jeudi 12 décembre 2013

BENOÎT XVI : SPE SALVI / Sur l'Espérance chrétienne - SPE SALVI / Saved in Hope


Giotto  (1266–1337), Allegorie delle Virtù: Spes (Speranza, Hope, Espérance), 1306, 120 x 60, Scrovegni Chapel


LETTRE ENCYCLIQUE
SPE SALVI
DU SOUVERAIN PONTIFE
BENOÎT XVI
AUX ÉVÊQUES
AUX PRÊTRES ET AUX DIACRES
AUX PERSONNES CONSACRÉES
ET À TOUS LES FIDÈLES LAÏCS
SUR L'ESPÉRANCE CHRÉTIENNE


Introduction

1. « SPE SALVI facti sumus » – dans l'espérance nous avons été sauvés, dit saint Paul aux Romains et à nous aussi (Rm 8, 24). Selon la foi chrétienne, la « rédemption », le salut n'est pas un simple donné de fait. La rédemption nous est offerte en ce sens que nous a été donnée l'espérance, une espérance fiable, en vertu de laquelle nous pouvons affronter notre présent: le présent, même un présent pénible, peut être vécu et accepté s'il conduit vers un terme et si nous pouvons être sûrs de ce terme, si ce terme est si grand qu'il peut justifier les efforts du chemin. Maintenant, une question s'impose immédiatement: mais de quel genre d'espérance s'agit-il pour pouvoir justifier l'affirmation selon laquelle, à partir d'elle, et simplement parce qu'elle existe, nous sommes rachetés? Et de quel genre de certitude est-il question?

La foi est espérance

2. Avant de nous consacrer à ces questions, aujourd'hui particulièrement fréquentes, nous devons écouter encore un peu plus attentivement le témoignage de la Bible sur l'espérance. De fait « espérance » est un mot central de la foi biblique – au point que, dans certains passages, les mots « foi » et « espérance » semblent interchangeables. Ainsi, la Lettre aux Hébreux lie étroitement à la « plénitude de la foi » (10, 22) « l'indéfectible profession de l'espérance » (10, 23). De même, lorsque la Première Épître de Pierre exhorte les chrétiens à être toujours prêts à rendre une réponse à propos du logos – le sens et la raison – de leur espérance (cf. 3, 15), « espérance » est équivalent de « foi ». Ce qui a été déterminant pour la conscience des premiers chrétiens, à savoir le fait d'avoir reçu comme don une espérance crédible, se manifeste aussi là où est mise en regard l'existence chrétienne avec la vie avant la foi, ou avec la situation des membres des autres religions. Paul rappelle aux Éphésiens que, avant leur rencontre avec le Christ, ils étaient « sans espérance et sans Dieu dans le monde » (cf. Ep 2, 12). Naturellement, il sait qu'ils avaient eu des dieux, qu'ils avaient eu une religion, mais leurs dieux s'étaient révélés discutables et, de leurs mythes contradictoires, n'émanait aucune espérance. Malgré les dieux, ils étaient « sans Dieu » et, par conséquent, ils se trouvaient dans un monde obscur, devant un avenir sombre. « In nihil ab nihilo quam cito recidimus » (Du néant dans le néant, combien rapidement nous retombons),[1] dit une épitaphe de l'époque – paroles dans lesquelles apparaît sans ambiguïté ce à quoi Paul fait référence. C'est dans le même sens qu'il dit aux Thessaloniciens: vous ne devez pas être « abattus comme les autres, qui n'ont pas d'espérance » (1 Th 4, 13). Ici aussi, apparaît comme élément caractéristique des chrétiens le fait qu'ils ont un avenir: ce n'est pas qu'ils sachent dans les détails ce qui les attend, mais ils savent de manière générale que leur vie ne finit pas dans le néant. C'est seulement lorsque l'avenir est assuré en tant que réalité positive que le présent devient aussi vivable. Ainsi, nous pouvons maintenant dire: le christianisme n'était pas seulement une « bonne nouvelle » – la communication d'un contenu jusqu'à présent ignoré. Dans notre langage, nous dirions: le message chrétien n'était pas seulement « informatif », mais « performatif ». Cela signifie que l'Évangile n'est pas uniquement une communication d'éléments que l'on peut connaître, mais une communication qui produit des faits et qui change la vie. La porte obscure du temps, de l'avenir, a été ouverte toute grande. Celui qui a l'espérance vit différemment; une vie nouvelle lui a déjà été donnée.

3. Maintenant se pose la question suivante: en quoi consiste cette espérance qui, comme espérance, est « rédemption »? En fait: le cœur même de la réponse est donné dans le passage de la Lettre aux Éphésiens cité précédemment: avant leur rencontre avec le Christ, les Éphésiens étaient sans espérance, parce qu'ils étaient « sans Dieu dans le monde ». Parvenir à la connaissance de Dieu, le vrai Dieu, cela signifie recevoir l'espérance. Pour nous qui vivons depuis toujours avec le concept chrétien de Dieu et qui nous y sommes habitués, la possession de l'espérance, qui provient de la rencontre réelle avec ce Dieu, n'est presque plus perceptible. L'exemple d'une sainte de notre temps peut en quelque manière nous aider à comprendre ce que signifie rencontrer ce Dieu, pour la première fois et réellement. Je pense à l'Africaine Joséphine Bakhita, canonisée par le Pape Jean-Paul II. Elle était née vers 1869 – elle ne savait pas elle-même la date exacte – dans le Darfour, au Soudan. À l'âge de neuf ans, elle fut enlevée par des trafiquants d'esclaves, battue jusqu'au sang et vendue cinq fois sur des marchés soudanais. En dernier lieu, comme esclave, elle se retrouva au service de la mère et de la femme d'un général, et elle fut chaque jour battue jusqu'au sang; il en résulta qu'elle en garda pour toute sa vie 144 cicatrices. Enfin, en 1882, elle fut vendue à un marchand italien pour le consul italien Callisto Legnani qui, face à l'avancée des mahdistes, revint en Italie. Là, après avoir été jusqu'à ce moment la propriété de « maîtres » aussi terribles, Bakhita connut un « Maître » totalement différent – dans le dialecte vénitien, qu'elle avait alors appris, elle appelait « Paron » le Dieu vivant, le Dieu de Jésus Christ.

