orienter, comme de la mettre au service
d’un autre type de progrès, plus sain, plus humain, plus social, plus intégral.
La libération par rapport au paradigme technocratique régnant a lieu, de fait, en
certaines occasions, par exemple, quand des communautés de petits producteurs
optent pour des systèmes de production moins polluants, en soutenant un mode de
vie, de bonheur et de cohabitation non consumériste ; ou bien quand la
technique est orientée prioritaire- ment pour résoudre les problèmes concrets
des autres, avec la passion de les aider à vivre avec plus de dignité et moins
de souffrances ; de même quand l’intention créatrice du beau et sa
contemplation arrivent à dépasser le pouvoir objectivant en une sorte de salut
qui se réalise dans le beau et dans la personne qui le contemple. L’authentique
humanité, qui invite à une nouvelle synthèse, semble habiter au milieu de la
civilisation technologique presque de manière imperceptible, comme le brouillard
qui filtre sous une porte close. Serait-ce une promesse permanente, malgré
tout, jaillissant comme une résistance obstinée de ce qui est authentique ?
113. D’autre
part, les gens ne semblent plus croire en un avenir heureux, ils ne mettent pas
aveuglément leur confiance dans un lendemain meilleur à partir des conditions
actuelles du monde et des capacités techniques. Ils prennent conscience que les
avancées de la science et de la technique ne sont pas équivalentes aux avancées
de l’humanité et de l’histoire, et ils perçoivent que les chemins fondamentaux
sont autres pour un avenir heureux. Cependant, ils ne s’imaginent pas pour
autant renoncer aux possibilités qu’offre la technologie. L’humanité s’est
profondément transformée, et l’accumulation des nouveautés continuelles
consacre une fugacité qui nous mène dans une seule direction, à la surface des
choses. Il devient difficile de nous arrêter pour retrouver la profondeur de la
vie. S’il est vrai que l’architecture reflète l’esprit d’une époque, les
mégastructures et les maisons en séries expriment l’esprit de la technique
globalisée, où la nouveauté permanente des produits s’unit à un pesant ennui.
Ne nous résignons pas à cela, et ne renonçons pas à nous interroger sur les
fins et sur le sens de toute chose. Autrement, nous légitimerions la situation
actuelle et nous aurions besoin de toujours plus de succédanés pour supporter
le vide.
114. Ce
qui arrive en ce moment nous met devant l’urgence d’avancer dans une révolution
culturelle courageuse. La science et la technologie ne sont pas neutres, mais
peuvent impliquer, du début à la fin d’un processus, diverses intentions et
possibilités, et elles peuvent se configurer de différentes manières. Personne
ne prétend vouloir retourner à l’époque des cavernes, cependant il est
indispensable de ralentir la marche pour regarder la réalité d’une autre
manière, recueillir les avancées positives et durables, et en même temps
récupérer les valeurs et les grandes finalités qui ont été détruites par une
frénésie mégalomane.
III.
CRISE ET CONSÉQUENCES DE L’ANTHROPOCENTRISME MODERNE
115. L’anthropocentrisme
moderne, paradoxalement, a fini par mettre la raison technique au-dessus de la
réalité, parce que l’être humain « n’a plus le sentiment ni que la nature soit
une norme valable, ni qu’elle lui offre un refuge vivant. Il la voit sans
suppositions préalables, objectivement, sous la forme d’un espace et d’une
matière pour une œuvre où l’on jette tout, peu importe ce qui en résultera ».[92] De
cette manière, la valeur que possède le monde en lui-même s’affaiblit. Mais si
l’être humain ne redécouvre pas sa véritable place, il ne se comprend pas bien
lui-même et finit par contredire sa propre réalité : « Non seulement la terre a
été donnée par Dieu à l’homme, qui doit en faire usage dans le respect de l’intention
primitive, bonne, dans laquelle elle a été donnée, mais l’homme, lui aussi, est
donné par Dieu à lui-même et il doit donc respecter la structure naturelle et
morale dont il a été doté».[93]
116. Dans
la modernité, il y a eu une grande démesure anthropocentrique qui, sous
d’autres formes, continue aujourd’hui à nuire à toute référence commune et à
toute tentative pour renforcer les liens sociaux. C’est pourquoi, le moment est
venu de prêter de nouveau attention à la réalité avec les limites qu’elle
impose, et qui offrent à leur tour la possibilité d’un développement humain et
social plus sain et plus fécond. Une présentation inadéquate de l’anthropologie
chrétienne a pu conduire à soutenir une conception erronée de la relation entre
l’être humain et le monde. Un rêve prométhéen de domination sur le monde s’est
souvent transmis, qui a donné l’impression que la sauvegarde de la nature est
pour les faibles. La façon correcte d’interpréter le concept d’être humain
comme “seigneur” de l’univers est plutôt celle de le considérer comme
administrateur responsable.[94]
117. Le
manque de préoccupation pour mesurer les préjudices causés à la nature et
l’impact environnemental des décisions est seulement le reflet le plus visible
d’un désintérêt pour reconnaître le message que la nature porte inscrit dans
ses structures mêmes. Quand on ne reconnaît pas, dans la réalité même, la valeur
d’un pauvre, d’un embryon humain, d’une personne vivant une situation de
handicap – pour prendre seulement quelques exemples – on écoutera difficilement
les cris de la nature elle-même. Tout est lié. Si l’être humain se déclare
autonome par rapport à la réalité et qu’il se pose en dominateur absolu, la
base même de son existence s’écroule, parce qu’« au lieu de remplir son rôle de
collaborateur de Dieu dans l’œuvre de la création, l’homme se substitue à Dieu
et ainsi finit par provoquer la révolte de la nature ».[95]
118. Cette
situation nous conduit à une schizophrénie permanente, qui va de l’exaltation
technocratique qui ne reconnaît pas aux autres êtres une valeur propre, à la
réaction qui nie toute valeur particulière à l’être humain. Mais on ne peut pas
faire abstraction de l’humanité. Il n’y aura pas de nouvelle relation avec la
nature sans un être humain nouveau. Il n’y a pas d’écologie sans anthropologie
adéquate. Quand la personne humaine est considérée seulement comme un être
parmi d’autres, qui procéderait des jeux du hasard ou d’un déterminisme physique,
« la conscience de sa responsabilité risque de s’atténuer dans les esprits ».[96] Un
anthropocentrisme dévié ne doit pas nécessairement faire place à un “bio-centrisme”,
parce que cela impliquerait d’introduire un nouveau déséquilibre qui, non
seulement ne résoudrait pas les problèmes mais en ajouterait d’autres. On ne
peut pas exiger de l’être humain un engagement respectueux envers le monde si
on ne reconnaît pas et ne valorise pas en même temps ses capacités
particulières de connaissance, de volonté, de liberté et de responsabilité.
119. La
critique de l’anthropocentrisme dévié ne devrait pas non plus faire passer au
second plan la valeur des relations entre les personnes. Si la crise écologique
est l’éclosion ou une manifestation extérieure de la crise éthique, culturelle
et spirituelle de la modernité, nous ne pouvons pas prétendre soigner notre
relation à la nature et à l’environnement sans assainir toutes les relations
fondamentales de l’être humain. Quand la pensée chrétienne revendique une
valeur particulière pour l’être humain supérieure à celle des autres créatures,
cela donne lieu à une valorisation de chaque personne humaine, et entraîne la
reconnaissance de l’autre. L’ouverture à un “ tu ” capable de connaître,
d’aimer, et de dialoguer continue d’être la grande noblesse de la personne
humaine. C’est pourquoi, pour une relation convenable avec le monde créé, il
n’est pas nécessaire d’affaiblir la dimension sociale de l’être humain ni sa
dimension transcendante, son ouverture au “ Tu ” divin. En effet, on ne peut
pas envisager une relation avec l’environnement isolée de la relation avec les
autres personnes et avec Dieu. Ce serait un individualisme romantique, déguisé
en beauté écologique, et un enfermement asphyxiant dans l’immanence.
120. Puisque
tout est lié, la défense de la nature n’est pas compatible non plus avec la
justification de l’avortement. Un chemin éducatif pour accueillir les personnes
faibles de notre entourage, qui parfois dérangent et sont inopportunes, ne
semble pas praticable si l’on ne protège pas l’embryon humain, même si sa venue
cause de la gêne et des difficultés : « Si la sensibilité personnelle et
sociale à l’accueil d’une nouvelle vie se perd, alors d’autres formes d’accueil
utiles à la vie sociale se dessèchent ».[97]
121. Le
développement d’une nouvelle synthèse qui dépasse les fausses dialectiques des
derniers siècles reste en suspens. Le christianisme lui-même, en se maintenant
fidèle à son identité et au trésor de vérité qu’il a reçu de Jésus-Christ, se
repense toujours et se réexprime dans le dialogue avec les nouvelles situations
historiques, laissant apparaître ainsi son éternelle nouveauté.[98]
Le relativisme pratique
122. Un
anthropocentrisme dévié donne lieu à un style de vie dévié. Dans l’Exhortation
apostolique Evangelii gaudium, j’ai fait référence au relativisme pratique qui
caractérise notre époque, et qui est « encore plus dangereux que le relativisme
doctrinal».[99] Quand
l’être humain se met lui-même au centre, il finit par donner la priorité
absolue à ses intérêts de circonstance, et tout le reste devient relatif. Par
conséquent, il n’est pas étonnant que, avec l’omniprésence du paradigme
technocratique et le culte du pouvoir humain sans limites, se développe chez
les personnes ce relativisme dans lequel tout ce qui ne sert pas aux intérêts
personnels immédiats est privé d’importance. Il y a en cela une logique qui
permet de comprendre comment certaines attitudes, qui provoquent en même temps
la dégradation de l’environnement et la dégradation sociale, s’alimentent
mutuellement.
123. La
culture du relativisme est la même pathologie qui pousse une personne à
exploiter son prochain et à le traiter comme un pur objet, l’obligeant aux
travaux forcés, ou en faisant de lui un esclave à cause d’une dette. C’est la
même logique qui pousse à l’exploitation sexuelle des enfants ou à l’abandon
des personnes âgées qui ne servent pas des intérêts personnels. C’est aussi la
logique intérieure de celui qui dit : ‛Laissons les forces invisibles du marché
réguler l’économie, parce que ses impacts sur la société et sur la nature sont
des dommages inévitables’. S’il n’existe pas de vérités objectives ni de principes
solides hors de la réalisation de projets personnels et de la satisfaction de
nécessités immédiates, quelles limites peuvent alors avoir la traite des êtres
humains, la criminalité organisée, le narcotrafic, le commerce de diamants
ensanglantés et de peaux d’animaux en voie d’extinction ? N’est-ce pas la même
logique relativiste qui justifie l’achat d’organes des pauvres dans le but de
les vendre ou de les utiliser pour l’expérimentation, ou le rejet d’enfants
parce qu’ils ne répondent pas au désir de leurs parents ? C’est la même logique
du “utilise et jette”, qui engendre tant de résidus, seulement à cause du désir
désordonné de consommer plus qu’il n’est réellement nécessaire. Par conséquent,
nous ne pouvons pas penser que les projets politiques et la force de la loi
seront suffisants pour que soient évités les comportements qui affectent
l’environnement, car, lorsque la culture se corrompt et qu’on ne reconnaît plus
aucune vérité objective ni de principes universellement valables, les lois sont
comprises uniquement comme des impositions arbitraires et comme des obstacles à
contourner.
La nécessité de préserver
le travail
124. Dans
n’importe quelle approche d’une écologie intégrale qui n’exclue pas l’être
humain, il est indispensable d’incorporer la valeur du travail, développée avec
grande sagesse par saint Jean-Paul II dans son Encyclique Laborem exercens.
Rappelons que, selon le récit biblique de la création, Dieu a placé l’être
humain dans le jardin à peine créé (cf. Gn 2, 15) non seulement pour préserver
ce qui existe (protéger) mais aussi pour le travailler de manière à ce qu’il
porte du fruit (labourer). Ainsi, les ouvriers et les artisans « assurent une
création éternelle » (Si 38, 34). En réalité, l’intervention humaine qui vise
le développement prudent du créé est la forme la plus adéquate d’en prendre
soin, parce qu’elle implique de se considérer comme instrument de Dieu pour
aider à faire apparaître les potentialités qu’il a lui-même mises dans les
choses : « Le Seigneur a créé les plantes médicinales, l’homme avisé ne les
méprise pas » (Si 38, 4).
125. Si
nous essayons de considérer quelles sont les relations adéquates de l’être
humain avec le monde qui l’entoure, la nécessité d’une conception correcte du
travail émerge, car si nous parlons de la relation de l’être humain avec les
choses, la question du sens et de la finalité de l’action humaine sur la
réalité apparaît. Nous ne parlons pas seulement du travail manuel ou du travail
de la terre, mais de toute activité qui implique quelque transformation de ce
qui existe, depuis l’élaboration d’une étude sociale jusqu’au projet de
développement technologique. N’importe quelle forme de travail suppose une
conception d’une relation que l’être humain peut ou doit établir avec son
semblable. La spiritualité chrétienne, avec l’admiration contemplative des
créatures que nous trouvons chez saint François d’Assise, a développé aussi une
riche et saine compréhension du travail, comme nous pouvons le voir, par
exemple, dans la vie du bienheureux Charles de Foucauld et de ses disciples.
126. Recueillons
aussi quelque chose de la longue tradition du monachisme. Au commencement, il
favorisait, d’une certaine manière, la fuite du monde, essayant d’échapper à la
décadence urbaine. Voilà pourquoi les moines cherchaient le désert, convaincus
que c’était le lieu propice pour reconnaître la présence de Dieu. Plus tard,
saint Benoît de Nurcie a proposé que ses moines vivent en communauté, alliant
la prière et la lecture au travail manuel (“Ora et labora’’). Cette
introduction du travail manuel, imprégné de sens spirituel, était
révolutionnaire. On a appris à chercher la maturation et la sanctification dans
la compénétration du recueillement et du travail. Cette manière de vivre le
travail nous rend plus attentifs et plus respectueux de l’environnement, elle
imprègne de saine sobriété notre relation au monde.
127. Nous
disons que « l’homme est l’auteur, le centre et le but de toute la vie
économico-sociale».[100] Malgré
cela, quand la capacité de contempler et de respecter est détériorée chez
l’être humain, les conditions sont créées pour que le sens du travail soit
défiguré.[101] Il
faut toujours se rappeler que l’être humain est « capable d’être lui-même
l’agent responsable de son mieux-être matériel, de son progrès moral, et de son
épanouissement spirituel».[102] Le
travail devrait être le lieu de ce développement personnel multiple où
plusieurs dimensions de la vie sont en jeu : la créativité, la projection vers
l’avenir, le développement des capacités, la mise en pratique de valeurs, la
communication avec les autres, une attitude d’adoration. C’est pourquoi, dans
la réalité sociale mondiale actuelle, au-delà des intérêts limités des
entreprises et d’une rationalité économique discutable, il est nécessaire que «
l’on continue à se donner comme objectif prioritaire l’accès au travail...pour
tous».[103]
128. Nous
sommes appelés au travail dès notre création. On ne doit pas chercher à ce que
le progrès technologique remplace de plus en plus le travail humain, car ainsi
l’humanité se dégraderait elle-même. Le travail est une nécessité, il fait
partie du sens de la vie sur cette terre, chemin de maturation, de développement
humain et de réalisation personnelle. Dans ce sens, aider les pauvres avec de
l’argent doit toujours être une solution provisoire pour affronter des
urgences. Le grand objectif devrait toujours être de leur permettre d’avoir une
vie digne par le travail. Mais l’orientation de l’économie a favorisé une sorte
d’avancée technologique pour réduire les coûts de production par la diminution
des postes de travail qui sont remplacés par des machines. C’est une
illustration de plus de la façon dont l’action de l’être humain peut se
retourner contre lui-même. La diminution des postes de travail « a aussi un
impact négatif sur le plan économique à travers l’érosion progressive du
“capital social”, c’est-à-dire de cet ensemble de relations de confiance, de
fiabilité, de respect des règles indispensables à toute coexistence civile ».[104] En
définitive, « les coûts humains sont toujours aussi des coûts économiques, et
les dysfonctionnements économiques entraînent toujours des coûts humains ».[105] Cesser
d’investir dans les personnes pour obtenir plus de profit immédiat est une très
mauvaise affaire pour la société.
129. Pour
qu’il continue d’être possible de donner du travail, il est impérieux de
promouvoir une économie qui favorise la diversité productive et la créativité
entrepreneuriale. Par exemple, il y a une grande variété de systèmes
alimentaires ruraux de petites dimensions qui continuent à alimenter la plus
grande partie de la population mondiale, en utilisant une faible proportion du
territoire et de l’eau, et en produisant peu de déchets, que ce soit sur de
petites parcelles agricoles, vergers, ou grâce à la chasse, à la cueillette et
la pêche artisanale, entre autres. Les économies d’échelle, spécialement dans le
secteur agricole, finissent par forcer les petits agriculteurs à vendre leurs
terres ou à abandonner leurs cultures traditionnelles. Les tentatives de
certains pour développer d’autres formes de production plus diversifiées,
finissent par être vaines en raison des difficultés pour entrer sur les marchés
régionaux et globaux, ou parce que l’infrastructure de vente et de transport
est au service des grandes entreprises. Les autorités ont le droit et la
responsabilité de prendre des mesures de soutien clair et ferme aux petits
producteurs et à la variété de la production. Pour qu’il y ait une liberté
économique dont tous puissent effectivement bénéficier, il peut parfois être
nécessaire de mettre des limites à ceux qui ont plus de moyens et de pouvoir
financier. Une liberté économique seulement déclamée, tandis que les conditions
réelles empêchent beaucoup de pouvoir y accéder concrètement et que l’accès au
travail se détériore, devient un discours contradictoire qui déshonore la
politique. L’activité d’entreprise, qui est une vocation noble orientée à
produire de la richesse et à améliorer le monde pour tous, peut être une
manière très féconde de promouvoir la région où elle installe ses projets ;
surtout si on comprend que la création de postes de travail est une partie
incontournable de son service du bien commun.
L’innovation biologique à
partir de la recherche
130. Dans la vision philosophique et théologique de la création que j’ai cherché à proposer, il reste clair que la personne humaine, avec la particularité de sa raison et de sa science, n’est pas un facteur extérieur qui doit être totalement exclu. Cependant, même si l’être humain peut intervenir sur le monde végétal et animal et en faire usage quand c’est nécessaire pour sa vie, le Catéchisme enseigne que les expérimentations sur les animaux sont légitimes seulement « si elles restent dans des limites raisonnables et contribuent à soigner ou sauver des vies humaines ».[106] Il rappelle avec fermeté que le pouvoir de l’homme a des limites et qu’« il est contraire à la dignité humaine de faire souffrir inutilement les animaux et de gaspiller leurs vies ».[107] Toute utilisation ou expérimentation « exige un respect religieux de l’intégrité de la création ».[108]
131. Je
veux recueillir ici la position équilibrée de saint Jean-Paul II, mettant en
évidence les bienfaits des progrès scientifiques et technologiques, qui «
manifestent la noblesse de la vocation de l’homme à participer de manière
responsable à l’action créatrice de Dieu dans le monde ». Mais en même temps il
rappelait qu’« aucune intervention dans un domaine de l’écosystème ne peut se
dispenser de prendre en considération ses conséquences dans d’autres domaines
».[109] Il
soulignait que l’Église valorise l’apport de « l’étude et des applications de
la biologie moléculaire, complétée par d’autres disciplines, comme la génétique
et son application technologique dans l’agriculture et dans l’industrie »[110],
même s’il affirme aussi que cela ne doit pas donner lieu à une « manipulation
génétique menée sans discernement »[111] qui
ignore les effets négatifs de ces interventions. Il n’est pas possible de
freiner la créativité humaine. Si on ne peut interdire à un artiste de déployer
sa capacité créatrice, on ne peut pas non plus inhiber ceux qui ont des dons
spéciaux pour le développement scientifique et technologique, dont les
capacités ont été données par Dieu pour le service des autres. En même temps,
on ne peut pas cesser de préciser toujours davantage les objectifs, les effets,
le contexte et les limites éthiques de cette activité humaine qui est une forme
de pouvoir comportant de hauts risques.