Jusqu'alors, elle n'avait connu que des maîtres qui la méprisaient et qui la maltraitaient, ou qui, dans le meilleur des cas, la considéraient comme une esclave utile. Cependant, à présent, elle entendait dire qu'il existait un « Paron » au-dessus de tous les maîtres, le Seigneur des seigneurs, et que ce Seigneur était bon, la bonté en personne. Elle apprit que ce Seigneur la connaissait, elle aussi, qu'il l'avait créée, elle aussi – plus encore qu'il l'aimait. Elle aussi était aimée, et précisément par le « Paron » suprême, face auquel tous les autres maîtres ne sont, eux-mêmes, que de misérables serviteurs. Elle était connue et aimée, et elle était attendue. Plus encore, ce Maître avait lui-même personnellement dû affronter le destin d'être battu et maintenant il l'attendait « à la droite de Dieu le Père ». Désormais, elle avait une « espérance » – non seulement la petite espérance de trouver des maîtres moins cruels, mais la grande espérance: je suis définitivement aimée et quel que soit ce qui m'arrive, je suis attendue par cet Amour. Et ainsi ma vie est bonne. Par la connaissance de cette espérance, elle était « rachetée », elle ne se sentait plus une esclave, mais une fille de Dieu libre. Elle comprenait ce que Paul entendait lorsqu'il rappelait aux Éphésiens qu'avant ils étaient sans espérance et sans Dieu dans le monde – sans espérance parce que sans Dieu. Aussi, lorsqu'on voulut la renvoyer au Soudan, Bakhita refusa-t-elle; elle n'était pas disposée à être de nouveau séparée de son « Paron ». Le 9 janvier 1890, elle fut baptisée et confirmée, et elle fit sa première communion des mains du Patriarche de Venise. Le 8 décembre 1896, à Vérone, elle prononça ses vœux dans la Congrégation des Sœurs canossiennes et, dès lors – en plus de ses travaux à la sacristie et à la porterie du couvent –, elle chercha surtout dans ses différents voyages en Italie à appeler à la mission: la libération qu'elle avait obtenue à travers la rencontre avec le Dieu de Jésus Christ, elle se sentait le devoir de l'étendre, elle devait la donner aussi aux autres, au plus grand nombre de personnes possible. L'espérance, qui était née pour elle et qui l'avait « rachetée », elle ne pouvait pas la garder pour elle; cette espérance devait rejoindre beaucoup de personnes, elle devait rejoindre tout le monde.

Le concept d'espérance fondée sur la foi, dans le Nouveau Testament et dans l'Église primitive

4. Avant d'affronter la question de savoir si la rencontre avec le Dieu qui, dans le Christ, nous a montré son Visage et qui a ouvert son Cœur peut être aussi pour nous non seulement de type « informatif », mais aussi « performatif », à savoir si elle peut transformer notre vie de manière que nous nous sentions rachetés par l'espérance que cette rencontre exprime, revenons encore à l'Église primitive. Il n'est pas difficile de se rendre compte que l'expérience de la petite esclave africaine Bakhita a été aussi l'expérience de nombreuses personnes battues et condamnées à l'esclavage à l'époque du christianisme naissant. Le christianisme n'avait pas apporté un message social révolutionnaire comme celui de Spartacus, qui, dans des luttes sanglantes, avait échoué. Jésus n'était pas Spartacus, il n'était pas un combattant pour une libération politique, comme Barabbas ou Bar-Khoba. Ce que Jésus, personnellement mort sur la croix, avait apporté était quelque chose de totalement différent: la rencontre avec le Seigneur de tous les seigneurs, la rencontre avec le Dieu vivant, et ainsi la rencontre avec l'espérance qui était plus forte que les souffrances de l'esclavage et qui, de ce fait, transformait de l'intérieur la vie et le monde. Ce qui était advenu de nouveau apparaît avec une plus grande évidence dans la Lettre de saint Paul à Philémon. Il s'agit d'une lettre très personnelle, que Paul écrit dans sa prison et qu'il confie à l'esclave fugitif Onésime pour son maître – Philémon précisément. Oui, Paul renvoie l'esclave à son maître, de chez qui il avait fui, et il le fait non pas en ordonnant, mais en priant: « J'ai quelque chose à te demander pour mon enfant à qui, dans ma prison, j'ai donné la vie du Christ... Je te le renvoie, lui qui est une part de moi-même... S'il a été éloigné de toi pendant quelque temps, c'est peut-être pour que tu le retrouves définitivement, non plus comme un esclave, mais, bien mieux qu'un esclave, comme un frère bien-aimé » (Phm 10-16). Les hommes qui, selon leur condition sociale, ont entre eux des relations de maîtres et d'esclaves, en tant que membres de l'unique Église, sont devenus frères et sœurs les uns des autres – c'est ainsi que les chrétiens se nomment les uns les autres. En vertu du Baptême, ils avaient été régénérés, ils s'étaient abreuvés du même Esprit et ils recevaient ensemble, côte à côte, le Corps du Seigneur. Même si les structures extérieures demeuraient identiques, cela changeait la société, de l'intérieur. Si la Lettre aux Hébreux dit que les chrétiens n'ont pas ici-bas une demeure stable, mais qu'ils cherchent la demeure future (cf. He 11, 13-16: Ph 3, 20), cela est tout autre qu'un simple renvoi à une perspective future: la société présente est considérée par les chrétiens comme une société imparfaite; ils appartiennent à une société nouvelle, vers laquelle ils sont en chemin et qui, dans leur pèlerinage, est déjà anticipée.

5. Nous devons ajouter encore un autre point de vue. La Première Lettre aux Corinthiens (1, 18-31) nous montre qu'une bonne part des premiers chrétiens appartenaient aux couches sociales basses et, précisément pour cela, étaient disposés à faire l'expérience de la nouvelle espérance, comme nous l'avons vu dans l'exemple de Bakhita. Cependant, depuis les origines, il y avait aussi des conversions dans les couches aristocratiques et cultivées, puisqu'elles vivaient, elles aussi, « sans espérance et sans Dieu dans le monde ». Le mythe avait perdu sa crédibilité; la religion d'État romaine s'était sclérosée en un simple cérémonial, qui était exécuté scrupuleusement, mais qui était désormais réduit à une simple « religion politique ». Le rationalisme philosophique avait cantonné les dieux dans le champ de l'irréel. Le Divin était vu sous différentes formes dans les forces cosmiques, mais un Dieu que l'on puisse prier n'existait pas. Paul illustre de manière particulièrement appropriée la problématique essentielle de la religion d'alors, lorsqu'il oppose à la vie « selon le Christ » une vie sous la seigneurie des « éléments du cosmos » (cf. Col 2, 8). Dans cette perspective, un texte de saint Grégoire de Nazianze peut être éclairant. Il dit que le moment où les mages, guidés par l'étoile, adorèrent le nouveau roi, le Christ, marqua la fin de l'astrologie, parce que désormais les étoiles tournaient selon l'orbite déterminée par le Christ.[2] De fait, dans cette scène, est inversée la conception du monde d'alors qui, sous une forme différente, est en vogue encore aujourd'hui. Ce ne sont pas les éléments du cosmos, les lois de la matière qui, en définitive, gouvernent le monde et l'homme, mais c'est un Dieu personnel qui gouverne les étoiles, à savoir l'univers; ce ne sont pas les lois de la matière et de l'évolution qui sont l'instance ultime, mais la raison, la volonté, l'amour – une Personne. Et si nous connaissons cette Personne et si elle nous connaît, alors vraiment l'inexorable pouvoir des éléments matériels n'est plus l'instance ultime; alors nous ne sommes plus esclaves de l'univers et de ses lois, alors nous sommes libres. Dans l'antiquité, une telle conscience a déterminé les esprits sincères qui étaient en recherche. Le ciel n'est pas vide. La vie n'est pas un simple produit des lois et des causalités de la matière, mais, en tout, et en même temps au-dessus de tout, il y a une volonté personnelle, il y a un Esprit qui, en Jésus, s'est révélé comme Amour.[3]

6. Les sarcophages des débuts du christianisme illustraient de manière visible cette conception devant la mort, face à laquelle la question concernant la signification de la vie devient inévitable. La figure du Christ est interprétée sur les sarcophages antiques surtout au moyen de deux images: celle du philosophe et celle du pasteur. Par philosophie, à l'époque, on n'entendait pas, en général, une discipline académique difficile telle qu'elle se présente aujourd'hui. Le philosophe était plutôt celui qui savait enseigner l'art essentiel: l'art d'être homme de manière droite – l'art de vivre et de mourir. Depuis longtemps déjà, les hommes s'étaient certainement rendu compte qu'une grande partie de ceux qui circulaient comme philosophes, comme maîtres de vie, était seulement des charlatans qui, par leurs paroles, se procuraient de l'argent, tandis qu'ils n'avaient rien à dire sur la vie véritable. On cherchait d'autant plus le vrai philosophe qui saurait indiquer vraiment la voie de la vie. Vers la fin du troisième siècle, nous trouvons pour la première fois à Rome, sur le sarcophage d'un enfant, dans le contexte de la résurrection de Lazare, le Christ comme figure du vrai philosophe qui, dans une main, tient l'Évangile et, dans l'autre, le bâton de voyage du philosophe. Avec son bâton, il est vainqueur de la mort; l'Évangile apporte la vérité que les philosophes itinérants avaient cherchée en vain. Dans cette image, qui est restée dans l'art des sarcophages durant une longue période, il est évident que les personnes cultivées comme les personnes simples reconnaissaient le Christ: il nous dit qui, en réalité, est l'homme et ce qu'il doit faire pour être vraiment homme. Il nous indique la voie et cette voie est la vérité. Il est lui-même à la fois l'une et l'autre, et donc il est aussi la vie dont nous sommes tous à la recherche. Il indique aussi la voie au delà de la mort; seul celui qui est en mesure de faire ainsi est un vrai maître de vie. La même chose est visible dans l'image du pasteur. Comme dans la représentation du philosophe, l'Église primitive pouvait aussi, dans la figure du pasteur, se rattacher à des modèles existant dans l'art romain. Dans ce dernier, le pasteur était en général l'expression du rêve d'une vie sereine et simple, dont les gens avaient la nostalgie dans la confusion de la grande ville. L'image était alors perçue dans le cadre d'un scénario nouveau qui lui conférait un contenu plus profond: « Le Seigneur est mon berger: je ne manque de rien... Si je traverse les ravins de la mort, je ne crains aucun mal, car tu es avec moi » (Ps 22 [23], 1. 4). Le vrai pasteur est Celui qui connaît aussi la voie qui passe par les ravins de la mort; Celui qui marche également avec moi sur la voie de la solitude ultime, où personne ne peut m'accompagner, me guidant pour la traverser: Il a parcouru lui-même cette voie, il est descendu dans le royaume de la mort, il l'a vaincu et il est maintenant revenu pour nous accompagner et pour nous donner la certitude qu’avec Lui on trouve un passage. La conscience qu'existe Celui qui m'accompagne aussi dans la mort et qui, « avec son bâton, me guide et me rassure », de sorte que « je ne crains aucun mal » (Ps 22 [23], 4), telle était la nouvelle « espérance » qui apparaissait dans la vie des croyants.

7. Nous devons encore une fois revenir au Nouveau Testament. Dans le onzième chapitre de la Lettre aux Hébreux (v. 1), on trouve une sorte de définition de la foi, qui relie étroitement cette vertu à l'espérance. Autour de la parole centrale de cette phrase, s'est créée, depuis la Réforme, une discussion entre les exégètes, où semble s'ouvrir aujourd'hui la voie vers une interprétation commune. Pour le moment, je laisse cette parole centrale non traduite: la phrase sonne donc ainsi: « La foi est l'hypostasis des biens que l'on espère, la preuve des réalités qu'on ne voit pas ». Pour les Pères et pour les théologiens du Moyen-Âge, il était clair que la parole grecque hypostasis devait être traduite en latin par le terme substantia. La traduction latine du texte, née dans l'Église antique, dit donc: « Est autem fides sperandarum substantia rerum, argumentum non apparentium » – la foi est la « substance » des réalités à espérer; la preuve des réalités qu'on ne voit pas. Utilisant la terminologie de la tradition philosophique dans laquelle il se trouve, Thomas d'Aquin [4] l'explique ainsi: la foi est un « habitus », c'est-à-dire une disposition constante de l'esprit, grâce à laquelle la vie éternelle prend naissance en nous et grâce à laquelle la raison est portée à consentir à ce qu'elle ne voit pas. Le concept de « substance » est donc modifié dans le sens que, par la foi, de manière initiale, nous pourrions dire « en germe » – donc selon la « substance » – sont déjà présents en nous les biens que l'on espère – la totalité, la vraie vie. Et c'est précisément parce que les biens eux-mêmes sont déjà présents que la présence de ce qui se réalisera crée également la certitude: ces « biens » qui doivent venir ne sont pas encore visibles dans le monde extérieur (ils « n'apparaissent » pas), mais en raison du fait que, comme réalité initiale et dynamique, nous les portons en nous, naît déjà maintenant une certaine perception de ces biens. À Luther, pour qui la Lettre aux Hébreux comme telle n'était pas très sympathique, le concept de « substance », dans le contexte de sa vision de la foi, ne disait rien. C'est pourquoi il comprit le terme hypostase/substance non dans le sens objectif (de réalité présente en nous), mais dans le sens subjectif, comme expression d'une disposition et, par conséquent, il dut naturellement comprendre aussi le terme argumentum comme une disposition du sujet. Cette interprétation s'est affermie au vingtième siècle – au moins en Allemagne – même dans l'exégèse catholique, de sorte que la traduction œcuménique du Nouveau Testament en langue allemande, approuvée par les Évêques, dit: « Glaube aber ist: Feststehen in dem, was man erhofft, Überzeugtsein von dem, was man nicht sieht » (La foi consiste à être ferme en ce que l'on espère, à être convaincu de ce que l'on ne voit pas). En soi, cela n'est pas faux, mais ce n'est pas cependant le sens du texte, parce que le terme grec utilisé (elenchos) n'a pas la valeur subjective de « conviction », mais la valeur objective de « preuve ». c’est donc à juste titre que l'exégèse protestante récente est parvenue à une conviction différente: « Mais maintenant, on ne peut plus mettre en doute que cette interprétation protestante, devenue classique, est insoutenable ».[5] La foi n'est pas seulement une tension personnelle vers les biens qui doivent venir, mais qui sont encore absents; elle nous donne quelque chose. Elle nous donne déjà maintenant quelque chose de la réalité attendue, et la réalité présente constitue pour nous une « preuve » des biens que nous ne voyons pas encore. Elle attire l'avenir dans le présent, au point que le premier n'est plus le pur « pas-encore ». Le fait que cet avenir existe change le présent; le présent est touché par la réalité future, et ainsi les biens à venir se déversent sur les biens présents et les biens présents sur les biens à venir.