132. C’est
dans ce cadre que devrait se situer toute réflexion autour de l’intervention
humaine sur les végétaux et les animaux qui implique aujourd’hui des mutations
génétiques générées par la biotechnologie, dans le but d’exploiter les
possibilités présentes dans la réalité matérielle. Le respect de la foi envers
la raison demande de prêter attention à ce que la science biologique elle-même,
développée de manière indépendante par rapport aux intérêts économiques, peut
enseigner sur les structures biologiques ainsi que sur leurs possibilités et
leurs mutations. Quoiqu’il en soit, l’intervention légitime est celle qui agit
sur la nature « pour l’aider à s’épanouir dans sa ligne, celle de la création,
celle voulue par Dieu ».[112]
133. Il
est difficile d’émettre un jugement général sur les développements de
transgéniques (OMG), végétaux ou animaux, à des fins médicales ou
agro-pastorales, puisqu’ils peuvent être très divers entre eux et nécessiter
des considérations différentes. D’autre part, les risques ne sont pas toujours
dus à la technique en soi, mais à son application inadaptée ou excessive. En
réalité, les mutations génétiques ont été, et sont très souvent, produites par
la nature elle-même. Même celles provoquées par l’intervention humaine ne sont
pas un phénomène moderne. La domestication des animaux, le croisement des
espèces et autres pratiques anciennes et universellement acceptées peuvent
entrer dans ces considérations. Il faut rappeler que le début des
développements scientifiques de céréales transgéniques a été l’observation
d’une bactérie qui produit naturellement et spontanément une modification du
génome d’un végétal. Mais dans la nature, ces processus ont un rythme lent qui
n’est pas comparable à la rapidité qu’imposent les progrès technologiques
actuels, même quand ces avancées font suite à un développement scientifique de
plusieurs siècles.
134. Même
en l’absence de preuves irréfutables du préjudice que pourraient causer les
céréales transgéniques aux êtres humains, et même si, dans certaines régions,
leur utilisation est à l’origine d’une croissance économique qui a aidé à
résoudre des problèmes, il y a des difficultés importantes qui ne doivent pas
être relativisées. En de nombreux endroits, suite à l’introduction de ces
cultures, on constate une concentration des terres productives entre les mains
d’un petit nombre, due à « la disparition progressive des petits producteurs,
qui, en conséquence de la perte de terres exploitables, se sont vus obligés de
se retirer de la production directe».[113] Les
plus fragiles deviennent des travailleurs précaires, et beaucoup d’employés
ruraux finissent par migrer dans de misérables implantations urbaines.
L’extension de la surface de ces cultures détruit le réseau complexe des
écosystèmes, diminue la diversité productive, et compromet le présent ainsi que
l’avenir des économies régionales. Dans plusieurs pays, on perçoit une tendance
au développement des oligopoles dans la production de grains et d’autres
produits nécessaires à leur culture, et la dépendance s’aggrave encore avec la
production de grains stériles qui finirait par obliger les paysans à en acheter
aux entreprises productrices.
135. Sans
doute, une attention constante, qui porte à considérer tous les aspects
éthiques concernés, est nécessaire. Pour cela, il faut garantir une discussion
scientifique et sociale qui soit responsable et large, capable de prendre en
compte toute l’information disponible et d’appeler les choses par leur nom.
Parfois, on ne met pas à disposition toute l’information, qui est sélectionnée
selon les intérêts particuliers, qu’ils soient politiques, économiques ou
idéologiques. De ce fait, il devient difficile d’avoir un jugement équilibré et
prudent sur les diverses questions, en prenant en compte tous les paramètres
pertinents. Il est nécessaire d’avoir des espaces de discussion où tous ceux
qui, de quelque manière, pourraient être directement ou indirectement concernés
(agriculteurs, consommateurs, autorités, scientifiques, producteurs de
semences, populations voisines des champs traités, et autres) puissent exposer
leurs problématiques ou accéder à l’information complète et fiable pour prendre
des décisions en faveur du bien commun présent et futur. Il s’agit d’une
question d’environnement complexe dont le traitement exige un regard intégral
sous tous ses aspects, et cela requiert au moins un plus grand effort pour
financer les diverses lignes de recherche, autonomes et interdisciplinaires, en
mesure d’apporter une lumière nouvelle.
136. D’autre
part, il est préoccupant que certains mouvements écologistes qui défendent
l’intégrité de l’environnement et exigent avec raison certaines limites à la
recherche scientifique, n’appliquent pas parfois ces mêmes principes à la vie
humaine. En général, on justifie le dépassement de toutes les limites quand on
fait des expérimentations sur les embryons humains vivants. On oublie que la
valeur inaliénable de l’être humain va bien au-delà de son degré de
développement. Du reste, quand la technique ignore les grands principes
éthiques, elle finit par considérer comme légitime n’importe quelle pratique.
Comme nous l’avons vu dans ce chapitre, la technique séparée de l’éthique sera
difficilement capable d’autolimiter son propre pouvoir.
UNE ÉCOLOGIE INTÉGRALE
137. Étant
donné que tout est intimement lié, et que les problèmes actuels requièrent un
regard qui tienne compte de tous les aspects de la crise mondiale, je propose à
présent que nous nous arrêtions pour penser aux diverses composantes d’une
écologie intégrale, qui a clairement des dimensions humaines et sociales.
I.
L’ÉCOLOGIE ENVIRONNEMENTALE, ÉCONOMIQUE ET SOCIALE
138. L’écologie
étudie les relations entre les organismes vivants et l’environnement où ceux-ci
se développent. Cela demande de s’asseoir pour penser et pour discuter avec
honnêteté des conditions de vie et de survie d’une société, pour remettre en
question les modèles de développement, de production et de consommation. Il
n’est pas superflu d’insister sur le fait que tout est lié. Le temps et
l’espace ne sont pas indépendants l’un de l’autre, et même les atomes ou les
particules sous-atomiques ne peuvent être considérés séparément. Tout comme les
différentes composantes de la planète – physiques, chimiques et biologiques –
sont reliées entre elles, de même les espèces vivantes constituent un réseau
que nous n’avons pas encore fini d’identifier et de comprendre. Une bonne
partie de notre information génétique est partagée par beaucoup d’êtres
vivants. Voilà pourquoi les connaissances fragmentaires et isolées peuvent
devenir une forme d’ignorance si elles refusent de s’intégrer dans une plus ample
vision de la réalité.
139. Quand
on parle d’“environnement”, on désigne en particulier une relation, celle qui
existe entre la nature et la société qui l’habite. Cela nous empêche de
concevoir la nature comme séparée de nous ou comme un simple cadre de notre
vie. Nous sommes inclus en elle, nous en sommes une partie, et nous sommes
enchevêtrés avec elle. Les raisons pour lesquelles un endroit est pollué exigent
une analyse du fonctionnement de la société, de son économie, de son
comportement, de ses manières de comprendre la réalité. Étant donné l’ampleur
des changements, il n’est plus possible de trouver une réponse spécifique et
indépendante à chaque partie du problème. Il est fondamental de chercher des
solutions intégrales qui prennent en compte les interactions des systèmes
naturels entre eux et avec les systèmes sociaux. Il n’y a pas deux crises
séparées, l’une environnementale et l’autre sociale, mais une seule et complexe
crise socio-environnementale. Les possibilités de solution requièrent une
approche intégrale pour combattre la pauvreté, pour rendre la dignité aux
exclus et simultanément pour préserver la nature.
140. À
cause de la quantité et de la variété des éléments à prendre en compte, il
devient indispensable, au moment de déterminer l’impact d’une initiative
concrète sur l’environnement, de donner aux chercheurs un rôle prépondérant et
de faciliter leur interaction, dans une grande liberté académique. Ces
recherches constantes devraient permettre de reconnaître aussi comment les
différentes créatures sont liées et constituent ces unités plus grandes qu’aujourd’hui
nous nommons “écosystèmes”. Nous ne les prenons pas en compte seulement pour
déterminer quelle est leur utilisation rationnelle, mais en raison de leur
valeur intrinsèque indépendante de cette utilisation. Tout comme chaque
organisme est bon et admirable, en soi, parce qu’il est une créature de Dieu,
il en est de même de l’ensemble harmonieux d’organismes dans un espace
déterminé, fonctionnant comme un système. Bien que nous n’en ayons pas
conscience, nous dépendons de cet ensemble pour notre propre existence. Il faut
rappeler que les écosystèmes interviennent dans la capture du dioxyde de
carbone, dans la purification de l’eau, dans le contrôle des maladies et des
épidémies, dans la formation du sol, dans la décomposition des déchets, et dans
beaucoup d’autres services que nous oublions ou ignorons. Beaucoup de
personnes, remarquant cela, recommencent à prendre conscience du fait que nous
vivons et agissons à partir d’une réalité qui nous a été offerte au préalable,
qui est antérieure à nos capacités et à notre existence. Voilà pourquoi, quand
on parle d’une “utilisation durable”, il faut toujours y inclure la capacité de
régénération de chaque écosystème dans ses divers domaines et aspects.
141. Par
ailleurs, la croissance économique tend à produire des automatismes et à
homogénéiser, en vue de simplifier les procédures et de réduire les coûts.
C’est pourquoi une écologie économique est nécessaire, capable d’obliger à
considérer la réalité de manière plus ample. En effet, « la protection de
l’environnement doit faire partie intégrante du processus de développement et
ne peut être considérée isolément».[114] Mais
en même temps, devient actuelle la nécessité impérieuse de l’humanisme qui, en
soi, fait appel aux différents savoirs, y compris à la science économique, pour
un regard plus intégral et plus intégrant. Aujourd’hui l’analyse des problèmes
environnementaux est inséparable de l’analyse des contextes humains, familiaux,
de travail, urbains, et de la relation de chaque personne avec elle-même qui
génère une façon déterminée d’entrer en rapport avec les autres et avec
l’environnement. Il y a une interaction entre les écosystèmes et entre les
divers mondes de référence sociale, et ainsi, une fois de plus, il s’avère que
« le tout est supérieur à la partie ».[115]
142. Si
tout est lié, l’état des institutions d’une société a aussi des conséquences
sur l’environnement et sur la qualité de vie humaine : « Toute atteinte à la
solidarité et à l’amitié civique provoque des dommages à l’environnement ».[116] Dans
ce sens, l’écologie sociale est nécessairement institutionnelle et atteint
progressivement les différentes dimensions qui vont du groupe social primaire,
la famille, en passant par la communauté locale et la Nation, jusqu’à la vie
internationale. À l’intérieur de chacun des niveaux sociaux et entre eux, se
développent les institutions qui régulent les relations humaines. Tout ce qui
leur porte préjudice a des effets nocifs, comme la perte de la liberté,
l’injustice et la violence. Divers pays s’alignent sur un niveau institutionnel
précaire, au prix de la souffrance des populations et au bénéfice de ceux qui
tirent profit de cet état des choses. Tant dans l’administration de l’État que
dans les diverses expressions de la société civile, ou dans les relations entre
citoyens, on constate très souvent des conduites éloignées des lois. Celles-ci
peuvent être correctement écrites, mais restent ordinairement lettre morte.
Peut-on alors espérer que la législation et les normes relatives à
l’environnement soient réellement efficaces ? Nous savons, par exemple, que des
pays dotés d’une législation claire pour la protection des forêts continuent
d’être des témoins muets de la violation fréquente de ces lois. En outre, ce
qui se passe dans une région exerce, directement ou indirectement, des
influences sur les autres régions. Ainsi, par exemple, la consommation de
narcotiques dans les sociétés opulentes provoque une demande constante ou
croissante de ces produits provenant de régions appauvries, où les conduites se
corrompent, des vies sont détruites et où l’environnement finit par se
dégrader.
143. Il
y a, avec le patrimoine naturel, un patrimoine historique, artistique et
culturel, également menacé. Il fait partie de l’identité commune d’un lieu et
il est une base pour construire une ville habitable. Il ne s’agit pas de détruire,
ni de créer de nouvelles villes soi-disant plus écologiques, où il ne fait pas
toujours bon vivre. Il faut prendre en compte l’histoire, la culture et
l’architecture d’un lieu, en maintenant son identité originale. Voilà pourquoi
l’écologie suppose aussi la préservation des richesses culturelles de
l’humanité au sens le plus large du terme. D’une manière plus directe, elle
exige qu’on fasse attention aux cultures locales, lorsqu’on analyse les
questions en rapport avec l’environnement, en faisant dialoguer le langage
scientifique et technique avec le langage populaire. C’est la culture, non
seulement dans le sens des monuments du passé mais surtout dans son sens
vivant, dynamique et participatif, qui ne peut pas être exclue lorsqu’on
repense la relation de l’être humain avec l’environnement.
144. La
vision consumériste de l’être humain, encouragée par les engrenages de
l’économie globalisée actuelle, tend à homogénéiser les cultures et à affaiblir
l’immense variété culturelle, qui est un trésor de l’humanité. C’est pourquoi
prétendre résoudre toutes les difficultés à travers des réglementations
uniformes ou des interventions techniques, conduit à négliger la complexité des
problématiques locales qui requièrent l’intervention active des citoyens. Les
nouveaux processus en cours ne peuvent pas toujours être incorporés dans des
schémas établis de l’extérieur, mais ils doivent partir de la culture locale
elle-même. Comme la vie et le monde sont dynamiques, la préservation du monde
doit être flexible et dynamique. Les solutions purement techniques courent le
risque de s’occuper des symptômes qui ne répondent pas aux problématiques les
plus profondes. Il faut y inclure la perspective des droits des peuples et des
cultures, et comprendre ainsi que le développement d’un groupe social suppose
un processus historique dans un contexte culturel, et requiert de la part des
acteurs sociaux locaux un engagement constant en première ligne, à partir de
leur propre culture. Même la notion de qualité de vie ne peut être imposée,
mais elle doit se concevoir à l’intérieur du monde des symboles et des
habitudes propres à chaque groupe humain.
145. Beaucoup
de formes hautement concentrées d’exploitation et de dégradation de
l’environnement peuvent non seulement épuiser les ressources de subsistance
locales, mais épuiser aussi les capacités sociales qui ont permis un mode de
vie ayant donné, pendant longtemps, une identité culturelle ainsi qu’un sens de
l’existence et de la cohabitation. La disparition d’une culture peut être aussi
grave ou plus grave que la disparition d’une espèce animale ou végétale.
L’imposition d’un style de vie hégémonique lié à un mode de production peut
être autant nuisible que l’altération des écosystèmes.
146. Dans
ce sens, il est indispensable d’accorder une attention spéciale aux communautés
aborigènes et à leurs traditions culturelles. Elles ne constituent pas une
simple minorité parmi d’autres, mais elles doivent devenir les principaux
interlocuteurs, surtout lorsqu’on développe les grands projets qui affectent
leurs espaces. En effet, la terre n’est pas pour ces communautés un bien
économique, mais un don de Dieu et des ancêtres qui y reposent, un espace sacré
avec lequel elles ont besoin d’interagir pour soutenir leur identité et leurs
valeurs. Quand elles restent sur leurs territoires, ce sont précisément elles
qui les préservent le mieux. Cependant, en diverses parties du monde, elles
font l’objet de pressions pour abandonner leurs terres afin de les laisser
libres pour des projets d’extraction ainsi que pour des projets agricoles et de
la pêche, qui ne prêtent pas attention à la dégradation de la nature et de la
culture.
III.
L’ÉCOLOGIE DE LA VIE QUOTIDIENNE
147. Pour parler d’un authentique développement il faut s’assurer qu’une amélioration intégrale dans la qualité de vie humaine se réalise ; et cela implique d’analyser l’espace où vivent les personnes. Le cadre qui nous entoure influe sur notre manière de voir la vie, de sentir et d’agir. En même temps, dans notre chambre, dans notre maison, sur notre lieu de travail et dans notre quartier, nous utilisons l’environnement pour exprimer notre identité. Nous nous efforçons de nous adapter au milieu, et quand un environnement est désordonné, chaotique ou chargé de pollution visuelle et auditive, l’excès de stimulations nous met au défi d’essayer de construire une identité intégrée et heureuse.
148. La
créativité et la générosité sont admirables de la part de personnes comme de
groupes qui sont capables de transcender les limites de l’environnement, en
modifiant les effets négatifs des conditionnements et en apprenant à orienter
leur vie au milieu du désordre et de la précarité. Par exemple, dans certains
endroits où les façades des édifices sont très abîmées, il y a des personnes
qui, avec beaucoup de dignité, prennent soin de l’intérieur de leurs logements,
ou bien qui se sentent à l’aise en raison de la cordialité et de l’amitié des
gens. La vie sociale positive et bénéfique des habitants répand une lumière sur
un environnement apparemment défavorable. Parfois, l’écologie humaine, que les
pauvres peuvent développer au milieu de tant de limitations, est louable. La
sensation d’asphyxie, produite par l’entassement dans des résidences et dans des
espaces à haute densité de population, est contrebalancée si des relations
humaines d’un voisinage convivial sont développées, si des communautés sont
créées, si les limites de l’environnement sont compensées dans chaque personne
qui se sent incluse dans un réseau de communion et d’appartenance. De cette
façon, n’importe quel endroit cesse d’être un enfer et devient le cadre d’une
vie digne.
149. Il
est aussi clair que l’extrême pénurie que l’on vit dans certains milieux qui
manquent d’harmonie, d’espace et de possibilités d’intégration, facilite
l’apparition de comportements inhumains et la manipulation des personnes par
des organisations criminelles. Pour les habitants des quartiers très pauvres,
le passage quotidien de l’entassement à l’anonymat social, qui se vit dans les
grandes villes, peut provoquer une sensation de déracinement qui favorise les
conduites antisociales et la violence. Cependant, je veux insister sur le fait
que l’amour est plus fort. Dans ces conditions, beaucoup de personnes sont
capables de tisser des liens d’appartenance et de cohabitation, qui
transforment l’entassement en expérience communautaire où les murs du moi sont
rompus et les barrières de l’égoïsme dépassées. C’est cette expérience de salut
communautaire qui ordinairement suscite de la créativité pour améliorer un
édifice ou un quartier.[117]
150. Étant
donné la corrélation entre l’espace et la conduite humaine, ceux qui conçoivent
des édifices, des quartiers, des espaces publics et des villes, ont besoin de
l’apport de diverses disciplines qui permettent de comprendre les processus, le
symbolisme et les comportements des personnes. La recherche de la beauté de la
conception ne suffit pas, parce qu’il est plus précieux encore de servir un
autre type de beauté : la qualité de vie des personnes, leur adaptation à
l’environnement, la rencontre et l’aide mutuelle. Voilà aussi pourquoi il est
si important que les perspectives des citoyens complètent toujours l’analyse de
la planification urbaine.