8. Cette explication est renforcée ultérieurement et elle se rapporte à la vie concrète si nous considérons le verset 34 du chapitre 10 de la Lettre aux Hébreux qui, en ce qui concerne l'aspect linguistique et le contenu, est lié à la définition d'une foi remplie d'espérance et qui la prépare. Ici, l'auteur parle aux croyants qui ont subi l'expérience de la persécution et il leur dit: « Vous avez pris part aux souffrances des prisonniers; vous avez accepté avec joie la spoliation de vos biens (hyparchonton – Vulgate: bonorum), sachant que vous étiez en possession de biens meilleurs (hyparxin – Vulgate: substantiam) et stables. « Hyparchonta » sont les propriétés, ce qui, dans la vie terrestre, constitue le fondement, à savoir la base, la « substance » pour la vie, sur laquelle on compte. Cette « substance », la sécurité normale dans la vie, a été enlevée aux chrétiens au cours des persécutions. Ils ont supporté ces dernières parce qu'ils considéraient de toute façon cette substance matérielle comme négligeable. Ils pouvaient l'abandonner, parce qu'ils avaient trouvé une « base » meilleure pour leur existence – une base qui demeure et que personne ne peut enlever. On ne peut pas ne pas voir le lien qui court entre ces deux sortes de « substance », entre le fondement, ou base matérielle, et l'affirmation de la foi comme « base », comme « substance » qui demeure. La foi confère à la vie une base nouvelle, un nouveau fondement sur lequel l'homme peut s'appuyer et ainsi le fondement habituel, la fiabilité des revenus matériels, justement se relativise. Il se crée une nouvelle liberté face à ce fondement de la vie, qui n’est qu’apparemment en mesure de l'entretenir, bien que sa signification normale ne soit par là certainement pas niée. Cette nouvelle liberté, la conscience de la nouvelle « substance » qui nous a été donnée, ne s'est pas révélée seulement dans le martyre, où les personnes se sont opposées au pouvoir extrême de l'idéologie et de ses organes politiques, et, par leur mort, ont renouvelé le monde. Elle s'est manifestée surtout dans les grands renoncements à partir des moines de l'antiquité jusqu'à François d'Assise et aux personnes de notre époque qui, dans les Ordres modernes et dans les Mouvements religieux, par amour pour le Christ, ont tout laissé pour porter aux hommes la foi et l'amour du Christ, pour aider les personnes qui souffrent dans leur corps et dans leur âme. Là, la nouvelle « substance » s'est montrée réellement comme la « substance »; de l'espérance des personnes touchées par le Christ a jailli l'espérance pour d'autres qui vivaient dans les ténèbres et sans espérance. Là il s'est vérifié que cette nouvelle vie possède vraiment la « substance » et qu'elle est une « substance » qui suscite la vie pour les autres. Pour nous qui regardons ces figures, leur façon d’agir et de vivre est de fait une « preuve » que les biens à venir, la promesse du Christ, ce n’est pas seulement une réalité attendue, mais une véritable présence: Il est vraiment le « philosophe » et le « pasteur » qui nous indique ce qu'est la vie et où elle est.

9. Pour comprendre plus en profondeur cette réflexion sur les deux espèces de substance – hypostasis et hyparchonta – et sur les deux modes de vie qu'elles expriment, nous devons réfléchir encore brièvement sur deux mots concernant cet question qui se trouvent dans le dixième chapitre de la Lettre aux Hébreux. Il s'agit des mots hypomone (10, 36) et hypostole (10, 39). Hypomone se traduit normalement par « patience » – persévérance, constance. Savoir attendre en supportant patiemment les épreuves est nécessaire au croyant pour pouvoir « obtenir la réalisation de la promesse » (cf. 10, 36). Dans l'ambiance religieuse du judaïsme antique, ce mot était utilisée de manière expresse pour parler de l'attente de Dieu qui caractérise Israël, à savoir persévérer dans la fidélité à Dieu, en se fondant sur la certitude de l'Alliance, dans un monde qui est en opposition à Dieu. Ainsi, le mot indique une espérance vécue, une vie fondée sur la certitude de l'espérance. Dans le Nouveau Testament, cette attente de Dieu, le fait d'être du côté de Dieu, prend une nouvelle signification: dans le Christ, Dieu s'est manifesté. Il nous a communiqué désormais la « substance » des biens à venir, et l'attente de Dieu obtient ainsi une nouvelle certitude. C’est l’attente des biens à venir à partir d'un présent déjà donné. En présence du Christ, avec le Christ présent, c’est l’attente que son Corps se complète, dans la perspective de sa venue définitive. Au contraire, par hypostole est exprimé l’attitude de qui fait défection et n'ose pas dire ouvertement et avec franchise la vérité, qui peut mettre en danger. Se cacher devant les hommes par esprit de crainte par rapport à eux conduit à la « perdition » (He 10, 39). « Ce n'est pas un esprit de peur que Dieu nous a donné, mais un esprit de force, d'amour et de sagesse » – c'est ainsi que, par une belle expression, la Seconde Lettre à Timothée (1, 7) caractérise l'attitude fondamentale du chrétien.

La vie éternelle – qu'est-ce que c'est?

10. Jusqu'à présent, nous avons parlé de la foi et de l'espérance dans le Nouveau Testament et aux origines du christianisme; il a cependant toujours été évident que nous ne parlons pas uniquement du passé; la réflexion dans son intégralité intéresse la vie et la mort de l'homme en général, et donc nous intéresse nous aussi, ici et maintenant. Cependant, nous devons à présent nous demander de manière explicite: la foi chrétienne est-elle aussi pour nous aujourd'hui une espérance qui transforme et soutient notre vie? Est-elle pour nous « performative » – un message qui forme de manière nouvelle la vie elle-même, ou est-elle désormais simplement une « information » que, entre temps, nous avons mise de côté et qui nous semble dépassée par des informations plus récentes? Dans la recherche d'une réponse, je voudrais partir de la forme classique du dialogue par lequel le rite du Baptême exprimait l'accueil du nouveau-né dans la communauté des croyants et sa renaissance dans le Christ. Le prêtre demandait d'abord quel nom les parents avaient choisi pour l'enfant, et il poursuivait ensuite par la question: « Que demandez-vous à l'Église? » Réponse: « La foi ». « Et que donne la foi? » « La vie éternelle ». Dans le dialogue, les parents cherchaient pour leur enfant l'accès à la foi, la communion avec les croyants, parce qu'ils voyaient dans la foi la clé de « la vie éternelle ». En fait, aujourd'hui comme hier, c'est de cela qu’il s'agit dans le Baptême, quand on devient chrétien: non seulement d'un acte de socialisation dans la communauté, non pas simplement d'un accueil dans l'Église. Les parents attendent plus pour le baptisé: ils attendent que la foi, dont fait partie la corporéité de l'Église et de ses sacrements, lui donne la vie – la vie éternelle. La foi est la substance de l'espérance. Mais alors se fait jour la question suivante: voulons-nous vraiment cela – vivre éternellement? Peut-être aujourd'hui de nombreuses personnes refusent-elles la foi simplement parce que la vie éternelle ne leur semble pas quelque chose de désirable. Ils ne veulent nullement la vie éternelle, mais la vie présente, et la foi en la vie éternelle semble, dans ce but, plutôt un obstacle. Continuer à vivre éternellement – sans fin – apparaît plus comme une condamnation que comme un don. Bien sûr, on voudrait renvoyer la mort le plus loin possible. Mais vivre toujours, sans fin – en définitive, cela peut être seulement ennuyeux et en fin de compte insupportable. C'est précisément cela que dit par exemple saint Ambroise, Père de l'Église, dans le discours funèbre pour son frère Saturus: « La mort n'était pas naturelle, mais elle l'est devenue; car, au commencement, Dieu n'a pas créé la mort; il nous l'a donnée comme un remède [...] à cause de la transgression; la vie des hommes commença à être misérable dans le travail quotidien et dans des pleurs insupportables. Il fallait mettre un terme à son malheur, afin que sa mort lui rende ce que sa vie avait perdu. L'immortalité serait un fardeau plutôt qu'un profit, sans le souffle de la grâce ».[6] Auparavant déjà, Ambroise avait dit: « La mort ne doit pas être pleurée, puisqu'elle est cause de salut ».[7]

11. Quel que soit ce que saint Ambroise entendait dire précisément par ces paroles – il est vrai que l'élimination de la mort ou même son renvoi presque illimité mettrait la terre et l'humanité dans une condition impossible et ne serait même pas un bénéfice pour l'individu lui-même. Il y a clairement une contradiction dans notre attitude, qui renvoie à une contradiction intérieure de notre existence elle-même. D'une part, nous ne voulons pas mourir; surtout celui qui nous aime ne veut pas que nous mourions. D'autre part, il est vrai que nous ne désirons pas non plus continuer à exister de manière illimitée et même la terre n'a pas été créée dans cette perspective. Alors, que voulons-nous vraiment? Ce paradoxe de notre propre attitude suscite une question plus profonde: qu'est-ce en réalité que la « vie »? Et que signifie véritablement « éternité »? Il y a des moments où nous le percevons tout à coup: oui, ce serait précisément cela – la vraie « vie » – ainsi devrait-elle être. Par comparaison, ce que, dans la vie quotidienne, nous appelons « vie », en vérité ne l'est pas. Dans sa longue lettre sur la prière adressée à Proba, une veuve romaine aisée et mère de trois consuls, Augustin écrivit un jour: dans le fond, nous voulons une seule chose – « la vie bienheureuse », la vie qui est simplement vie, simplement « bonheur ». En fin de compte, nous ne demandons rien d'autre dans la prière. Nous ne marchons vers rien d'autre – c'est de cela seulement qu’il s'agit. Mais ensuite, Augustin ajoute aussi: en regardant mieux, nous ne savons pas de fait ce qu'en définitive nous désirons, ce que nous voudrions précisément. Nous ne connaissons pas du tout cette réalité; même durant les moments où nous pensons pouvoir la toucher, nous ne la rejoignons pas vraiment. « Nous ne savons pas ce que nous devons demander », confesse-t-il avec les mots de saint Paul (Rm 8, 26). Nous savons seulement que ce n'est pas cela. Toutefois, dans notre non-savoir, nous savons que cette réalité doit exister. « Il y a donc en nous, pour ainsi dire, une savante ignorance (docta ignorantia) », écrit-il. Nous ne savons pas ce que nous voudrions vraiment; nous ne connaissons pas cette « vraie vie »; et cependant, nous savons qu'il doit exister un quelque chose que nous ne connaissons pas et vers lequel nous nous sentons poussés.[8]

12. Je pense qu'Augustin décrivait là de manière très précise et toujours valable la situation essentielle de l'homme, la situation d'où proviennent toutes ses contradictions et toutes ses espérances. Nous désirons en quelque sorte la vie elle-même, la vraie vie, qui ne finisse pas par être atteinte par la mort; mais, en même temps, nous ne connaissons pas ce vers quoi nous nous sentons poussés. Nous ne pouvons pas cesser de nous diriger vers cela et cependant nous savons que tout ce que nous pouvons expérimenter ou réaliser n'est pas ce à quoi nous aspirons. Cette « chose » inconnue est la véritable « espérance », qui nous pousse et le fait qu'elle soit ignorée est, en même temps, la cause de toutes les désespérances comme aussi de tous les élans positifs ou destructeurs vers le monde authentique et vers l'homme authentique. L'expression « vie éternelle » cherche à donner un nom à cette réalité connue inconnue. Il s'agit nécessairement d'une expression insuffisante, qui crée la confusion. En effet, « éternel » suscite en nous l'idée de l'interminable, et cela nous fait peur; « vie » nous fait penser à la vie que nous connaissons, que nous aimons et que nous ne voulons pas perdre et qui est cependant, en même temps, plus faite de fatigue que de satisfaction, de sorte que, tandis que d'un côté nous la désirons, de l'autre nous ne la voulons pas. Nous pouvons seulement chercher à sortir par la pensée de la temporalité dont nous sommes prisonniers et en quelque sorte prévoir que l'éternité n'est pas une succession continue des jours du calendrier, mais quelque chose comme le moment rempli de satisfaction, dans lequel la totalité nous embrasse et dans lequel nous embrassons la totalité. Il s'agirait du moment de l'immersion dans l'océan de l'amour infini, dans lequel le temps – l'avant et l'après – n'existe plus. Nous pouvons seulement chercher à penser que ce moment est la vie au sens plénier, une immersion toujours nouvelle dans l'immensité de l'être, tandis que nous sommes simplement comblés de joie. C'est ainsi que Jésus l'exprime dans Jean: « Je vous reverrai, et votre cœur se réjouira; et votre joie, personne ne vous l'enlèvera » (16, 22). Nous devons penser dans ce sens si nous voulons comprendre ce vers quoi tend l'espérance chrétienne, ce que nous attendons par la foi, par notre être avec le Christ.[9]

L'espérance chrétienne est-elle individualiste?

13. Au cours de leur histoire, les chrétiens ont cherché à traduire en figures représentables ce savoir qui ne sait pas, en développant des images du « ciel » qui restent toujours éloignées de ce que, précisément, nous connaissons seulement négativement, à travers une non-connaissance. Toutes ces tentatives de représentation de l'espérance ont donné à de nombreuses personnes, au fil des siècles, l'élan pour vivre en se fondant sur la foi et en abandonnant aussi, de ce fait, leurs « hyparchonta », les substances matérielles pour leur existence. L'auteur de la Lettre aux Hébreux, dans le onzième chapitre, a tracé une sorte d'histoire de ceux qui vivent dans l'espérance et du fait qu'ils sont en marche, une histoire qui va d'Abel à son époque. À l'époque moderne, une critique toujours plus dure de cette sorte d'espérance s'est développée: il s'agirait d'un pur individualisme, qui aurait abandonné le monde à sa misère et qui se serait réfugié dans un salut éternel uniquement privé. Dans l'introduction à son œuvre fondamentale « Catholicisme. Aspects sociaux du dogme », Henri de Lubac a recueilli certaines opinions de ce genre, qui méritent d'être citées: « Ai-je trouvé la joie? Non [...]. J'ai trouvé ma joie. Et c'est terriblement autre chose [...]. La joie de Jésus peut être personnelle. Elle peut appartenir à un seul homme, et il est sauvé. Il est en paix [...] pour maintenant et pour toujours, mais seul. Cette solitude de joie ne l'inquiète pas, au contraire: il est l'élu. Dans sa béatitude, il traverse les batailles une rose à la main ».[10]