151. Il
faut prendre soin des lieux publics, du cadre visuel et des signalisations
urbaines qui accroissent notre sens d’appartenance, notre sensation d’enracinement,
notre sentiment d’“être à la maison”, dans la ville qui nous héberge et nous
unit. Il est important que les différentes parties d’une ville soient bien
intégrées et que les habitants puissent avoir une vision d’ensemble, au lieu de
s’enfermer dans un quartier en se privant de vivre la ville tout entière comme
un espace vraiment partagé avec les autres. Toute intervention dans le paysage
urbain ou rural devrait considérer que les différents éléments d’un lieu
forment un tout perçu par les habitants comme un cadre cohérent avec sa
richesse de sens. Ainsi les autres cessent d’être des étrangers, et peuvent se
sentir comme faisant partie d’un “nous” que nous construisons ensemble. Pour la
même raison, tant dans l’environnement urbain que dans l’environnement rural,
il convient de préserver certains lieux où sont évitées les interventions
humaines qui les modifient constamment.
152. Le
manque de logements est grave dans de nombreuses parties du monde, tant dans
les zones rurales que dans les grandes villes, parce que souvent les budgets
étatiques couvrent seulement une petite partie de la demande. Non seulement les
pauvres, mais aussi une grande partie de la société rencontrent de sérieuses
difficultés pour accéder à son propre logement. La possession d’un logement est
très étroitement liée à la dignité des personnes et au développement des
familles. C’est une question centrale de l’écologie humaine. Si déjà des
agglomérations chaotiques de maisons précaires se sont développées dans un
lieu, il s’agit surtout d’urbaniser ces quartiers, non d’éradiquer et
d’expulser. Quand les pauvres vivent dans des banlieues polluées ou dans des
agglomérations dangereuses, « si l’on doit procéder à leur déménagement [...],
pour ne pas ajouter la souffrance à la souffrance, il est nécessaire de fournir
une information adéquate et préalable, d’offrir des alternatives de logements
dignes et d’impliquer directement les intéressés ».[118] En
même temps, la créativité devrait amener à intégrer les quartiers précaires
dans une ville accueillante : « Comme elles sont belles les villes qui
dépassent la méfiance malsaine et intègrent ceux qui sont différents, et qui
font de cette intégration un nouveau facteur de développement ! Comme elles
sont belles les villes qui, même dans leur architecture, sont remplies
d’espaces qui regroupent, mettent en relation et favorisent la reconnaissance
de l’autre ! ».[119]
153. La
qualité de vie dans les villes est étroitement liée au transport, qui est
souvent une cause de grandes souffrances pour les habitants. Dans les villes,
circulent beaucoup d’automobiles utilisées seulement par une ou deux personnes,
raison pour laquelle la circulation devient difficile, le niveau de pollution
élevé, d’énormes quantités d’énergie non renouvelable sont consommées et la
construction d’autoroutes supplémentaires se révèle nécessaire ainsi que des
lieux de stationnement qui nuisent au tissu urbain. Beaucoup de spécialistes
sont unanimes sur la nécessité d’accorder la priorité au transport public. Mais
certaines mesures nécessaires seront à grand-peine acceptées pacifiquement par
la société sans des améliorations substantielles de ce transport, qui, dans
beaucoup de villes, est synonyme de traitement indigne infligé aux personnes à
cause de l’entassement, de désagréments ou de la faible fréquence des services
et de l’insécurité.
154. La
reconnaissance de la dignité particulière de l’être humain contraste bien des
fois avec la vie chaotique que les personnes doivent mener dans nos villes.
Mais cela ne devrait pas détourner l’attention de l’état d’abandon et d’oubli
dont souffrent aussi certains habitants des zones rurales, où les services
essentiels n’arrivent pas, et où se trouvent des travailleurs réduits à des
situations d’esclavage, sans droits ni perspectives d’une vie plus digne.
155. L’écologie
humaine implique aussi quelque chose de très profond : la relation de la vie de
l’être humain avec la loi morale inscrite dans sa propre nature, relation
nécessaire pour pouvoir créer un environnement plus digne. Benoît XVI affirmait
qu’il existe une “écologie de l’homme” parce que « l’homme aussi possède une
nature qu’il doit respecter et qu’il ne peut manipuler à volonté ».[120] Dans
ce sens, il faut reconnaître que notre propre corps nous met en relation
directe avec l’environnement et avec les autres êtres vivants. L’acceptation de
son propre corps comme don de Dieu est nécessaire pour accueillir et pour
accepter le monde tout entier comme don du Père et maison commune ; tandis
qu’une logique de domination sur son propre corps devient une logique, parfois
subtile, de domination sur la création. Apprendre à recevoir son propre corps,
à en prendre soin et à en respecter les significations, est essentiel pour une
vraie écologie humaine. La valorisation de son propre corps dans sa féminité ou
dans sa masculinité est aussi nécessaire pour pouvoir se reconnaître soi-même
dans la rencontre avec celui qui est différent. De cette manière, il est
possible d’accepter joyeusement le don spécifique de l’autre, homme ou femme,
œuvre du Dieu créateur, et de s’enrichir réciproquement. Par conséquent,
l’attitude qui prétend « effacer la différence sexuelle parce qu’elle ne sait
plus s’y confronter »[121],
n’est pas saine.
IV.
LE PRINCIPE DU BIEN COMMUN
156. L’écologie
intégrale est inséparable de la notion de bien commun, un principe qui joue un
rôle central et unificateur dans l’éthique sociale. C’est « l’ensemble des
conditions sociales qui permettent, tant aux groupes qu’à chacun de leurs
membres, d’atteindre leur perfection d’une façon plus totale et plus aisée ».[122]
157. Le
bien commun présuppose le respect de la personne humaine comme telle, avec des
droits fondamentaux et inaliénables ordonnés à son développement intégral. Le
bien commun exige aussi le bien-être social et le développement des divers
groupes intermédiaires, selon le principe de subsidiarité. Parmi ceux-ci, la
famille se distingue spécialement comme cellule de base de la société.
Finalement, le bien commun requiert la paix sociale, c’est-à-dire la stabilité
et la sécurité d’un certain ordre, qui ne se réalise pas sans une attention
particulière à la justice distributive, dont la violation génère toujours la
violence. Toute la société – et en elle, d’une manière spéciale l’État, – a
l’obligation de défendre et de promouvoir le bien commun.
158. Dans
les conditions actuelles de la société mondiale, où il y a tant d’inégalités et
où sont toujours plus nombreuses les personnes marginalisées, privées des
droits humains fondamentaux, le principe du bien commun devient immédiatement
comme conséquence logique et inéluctable, un appel à la solidarité et à une
option préférentielle pour les plus pauvres. Cette option implique de tirer les
conséquences de la destination commune des biens de la terre, mais, comme j’ai
essayé de l’exprimer dans l’Exhortation apostolique Evangelii gaudium,[123] elle
exige de considérer avant tout l’immense dignité du pauvre à la lumière des
convictions de foi les plus profondes. Il suffit de regarder la réalité pour
comprendre que cette option est aujourd’hui une exigence éthique fondamentale
pour la réalisation effective du bien commun.
V.
LA JUSTICE ENTRE GÉNÉRATIONS
159. La
notion de bien commun inclut aussi les générations futures. Les crises
économiques internationales ont montré de façon crue les effets nuisibles
qu’entraîne la méconnaissance d’un destin commun, dont ceux qui viennent
derrière nous ne peuvent pas être exclus. On ne peut plus parler de
développement durable sans une solidarité intergénérationnelle. Quand nous
pensons à la situation dans laquelle nous laissons la planète aux générations
futures, nous entrons dans une autre logique, celle du don gratuit que nous
recevons et que nous communiquons. Si la terre nous est donnée, nous ne pouvons
plus penser seulement selon un critère utilitariste d’efficacité et de
productivité pour le bénéfice individuel. Nous ne parlons pas d’une attitude
optionnelle, mais d’une question fondamentale de justice, puisque la terre que
nous recevons appartient aussi à ceux qui viendront. Les Évêques du Portugal
ont exhorté à assumer ce devoir de justice : « L’environnement se situe dans la
logique de la réception. C’est un prêt que chaque génération reçoit et doit
transmettre à la génération suivante».[124] Une
écologie intégrale possède cette vision ample.
160. Quel
genre de monde voulons-nous laisser à ceux qui nous succèdent, aux enfants qui
grandissent ? Cette question ne concerne pas seulement l’environnement de
manière isolée, parce qu’on ne peut pas poser la question de manière
fragmentaire. Quand nous nous interrogeons sur le monde que nous voulons
laisser, nous parlons surtout de son orientation générale, de son sens, de ses
valeurs. Si cette question de fond n’est pas prise en compte, je ne crois pas
que nos préoccupations écologiques puissent obtenir des effets significatifs.
Mais si cette question est posée avec courage, elle nous conduit inexorablement
à d’autres interrogations très directes : pour quoi passons-nous en ce monde,
pour quoi venons-nous à cette vie, pour quoi travaillons-nous et luttons-nous,
pour quoi cette terre a-t-elle besoin de nous ? C’est pourquoi, il ne suffit
plus de dire que nous devons nous préoccuper des générations futures. Il est
nécessaire de réaliser que ce qui est en jeu, c’est notre propre dignité. Nous
sommes, nous-mêmes, les premiers à avoir intérêt à laisser une planète
habitable à l’humanité qui nous succédera. C’est un drame pour nous-mêmes,
parce que cela met en crise le sens de notre propre passage sur cette terre.
161. Les
prévisions catastrophistes ne peuvent plus être considérées avec mépris ni
ironie. Nous pourrions laisser trop de décombres, de déserts et de saletés aux
prochaines générations. Le rythme de consommation, de gaspillage et de détérioration
de l’environnement a dépassé les possibilités de la planète, à tel point que le
style de vie actuel, parce qu’il est insoutenable, peut seulement conduire à
des catastrophes, comme, de fait, cela arrive déjà périodiquement dans diverses
régions. L’atténuation des effets de l’actuel déséquilibre dépend de ce que
nous ferons dans l’immédiat, surtout si nous pensons à la responsabilité que
ceux qui devront supporter les pires conséquences nous attribueront.
162. La
difficulté de prendre au sérieux ce défi est en rapport avec une détérioration
éthique et culturelle, qui accompagne la détérioration écologique. L’homme et
la femme du monde post-moderne courent le risque permanent de devenir
profondément individualistes, et beaucoup de problèmes sociaux sont liés à la
vision égoïste actuelle axée sur l’immédiateté, aux crises des liens familiaux
et sociaux, aux difficultés de la reconnaissance de l’autre. Bien des fois, il
y a une consommation des parents, immédiate et excessive, qui affecte leurs
enfants de plus en plus de difficultés pour acquérir une maison et pour fonder
une famille. En outre, notre incapacité à penser sérieusement aux générations
futures est liée à notre incapacité à élargir notre conception des intérêts
actuels et à penser à ceux qui demeurent exclus du développement. Ne pensons
pas seulement aux pauvres de l’avenir, souvenons-nous déjà des pauvres
d’aujourd’hui, qui ont peu d’années de vie sur cette terre et ne peuvent pas
continuer d’attendre. C’est pourquoi, « au-delà d’une loyale solidarité
intergénérationnelle, l’urgente nécessité morale d’une solidarité
intra-générationnelle renouvelée doit être réaffirmée ».[125]
CINQUIEME
CHAPITRE
QUELQUES LIGNES
D’ORIENTATION ET D’ACTION
163. J’ai
cherché à analyser la situation actuelle de l’humanité, tant dans les fissures
qui s’observent sur la planète que nous habitons, que dans les causes plus
profondément humaines de la dégradation de l’environnement. Bien que cette
observation de la réalité nous montre déjà en soi la nécessité d’un changement
de direction, et nous suggère certaines actions, essayons à présent de tracer
les grandes lignes de dialogue à même de nous aider à sortir de la spirale
d’autodestruction dans laquelle nous nous enfonçons.
I.
LE DIALOGUE SUR L’ENVIRONNEMENT DANS LA POLITIQUE INTERNATIONALE
164. Depuis
la moitié du siècle dernier, après avoir surmonté beaucoup de difficultés, on a
eu de plus en plus tendance à concevoir la planète comme une patrie, et l’humanité
comme un peuple qui habite une maison commune. Que le monde soit interdépendant
ne signifie pas seulement comprendre que les conséquences préjudiciables des
modes de vie, de production et de consommation affectent tout le monde, mais
surtout faire en sorte que les solutions soient proposées dans une perspective
globale, et pas seulement pour défendre les intérêts de certains pays.
L’interdépendance nous oblige à penser à un monde unique, à un projet commun.
Mais la même intelligence que l’on déploie pour un impressionnant développement
technologique, ne parvient pas à trouver des formes efficaces de gestion
internationale pour résoudre les graves difficultés environnementales et
sociales. Pour affronter les problèmes de fond qui ne peuvent pas être résolus
par les actions de pays isolés, un consensus mondial devient indispensable, qui
conduirait, par exemple, à programmer une agriculture durable et diversifiée, à
développer des formes d’énergies renouvelables et peu polluantes, à promouvoir
un meilleur rendement énergétique, une gestion plus adéquate des ressources
forestières et marines, à assurer l’accès à l’eau potable pour tous.
165. Nous savons que la technologie reposant sur les combustibles fossiles très polluants – surtout le charbon, mais aussi le pétrole et, dans une moindre mesure, le gaz – a besoin d’être remplacée, progressivement et sans retard. Tant qu’il n’y aura pas un développement conséquent des énergies renouvelables, développement qui devrait être déjà en cours, il est légitime de choisir l’alternative la moins nuisible et de recourir à des solutions transitoires. Cependant, on ne parvient pas, dans la communauté internationale, à des accords suffisants sur la responsabilité de ceux qui doivent supporter les coûts de la transition énergétique. Ces dernières décennies, les questions d’environnement ont généré un large débat public qui a fait grandir dans la société civile des espaces pour de nombreux engagements et un généreux dévouement. La politique et l’entreprise réagissent avec lenteur, loin d’être à la hauteur des défis mondiaux. En ce sens, alors que l’humanité de l’époque post-industrielle sera peut-être considérée comme l’une des plus irresponsables de l’histoire, il faut espérer que l’humanité du début du XXIème siècle pourra rester dans les mémoires pour avoir assumé avec générosité ses graves responsabilités.
166. Le
mouvement écologique mondial a déjà fait un long parcours, enrichi par les
efforts de nombreuses organisations de la société civile. Il n’est pas possible
ici de les mentionner toutes, ni de retracer l’histoire de leurs apports. Mais
grâce à un fort engagement, les questions environnementales ont été de plus en
plus présentes dans l’agenda public et sont devenues une invitation constante à
penser à long terme. Cependant, les Sommets mondiaux de ces dernières années
sur l’environnement n’ont pas répondu aux attentes parce que, par manque de
décision politique, ils ne sont pas parvenus à des accords généraux, vraiment
significatifs et efficaces, sur l’environnement.
167. Il
convient de mettre l’accent sur le Sommet planète Terre, réuni en 1992 à Rio de
Janeiro. Il y a été proclamé que « les êtres humains sont au centre des
préoccupations relatives au développement durable».[126] Reprenant
des éléments de la Déclaration de Stockholm (1972), il a consacré la
coopération internationale pour préserver l’écosystème de la terre entière,
l’obligation pour celui qui pollue d’en assumer économiquement la charge, le
devoir d’évaluer l’impact sur l’environnement de toute entreprise ou projet. Il
a proposé comme objectif de stabiliser les concentrations de gaz à effet de
serre dans l’atmosphère pour inverser la tendance au réchauffement global. Il a
également élaboré un agenda avec un programme d’action et un accord sur la
diversité biologique, il a déclaré des principes en matière de forêts. Même si
ce Sommet a vraiment été innovateur et prophétique pour son époque, les accords
n’ont été que peu mis en œuvre parce qu’aucun mécanisme adéquat de contrôle, de
révision périodique et de sanction en cas de manquement, n’avait été établi.
Les principes énoncés demandent encore des moyens, efficaces et souples, de
mise en œuvre pratique.
168. Parmi
les expériences positives, on peut mentionner, par exemple, la Convention de
Bâle sur le contrôle des mouvements transfrontaliers de déchets dangereux et
leur élimination, avec un système de déclaration, de standards et de contrôles
; on peut citer également la Convention sur le commerce international des
espèces de faune et de flore sauvages menacées d’extinction, qui inclut des
missions de vérification de son respect effectif. Grâce à la Convention de
Vienne pour la protection de la couche d’ozone, et sa mise en œuvre à travers
le Protocole de Montréal et ses amendements, le problème de l’amincissement de
cette couche semble être entré dans une phase de solution.
169. Pour
ce qui est de la protection de la diversité biologique et en ce qui concerne la
désertification, les avancées ont été beaucoup moins significatives. S’agissant
du changement climatique, les avancées sont hélas très médiocres. La réduction
des gaz à effet de serre exige honnêteté, courage et responsabilité, surtout de
la part des pays les plus puissants et les plus polluants. La Conférence des
Nations Unies sur le développement durable, dénommée Rio+20 (Rio de Janeiro
2012), a émis un long et inefficace Document final. Les négociations
internationales ne peuvent pas avancer de manière significative en raison de la
position des pays qui mettent leurs intérêts nationaux au dessus du bien commun
général. Ceux qui souffriront des conséquences que nous tentons de dissimuler
rappelleront ce manque de conscience et de responsabilité. Alors que se
préparait cette Encyclique, le débat a atteint une intensité particulière.
Nous, les croyants, nous ne pouvons pas cesser de demander à Dieu qu’il y ait
des avancées positives dans les discussions actuelles, de manière à ce que les
générations futures ne souffrent pas des conséquences d’ajournements
imprudents.
170. Certaines
des stratégies de basse émission de gaz polluants cherchent
l’internationalisation des coûts environnementaux, avec le risque d’imposer aux
pays de moindres ressources de lourds engagements de réduction des émissions,
comparables à ceux des pays les plus industrialisés. L’imposition de ces
mesures porte préjudice aux pays qui ont le plus besoin de développement. Une nouvelle
injustice est ainsi ajoutée sous couvert de protection de l’environnement.
Comme toujours, le fil est rompu à son point le plus faible. Étant donné que
les effets du changement climatique se feront sentir pendant longtemps, même si
des mesures strictes sont prises maintenant, certains pays aux maigres
ressources auront besoin d’aide pour s’adapter aux effets qui déjà se
produisent et qui affectent leurs économies. Il reste vrai qu’il y a des
responsabilités communes mais différenciées, simplement parce que, comme l’ont
relevé les Évêques de Bolivie, « les pays qui ont bénéficié d’un degré élevé
d’industrialisation, au prix d’une énorme émission de gaz à effet de serre, ont
une plus grande responsabilité dans l’apport de la solution aux problèmes qu’ils
ont causés ».[127]
171. La
stratégie d’achat et de vente de “crédits de carbone” peut donner lieu à une
nouvelle forme de spéculation, et cela ne servirait pas à réduire l’émission
globale des gaz polluants. Ce système semble être une solution rapide et
facile, sous l’apparence d’un certain engagement pour l’environnement, mais qui
n’implique, en aucune manière, de changement radical à la hauteur des
circonstances. Au contraire, il peut devenir un expédient qui permet de
soutenir la sur-consommation de certains pays et secteurs.