14. Face à cela, de Lubac, en se fondant sur la théologie des Pères dans toute son ampleur, a pu montrer que le salut a toujours été considéré comme une réalité communautaire. La Lettre aux Hébreux parle d'une « cité » (cf. 11, 10.16; 12, 22; 13, 14) et donc d'un salut communautaire. De manière cohérente, le péché est compris par les Pères comme destruction de l'unité du genre humain, comme fragmentation et division. Babel, le lieu de la confusion des langues et de la séparation, se révèle comme expression de ce qu’est fondamentalement le péché. Et ainsi, la « rédemption » apparaît vraiment comme le rétablissement de l'unité, où nous nous retrouvons de nouveau ensemble, dans une union qui se profile dans la communauté mondiale des croyants. Il n'est pas nécessaire que nous nous occupions ici de tous les textes dans lesquels apparaît le caractère communautaire de l'espérance. Restons dans la Lettre à Proba, où Augustin tente d'illustrer un peu cette réalité connue inconnue dont nous sommes à la recherche. Le point de départ est simplement l'expression « vie bienheureuse ». Puis il cite le Psaume 144 [143], 15: « Bienheureux le peuple dont le Seigneur est le Dieu ». Et il continue: « Pour faire partie de ce peuple et que nous puissions parvenir [...] à vivre avec Dieu pour toujours, “le but du précepte, c'est l'amour qui vient d'un cœur pur, d'une bonne conscience et d'une foi sincère” (1 Tm 1, 5) ».[11] Cette vie véritable, vers laquelle nous cherchons toujours de nouveau à tendre, est liée au fait d'être en union existentielle avec un « peuple » et, pour toute personne, elle ne peut se réaliser qu'à l'intérieur de ce « nous ». Elle présuppose donc l'exode de la prison de son propre « moi », parce que c'est seulement dans l'ouverture de ce sujet universel que s'ouvre aussi le regard sur la source de la joie, sur l'amour lui-même – sur Dieu.

15. Cette vision de la « vie bienheureuse » orientée vers la communauté vise en fait quelque chose au delà du monde présent, mais c'est précisément ainsi qu'elle a aussi à voir avec l'édification du monde – en des formes très diverses, selon le contexte historique et les possibilités offertes ou exclues par lui. Au temps d'Augustin, lorsque l'irruption de nouveaux peuples menaçait la cohésion du monde, où était donnée une certaine garantie de droit et de vie dans une communauté juridique, il s'agissait de fortifier le fondement véritablement porteur de cette communauté de vie et de paix, afin de pouvoir survivre au milieu des mutations du monde. Jetons plutôt au hasard un regard sur un moment du Moyen-Âge selon certains aspects emblématiques. Dans la conscience commune, les monastères apparaissaient comme des lieux de fuite hors du monde (« contemptus mundi ») et de dérobade aux propres responsabilités dans le monde, pour la recherche du salut personnel. Bernard de Clairvaux, qui, avec son Ordre réformé, fit rentrer une multitude de jeunes dans les monastères, avait sur cette question une vision bien différente. Selon lui, les moines ont une tâche pour toute l'Église et par conséquent aussi pour le monde. Par de nombreuses images, il illustre la responsabilité des moines pour tout l'organisme de l'Église, plus encore, pour l'humanité; il leur applique la parole du Pseudo-Ruffin: « Le genre humain vit grâce à peu de gens; s'ils n'existaient pas, le monde périrait ».[12] Les contemplatifs – contemplantes – doivent devenir des travailleurs agricoles – laborantes –, nous dit-il. La noblesse du travail, que le christianisme a héritée du judaïsme, était apparue déjà dans les règles monastiques d'Augustin et de Benoît. Bernard reprend à nouveau ce concept. Les jeunes nobles qui affluaient dans ses monastères devaient se plier au travail manuel. En vérité, Bernard dit explicitement que pas même le monastère ne peut rétablir le Paradis; il soutient cependant qu'il doit, étant comme lieu de défrichage pratique et spirituel, préparer le nouveau Paradis. Un terrain sauvage est rendu fertile – précisément tandis que sont en même temps abattus les arbres de l'orgueil, qu'est enlevé ce qui pousse de sauvage dans les âmes et qu'est préparé ainsi le terrain sur lequel peut prospérer le pain pour le corps et pour l'âme.[13] Ne nous est-il pas donné de constater de nouveau, justement face à l'histoire actuelle, qu'aucune structuration positive du monde ne peut réussir là où les âmes restent à l'état sauvage?

La transformation de la foi-espérance chrétienne dans les temps modernes

16. Comment l'idée que le message de Jésus est strictement individualiste et qu'il s'adresse seulement à l'individu a-t-elle pu se développer? Comment est-on arrivé à interpréter le « salut de l'âme » comme une fuite devant la responsabilité pour l'ensemble et à considérer par conséquent que le programme du christianisme est la recherche égoïste du salut qui se refuse au service des autres? Pour trouver une réponse à ces interrogations, nous devons jeter un regard sur les composantes fondamentales des temps modernes. Elles apparaissent avec une clarté particulière chez Francis Bacon. Qu'une nouvelle époque soit née – grâce à la découverte de l'Amérique et aux nouvelles conquêtes techniques qui ont marqué ce développement –, c'est indiscutable. Cependant, sur quoi s'enracine ce tournant d'une époque? C'est la nouvelle corrélation entre expérience et méthode qui met l'homme en mesure de parvenir à une interprétation de la nature conforme à ses lois et d'arriver ainsi, en définitive, à « la victoire de l'art sur la nature » (victoria cursus artis super naturam).[14] La nouveauté – selon la vision de Bacon – se trouve dans une nouvelle corrélation entre science et pratique. Cela est ensuite appliqué aussi à la théologie: cette nouvelle corrélation entre science et pratique signifierait que la domination sur la création, donnée à l'homme par Dieu et perdue par le péché originel, serait rétablie.[15]

17. Celui qui lit ces affirmations et qui y réfléchit avec attention y rencontre un passage déconcertant: jusqu'à ce moment, la récupération de ce que l'homme, dans l'exclusion du paradis terrestre, avait perdu était à attendre de la foi en Jésus Christ, et en cela se voyait la « rédemption ». Maintenant, cette « rédemption », la restauration du « paradis » perdu, n'est plus à attendre de la foi, mais de la relation à peine découverte entre science et pratique. Ce n'est pas que la foi, avec cela, fût simplement niée: elle était plutôt déplacée à un autre niveau – le niveau strictement privé et ultra-terrestre – et en même temps elle devient en quelque sorte insignifiante pour le monde. Cette vision programmatique a déterminé le chemin des temps modernes et influence aussi la crise actuelle de la foi qui, concrètement, est surtout une crise de l'espérance chrétienne. Ainsi, l'espérance reçoit également chez Bacon une forme nouvelle. Elle s'appelle désormais foi dans le progrès. Pour Bacon en effet, il est clair que les découvertes et les inventions tout juste lancées sont seulement un début, que, grâce à la synergie des sciences et des pratiques, s'ensuivront des découvertes totalement nouvelles et qu'émergera un monde totalement nouveau, le règne de l'homme.[16] C'est ainsi qu'il a aussi présenté une vision des inventions prévisibles – jusqu'à l'avion et au submersible. Au cours du développement ultérieur de l'idéologie du progrès, la joie pour les avancées visibles des potentialités humaines demeure une constante confirmation de la foi dans le progrès comme tel.

18. Dans le même temps, deux catégories sont toujours davantage au centre de l'idée de progrès: la raison et la liberté. Le progrès est surtout un progrès dans la domination croissante de la raison et cette raison est considérée clairement comme un pouvoir du bien et pour le bien. Le progrès est le dépassement de toutes les dépendances – il est progrès vers la liberté parfaite. La liberté aussi est perçue seulement comme une promesse, dans laquelle l'homme va vers sa plénitude. Dans les deux concepts – liberté et raison – est présent un aspect politique. En effet, le règne de la raison est attendu comme la nouvelle condition de l'humanité devenue totalement libre. Cependant, les conditions politiques d'un tel règne de la raison et de la liberté apparaissent, dans un premier temps, peu définies. Raison et liberté semblent garantir par elles-mêmes, en vertu de leur bonté intrinsèque, une nouvelle communauté humaine parfaite. Néanmoins, dans les deux concepts-clé de « raison » et de « liberté », la pensée est aussi tacitement toujours en opposition avec les liens de la foi et de l'Église comme avec les liens des systèmes d'État d'alors. Les deux concepts portent donc en eux un potentiel révolutionnaire d'une force explosive énorme.

19. Nous devons brièvement jeter un regard sur les deux étapes essentielles de la concrétisation politique de cette espérance, parce qu'elles sont d'une grande importance pour le chemin de l'espérance chrétienne, pour sa compréhension et pour sa persistance. Il y a avant tout la Révolution française comme tentative d'instaurer la domination de la raison et de la liberté, maintenant aussi de manière politiquement réelle. L'Europe de l'Illuminisme, dans un premier temps, s'est tournée avec fascination vers ces événements, mais face à leurs développements, elle a dû ensuite réfléchir de manière renouvelée sur la raison et la liberté. Les deux écrits d'Emmanuel Kant, où il réfléchit sur les événements, sont significatifs pour les deux phases de la réception de ce qui était survenu en France. En 1792, il écrit son œuvre: « Der Sieg des guten Prinzips über das böse und die Gründung eines Reiches Gottes auf Erden » (La victoire du principe du bien sur le principe mauvais et la constitution d'un règne de Dieu sur la terre). Il y écrit: « Le passage progressif de la foi d'Église à l'autorité unique de la pure foi religieuse est l'approche du royaume de Dieu ».[17] Il nous dit aussi que les révolutions peuvent accélérer les temps de ce passage de la foi d'Église à la foi rationnelle. Le « règne de Dieu », dont Jésus avait parlé, a reçu là une nouvelle définition et a aussi pris une nouvelle présence; il existe, pour ainsi dire, une nouvelle « attente immédiate »: le « règne de Dieu » arrive là où la foi d'Église est dépassée et remplacée par la « foi religieuse », à savoir par la simple foi rationnelle. En 1794, dans l'écrit « Das Ende aller Dinge » (La fin de toutes les choses), apparaît une image transformée. Kant prend alors en considération la possibilité que, à côté du terme naturel de toutes les choses, il s'en trouve aussi un contre nature, pervers. Il écrit à ce sujet: « Si le christianisme devait cesser d'être aimable [...], on verrait nécessairement [...] l'aversion et la révolte soulever contre lui le cœur de la majorité des hommes; et l'antéchrist, que l'on considère de toute façon comme le précurseur du dernier jour, établirait son règne (fondé sans doute sur la peur et l'égoïsme), fût-ce pour peu de temps; et comme le christianisme, destiné à être la religion universelle, serait alors frustré de la faveur du destin, on assisterait à la fin (renversée) de toutes choses au point de vue moral ».[18]

20. Le dix-neuvième siècle ne renia pas sa foi dans le progrès comme forme de l'espérance humaine et il continua à considérer la raison et la liberté comme des étoiles-guides à suivre sur le chemin de l'espérance. Les avancées toujours plus rapides du développement technique et l'industrialisation qui lui est liée ont cependant bien vite créé une situation sociale totalement nouvelle: il s'est formé la classe des ouvriers de l'industrie et ce que l'on appelle le « prolétariat industriel », dont les terribles conditions de vie ont été illustrées de manière bouleversante par Friedrich Engels, en 1845. Pour le lecteur, il devait être clair que cela ne pouvait pas continuer; un changement était nécessaire. Mais le changement aurait perturbé et renversé l'ensemble de la structure de la société bourgeoise. Après la révolution bourgeoise de 1789, l'heure d'une nouvelle révolution avait sonné, la révolution prolétarienne: le progrès ne pouvait pas simplement avancer de manière linéaire, à petits pas. Il fallait un saut révolutionnaire. Karl Marx recueillit cette aspiration du moment et, avec un langage et une pensée vigoureux, il chercha à lancer ce grand pas nouveau et, comme il le considérait, définitif de l'histoire vers le salut – vers ce que Kant avait qualifié de « règne de Dieu ». Une fois que la vérité de l'au-delà se serait dissipée, il se serait agi désormais d'établir la vérité de l'en deçà. La critique du ciel se transforme en une critique de la terre, la critique de la théologie en une critique de la politique. Le progrès vers le mieux, vers le monde définitivement bon, ne provient pas simplement de la science, mais de la politique – d'une politique pensée scientifiquement, qui sait reconnaître la structure de l'histoire et de la société, et qui indique ainsi la voie vers la révolution, vers le changement de toutes les choses. Avec précision, même si c'est de manière unilatérale et partiale, Marx a décrit la situation de son temps et il a illustré avec une grande capacité d'analyse les voies qui ouvrent à la révolution – non seulement théoriquement: avec le parti communiste, né du manifeste communiste de 1848, il l'a aussi lancée concrètement. Sa promesse, grâce à la précision des analyses et aux indications claires des instruments pour le changement radical, a fasciné et fascine encore toujours de nouveau. La révolution s'est aussi vérifiée de manière plus radicale en Russie.