172. Les
pays pauvres doivent avoir comme priorité l’éradication de la misère et le
développement social de leurs habitants ; bien qu’ils doivent analyser le
niveau de consommation scandaleux de certains secteurs privilégiés de leur
population et contrôler la corruption. Il est vrai aussi qu’ils doivent
développer des formes moins polluantes de production d’énergie, mais pour cela
ils doivent pouvoir compter sur l’aide des pays qui ont connu une forte
croissance au prix de la pollution actuelle de la planète. L’exploitation
directe de l’abondante énergie solaire demande que des mécanismes et des
subsides soient établis, de sorte que les pays en développement puissent
accéder au transfert de technologies, à l’assistance technique, et aux
ressources financières, mais toujours en faisant attention aux conditions
concrètes, puisque « on n’évalue pas toujours de manière adéquate la
compatibilité des infrastructures avec le contexte pour lequel elles ont été
conçues ».[128] Les
coûts seraient faibles si on les comparait aux risques du changement
climatique. De toute manière, c’est avant tout une décision éthique, fondée sur
la solidarité entre tous les peuples.
173. Étant
donnée la fragilité des instances locales, des accords internationaux sont
urgents, qui soient respectés pour intervenir de manière efficace. Les
relations entre les États doivent sauvegarder la souveraineté de chacun, mais
aussi établir des chemins consensuels pour éviter des catastrophes locales qui
finiraient par toucher tout le monde. Il manque de cadres régulateurs généraux
qui imposent des obligations, et qui empêchent des agissements intolérables,
comme le fait que certaines entreprises et certains pays puissants transfèrent
dans d’autres pays des déchets et des industries hautement polluants.
174. Mentionnons
aussi le système de gestion des océans. En effet, même s’il y a eu plusieurs
conventions internationales et régionales, l’éparpillement et l’absence de
mécanismes sévères de réglementation, de contrôle et de sanction finissent par
miner tous les efforts. Le problème croissant des déchets marins et de la
protection des zones marines au-delà des frontières nationales continue de
représenter un défi particulier. En définitive, il faut un accord sur les
régimes de gestion, pour toute la gamme de ce qu’on appelle les “biens communs
globaux”.
175. La
même logique qui entrave la prise de décisions drastiques pour inverser la
tendance au réchauffement global, ne permet pas non plus d’atteindre l’objectif
d’éradiquer la pauvreté. Il faut une réaction globale plus responsable, qui
implique en même temps la lutte pour la réduction de la pollution et le
développement des pays et des régions pauvres. Le XXIème siècle, alors qu’il
maintient un système de gouvernement propre aux époques passées, est le théâtre
d’un affaiblissement du pouvoir des États nationaux, surtout parce que la
dimension économique et financière, de caractère transnational, tend à
prédominer sur la politique. Dans ce contexte, la maturation d’institutions
internationales devient indispensable, qui doivent être plus fortes et
efficacement organisées, avec des autorités désignées équitablement par accord
entre les gouvernements nationaux, et dotées de pouvoir pour sanctionner. Comme
l’a affirmé Benoît XVI dans la ligne déjà développée par la doctrine sociale de
l’Eglise : « Pour le gouvernement de l’économie mondiale, pour assainir les
économies frappées par la crise, pour prévenir son aggravation et de plus
grands déséquilibres, pour procéder à un souhaitable désarmement intégral, pour
arriver à la sécurité alimentaire et à la paix, pour assurer la protection de
l’environnement et pour réguler les flux migratoires, il est urgent que soit
mise en place une véritable Autorité politique mondiale telle qu’elle a déjà
été esquissée par mon Prédécesseur, [saint] Jean XXIII».[129] Dans
cette perspective, la diplomatie acquiert une importance inédite, en vue de
promouvoir des stratégies internationales anticipant les problèmes plus graves
qui finissent par affecter chacun.
II.
LE DIALOGUE EN VUE DE NOUVELLES POLITIQUES NATIONALES ET LOCALES
176. Non
seulement il y a des gagnants et des perdants entre les pays, mais aussi entre
les pays pauvres, où diverses responsabilités doivent être identifiées. Pour
cela, les questions concernant l’environnement et le développement économique
ne peuvent plus se poser seulement à partir des différences entre pays, mais
demandent qu’on prête attention aux politiques nationales et locales.
177. Face
à la possibilité d’une utilisation irresponsable des capacités humaines,
planifier, coordonner, veiller, et sanctionner sont des fonctions impératives
de chaque État. Comment la société prépare-t-elle et protège-t-elle son avenir
dans un contexte de constantes innovations technologiques ? Le droit, qui
établit les règles des comportements acceptables à la lumière du bien commun,
est un facteur qui fonctionne comme un modérateur important. Les limites qu’une
société saine, mature et souveraine doit imposer sont liées à la prévision, à
la précaution, aux régulations adéquates, à la vigilance dans l’application des
normes, à la lutte contre la corruption, aux actions de contrôle opérationnel
sur les effets émergents non désirés des processus productifs, et à
l’intervention opportune face aux risques incertains ou potentiels. Il y a une
jurisprudence croissante visant à diminuer les effets polluants des activités
des entreprises. Mais le cadre politique et institutionnel n’est pas là
seulement pour éviter les mauvaises pratiques, mais aussi pour encourager les
bonnes pratiques, pour stimuler la créativité qui cherche de nouvelles voies,
pour faciliter les initiatives personnelles et collectives.
178. Le
drame de l’"immédiateté" politique, soutenue aussi par des
populations consuméristes, conduit à la nécessité de produire de la croissance
à court terme. Répondant à des intérêts électoraux, les gouvernements ne
prennent pas facilement le risque de mécontenter la population avec des mesures
qui peuvent affecter le niveau de consommation ou mettre en péril des
investissements étrangers. La myopie de la logique du pouvoir ralentit
l’intégration de l’agenda environnemental aux vues larges, dans l’agenda public
des gouvernements. On oublie ainsi que « le temps est supérieur à l’espace»,[130] que
nous sommes toujours plus féconds quand nous nous préoccupons plus d’élaborer
des processus que de nous emparer des espaces de pouvoir. La grandeur politique
se révèle quand, dans les moments difficiles, on œuvre pour les grands
principes et en pensant au bien commun à long terme. Il est très difficile pour
le pouvoir politique d’assumer ce devoir dans un projet de Nation.
179. En
certains lieux, se développent des coopératives pour l’exploitation d’énergies
renouvelables, qui permettent l’auto suffisance locale, et même la vente des
excédents. Ce simple exemple montre que l’instance locale peut faire la
différence alors que l’ordre mondial existant se révèle incapable de prendre
ses responsabilités. En effet, on peut à ce niveau susciter une plus grande
responsabilité, un fort sentiment communautaire, une capacité spéciale de
protection et une créativité plus généreuse, un amour profond pour sa terre ;
là aussi, on pense à ce qu’on laisse aux enfants et aux petits-enfants. Ces
valeurs ont un enracinement notable dans les populations aborigènes. Étant
donné que le droit se montre parfois insuffisant en raison de la corruption, il
faut que la décision politique soit incitée par la pression de la population.
La société, à travers des organismes non gouvernementaux et des associations
intermédiaires, doit obliger les gouvernements à développer des normes, des
procédures et des contrôles plus rigoureux. Si les citoyens ne contrôlent pas
le pouvoir politique – national, régional et municipal – un contrôle des
dommages sur l’environnement n’est pas possible non plus. D’autre part, les
législations des municipalités peuvent être plus efficaces s’il y a des accords
entre populations voisines pour soutenir les mêmes politiques
environnementales.
180. On
ne peut pas penser à des recettes uniformes, parce que chaque pays ou région a
des problèmes et des limites spécifiques. Il est aussi vrai que le réalisme
politique peut exiger des mesures et des technologies de transition, à
condition qu’elles soient toujours accompagnées par le projet et par
l’acceptation d’engagements progressifs contraignants. Mais, tant au niveau
national que local il reste beaucoup à faire, comme, par exemple, promouvoir
des formes d’économies d’énergie. Ceci implique de favoriser des modes de
production industrielle ayant une efficacité énergétique maximale et utilisant
moins de matière première, retirant du marché les produits peu efficaces du
point de vue énergétique, ou plus polluants. On peut aussi mentionner une bonne
gestion des transports, ou des formes de construction ou de réfection
d’édifices qui réduisent leur consommation énergétique et leur niveau de
pollution. D’autre part, l’action politique locale peut s’orienter vers la
modification de la consommation, le développement d’une économie des déchets et
du recyclage, la protection des espèces et la programmation d’une agriculture diversifiée
avec la rotation des cultures. Il est possible d’encourager l’amélioration
agricole de régions pauvres par les investissements dans des infrastructures
rurales, dans l’organisation du marché local ou national, dans des systèmes
d’irrigation, dans le développement de techniques agricoles durables. On peut
faciliter des formes de coopération ou d’organisation communautaire qui
défendent les intérêts des petits producteurs et préservent les écosystèmes
locaux de la déprédation. Il y a tant de choses que l’on peut faire !
181. La
continuité est indispensable parce que les politiques relatives au changement
climatique et à la sauvegarde de l’environnement ne peuvent pas changer chaque
fois que change un gouvernement. Les résultats demandent beaucoup de temps et
supposent des coûts immédiats, avec des effets qui ne seront pas visibles au
cours du mandat du gouvernement concerné. C’est pourquoi sans la pression de la
population et des institutions, il y aura toujours de la résistance à
intervenir, plus encore quand il y aura des urgences à affronter. Qu’un homme
politique assume ces responsabilités avec les coûts que cela implique, ne
répond pas à la logique d’efficacité et d’immédiateté de l’économie ni à celle
de la politique actuelle ; mais s’il ose le faire, cela le conduira à
reconnaître la dignité que Dieu lui a donnée comme homme, et il laissera dans
l’histoire un témoignage de généreuse responsabilité. Il faut accorder une
place prépondérante à une saine politique, capable de réformer les
institutions, de les coordonner et de les doter de meilleures pratiques qui
permettent de vaincre les pressions et les inerties vicieuses. Cependant, il
faut ajouter que les meilleurs mécanismes finissent par succomber quand
manquent les grandes finalités, les valeurs, une compréhension humaniste et
riche de sens qui donnent à chaque société une orientation noble et généreuse.
III.
DIALOGUE ET TRANSPARENCE DANS LES PROCESSUS DE PRISE DE DÉCISIONS
182. La
prévision de l’impact sur l’environnement des initiatives et des projets
requiert des processus politiques transparents et soumis au dialogue, alors que
la corruption, qui cache le véritable impact environnemental d’un projet en
échange de faveurs, conduit habituellement à des accords fallacieux au sujet
desquels on évite information et large débat.
183. Une étude de l’impact sur l’environnement ne devrait pas être postérieure à l’élaboration d’un projet de production ou d’une quelconque politique, plan ou programme à réaliser. Il faut qu’elle soit insérée dès le début, et élaborée de manière interdisciplinaire, transparente et indépendante de toute pression économique ou politique. Elle doit être en lien avec l’analyse des conditions de travail et l’analyse des effets possibles, entre autres, sur la santé physique et mentale des personnes, sur l’économie locale, sur la sécurité. Les résultats économiques pourront être ainsi déduits de manière plus réaliste, prenant en compte les scénarios possibles et prévoyant éventuellement la nécessité d’un plus grand investissement pour affronter les effets indésirables qui peuvent être corrigés. Il est toujours nécessaire d’arriver à un consensus entre les différents acteurs sociaux, qui peuvent offrir des points de vue, des solutions et des alternatives différents. Mais à la table de discussion, les habitants locaux doivent avoir une place privilégiée, eux qui se demandent ce qu’ils veulent pour eux et pour leurs enfants, et qui peuvent considérer les objectifs qui transcendent l’intérêt économique immédiat. Il faut cesser de penser en terme d’“interventions” sur l’environnement, pour élaborer des politiques conçues et discutées par toutes les parties intéressées. La participation requiert que tous soient convenablement informés sur les divers aspects ainsi que sur les différents risques et possibilités ; elle ne se limite pas à la décision initiale d’un projet, mais concerne aussi les actions de suivi et de surveillance constante. La sincérité et la vérité sont nécessaires dans les discussions scientifiques et politiques, qui ne doivent pas se limiter à considérer ce qui est permis ou non par la législation.
184. Quand
d’éventuels risques pour l’environnement, qui affectent le bien commun, présent
et futur, apparaissent, cette situation exige que « les décisions soient
fondées sur une confrontation entre les risques et les bénéfices envisageables
pour tout choix alternatif possible ».[131] Cela
vaut surtout si un projet peut entraîner un accroissement de l’utilisation des
ressources naturelles, des émissions ou des rejets, de la production de
déchets, ou une modification significative du paysage, de l’habitat des espèces
protégées, ou d’un espace public. Certains projets qui ne sont pas suffisamment
analysés peuvent affecter profondément la qualité de vie dans un milieu pour
des raisons très diverses, comme une pollution acoustique non prévue, la
réduction du champ visuel, la perte de valeurs culturelles, les effets de
l’utilisation de l’énergie nucléaire. La culture consumériste, qui donne
priorité au court terme et à l’intérêt privé, peut encourager des procédures
trop rapides ou permettre la dissimulation d’information.
185. Dans
toute discussion autour d’une initiative, une série de questions devrait se
poser en vue de discerner si elle offrira ou non un véritable développement
intégral : Pour quoi ? Par quoi ? Où ? Quand ? De quelle manière ? Pour qui ?
Quels sont les risques ? À quel coût ? Qui paiera les coûts et comment le
fera-t-il ? Dans ce discernement, certaines questions doivent avoir la
priorité. Par exemple, nous savons que l’eau est une ressource limitée et
indispensable, et y avoir accès est un droit fondamental qui conditionne
l’exercice des autres droits humains. Ceci est indubitable et conditionne toute
analyse de l’impact environnemental d’une région.
186. Dans
la Déclaration de Rio de 1992, il est affirmé : « En cas de risque de dommages
graves ou irréversibles, l’absence de certitude scientifique absolue ne doit
pas servir de prétexte pour remettre à plus tard l’adoption de mesures
effectives »[132] qui
empêcheraient la dégradation de l’environnement. Ce principe de précaution
permet la protection des plus faibles, qui disposent de peu de moyens pour se
défendre et pour apporter des preuves irréfutables. Si l’information objective
conduit à prévoir un dommage grave et irréversible, bien qu’il n’y ait pas de
preuve indiscutable, tout projet devra être arrêté ou modifié. Ainsi, on
inverse la charge de la preuve, puisque dans ce cas il faut apporter une
démonstration objective et indiscutable que l’activité proposée ne va pas
générer de graves dommages à l’environnement ou à ceux qui y habitent.
187. Cela
n’entraîne pas qu’il faille s’opposer à toute innovation technologique qui
permette d’améliorer la qualité de vie d’une population. Mais, dans tous les
cas, il doit toujours être bien établi que la rentabilité ne peut pas être l’unique
élément à prendre en compte et que, au moment où apparaissent de nouveaux
critères de jugement à partir de l’évolution de l’information, il devrait y
avoir une nouvelle évaluation avec la participation de toutes les parties
intéressées. Le résultat de la discussion pourrait être la décision de ne pas
avancer dans un projet, mais pourrait être aussi sa modification ou
l’élaboration de propositions alternatives.
188. Dans
certaines discussions sur des questions liées à l’environnement, il est
difficile de parvenir à un consensus. Encore une fois je répète que l’Église
n’a pas la prétention de juger des questions scientifiques ni de se substituer
à la politique, mais j’invite à un débat honnête et transparent, pour que les
besoins particuliers ou les idéologies n’affectent pas le bien commun.
IV.
POLITIQUE ET ÉCONOMIE EN DIALOGUE POUR LA PLÉNITUDE HUMAINE
189. La
politique ne doit pas se soumettre à l’économie et celle-ci ne doit pas se
soumettre aux diktats ni au paradigme d’efficacité de la technocratie.
Aujourd’hui, en pensant au bien commun, nous avons impérieusement besoin que la
politique et l’économie, en dialogue, se mettent résolument au service de la
vie, spécialement de la vie humaine. Sauver les banques à tout prix, en en
faisant payer le prix à la population, sans la ferme décision de revoir et de
réformer le système dans son ensemble, réaffirme une emprise absolue des
finances qui n’a pas d’avenir et qui pourra seulement générer de nouvelles
crises après une longue, couteuse et apparente guérison. La crise financière de
2007-2008 était une occasion pour le développement d’une nouvelle économie plus
attentive aux principes éthiques, et pour une nouvelle régulation de l’activité
financière spéculative et de la richesse fictive. Mais il n’y a pas eu de
réaction qui aurait conduit à repenser les critères obsolètes qui continuent à
régir le monde. La production n’est pas toujours rationnelle, et souvent elle
est liée à des variables économiques qui fixent pour les produits une valeur
qui ne correspond pas à leur valeur réelle. Cela conduit souvent à la
surproduction de certaines marchandises, avec un impact inutile sur
l’environnement qui, en même temps, porte préjudice à de nombreuses économies
régionales.[133] La
bulle financière est aussi, en général, une bulle productive. En définitive,
n’est pas affrontée avec énergie la question de l’économie réelle, qui permet
par exemple que la production se diversifie et s’améliore, que les entreprises
fonctionnent bien, que les petites et moyennes entreprises se développent et
créent des emplois.
190. Dans
ce contexte, il faut toujours se rappeler que « la protection de
l’environnement ne peut pas être assurée uniquement en fonction du calcul
financier des coûts et des bénéfices. L’environnement fait partie de ces biens
que les mécanismes du marché ne sont pas en mesure de défendre ou de promouvoir
de façon adéquate ».[134] Une
fois de plus, il faut éviter une conception magique du marché qui fait penser
que les problèmes se résoudront tout seuls par l’accroissement des bénéfices
des entreprises ou des individus. Est-il réaliste d’espérer que celui qui a
l’obsession du bénéfice maximum s’attarde à penser aux effets environnementaux
qu’il laissera aux prochaines générations ? Dans le schéma du gain il n’y a pas
de place pour penser aux rythmes de la nature, à ses périodes de dégradation et
de régénération, ni à la complexité des écosystèmes qui peuvent être gravement
altérés par l’intervention humaine. De plus, quand on parle de biodiversité, on
la conçoit au mieux comme une réserve de ressources économiques qui pourrait
être exploitée, mais on ne prend pas en compte sérieusement, entre autres, la
valeur réelle des choses, leur signification pour les personnes et les
cultures, les intérêts et les nécessités des pauvres.
191. Quand
on pose ces questions, certains réagissent en accusant les autres de prétendre
arrêter irrationnellement le progrès et le développement humain. Mais nous
devons nous convaincre que ralentir un rythme déterminé de production et de
consommation peut donner lieu à d’autres formes de progrès et de développement.
Les efforts pour une exploitation durable des ressources naturelles ne sont pas
une dépense inutile, mais un investissement qui pourra générer d’autres
bénéfices économiques à moyen terme. Si nous ne souffrons pas d’étroitesse de
vue, nous pouvons découvrir que la diversification d’une production plus
innovante, et ce avec un moindre impact sur l’environnement, peut être très
rentable. Il s’agit d’ouvrir le chemin à différentes opportunités qui
n’impliquent pas d’arrêter la créativité de l’homme et son rêve de progrès, mais
d’orienter cette énergie vers des voies nouvelles.
192. Par
exemple, un chemin de développement productif plus créatif et mieux orienté
pourrait corriger le fait qu’il y a un investissement technologique excessif
pour la consommation et faible pour résoudre les problèmes en suspens de
l’humanité ; il pourrait générer des formes intelligentes et rentables de
réutilisation, d’utilisation multifonctionnelle et de recyclage ; il pourrait
encore améliorer l’efficacité énergétique des villes. La diversification de la
production ouvre d’immenses possibilités à l’intelligence humaine pour créer et
innover, en même temps qu’elle protège l’environnement et crée plus d’emplois.
Ce serait une créativité capable de faire fleurir de nouveau la noblesse de
l’être humain, parce qu’il est plus digne d’utiliser l’intelligence, avec
audace et responsabilité, pour trouver des formes de développement durable et
équitable, dans le cadre d’une conception plus large de ce qu’est la qualité de
vie. Inversement, il est moins digne, il est superficiel et moins créatif de
continuer à créer des formes de pillage de la nature seulement pour offrir de
nouvelles possibilités de consommation et de gain immédiat.
193. De
toute manière, si dans certains cas le développement durable entraînera de
nouvelles formes de croissance, dans d’autres cas, face à l’accroissement
vorace et irresponsable produit durant de nombreuses décennies, il faudra
penser aussi à marquer une pause en mettant certaines limites raisonnables,
voire à retourner en arrière avant qu’il ne soit trop tard. Nous savons que le
comportement de ceux qui consomment et détruisent toujours davantage n’est pas
soutenable, tandis que d’autres ne peuvent pas vivre conformément à leur
dignité humaine. C’est pourquoi l’heure est venue d’accepter une certaine
décroissance dans quelques parties du monde, mettant à disposition des
ressources pour une saine croissance en d’autres parties. Benoît XVI affirmait
qu’« il est nécessaire que les sociétés technologiquement avancées soient
disposées à favoriser des comportements plus sobres, réduisant leurs propres
besoins d’énergie et améliorant les conditions de son utilisation ».[135]
194. Pour
que surgissent de nouveaux modèles de progrès nous devons « convertir le modèle
de développement global»,[136] ce
qui implique de réfléchir de manière responsable « sur le sens de l’économie et
de ses objectifs, pour en corriger les dysfonctionnements et les déséquilibres
».[137] Il
ne suffit pas de concilier, en un juste milieu, la protection de la nature et
le profit financier, ou la préservation de l’environnement et le progrès. Sur
ces questions, les justes milieux retardent seulement un peu l’effondrement. Il
s’agit simplement de redéfinir le progrès. Un développement technologique et
économique qui ne laisse pas un monde meilleur et une qualité de vie
intégralement supérieure ne peut pas être considéré comme un progrès. D’autre
part, la qualité réelle de vie des personnes diminue souvent – à cause de la
détérioration de l’environnement, de la mauvaise qualité des produits
alimentaires eux-mêmes ou de l’épuisement de certaines ressources – dans un
contexte de croissance économique. Dans ce cadre, le discours de la croissance
durable devient souvent un moyen de distraction et de justification qui enferme
les valeurs du discours écologique dans la logique des finances et de la
technocratie ; la responsabilité sociale et environnementale des entreprises se
réduit d’ordinaire à une série d’actions de marketing et d’image.
195. Le
principe de la maximalisation du gain, qui tend à s’isoler de toute autre
considération, est une distorsion conceptuelle de l’économie : si la production
augmente, il importe peu que cela se fasse au prix des ressources futures ou de
la santé de l’environnement ; si l’exploitation d’une forêt fait augmenter la
production, personne ne mesure dans ce calcul la perte qu’implique la
désertification du territoire, le dommage causé à la biodiversité ou
l’augmentation de la pollution. Cela veut dire que les entreprises obtiennent
des profits en calculant et en payant une part infime des coûts. Seul pourrait
être considéré comme éthique un comportement dans lequel « les coûts
économiques et sociaux dérivant de l’usage des ressources naturelles communes
soient établis de façon transparente et soient entièrement supportés par ceux
qui en jouissent et non par les autres populations ou par les générations
futures ».[138] La
rationalité instrumentale, qui fait seulement une analyse statique de la
réalité en fonction des nécessités du moment, est présente aussi bien quand
c’est le marché qui assigne les ressources, que lorsqu’un État planificateur le
fait.
196. Qu’en
est-il de la politique ? Rappelons le principe de subsidiarité qui donne la
liberté au développement des capacités présentes à tous les niveaux, mais qui
exige en même temps plus de responsabilité pour le bien commun de la part de
celui qui détient plus de pouvoir. Il est vrai qu’aujourd’hui certains secteurs
économiques exercent davantage de pouvoir que les États eux-mêmes. Mais on ne
peut pas justifier une économie sans politique, qui serait incapable de
promouvoir une autre logique qui régisse les divers aspects de la crise actuelle.
La logique qui ne permet pas d’envisager une préoccupation sincère pour
l’environnement est la même qui empêche de nourrir le souci d’intégrer les plus
fragiles, parce que « dans le modèle actuel de ‘succès’ et de ‘droit privé’, il
ne semble pas que cela ait un sens de s’investir pour que ceux qui restent en
arrière, les faibles ou les moins pourvus, puissent se faire un chemin dans la
vie ».[139]
197. Nous
avons besoin d’une politique aux vues larges, qui suive une approche globale en
intégrant dans un dialogue interdisciplinaire les divers aspects de la crise.
Souvent la politique elle-même est responsable de son propre discrédit, à cause
de la corruption et du manque de bonnes politiques publiques. Si l’État ne joue
pas son rôle dans une région, certains groupes économiques peuvent apparaître
comme des bienfaiteurs et s’approprier le pouvoir réel, se sentant autorisés à
ne pas respecter certaines normes, jusqu’à donner lieu à diverses formes de
criminalité organisée, de traite de personnes, de narcotrafic, et de violence,
très difficiles à éradiquer. Si la politique n’est pas capable de rompre une
logique perverse, et de plus reste enfermée dans des discours appauvris, nous
continuerons à ne pas faire face aux grands problèmes de l’humanité. Une
stratégie de changement réel exige de repenser la totalité des processus,
puisqu’il ne suffit pas d’inclure des considérations écologiques superficielles
pendant qu’on ne remet pas en cause la logique sous-jacente à la culture
actuelle. Une saine politique devrait être capable d’assumer ces défis.
198. La
politique et l’économie ont tendance à s’accuser mutuellement en ce qui
concerne la pauvreté et la dégradation de l’environnement. Mais il faut espérer
qu’elles reconnaîtront leurs propres erreurs et trouveront des formes
d’interaction orientées vers le bien commun. Pendant que les uns sont obnubilés
uniquement par le profit économique et que d’autres ont pour seule obsession la
conservation ou l’accroissement de leur pouvoir, ce que nous avons ce sont des
guerres, ou bien des accords fallacieux où préserver l’environnement et
protéger les plus faibles est ce qui intéresse le moins les deux parties. Là
aussi vaut le principe : « l’unité est supérieure au conflit ».[140]
V.
LES RELIGIONS DANS LE DIALOGUE AVEC LES SCIENCES
199. On
ne peut pas soutenir que les sciences empiriques expliquent complètement la
vie, la structure de toutes les créatures et la réalité dans son ensemble. Cela
serait outrepasser de façon indue leurs frontières méthodologiques limitées. Si
on réfléchit dans ce cadre fermé, la sensibilité esthétique, la poésie, et même
la capacité de la raison à percevoir le sens et la finalité des choses
disparaissent.[141] Je
veux rappeler que « les textes religieux classiques peuvent offrir une
signification pour toutes les époques, et ont une force de motivation qui ouvre
toujours de nouveaux horizons [...] Est-il raisonnable et intelligent de les
reléguer dans l’obscurité, seulement du fait qu’ils proviennent d’un contexte
de croyance religieuse ? ».[142] En
réalité, il est naïf de penser que les principes éthiques puissent se présenter
de manière purement abstraite, détachés de tout contexte, et le fait qu’ils
apparaissent dans un langage religieux ne les prive pas de toute valeur dans le
débat public. Les principes éthiques que la raison est capable de percevoir
peuvent réapparaître toujours de manière différente et être exprimés dans des
langages divers, y compris religieux.
200. D’autre
part, toute solution technique que les sciences prétendent apporter sera
incapable de résoudre les graves problèmes du monde si l’humanité perd le cap,
si l’on oublie les grandes motivations qui rendent possibles la cohabitation,
le sacrifice, la bonté. De toute façon, il faudra inviter les croyants à être
cohérents avec leur propre foi et à ne pas la contredire par leurs actions ; il
faudra leur demander de s’ouvrir de nouveau à la grâce de Dieu et de puiser au
plus profond de leurs propres convictions sur l’amour, la justice et la paix.
Si une mauvaise compréhension de nos propres principes nous a parfois conduits
à justifier le mauvais traitement de la nature, la domination despotique de
l’être humain sur la création, ou les guerres, l’injustice et la violence,
nous, les croyants, nous pouvons reconnaître que nous avons alors été infidèles
au trésor de sagesse que nous devions garder. Souvent les limites culturelles
des diverses époques ont conditionné cette conscience de leur propre héritage
éthique et spirituel, mais c’est précisément le retour à leurs sources qui
permet aux religions de mieux répondre aux nécessités actuelles.
201. La
majorité des habitants de la planète se déclare croyante, et cela devrait
inciter les religions à entrer dans un dialogue en vue de la sauvegarde de la
nature, de la défense des pauvres, de la construction de réseaux de respect et
de fraternité. Un dialogue entre les sciences elles-mêmes est aussi nécessaire
parce que chacune a l’habitude de s’enfermer dans les limites de son propre
langage, et la spécialisation a tendance à devenir isolement et absolutisation
du savoir de chacun. Cela empêche d’affronter convenablement les problèmes de
l’environnement. Un dialogue ouvert et respectueux devient aussi nécessaire
entre les différents mouvements écologistes, où les luttes idéologiques ne
manquent pas. La gravité de la crise écologique exige que tous nous pensions au
bien commun et avancions sur un chemin de dialogue qui demande patience, ascèse
et générosité, nous souvenant toujours que « la réalité est supérieure à l’idée
».[143]
EDUCATION ET SPIRITUALITE
ECOLOGIQUES
202. Beaucoup
de choses doivent être réorientées, mais avant tout l’humanité a besoin de
changer. La conscience d’une origine commune, d’une appartenance mutuelle et
d’un avenir partagé par tous, est nécessaire. Cette conscience fondamentale
permettrait le développement de nouvelles convictions, attitudes et formes de
vie. Ainsi un grand défi culturel, spirituel et éducatif, qui supposera de
longs processus de régénération, est mis en évidence.
I.
MISER SUR UN AUTRE STYLE DE VIE
203. Étant
donné que le marché tend à créer un mécanisme consumériste compulsif pour
placer ses produits, les personnes finissent par être submergées, dans une
spirale d’achats et de dépenses inutiles. Le consumérisme obsessif est le
reflet subjectif du paradigme techno-économique. Il arrive ce que Romano
Guardini signalait déjà : l’être humain « accepte les choses usuelles et les
formes de la vie telles qu’elles lui sont imposées par les plans rationnels et
les produits normalisés de la machine et, dans l’ensemble, il le fait avec
l’impression que tout cela est raisonnable et juste ».[144] Ce
paradigme fait croire à tous qu’ils sont libres, tant qu’ils ont une soi-disant
liberté pour consommer, alors que ceux qui ont en réalité la liberté, ce sont
ceux qui constituent la minorité en possession du pouvoir économique et
financier. Dans cette équivoque, l’humanité postmoderne n’a pas trouvé une
nouvelle conception d’elle-même qui puisse l’orienter, et ce manque d’identité
est vécu avec angoisse. Nous possédons trop de moyens pour des fins limitées et
rachitiques.
204. La situation actuelle du monde « engendre un sentiment de précarité et d’insécurité qui, à son tour, nourrit des formes d’égoïsme collectif ».[145] Quand les personnes deviennent autoréférentielles et s’isolent dans leur propre conscience, elles accroissent leur voracité. En effet, plus le cœur de la personne est vide, plus elle a besoin d’objets à acheter, à posséder et à consommer. Dans ce contexte, il ne semble pas possible qu’une personne accepte que la réalité lui fixe des limites. À cet horizon, un vrai bien commun n’existe pas non plus. Si c’est ce genre de sujet qui tend à prédominer dans une société, les normes seront seulement respectées dans la mesure où elles ne contredisent pas des besoins personnels. C’est pourquoi nous ne pensons pas seulement à l’éventualité de terribles phénomènes climatiques ou à de grands désastres naturels, mais aussi aux catastrophes dérivant de crises sociales, parce que l’obsession d’un style de vie consumériste ne pourra que provoquer violence et destruction réciproque, surtout quand seul un petit nombre peut se le permettre.
205. Cependant,
tout n’est pas perdu, parce que les êtres humains, capables de se dégrader à
l’extrême, peuvent aussi se surmonter, opter de nouveau pour le bien et se
régénérer, au-delà de tous les conditionnements mentaux et sociaux qu’on leur
impose. Ils sont capables de se regarder eux-mêmes avec honnêteté, de révéler
au grand jour leur propre dégoût et d’initier de nouveaux chemins vers la vraie
liberté. Il n’y a pas de systèmes qui annulent complètement l’ouverture au
bien, à la vérité et à la beauté, ni la capacité de réaction que Dieu continue
d’encourager du plus profond des cœurs humains. Je demande à chaque personne de
ce monde de ne pas oublier sa dignité que nul n’a le droit de lui enlever.
206. Un
changement dans les styles de vie pourrait réussir à exercer une pression saine
sur ceux qui détiennent le pouvoir politique, économique et social. C’est ce
qui arrive quand les mouvements de consommateurs obtiennent qu’on n’achète plus
certains produits, et deviennent ainsi efficaces pour modifier le comportement
des entreprises, en les forçant à considérer l’impact environnemental et les
modèles de production. C’est un fait, quand les habitudes de la société
affectent le gain des entreprises, celles-ci se trouvent contraintes à produire
autrement. Cela nous rappelle la responsabilité sociale des consommateurs : «
Acheter est non seulement un acte économique mais toujours aussi un acte moral
».[146] C’est
pourquoi, aujourd’hui « le thème de la dégradation environnementale met en
cause les comportements de chacun de nous ».[147]
207. La
Charte de la Terre nous invitait tous à tourner le dos à une étape
d’autodestruction et à prendre un nouveau départ, mais nous n’avons pas encore
développé une conscience universelle qui le rende possible. Voilà pourquoi
j’ose proposer de nouveau ce beau défi : “Comme jamais auparavant dans
l’histoire, notre destin commun nous invite à chercher un nouveau commencement
[...] Faisons en sorte que notre époque soit reconnue dans l’histoire comme
celle de l’éveil d’une nouvelle forme d’hommage à la vie, d’une ferme
résolution d’atteindre la durabilité, de l’accélération de la lutte pour la
justice et la paix et de l’heureuse célébration de la vie”.[148]
208. Il
est toujours possible de développer à nouveau la capacité de sortir de soi vers
l’autre. Sans elle, on ne reconnaît pas la valeur propre des autres créatures,
on ne se préoccupe pas de protéger quelque chose pour les autres, on n’a pas la
capacité de se fixer des limites pour éviter la souffrance ou la détérioration
de ce qui nous entoure. L’attitude fondamentale de se transcender, en rompant
avec l’isolement de la conscience et l’autoréférentialité, est la racine qui
permet toute attention aux autres et à l’environnement, et qui fait naître la
réaction morale de prendre en compte l’impact que chaque action et chaque
décision personnelle provoquent hors de soi-même. Quand nous sommes capables de
dépasser l’individualisme, un autre style de vie peut réellement se développer
et un changement important devient possible dans la société.
II.
ÉDUCATION POUR L’ALLIANCE ENTRE L’HUMANITÉ ET L’ENVIRONNEMENT
209. La
conscience de la gravité de la crise culturelle et écologique doit se traduire
par de nouvelles habitudes. Beaucoup savent que le progrès actuel, tout comme
la simple accumulation d’objets ou de plaisirs, ne suffit pas à donner un sens
ni de la joie au cœur humain, mais ils ne se sentent pas capables de renoncer à
ce que le marché leur offre. Dans les pays qui devraient réaliser les plus
grands changements d’habitudes de consommation, les jeunes ont une nouvelle
sensibilité écologique et un esprit généreux, et certains d’entre eux luttent
admirablement pour la défense de l’environnement ; mais ils ont grandi dans un
contexte de très grande consommation et de bien-être qui rend difficile le
développement d’autres habitudes. C’est pourquoi nous sommes devant un défi
éducatif.
210. L’éducation
environnementale a progressivement élargi le champ de ses objectifs. Si au
commencement elle était très axée sur l’information scientifique ainsi que sur
la sensibilisation et la prévention de risques environnementaux, à présent
cette éducation tend à inclure une critique des “mythes” de la modernité
(individualisme, progrès indéfini, concurrence, consumérisme, marché sans
règles), fondés sur la raison instrumentale ; elle tend également à s’étendre
aux différents niveaux de l’équilibre écologique : au niveau interne avec
soi-même, au niveau solidaire avec les autres, au niveau naturel avec tous les
êtres vivants, au niveau spirituel avec Dieu. L’éducation environnementale
devrait nous disposer à faire ce saut vers le Mystère, à partir duquel une
éthique écologique acquiert son sens le plus profond. Par ailleurs, des
éducateurs sont capables de repenser les itinéraires pédagogiques d’une éthique
écologique, de manière à faire grandir effectivement dans la solidarité, dans
la responsabilité et dans la protection fondée sur la compassion.
211. Cependant,
cette éducation ayant pour vocation de créer une “citoyenneté écologique” se
limite parfois à informer, et ne réussit pas à développer des habitudes.
L’existence de lois et de normes n’est pas suffisante à long terme pour limiter
les mauvais comportements, même si un contrôle effectif existe. Pour que la
norme juridique produise des effets importants et durables, il est nécessaire
que la plupart des membres de la société l’aient acceptée grâce à des motivations
appropriées, et réagissent à partir d’un changement personnel. C’est seulement
en cultivant de solides vertus que le don de soi dans un engagement écologique
est possible. Si une personne a l’habitude de se couvrir un peu au lieu
d’allumer le chauffage, alors que sa situation économique lui permettrait de
consommer et de dépenser plus, cela suppose qu’elle a intégré des convictions
et des sentiments favorables à la préservation de l’environnement. Accomplir le
devoir de sauvegarder la création par de petites actions quotidiennes est très
noble, et il est merveilleux que l’éducation soit capable de les susciter
jusqu’à en faire un style de vie. L’éducation à la responsabilité
environnementale peut encourager divers comportements qui ont une incidence directe
et importante sur la préservation de l’environnement tels que : éviter l’usage
de matière plastique et de papier, réduire la consommation d’eau, trier les
déchets, cuisiner seulement ce que l’on pourra raisonnablement manger, traiter
avec attention les autres êtres vivants, utiliser les transports publics ou
partager le même véhicule entre plusieurs personnes, planter des arbres,
éteindre les lumières inutiles. Tout cela fait partie d’une créativité
généreuse et digne, qui révèle le meilleur de l’être humain. Le fait de
réutiliser quelque chose au lieu de le jeter rapidement, parce qu’on est animé
par de profondes motivations, peut être un acte d’amour exprimant notre
dignité.
212. Il
ne faut pas penser que ces efforts ne vont pas changer le monde. Ces actions
répandent dans la société un bien qui produit toujours des fruits au-delà de ce
que l’on peut constater, parce qu’elles suscitent sur cette terre un bien qui
tend à se répandre toujours, parfois de façon invisible. En outre, le
développement de ces comportements nous redonne le sentiment de notre propre
dignité, il nous porte à une plus grande profondeur de vie, il nous permet de
faire l’expérience du fait qu’il vaut la peine de passer en ce monde.
213. Les
milieux éducatifs sont divers : l’école, la famille, les moyens de
communication, la catéchèse et autres. Une bonne éducation scolaire, dès le
plus jeune âge, sème des graines qui peuvent produire des effets tout au long
d’une vie. Mais je veux souligner l’importance centrale de la famille, parce
qu’« elle est le lieu où la vie, don de Dieu, peut être convenablement
accueillie et protégée contre les nombreuses attaques auxquelles elle est
exposée, le lieu où elle peut se développer suivant les exigences d’une
croissance humaine authentique. Contre ce qu’on appelle la culture de la mort,
la famille constitue le lieu de la culture de la vie ».[149] Dans
la famille, on cultive les premiers réflexes d’amour et de préservation de la
vie, comme par exemple l’utilisation correcte des choses, l’ordre et la
propreté, le respect pour l’écosystème local et la protection de tous les êtres
créés. La famille est le lieu de la formation intégrale, où se déroulent les
différents aspects, intimement reliés entre eux, de la maturation personnelle.
Dans la famille, on apprend à demander une permission avec respect, à dire
“merci” comme expression d’une juste évaluation des choses qu’on reçoit, à
dominer l’agressivité ou la voracité, et à demander pardon quand on cause un
dommage. Ces petits gestes de sincère courtoisie aident à construire une
culture de la vie partagée et du respect pour ce qui nous entoure.
214. Un
effort de sensibilisation de la population incombe à la politique et aux
diverses associations. À l’Église également. Toutes les communautés chrétiennes
ont un rôle important à jouer dans cette éducation. J’espère aussi que dans nos
séminaires et maisons religieuses de formation, on éduque à une austérité
responsable, à la contemplation reconnaissante du monde, à la protection de la
fragilité des pauvres et de l’environnement. Étant donné l’importance de ce qui
est en jeu, de même que des institutions dotées de pouvoir sont nécessaires
pour sanctionner les attaques à l’environnement, nous avons aussi besoin de
nous contrôler et de nous éduquer les uns les autres.
215. Dans
ce contexte, « il ne faut pas négliger la relation qui existe entre une
formation esthétique appropriée et la préservation de l’environnement».[150] Prêter
attention à la beauté, et l’aimer, nous aide à sortir du pragmatisme
utilitariste. Quand quelqu’un n’apprend pas à s’arrêter pour observer et pour
évaluer ce qui est beau, il n’est pas étonnant que tout devienne pour lui objet
d’usage et d’abus sans scrupule. En même temps, si l’on veut obtenir des
changements profonds, il faut garder présent à l’esprit que les paradigmes de
la pensée influent réellement sur les comportements. L’éducation sera
inefficace, et ses efforts seront vains, si elle n’essaie pas aussi de répandre
un nouveau paradigme concernant l’être humain, la vie, la société et la
relation avec la nature. Autrement, le paradigme consumériste, transmis par les
moyens de communication sociale et les engrenages efficaces du marché,
continuera de progresser.
216. La
grande richesse de la spiritualité chrétienne, générée par vingt siècles
d’expériences personnelles et communautaires, offre une belle contribution à la
tentative de renouveler l’humanité. Je veux proposer aux chrétiens quelques
lignes d’une spiritualité écologique qui trouvent leur origine dans des
convictions de notre foi, car ce que nous enseigne l’Évangile a des
conséquences sur notre façon de penser, de sentir et de vivre. Il ne s’agit pas
de parler tant d’idées, mais surtout de motivations qui naissent de la
spiritualité pour alimenter la passion de la préservation du monde. Il ne sera
pas possible, en effet, de s’engager dans de grandes choses seulement avec des
doctrines, sans une mystique qui nous anime, sans « les mobiles intérieurs qui
poussent, motivent, encouragent et donnent sens à l’action personnelle et
communautaire».[151] Nous
devons reconnaître que, nous les chrétiens, nous n’avons pas toujours recueilli
et développé les richesses que Dieu a données à l’Église, où la spiritualité
n’est déconnectée ni de notre propre corps, ni de la nature, ni des réalités de
ce monde ; la spiritualité se vit plutôt avec celles-ci et en elles, en
communion avec tout ce qui nous entoure.
217. S’il
est vrai que « les déserts extérieurs se multiplient dans notre monde, parce
que les déserts intérieurs sont devenus très grands »,[152] la
crise écologique est un appel à une profonde conversion intérieure. Mais nous
devons aussi reconnaître que certains chrétiens, engagés et qui prient, ont
l’habitude de se moquer des préoccupations pour l’environnement, avec l’excuse
du réalisme et du pragmatisme. D’autres sont passifs, ils ne se décident pas à
changer leurs habitudes et ils deviennent incohérents. Ils ont donc besoin
d’une conversion écologique, qui implique de laisser jaillir toutes les
conséquences de leur rencontre avec Jésus-Christ sur les relations avec le
monde qui les entoure. Vivre la vocation de protecteurs de l’œuvre de Dieu est
une part essentielle d’une existence vertueuse ; cela n’est pas quelque chose
d’optionnel ni un aspect secondaire dans l’expérience chrétienne.
218. Pour
proposer une relation saine avec la création comme dimension de la conversion
intégrale de la personne, souvenons-nous du modèle de saint François d’Assise.
Cela implique aussi de reconnaître ses propres erreurs, péchés, vices ou
négligences, et de se repentir de tout cœur, de changer intérieurement. Les
Évêques australiens ont su exprimer la conversion en termes de réconciliation
avec la création : « Pour réaliser cette réconciliation, nous devons examiner
nos vies et reconnaître de quelle façon nous offensons la création de Dieu par
nos actions et notre incapacité d’agir. Nous devons faire l’expérience d’une
conversion, d’un changement du cœur ».[153]
219. Cependant,
il ne suffit pas que chacun s’amende pour dénouer une situation aussi complexe
que celle qu’affronte le monde actuel. Les individus isolés peuvent perdre leur
capacité, ainsi que leur liberté pour surmonter la logique de la raison
instrumentale, et finir par être à la merci d’un consumérisme sans éthique et
sans dimension sociale ni environnementale. On répond aux problèmes sociaux par
des réseaux communautaires, non par la simple somme de biens individuels : «
Les exigences de cette œuvre seront si immenses que les possibilités de
l’initiative individuelle et la coopération d’hommes formés selon les principes
individualistes ne pourront y répondre. Seule une autre attitude provoquera
l’union des forces et l’unité de réalisation nécessaires ».[154] La
conversion écologique requise pour créer un dynamisme de changement durable est
aussi une conversion communautaire.
220. Cette
conversion suppose diverses attitudes qui se conjuguent pour promouvoir une
protection généreuse et pleine de tendresse. En premier lieu, elle implique
gratitude et gratuité, c’est-à-dire une reconnaissance du monde comme don reçu
de l’amour du Père, ce qui a pour conséquence des attitudes gratuites de
renoncement et des attitudes généreuses même si personne ne les voit ou ne les
reconnaît : « Que ta main gauche ignore ce que fait ta main droite [...] et ton
Père qui voit dans le secret, te le rendra » (Mt 6, 3-4). Cette conversion
implique aussi la conscience amoureuse de ne pas être déconnecté des autres
créatures, de former avec les autres êtres de l’univers une belle communion
universelle. Pour le croyant, le monde ne se contemple pas de l’extérieur mais
de l’intérieur, en reconnaissant les liens par lesquels le Père nous a unis à
tous les êtres. En outre, en faisant croître les capacités spécifiques que Dieu
lui a données, la conversion écologique conduit le croyant à développer sa
créativité et son enthousiasme, pour affronter les drames du monde en s’offrant
à Dieu « comme un sacrifice vivant, saint et agréable » (Bm 12, 1). Il ne
comprend pas sa supériorité comme motif de gloire personnelle ou de domination
irresponsable, mais comme une capacité différente, lui imposant à son tour une
grave responsabilité qui naît de sa foi.
221. Diverses
convictions de notre foi développées au début de cette Encyclique, aident à
enrichir le sens de cette conversion, comme la conscience que chaque créature
reflète quelque chose de Dieu et a un message à nous enseigner ; ou encore l’assurance
que le Christ a assumé en lui-même ce monde matériel et qu’à présent,
ressuscité, il habite au fond de chaque être, en l’entourant de son affection
comme en le pénétrant de sa lumière ; et aussi la conviction que Dieu a créé le
monde en y inscrivant un ordre et un dynamisme que l’être humain n’a pas le
droit d’ignorer. Quand on lit dans l’Évangile que Jésus parle des oiseaux, et
dit qu’ « aucun d’eux n’est oublié au regard de Dieu » (Lc 12, 6) : pourra-t-on
encore les maltraiter ou leur faire du mal ? J’invite tous les chrétiens à
expliciter cette dimension de leur conversion, en permettant que la force et la
lumière de la grâce reçue s’étendent aussi à leur relation avec les autres
créatures ainsi qu’avec le monde qui les entoure, et suscitent cette fraternité
sublime avec toute la création, que saint François d’Assise a vécue d’une
manière si lumineuse.
222. La spiritualité chrétienne propose une autre manière de comprendre la qualité de vie, et encourage un style de vie prophétique et contemplatif, capable d’aider à apprécier profondément les choses sans être obsédé par la consommation. Il est important d’assimiler un vieil enseignement, présent dans diverses traditions religieuses, et aussi dans la Bible. Il s’agit de la conviction que “moins est plus”. En effet, l’accumulation constante de possibilités de consommer distrait le cœur et empêche d’évaluer chaque chose et chaque moment. En revanche, le fait d’être sereinement présent à chaque réalité, aussi petite soit-elle, nous ouvre beaucoup plus de possibilités de compréhension et d’épanouissement personnel. La spiritualité chrétienne propose une croissance par la sobriété, et une capacité de jouir avec peu. C’est un retour à la simplicité qui nous permet de nous arrêter pour apprécier ce qui est petit, pour remercier des possibilités que la vie offre, sans nous attacher à ce que nous avons ni nous attrister de ce que nous ne possédons pas. Cela suppose d’éviter la dynamique de la domination et de la simple accumulation de plaisirs.
223. La
sobriété, qui est vécue avec liberté et de manière consciente, est libératrice.
Ce n’est pas moins de vie, ce n’est pas une basse intensité de vie mais tout le
contraire ; car, en réalité ceux qui jouissent plus et vivent mieux chaque
moment, sont ceux qui cessent de picorer ici et là en cherchant toujours ce
qu’ils n’ont pas, et qui font l’expérience de ce qu’est valoriser chaque
personne et chaque chose, en apprenant à entrer en contact et en sachant jouir
des choses les plus simples. Ils ont ainsi moins de besoins insatisfaits, et
sont moins fatigués et moins tourmentés. On peut vivre intensément avec peu,
surtout quand on est capable d’apprécier d’autres plaisirs et qu’on trouve
satisfaction dans les rencontres fraternelles, dans le service, dans le
déploiement de ses charismes, dans la musique et l’art, dans le contact avec la
nature, dans la prière. Le bonheur requiert de savoir limiter certains besoins
qui nous abrutissent, en nous rendant ainsi disponibles aux multiples
possibilités qu’offre la vie.
224. La
sobriété et l’humilité n’ont pas bénéficié d’un regard positif au cours du
siècle dernier. Mais quand l’exercice d’une vertu s’affaiblit d’une manière
généralisée dans la vie personnelle et sociale, cela finit par provoquer des
déséquilibres multiples, y compris des déséquilibres environnementaux. C’est
pourquoi, il ne suffit plus de parler seulement de l’intégrité des écosystèmes.
Il faut oser parler de l’intégrité de la vie humaine, de la nécessité
d’encourager et de conjuguer toutes les grandes valeurs. La disparition de
l’humilité chez un être humain, enthousiasmé malheureusement par la possibilité
de tout dominer sans aucune limite, ne peut que finir par porter préjudice à la
société et à l’environnement. Il n’est pas facile de développer cette saine
humilité ni une sobriété heureuse si nous nous rendons autonomes, si nous
excluons Dieu de notre vie et que notre moi prend sa place, si nous croyons que
c’est notre propre subjectivité qui détermine ce qui est bien ou ce qui est
mauvais.
225. Par
ailleurs, aucune personne ne peut mûrir dans une sobriété heureuse, sans être
en paix avec elle-même. La juste compréhension de la spiritualité consiste en
partie à amplifier ce que nous entendons par paix, qui est beaucoup plus que
l’absence de guerre. La paix intérieure des personnes tient, dans une large
mesure, de la préservation de l’écologie et du bien commun, parce que,
authentiquement vécue, elle se révèle dans un style de vie équilibré joint à
une capacité d’admiration qui mène à la profondeur de la vie. La nature est pleine
de mots d’amour, mais comment pourrons‑nous les écouter au milieu du bruit
constant, de la distraction permanente et anxieuse, ou du culte de l’apparence
? Beaucoup de personnes font l’expérience d’un profond déséquilibre qui les
pousse à faire les choses à toute vitesse pour se sentir occupées, dans une
hâte constante qui, à son tour, les amène à renverser tout ce qu’il y a autour
d’eux. Cela a un impact sur la manière dont on traite l’environnement. Une
écologie intégrale implique de consacrer un peu de temps à retrouver l’harmonie
sereine avec la création, à réfléchir sur notre style de vie et sur nos idéaux,
à contempler le Créateur, qui vit parmi nous et dans ce qui nous entoure, dont
la présence « ne doit pas être fabriquée, mais découverte, dévoilée».[155]
226. Nous
parlons d’une attitude du cœur, qui vit tout avec une attention sereine, qui
sait être pleinement présent à quelqu’un sans penser à ce qui vient après, qui
se livre à tout moment comme un don divin qui doit être pleinement vécu. Jésus
nous enseignait cette attitude quand il nous invitait à regarder les lys des
champs et les oiseaux du ciel, ou quand en présence d’un homme inquiet « il
fixa sur lui son regard et l’aima » (Mc 10, 21). Il était pleinement présent à
chaque être humain et à chaque créature, et il nous a ainsi montré un chemin
pour surmonter l’anxiété maladive qui nous rend superficiels, agressifs et
consommateurs effrénés.
227. S’arrêter
pour rendre grâce à Dieu avant et après les repas est une expression de cette
attitude. Je propose aux croyants de renouer avec cette belle habitude et de la
vivre en profondeur. Ce moment de la bénédiction, bien qu’il soit très bref,
nous rappelle notre dépendance de Dieu pour la vie, il fortifie notre sentiment
de gratitude pour les dons de la création, reconnaît ceux qui par leur travail
fournissent ces biens, et renforce la solidarité avec ceux qui sont le plus
dans le besoin.
228. La
préservation de la nature fait partie d’un style de vie qui implique une
capacité de cohabitation et de communion. Jésus nous a rappelé que nous avons
Dieu comme Père commun, ce qui fait de nous des frères. L’amour fraternel ne
peut être que gratuit, il ne peut jamais être une rétribution pour ce qu’un
autre réalise ni une avance pour ce que nous espérons qu’il fera. C’est
pourquoi, il est possible d’aimer les ennemis. Cette même gratuité nous amène à
aimer et à accepter le vent, le soleil ou les nuages, bien qu’ils ne se
soumettent pas à notre contrôle. Voilà pourquoi nous pouvons parler d’une
fraternité universelle.
229. Il
faut reprendre conscience que nous avons besoin les uns des autres, que nous
avons une responsabilité vis-à-vis des autres et du monde, que cela vaut la
peine d’être bons et honnêtes. Depuis trop longtemps déjà, nous sommes dans la
dégradation morale, en nous moquant de l’éthique, de la bonté, de la foi, de
l’honnêteté. L’heure est arrivée de réaliser que cette joyeuse superficialité
nous a peu servi. Cette destruction de tout fondement de la vie sociale finit
par nous opposer les uns aux autres, chacun cherchant à préserver ses propres
intérêts ; elle provoque l’émergence de nouvelles formes de violence et de
cruauté, et empêche le développement d’une vraie culture de protection de
l’environnement.
230. L’exemple
de sainte Thérèse de Lisieux nous invite à pratiquer la petite voie de l’amour,
à ne pas perdre l’occasion d’un mot aimable, d’un sourire, de n’importe quel
petit geste qui sème paix et amitié. Une écologie intégrale est aussi faite de
simples gestes quotidiens par lesquels nous rompons la logique de la violence,
de l’exploitation, de l’égoïsme. En attendant, le monde de la consommation
exacerbée est en même temps le monde du mauvais traitement de la vie sous
toutes ses formes.
231. L’amour,
fait de petits gestes d’attention mutuelle, est aussi civil et politique, et il
se manifeste dans toutes les actions qui essaient de construire un monde
meilleur. L’amour de la société et l’engagement pour le bien commun sont une
forme excellente de charité qui, non seulement concerne les relations entre les
individus mais aussi les « macro-relations: rapports sociaux, économiques,
politiques».[156] C’est
pourquoi, l’Église a proposé au monde l’idéal d’une « civilisation de l’amour
».[157] L’amour
social est la clef d’un développement authentique : « Pour rendre la société
plus humaine, plus digne de la personne, il faut revaloriser l’amour dans la
vie sociale — au niveau politique, économique, culturel —, en en faisant la
norme constante et suprême de l’action ».[158] Dans
ce cadre, joint à l’importance des petits gestes quotidiens, l’amour social
nous pousse à penser aux grandes stratégies à même d’arrêter efficacement la
dégradation de l’environnement et d’encourager une culture de protection qui
imprègne toute la société. Celui qui reconnaît l’appel de Dieu à agir de
concert avec les autres dans ces dynamiques sociales doit se rappeler que cela
fait partie de sa spiritualité, que c’est un exercice de la charité, et que, de
cette façon, il mûrit et il se sanctifie.
232. Tout
le monde n’est pas appelé à travailler directement en politique ; mais au sein
de la société germe une variété innombrable d’associations qui interviennent en
faveur du bien commun en préservant l’environnement naturel et urbain. Par
exemple, elles s’occupent d’un lieu public (un édifice, une fontaine, un
monument abandonné, un paysage, une place) pour protéger, pour assainir, pour
améliorer ou pour embellir quelque chose qui appartient à tous. Autour d’elles,
se développent ou se reforment des liens, et un nouveau tissu social local
surgit. Une communauté se libère ainsi de l’indifférence consumériste. Cela implique
la culture d’une identité commune, d’une histoire qui se conserve et se
transmet. De cette façon, le monde et la qualité de vie des plus pauvres sont
préservés, grâce à un sens solidaire qui est en même temps la conscience
d’habiter une maison commune que Dieu nous a prêtée. Ces actions
communautaires, quand elles expriment un amour qui se livre, peuvent devenir
des expériences spirituelles intenses.
VI.
LES SIGNES SACRAMENTAUX ET LE REPOS POUR CÉLÉBRER
233. L’univers
se déploie en Dieu, qui le remplit tout entier. Il y a donc une mystique dans
une feuille, dans un chemin, dans la rosée, dans le visage du pauvre. L’idéal
n’est pas seulement de passer de l’extérieur à l’intérieur pour découvrir
l’action de Dieu dans l’âme, mais aussi d’arriver à le trouver en toute chose[159],
comme l’enseignait saint Bonaventure : « La contemplation est d’autant plus
éminente que l’homme sent en lui-même l’effet de la grâce divine et qu’il sait
trouver Dieu dans les créatures extérieures ».[160]
234. Saint
Jean de la Croix enseignait que ce qu’il y a de bon dans les choses et dans les
expériences du monde « se rencontre[nt] en Dieu éminemment et à l’infini, ou
pour mieux dire, chacune de ces excellences est Dieu même, comme toutes ces
excellences réunies sont Dieu même »[161].
Non parce que les choses limitées du monde seraient réellement divines, mais
parce que le mystique fait l’expérience de la connexion intime qui existe entre
Dieu et tous les êtres, et ainsi « il sent que Dieu est toutes les choses »[162].
S’il admire la grandeur d’une montagne, il ne peut pas la séparer de Dieu, et
il perçoit que cette admiration intérieure qu’il vit doit reposer dans le
Seigneur : « Les montagnes sont élevées ; elles sont fertiles, spacieuses,
belles, gracieuses, fleuries et embaumées. Mon Bien-Aimé est pour moi ces
montagnes. Les vallons solitaires sont paisibles, agréables, frais et ombragés.
L’eau pure y coule en abondance. Ils charment et recréent les sens par leur
végétation variée et par les chants mélodieux des oiseaux qui les habitent. Ils
procurent la fraîcheur et le repos par la solitude et le silence qui y règnent.
Mon Bien-Aimé est pour moi ces valons ».[163]
235. Les
Sacrements sont un mode privilégié de la manière dont la nature est assumée par
Dieu et devient médiation de la vie surnaturelle. À travers le culte, nous
sommes invités à embrasser le monde à un niveau différent. L’eau, l’huile, le
feu et les couleurs sont assumés avec toute leur force symbolique et
s’incorporent à la louange. La main qui bénit est instrument de l’amour de Dieu
et reflet de la proximité de Jésus-Christ qui est venu nous accompagner sur le
chemin de la vie. L’eau qui se répand sur le corps de l’enfant baptisé est
signe de vie nouvelle. Nous ne nous évadons pas du monde, et nous ne nions pas
la nature quand nous voulons rencontrer Dieu. Cela peut se percevoir
particulièrement dans la spiritualité chrétienne orientale : « La beauté, qui
est l’un des termes privilégiés en Orient pour exprimer la divine harmonie et
le modèle de l’humanité transfigurée, se révèle partout : dans les formes du
sanctuaire, dans les sons, dans les couleurs, dans les lumières, dans les
parfums».[164] Selon
l’expérience chrétienne, toutes les créatures de l’univers matériel trouvent
leur vrai sens dans le Verbe incarné, parce que le Fils de Dieu a intégré dans
sa personne une partie de l’univers matériel, où il a introduit un germe de
transformation définitive : « Le christianisme ne refuse pas la matière, la
corporéité, qui est au contraire pleinement valorisée dans l’acte liturgique,
dans lequel le corps humain montre sa nature intime de temple de l’Esprit et
parvient à s’unir au Seigneur Jésus, lui aussi fait corps pour le salut du
monde ».[165]
236. Dans
l’Eucharistie, la création trouve sa plus grande élévation. La grâce, qui tend
à se manifester d’une manière sensible, atteint une expression extraordinaire
quand Dieu fait homme, se fait nourriture pour sa créature. Le Seigneur, au
sommet du mystère de l’Incarnation, a voulu rejoindre notre intimité à travers
un fragment de matière. Non d’en haut, mais de l’intérieur, pour que nous
puissions le rencontrer dans notre propre monde. Dans l’Eucharistie la
plénitude est déjà réalisée ; c’est le centre vital de l’univers, le foyer
débordant d’amour et de vie inépuisables. Uni au Fils incarné, présent dans
l’Eucharistie, tout le cosmos rend grâce à Dieu. En effet, l’Eucharistie est en
soi un acte d’amour cosmique : « Oui, cosmique! Car, même lorsqu’elle est
célébrée sur un petit autel d’une église de campagne, l’Eucharistie est
toujours célébrée, en un sens, sur l’autel du monde ».[166] L’Eucharistie
unit le ciel et la terre, elle embrasse et pénètre toute la création. Le monde
qui est issu des mains de Dieu, retourne à lui dans une joyeuse et pleine
adoration : dans le Pain eucharistique, « la création est tendue vers la
divinisation, vers les saintes noces, vers l’unification avec le Créateur
lui-même ».[167] C’est
pourquoi, l’Eucharistie est aussi source de lumière et de motivation pour nos
préoccupations concernant l’environnement, et elle nous invite à être gardiens
de toute la création.
237. Le
dimanche, la participation à l’Eucharistie a une importance spéciale. Ce jour,
comme le sabbat juif, est offert comme le jour de la purification des relations
de l’être humain avec Dieu, avec lui-même, avec les autres et avec le monde. Le
dimanche est le jour de la résurrection, le “premier jour” de la nouvelle
création, dont les prémices sont l’humanité ressuscitée du Seigneur, gage de la
transfiguration finale de toute la réalité créée. En outre, ce jour annonce «
le repos éternel de l’homme en Dieu »[168].
De cette façon, la spiritualité chrétienne intègre la valeur du loisir et de la
fête. L’être humain tend à réduire le repos contemplatif au domaine de
l’improductif ou de l’inutile, en oubliant qu’ainsi il retire à l’œuvre qu’il
réalise le plus important : son sens. Nous sommes appelés à inclure dans notre
agir une dimension réceptive et gratuite, qui est différente d’une simple inactivité.
Il s’agit d’une autre manière d’agir qui fait partie de notre essence. Ainsi,
l’action humaine est préservée non seulement de l’activisme vide, mais aussi de
la passion vorace et de l’isolement de la conscience qui amène à poursuivre
uniquement le bénéfice personnel. La loi du repos hebdomadaire imposait de
chômer le septième jour « afin que se reposent ton bœuf et ton âne et que
reprennent souffle le fils de ta servante ainsi que l’étranger » (Ex 23, 12).
En effet, le repos est un élargissement du regard qui permet de reconnaître à
nouveau les droits des autres. Ainsi, le jour du repos, dont l’Eucharistie est
le centre, répand sa lumière sur la semaine tout entière et il nous pousse à
intérioriser la protection de la nature et des pauvres.
VII.
LA TRINITÉ ET LA RELATION ENTRE LES CRÉATURES
238. Le
Père est l’ultime source de tout, fondement aimant et communicatif de tout ce
qui existe. Le Fils, qui le reflète, et par qui tout a été créé, s’est uni à
cette terre quand il a été formé dans le sein de Marie. L’Esprit, lien infini
d’amour, est intimement présent au cœur de l’univers en l’animant et en
suscitant de nouveaux chemins. Le monde a été créé par les trois Personnes
comme un unique principe divin, mais chacune d’elles réalise cette œuvre
commune selon ses propriétés personnelles. C’est pourquoi « lorsque [...] nous
contemplons avec admiration l’univers dans sa grandeur et sa beauté, nous
devons louer la Trinité tout entière ».[169]
239. Pour
les chrétiens, croire en un Dieu qui est un et communion trinitaire, incite à
penser que toute la réalité contient en son sein une marque proprement
trinitaire. Saint Bonaventure en est arrivé à affirmer que, avant le péché,
l’être humain pouvait découvrir comment chaque créature « atteste que Dieu est
trine ». Le reflet de la Trinité pouvait se reconnaître dans la nature « quand
ce livre n’était pas obscur pour l’homme et que le regard de l’homme n’avait
pas été troublé ».[170] Le
saint franciscain nous enseigne que toute créature porte en soi une structure
proprement trinitaire, si réelle qu’elle pourrait être spontanément contemplée
si le regard de l’être humain n’était pas limité, obscur et fragile. Il nous
indique ainsi le défi d’essayer de lire la réalité avec une clé trinitaire.
240. Les
Personnes divines sont des relations subsistantes, et le monde, créé selon le
modèle divin, est un tissu de relations. Les créatures tendent vers Dieu, et
c’est le propre de tout être vivant de tendre à son tour vers autre chose, de
telle manière qu’au sein de l’univers nous pouvons trouver d’innombrables
relations constantes qui s’entrelacent secrètement[171].
Cela nous invite non seulement à admirer les connexions multiples qui existent
entre les créatures, mais encore à découvrir une clé de notre propre
épanouissement. En effet, plus la personne humaine grandit, plus elle mûrit et
plus elle se sanctifie à mesure qu’elle entre en relation, quand elle sort
d’elle-même pour vivre en communion avec Dieu, avec les autres et avec toutes
les créatures. Elle assume ainsi dans sa propre existence ce dynamisme
trinitaire que Dieu a imprimé en elle depuis sa création. Tout est lié, et cela
nous invite à mûrir une spiritualité de la solidarité globale qui jaillit du
mystère de la Trinité.
VIII.
LA REINE DE TOUTE LA CRÉATION
241. Marie,
la Mère qui a pris soin de Jésus, prend soin désormais de ce monde blessé, avec
affection et douleur maternelles. Comme, le cœur transpercé, elle a pleuré la
mort de Jésus, maintenant elle compatit à la souffrance des pauvres crucifiés
et des créatures de ce monde saccagées par le pouvoir humain. Totalement
transfigurée, elle vit avec Jésus, et toutes les créatures chantent sa beauté.
Elle est la Femme « enveloppée de soleil, la lune est sous ses pieds, et douze
étoiles couronnent sa tête » (Ap 12, 1). Élevée au ciel, elle est Mère et Reine
de toute la création. Dans son corps glorifié, avec le Christ ressuscité, une
partie de la création a atteint toute la plénitude de sa propre beauté. Non
seulement elle garde dans son cœur toute la vie de Jésus qu’elle conservait
fidèlement (cf. Lc 2, 51.51), mais elle comprend aussi maintenant le sens de
toutes choses. C’est pourquoi, nous pouvons lui demander de nous aider à
regarder ce monde avec des yeux plus avisés.
242. A
côté d’elle, dans la Sainte Famille de Nazareth, se détache la figure de saint
Joseph. Il a pris soin de Marie et de Jésus ; il les a défendus par son travail
et par sa généreuse présence, et il les a libérés de la violence des injustes
en les conduisant en Égypte. Dans l’Évangile, il apparaît comme un homme juste,
travailleur, fort. Mais de sa figure, émane aussi une grande tendresse, qui
n’est pas le propre des faibles, mais le propre de ceux qui sont vraiment
forts, attentifs à la réalité pour aimer et pour servir humblement. Voilà
pourquoi il a été déclaré protecteur de l’Église universelle. Il peut aussi
nous enseigner à protéger, il peut nous motiver à travailler avec générosité et
tendresse pour prendre soin de ce monde que Dieu nous a confié.
243. A
la fin, nous nous trouverons face à face avec la beauté infinie de Dieu (cf. 1
Co 13, 12) et nous pourrons lire, avec une heureuse admiration, le mystère de
l’univers qui participera avec nous à la plénitude sans fin. Oui, nous
voyageons vers le sabbat de l’éternité, vers la nouvelle Jérusalem, vers la
maison commune du ciel. Jésus nous dit : « Voici, je fais l’univers nouveau »
(Ap 21, 5). La vie éternelle sera un émerveillement partagé, où chaque
créature, transformée d’une manière lumineuse, occupera sa place et aura
quelque chose à apporter aux pauvres définitivement libérés.
244. Entre-temps,
nous nous unissons pour prendre en charge cette maison qui nous a été confiée,
en sachant que tout ce qui est bon en elle sera assumé dans la fête céleste.
Ensemble, avec toutes les créatures, nous marchons sur cette terre en cherchant
Dieu, parce que « si le monde a un principe et a été créé, il cherche celui qui
l’a créé, il cherche celui qui lui a donné un commencement, celui qui est son
Créateur ».[172] Marchons
en chantant ! Que nos luttes et notre préoccupation pour cette planète ne nous
enlèvent pas la joie de l’espérance.
245. Dieu
qui nous appelle à un engagement généreux, et à tout donner, nous offre les
forces ainsi que la lumière dont nous avons besoin pour aller de l’avant. Au
cœur de ce monde, le Seigneur de la vie qui nous aime tant, continue d’être
présent. Il ne nous abandonne pas, il ne nous laisse pas seuls, parce qu’il
s’est définitivement uni à notre terre, et son amour nous porte toujours à
trouver de nouveaux chemins. Loué soit-il.
***
246. Après
cette longue réflexion, à la fois joyeuse et dramatique, je propose deux
prières : l’une que nous pourrons partager, nous tous qui croyons en un Dieu
Créateur Tout-Puissant ; et l’autre pour que nous, chrétiens, nous sachions
assumer les engagements que nous propose l’Évangile de Jésus, en faveur de la
création.
Dieu Tout-Puissant
qui es présent dans tout
l’univers
et dans la plus petite de
tes créatures,
Toi qui entoures de ta
tendresse tout ce qui existe,
répands sur nous la force
de ton amour pour que
nous protégions la vie et
la beauté.
Inonde-nous de paix, pour
que nous vivions
comme frères et sœurs
sans causer de dommages à
personne.
Ô Dieu des pauvres,
aide-nous à secourir les
abandonnés
et les oubliés de cette
terre
qui valent tant à tes
yeux.
Guéris nos vies,
pour que nous soyons des
protecteurs du monde
et non des prédateurs,
pour que nous semions la
beauté
et non la pollution ni la
destruction.
Touche les cœurs
de ceux qui cherchent
seulement des profits
aux dépens de la terre et
des pauvres.
Apprends-nous à découvrir
la valeur de chaque
chose,
à contempler,
émerveillés,
à reconnaître que nous
sommes profondément unis
à toutes les créatures
sur notre chemin vers ta
lumière infinie.
Merci parce que tu es
avec nous tous les jours.
Soutiens-nous, nous t’en
prions,
dans notre lutte pour la
justice, l’amour et la paix.
Prière
chrétienne avec la création
Nous te louons, Père,
avec toutes tes créatures,
qui sont sorties de ta
main puissante.
Elles sont tiennes, et
sont remplies de ta présence
comme de ta tendresse.
Loué sois-tu.
Fils de Dieu, Jésus,
toutes choses ont été
créées par toi.
Tu t’es formé dans le
sein maternel de Marie,
tu as fait partie de
cette terre,
et tu as regardé ce monde
avec des yeux humains.
Aujourd’hui tu es vivant
en chaque créature
avec ta gloire de
ressuscité.
Loué sois-tu.
Esprit-Saint, qui par ta
lumière
orientes ce monde vers
l’amour du Père
et accompagnes le
gémissement de la création,
tu vis aussi dans nos
cœurs
pour nous inciter au
bien.
Loué sois-tu.
Ô Dieu, Un et Trine,
communauté sublime
d’amour infini,
apprends-nous à te
contempler
dans la beauté de
l’univers,
où tout nous parle de
toi.
Éveille notre louange et
notre gratitude
pour chaque être que tu
as créé.
Donne-nous la grâce
de nous sentir intimement
unis à tout ce qui existe.
Dieu d’amour, montre-nous
notre place dans ce monde
comme instruments de ton
affection
pour tous les êtres de
cette terre,
parce qu’aucun n’est
oublié de toi.
Illumine les détenteurs
du pouvoir et de l’argent
pour qu’ils se gardent du
péché de l’indifférence,
aiment le bien commun,
promeuvent les faibles,
et prennent soin de ce
monde que nous habitons.
Les pauvres et la terre
implorent :
Seigneur, saisis-nous
par ta puissance et ta
lumière
pour protéger toute vie,
pour préparer un avenir
meilleur,
pour que vienne
ton Règne de justice, de
paix, d’amour et de beauté.
Loué sois-tu.
Amen.
Donné à Rome, près de
Saint-Pierre, le 24 mai 2015, solennité de Pentecôte, en la troisième année de
mon Pontificat.
Franciscus
[1] François
d’Assise, Cantique des créatures. SC 285, p. 343-345.
[2] Lett.
apost. Octogesima
adveniens (14 mai 1971), n. 21 : AAS 63 (1971), 416-417.
[3] Discours
à l’occasion du 25ème anniversaire de la FAO (16 novembre 1970),
n. 4 : AAS 62 (1970), 833.
[4] Lett.
enc. Redemptor
hominis (4 mars 1979), n. 15 : AAS 71 (1979), 287.
[5] Cf. Catéchèse
(17 janvier 2001), n. 4 : Insegnamenti 24/1 (2001), 179 ; L´Osservatore
Romano, éd. française (par la suite ORf) (23 janvier 2001), n. 4, p. 12.
[6] Lett.
enc. Centesimus
annus (1er mai 1991), n. 38 : AAS 83 (1991), 841.
[7] Ibid.,
n. 58 : p. 863.
[8] Jean-Paul
II, Lett. enc. Sollicitudo
rei socialis (30 décembre 1987), n. 34 : AAS 80 (1988), 559.
[9] Cf.
Id., Lett. enc. Centesimus
annus (1er mai 1991), n. 37 : AAS 83 (1991), 840.
[10] Discours
au Corps Diplomatique accrédité près le Saint-Siège, (8 janvier 2007) :
AAS 99 (2007), n. 73.
[11] Lett.
enc. Caritas
in veritate (29 juin 2009), n. 51 : AAS 101 (2009), 687.
[12] Discours
au Deutscher Bundestag,
Berlin (22 septembre 2011) : AAS 103 (2011), 664.
[13] Discours
au clergé du Diocèse de Bolzano-Bressanone (6
août 2008) : AAS 100 (2008), 634.
[14] Message pour la Journée de prière pour la sauvegarde de la création (1er septembre 2012).
[15] Discours
à Santa Barbara, California (8 novembre 1997) ; cf. John Chryssavgis, On Earth
as in Heaven: Ecological Vision and Iniciatives of Ecumenical Patriarch
Bartholomew, Bronx, New York, 2012.
[16] Ibid.
[17] Conférence
au Monastère d’Utstein, Norvège (23 juin 2003).
[18] Discours
au I er Sommet de Halki : «Global Responsibility and Ecological
Sustainability: Closing Remarks», Istanbul (20 juin 2012).
[19] Thomas
de Celano, Vita prima de saint François, XXIX, 81 : FF 460.
[20] Legenda
Maior, VIII, 6 : FF 1145.
[21] Cf.
Thomas de Celano, Vita Secunda de saint François, CXXIV, 165 : FF 750.
[22] Conférence
des évêques catholiques d'Afrique du Sud, Pastoral Statement on the
Environmental Crisis (5 septembre 1999).
[23] Cf. Salut
au personnel de la FAO (20 novembre 2014) : AAS 106 (2014), 985.
[24] Vème
Conférence générale de l'épiscopat latino-américain et des Caraïbes, Document
d’Aparecida (29 juin 2007), n. 86.
[25] Conférence
des évêques catholiques des Philippines, Lettre pastorale What is Happening to
our Beautiful Land? (29 janvier 1988).
[26] Conférence
épiscopale bolivienne, Lettre pastorale sur l’environnement et le
développement humain en Bolivie El universo, don de Dios para la vida (2012),
17.
[27] Cf.
Conférence épiscopale allemande : Commission pour les affaires
sociales, Der Klimawandel: Brennpunkt globaler, intergenerationeller und
ökologischer Gerechtigkeit (septembre 2006), 28-30.
[28] Conseil
Pontifical «Justice et Paix », Compendium
de la Doctrine Sociale de l’Église, n. 483.
[29] Catéchèse
(5 juin 2013) : Insegnamenti 1/1 (2013), 280 ; ORf (5 juin 2013), n.
23, p. 3.
[30] Évêques
de la région de Patagonie-Comahue (Argentine), Mensaje de Navidad (décembre
2009), 2.
[31] Conférence
des évêques catholiques des États-Unis d'Amérique, Global Climate Change: A
Plea for Dialogue, Prudence and the Common Good (15 juin 2001).
[32] Vème
Conférence générale de l'épiscopat latino-américain et des Caraïbes, Document d’Aparecida
(29 juin 2007), 471.
[33] Exhort.
apost. Evangelii
gaudium (24 novembre 2013), n. 56 : AAS 105 (2013), 1043.
[34] Jean-Paul
II, Message
pour la Journée Mondiale de la Paix 1990, n. 12 : AAS 82 (1990), 154.
[35] Id., Catéchèse
(17 janvier 2001), 3 : Insegnamenti 24/1 (2001) ; ORf (23 janvier 2001) n.
4, p. 12.
[36] Jean-Paul
II, Message
pour la Journée Mondiale de la Paix 1990, n. 15 : AAS 82 (1990), 156.
[37] Catéchisme
de l’Église Catholique, n. 357.
[38] Cf.
Angelus à Osnabrück (Allemagne) avec des personnes vivant des situations de
handicap (16 novembre 1980) : Insegnamenti 3/2 (1980), 1232 ; ORf (18
novembre 1980), n. 47, p. 3.
[39] Benoît
XVI, Homélie
de la messe inaugurale du ministère pétrinien (24 avril 2005) : AAS 97
(2005), 711.
[40] Cf.
Legenda Maior, VIII, 1 : FF 1134.
[41] Catéchisme
de l’Église Catholique, n. 2416.
[42] Conférence
épiscopale allemande, Zukunft der Schöpfung – Zukunft der Menschheit. Erklärung
der Deutschen Bischofskonferen.Z .Zu Fragen der Umwelt und der
Energieversorgung (1980), II, 2.
[43] Catéchisme
de l’Église Catholique, n. 339.
[44] Hom.
in Hexaemeron, 1, 2, 10 : PG 29, 9.
[45] La
Divine Comédie. Paradis, Chant XXXIII, 145.
[46] Benoît
XVI, Catéchèse
(9 novembre 2005) : Insegnamenti 1 (2005) , 768.
[47] Id.,
Lett. enc. Caritas
in veritate (29 juin 2009), n. 51 : AAS 101 (2009), 687.
[48] Jean-Paul
II, Catéchèse (24 avril 1991), 6 : Insegnamenti 14/1 (1991), 856.
[49] Le
Catéchisme explique que Dieu a voulu créer un monde en route vers sa perfection
ultime, et que ceci implique la présence de l’imperfection et du mal physique :
cf. Catéchisme de l’Eglise Catholique, n. 310.
[50] Cf. Conc. Œcum. Vat. II, Const. past. Gaudium et spes, sur l’Église dans le monde de ce temps, n. 36.
[51] Thomas
d’Aquin, Somme théologique I, q. 104, art. 1, ad 4.
[52] Id.,
In octo libros Physicorum Aristotelis expositio, lib II, lectio 14.
[53] L’apport
de P. Teilhard de Chardin se situe dans cette perspective ; cf. Paul VI,
Discours dans un établissement de chimie pharmaceutique (24 février 1966) :
Insegnamenti 4 (1966), 992-993 ; Jean-Paul II, Lettre au Révérend P. George V.
Coyne (1er juin 1988) : Insegnamenti 11/2 (1988), 1715 ; Benoît XVI, Homélie
pour la célébration des Vêpres à Aoste (24 juillet 2009) :
Insegnamenti 5/2 (2009), 60.
[54] Jean-Paul
II, Catéchèse
(30 janvier 2002), n. 6 : Insegnamenti 25/1 (2002), 140.
[55] Conférence
des évêques catholiques du Canada : Commission des affaires
sociales, Lettre pastorale sur l’Impératif écologique chrétien (4
octobre 2003), 1.
[56] Conférence
des évêques du Japon, Reverence for Life. A Message for the Twenty-First
Century (janvier 2001), n. 89.
[57] Jean-Paul
II, Catéchèse
(26 janvier 2000), n. 5 : Insegnamenti 23/1 (2000), 123.
[58] Id., Catéchèse
(2 août 2000), n. 3 : Insegnamenti 23/2 (2000), 112.
[59] Paul
Ricœur, Philosophie de la volonté : Finitude et culpabilité, Paris 2009, p.
216.
[60] Somme
Théologique I, q. 47, art. 1.
[61] Ibid.
[62] Cf. Ibid.,
art. 2, ad. 1 ; art 3.
[63] Catéchisme
de l’Église Catholique, n. 340.
[64] Cantique
des créatures, SC 285, p. 343.
[65] Cf.
Conférence nationale des évêques du Brésil, A Igreja e a questáo
ecológica, 1992, 53-54.
[66] Ibid.,
61.
[67] Exhort.
apost. Evangelii
gaudium (24 novembre 2013), n. 215 : AAS 105 (2013), 1109.
[68] Cf.
Benoît XVI, Lett. enc. Caritas
in veritate (29 juin 2009), n. 14 : AAS 101 (2009), 650.
[69] Catéchisme
de l’Église Catholique, n. 2418.
[70] Conférence
de l’Épiscopat de la République Dominicaine, Carta pastoral sobre la relación
del hombre con la naturaleza, (21 janvier 1987).
[71] Jean-Paul
II, Lett. enc. Laborem
exercens (14 septembre 1981), n. 19 : AAS 73 (1981), 626.
[72] Lett.
enc. Centesimus
annus (1er mai 1991), n. 31 : AAS 83 (1991), 831.
[73] Lett.
enc. Sollicitudo
rei socialis (30 décembre 1987), n. 33 : AAS 80 (1988), 557.
[74] Discours
aux indigènes et paysans du Mexique, Cuilapán (29 janvier 1979), n. 6 : AAS
71 (1979), 209.
[75] Homélie
de la messe pour les agriculteurs à Recife, Brésil (7 juillet 1980), n. 4 : AAS
72 (1980), 926.
[76] Cf. Message
pour la Journée Mondiale de la Paix 1990, n. 8 : AAS 82 (1990), 152.
[77] Conférence
épiscopale paraguayenne, Lettre pastorale El campesino paraguayo y la
tierra (12 juin 1983), n. 2, 4, d.
[78] Conférence
épiscopale de Nouvelle Zélande, Statement on Environmental Issues, Wellington
(1er septembre 2006).
[79] Lett.
enc. Laborem
exercens (14 sep. 1981), n. 27 : AAS 73 (1981), 645.
[80] Pour cette raison saint Justin a pu parlé de « semences du Verbe » dans le monde : cf. II Apologia 8, 1-2 ; 13, 3-6 : PG 6, 457-458 ; 467.
[81] Jean-Paul
II, Discours aux représentants des hommes de la science, de la culture et des
hautes études à l’Université des Nations-Unies, Hiroshima (25 février 1981), n.
3 : AAS 73 (1981), 422.
[82] Benoît
XVI, Lett. enc. Caritas
in veritate (29 juin 2009), n. 69 : AAS 101 (2009), 702.
[83] Romano
Guardini, Das Ende der Neuzeit, Würzburg 91965, p. 87 (édition française : La
fin des temps modernes, Paris 1952, p. 92, par la suite éd. fr.).
[84] Ibid.,
(éd. fr. : p. 92).
[85] Ibid.,
p. 87-88 (éd. fr. : p. 93).
[86] Conseil
Pontifical « Justice et Paix », Compendium
de la Doctrine sociale de l’Église, n. 462.
[87] Romano
Guardini, Das Ende der Neuzeit, p. 63-64 (éd. fr. : La fin des temps modernes,
p. 68).
[88] Ibid.,
(éd. fr. : p. 68).
[89] Cf.
Benoît XVI, Lett. enc. Caritas
in veritate (29 juin 2009), n. 35 : AAS 101 (2009), 671.
[90] Ibid.,
n. 22 : p. 657.
[91] Exhort.
apost. Evangelii gauúum (24 novembre 2013), n. 231 : AAS 105 (2013), 1114.
[92] Romano
Guardini, Das Ende der Neuzeit, p. 63 (éd. fr. : La fin des temps modernes, p.
68).
[93] Jean-Paul
II, Lett. enc. Centesimus
annus (1er mai 1991), n. 38 : AAS 83 (1991), 841.
[94] Cf. Déclaration
Love for creation. An Asian Response to the Ecological Crisis, Colloque
organisé par la Fédération des Conférences Épiscopales d’Asie, Tagaytay (31
janvier – 5 février 1993), 3.3.2.
[95] Jean-Paul
II, Lett. enc. Centesimus
annus (1er mai 1991), n. 37 : AAS 83 (1991), 840.
[96] Benoît
XVI, Message
pour la Journée Mondiale de la Paix 2010, n. 2 : AAS 102 (2010), 41.
[97] Id.,
Lett. enc. Caritas
in veritate (29 juin 2009), n. 28 : AAS 101 (2009), 663.
[98] Cf.
Vincent de Lerins, Commonitorium primumm, chap. 23 : PL 50, 668 : « Ut annis
scilicet consolidetur, dilatetur tempore, sublimetur aetate ».
[99] N.
80 : AAS 105 (2013), 1053.
[100] Conc.
Œcuménique Vat. II, Const. past. Gaudium
et spes, sur l’Église dans le monde de ce temps, n. 63.
[101] Cf.
Jean-Paul II, Lett. enc. Centesimus
annus (1er mai 1991), n. 37 : AAS 83 (1991), 840.
[102] Paul
VI, Lett. enc. Populorum
progressio (26 mars 1967), n. 34 : AAS 59 (1967), 274.
[103] Benoît XVI,
Lett. enc. Caritas
in veritate (29 juin 2009), n. 32 : AAS 101 (2009), 666.
[104] Ibid.
[105] Ibid.
[106] Catéchisme
de l’Église Catholique, n. 2417.
[107] Ibid.,
n. 2418.
[108] Ibid.,
n. 2415.
[109] Message
pour la Journée Mondiale de la Paix 1990, n. 6 : AAS 82 (1990), 150.
[110] Discours
à l’Académie Pontificale des Sciences (3 octobre 1981), n. 3 : Insegnamenti
4/2 (1981), 333.
[111] Message
pour la Journée Mondiale de la Paix 1990, n. 7 : AAS 82 (1990), 151.
[112] Jean-Paul
II, Discours
à la 35ème Assemblée Générale de l’Association Médicale Mondiale (29
octobre 1983), n. 6 : AAS 76 (1984), 394.
[113] Conférence
épiscopale d’Argentine : Commission de Pastorale sociale, Una tierra
para todos (juin 2005), 19.
[114] Déclaration
de Rio sur l’environnement et le développement (14 juin 1992), Principe 4.
[115] Exhort.
apost. Evangelii
gaudium (24 novembre 2013), n. 237 : AAS 105 (2013), 1116.
[116] Benoît
XVI, Lett. enc. Caritas
in veritate (29 juin 2009), n. 51 : AAS 101 (2009), 687.
[117] Certains
auteurs ont montré les valeurs qui souvent se vivent, par exemple dans les
“villas”, bidonvilles ou favelas de l’Amérique Latine : cf. Juan Carlos
Scannone, La irrupción del pobre y la logica de la gratuidad, dans : Juan
Carlos Scannone y Marcelo Perine (edd.), Irrupción del pobre y
quehacer filosófico. Hacia una nueva racionalidad, Buenos Aires 1993, p.
225-230.
[118] Conseil
Pontifical « Justice et Paix », Compendium
de la Doctrine Sociale de l’Eglise, n. 482.
[119] Exhort.
apost. Evangelii
gaudium (24 novembre 2013), n. 210 : AAS 105 (2013), 1107.
[120] Discours
au Deutscher Bundestag, Berlin (22 septembre 2011) : AAS 103 (2011), 668.
[121] Catéchèse
(15 avril 2015) : ORf (16 avril 2015), n. 16, p. 2.
[122] Conc.
Œcum. Vat. II, Const. past. Gaudium et Spes, sur l’Église dans le monde de
ce temps, n. 26.
[123] Cf.
n. 186-201 : AAS 105 (2013), 1098-1105.
[124] Conférence
épiscopale portugaise, Lettre pastorale Responsabilidade solidária pelo
bem comum (15 septembre 2003), 20.
[125] Benoît
XVI, Message
pour la Journée Mondiale de la Paix 2010, n. 8 : AAS 102 (2010), 45.
[126] Déclaration
de Rio sur l’environnement et le développement (14 juin 1992), Principe 1.
[127] Conférence
des évêques de Bolivie, Lettre pastorale sur l’environnement et le
développement humain en Bolivie El universo, don de Dios para la vida (2012),
86.
[128] Conseil
Pontifical « Justice et Paix », Energia, justicia y paz, n. IV, 1, Cité du
Vatican (2013), p. 57.
[129] Benoît
XVI, Lett. Enc. Caritas
in veritate (29 juin 2009), n. 67 : AAS 101 (2009), 700.
[130] Exhort.
apost. Evangelii
gaudium (24 novembre 2013), n. 222 : AAS 105 (2013), 1111.
[131] Conseil pontifical
« Justice et Paix », Compendium
de la Doctrine Sociale de l’Eglise, n. 469.
[132] Déclaration
de Rio sur l’environnement et le âveloppement (14 juin 1992), Principe 15.
[133] Cf.
Conférence de l'Épiscopat mexicain : Coommission de la Pastorale sociale,
Jesucristo, vida y esperanza de los indígenas y campesinos (14 janvier 2008).
[134] CConseil pontifical
« Justice et Paix », Compendium
de la Doctrine Sociale de l’Eglise, n. 470
[135] Message
pour la Journée Mondiale de la Paix 2010, n. 9 : AAS 102 (2010), 46.
[136] Ibid.
[137] Ibid.,
n. 5 : p. 43.
[138] Benoît
XVI, Lett. enc. Caritas
in veritate (29 juin 2009), n. 50 : AAS 101 (2009), 686.
[139] Exhort.
apost. Evangelii
gaudium (24 novembre 2013), n. 209 : AAS 105 (2013), 1107.
[140] Ibid.,
n. 228 : p. 1113.
[141] Cf.
Lett. enc. Lumen
fidei (29 juin 2013), n. 34 : AAS 105 (2013), 577 : « La lumière de la
foi, dans la mesure où elle est unie à la vérité de l’amour, n’est pas
étrangère au monde matériel, car l’amour se vit toujours corps et âme ; la
lumière de la foi est une lumière incarnée, qui procède de la vie lumineuse de
Jésus. Elle éclaire aussi la matière, se fie à son ordre, reconnaît qu’en elle
s’ouvre un chemin d’harmonie et de compréhension toujours plus large. Le regard
de la science tire ainsi profit de la foi : cela invite le chercheur à rester
ouvert à la réalité, dans toute sa richesse inépuisable. La foi réveille le
sens critique dans la mesure où elle empêche la recherche de se complaire dans
ses formules et l’aide à comprendre que la nature est toujours plus grande. En
invitant à l’émerveillement devant le mystère du créé, la foi élargit les
horizons de la raison pour mieux éclairer le monde qui s’ouvre à la recherche
scientifique ».
[142] Exhort.
apost. Evangelii
gaudium (24 novembre 2013), n. 256 : AAS 105 (2013), 1123.
[143] Ibid.,
n. 231: p. 1114.
[144] Romano
Guardini, Das Ende der Neuzeit, Würzburg 91965, p. 66-67 (éd. fr. : La fin des
temps modernes, Paris 1952, p. 71-72).
[145] Jean-Paul
II, Message
pour la Journée Mondiale de la Paix 1990, n. 1 : AAS 82 (1990), 147.
[146] Benoît
XVI, Lett. enc. Caritas
in veritate (29 juin 2009), n. 66 : AAS 101 (2009), 699.
[147] Id., Message
pour la Journée Mondiale de la Paix 2010, n. 11 : AAS 102 (2010), 48.
[148] La
Charte de la Terre, La Haye (29 juin 2000).
[149] Jean-Paul
II, Lett. enc. Centesimus
annus (1er mai 1991), n. 39 : AAS 83 (1991), 842.
[150] Id., Message
pour la Journée Mondiale de la Paix 1990, n. 14 : AAS 82 (1990), 155.
[151] Exhort.
apost. Evangelii
gaudium (24 novembre 2013), n. 261 : AAS 105 (2013), 1124.
[152] Benoît
XVI, Homélie
pour l’inauguration solennelle du ministère pétrinien (24 avril 2005) :
AAS 97 (2005), 710.
[153] Conférence
des évêques catholiques d’Australie, A New Earth – The Environmental Challenge,
Canberra (2002).
[154] Romano
Guardini, Das Ende der Neuzeit, p. 72 (éd. fr. : p. 77).
[155] Exhort.
apost. Evangelii
gaudium (24 novembre 2013), n. 71 : AAS 105 (2013), 1050.
[156] Benoît
XVI, Lett. enc. Caritas
in veritate (29 juin 2009), n. 2 : AAS 101 (2009), 642.
[157] Paul
VI, Message
pour la Journée Mondiale de la Paix 1977 : AAS 68 (1976), 709.
[158] Conseil
Pontifical « JustiCe et Paix », Compendium
de la Doctrine Sociale de l’Eglise, n. 582.
[159] Un
maître spirituel, Alî al-Khawwâç, à partir de sa propre expérience, soulignait
aussi la nécessité de ne pas trop séparer les créatures du monde de
l’expérience intérieure de Dieu. Il affirmait : « Il ne faut donc pas blâmer de
parti pris les gens de chercher l’extase dans la musique et la poésie. Il y a
un “secret” subtil dans chacun des mouvements et des sons de ce monde. Les
initiés arrivent à saisir ce que disent le vent qui souffle, les arbres qui se
penchent, l’eau qui coule, les mouches qui bourdonnent, les portes qui
grincent, le chant des oiseaux, le pincement des cordes, les sifflement de la
flûte, le soupir des malades, le gémissement de l’affligé.... », Eva De
Vitray-Meyerovitch [éd.], Anthologie du soufisme, Paris 1978, p. 200.
[160] In
II Sent., 23, 2, 3.
[161] Cantique
spirituel, XIV-XV, 5 (Œuvres complètes, Paris 1990, p. 409-410).
[162] Ibid.
[163] Ibid.,
XIV, 6-7 (p. 410).
[164] Jean-Paul
II, Lett. apost. Orientale
lumen (2 mai 1995), n. 11 : AAS 87 (1995), 757.
[165] Ibid.
[166] Lett.
enc. Ecclesia
de Eucharistia (17 avril 2003), n. 8 : AAS 95 (2003), 438.
[167] Benoît
XVI, Homélie
à l’occasion de la Messe du Corpus Domini (15 juin 2006) : AAS 98
(2006), 513.
[168] Cf.
Catéchisme de l’Eglise catholique, n. 2175.
[169] Jean-Paul
II, Catéchèse
(2 août 2000), n. 4 : Insegnamenti 23/2 (2000), 112.
[170] Quaest.
disp. de Myst. Trinitatis, 1, 2, concl.
[171] Cf.
Thomas D’Aquin, Summa Theologiae I, q. 11, art. 3 ; q. 21, art. 1, ad 3 ; q.
47, art. 3.
[172] Basilio
Magno, Hom. in Hexaemeron, 1, 2, 6: PG 29, 8.
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