21. Mais avec sa victoire, l'erreur fondamentale de Marx a aussi été rendue évidente. Il a indiqué avec exactitude comment réaliser le renversement. Mais il ne nous a pas dit comment les choses auraient dû se dérouler après. Il supposait simplement que, avec l'expropriation de la classe dominante, avec la chute du pouvoir politique et avec la socialisation des moyens de production, se serait réalisée la Nouvelle Jérusalem: alors, toutes les contradictions auraient en effet été annulées, l'homme et le monde auraient finalement vu clair en eux-mêmes. Alors tout aurait pu procéder de soi-même sur la voie droite, parce que tout aurait appartenu à tous et que tous auraient voulu le meilleur les uns pour les autres. Ainsi, après la révolution réussie, Lénine dut se rendre compte que, dans les écrits du maître, il ne se trouvait aucune indication sur la façon de procéder. Oui, il avait parlé de la phase intermédiaire de la dictature du prolétariat comme d'une nécessité qui, cependant, dans un deuxième temps, se serait avérée d'elle-même caduque. Cette « phase intermédiaire », nous la connaissons bien et nous savons aussi comment elle s'est développée, ne faisant pas naître un monde sain, mais laissant derrière elle une destruction désolante. Marx n'a pas seulement manqué de penser les institutions nécessaires pour le nouveau monde – on ne devait en effet plus en avoir besoin. Qu'il ne nous en dise rien, c'est la conséquence logique de sa façon d’envisager le problème. Son erreur est plus en profondeur. Il a oublié que l'homme demeure toujours homme. Il a oublié l'homme et il a oublié sa liberté. Il a oublié que la liberté demeure toujours liberté, même pour le mal. Il croyait que, une fois mise en place l'économie, tout aurait été mis en place. Sa véritable erreur est le matérialisme: en effet, l'homme n'est pas seulement le produit de conditions économiques, et il n'est pas possible de le guérir uniquement de l'extérieur, en créant des conditions économiques favorables.

22. Ainsi, nous nous trouvons de nouveau devant la question: que pouvons-nous espérer? Une autocritique de l'ère moderne dans un dialogue avec le christianisme et avec sa conception de l'espérance est nécessaire. Dans un tel dialogue, même les chrétiens, dans le contexte de leurs connaissances et de leurs expériences, doivent apprendre de manière renouvelée en quoi consiste véritablement leur espérance, ce qu'ils ont à offrir au monde et ce que, à l'inverse, ils ne peuvent pas offrir. Il convient qu’à l'autocritique de l'ère moderne soit associée aussi une autocritique du christianisme moderne, qui doit toujours de nouveau apprendre à se comprendre lui-même à partir de ses propres racines. Sur ce point, on ne peut présenter ici que quelques éléments. Avant tout, il faut se demander: que signifie vraiment « le progrès »; que promet-il et que ne promet-il pas? Déjà à la fin du XIXe siècle, il existait une critique de la foi dans le progrès. Au XXe, Th. W. Adorno a formulé la problématique de la foi dans le progrès de manière drastique: le progrès, vu de près, serait le progrès qui va de la fronde à la mégabombe. Actuellement, il s'agit, de fait, d'un aspect du progrès que l'on ne doit pas dissimuler. Autrement dit, l'ambiguïté du progrès est rendue évidente. Sans aucun doute, le progrès offre de nouvelles possibilités pour le bien, mais il ouvre aussi des possibilités abyssales de mal – possibilités qui n'existaient pas auparavant. Nous sommes tous devenus témoins de ce que le progrès, lorsqu'il est entre de mauvaises mains, peut devenir, et est devenu de fait, un progrès terrible dans le mal. Si au progrès technique ne correspond pas un progrès dans la formation éthique de l'homme, dans la croissance de l'homme intérieur (cf. Ep 3, 16; 2 Co 4, 16), alors ce n'est pas un progrès, mais une menace pour l'homme et pour le monde.

23. En ce qui concerne les deux grands thèmes « raison » et « liberté », les questions qui leur sont liées ne peuvent être ici que signalées. Oui, la raison est le grand don de Dieu à l'homme, et la victoire de la raison sur l'irrationalité est aussi un but de la foi chrétienne. Mais quand la raison domine-t-elle vraiment? Est-ce quand elle s’est détachée de Dieu? Est-ce quand elle est devenue aveugle pour Dieu? La raison du pouvoir et du faire est-elle déjà la raison intégrale? Si, pour être progrès, le progrès a besoin de la croissance morale de l'humanité, alors la raison du pouvoir et du faire doit pareillement, de manière urgente, être complétée, grâce à l'ouverture de la raison aux forces salvifiques de la foi, au discernement entre bien et mal. C'est seulement ainsi qu'elle devient une raison vraiment humaine. Elle ne devient humaine que si elle est en mesure d'indiquer la route à la volonté, et elle n'est capable de cela que si elle regarde au delà d'elle-même. Dans le cas contraire, la situation de l'homme, dans le déséquilibre entre capacité matérielle et manque de jugement du cœur, devient une menace pour lui et pour tout le créé. Ainsi, dans le domaine de la liberté, il faut se rappeler que la liberté humaine requiert toujours le concours de différentes libertés. Ce concours ne peut toutefois pas réussir s'il n'est pas déterminé par un intrinsèque critère de mesure commun, qui est le fondement et le but de notre liberté. Exprimons-le maintenant de manière très simple: l'homme a besoin de Dieu, autrement, il reste privé d'espérance. Étant donné les développements des temps modernes, l'affirmation de saint Paul citée au début (Ep 2, 12) se révèle très réaliste et tout simplement vraie. Il n'y a cependant pas de doute qu'un « règne de Dieu » réalisé sans Dieu – donc un règne de l'homme seul – se conclut inévitablement par « l'issue perverse » de toutes les choses, décrite par Kant: nous l'avons vu et nous le voyons toujours de nouveau. De même, il n'y a pas de doute que Dieu n’entre vraiment dans les choses humaines que s'il n'est pas uniquement pensé par nous, mais que Lui-même vient à notre rencontre et nous parle. C'est pourquoi la raison a besoin de la foi pour arriver à être totalement elle-même: raison et foi ont besoin l'une de l'autre pour réaliser leur véritable nature et leur mission.

La vraie physionomie de l'espérance chrétienne

24. Demandons-nous maintenant de nouveau: que pouvons-nous espérer? Et que ne pouvons-nous pas espérer? Avant tout nous devons constater qu'un progrès qui se peut additionner n'est possible que dans le domaine matériel. Ici, dans la connaissance croissante des structures de la matière et en relation avec les inventions toujours plus avancées, on note clairement une continuité du progrès vers une maîtrise toujours plus grande de la nature. À l'inverse, dans le domaine de la conscience éthique et de la décision morale, il n'y a pas de possibilité équivalente d'additionner, pour la simple raison que la liberté de l'homme est toujours nouvelle et qu'elle doit toujours prendre à nouveau ses décisions. Jamais elles ne sont simplement déjà prises pour nous par d'autres – dans un tel cas, en effet, nous ne serions plus libres. La liberté présuppose que, dans les décisions fondamentales, tout homme, chaque génération, est un nouveau commencement. Les nouvelles générations peuvent assurément construire sur la connaissance et sur les expériences de celles qui les ont précédées, comme elles peuvent puiser au trésor moral de l'humanité entière. Mais elles peuvent aussi le refuser, parce que ce trésor ne peut pas avoir la même évidence que les inventions matérielles. Le trésor moral de l'humanité n'est pas présent comme sont présents les instruments que l'on utilise; il existe comme invitation à la liberté et comme possibilité pour cette liberté. Mais cela signifie que:

a) La condition droite des choses humaines, le bien-être moral du monde, ne peuvent jamais être garantis simplement par des structures, quelle que soit leur valeur. De telles structures sont non seulement importantes, mais nécessaires; néanmoins, elles ne peuvent pas et ne doivent pas mettre hors jeu la liberté de l'homme. Même les structures les meilleures fonctionnent seulement si, dans une communauté, sont vivantes les convictions capables de motiver les hommes en vue d'une libre adhésion à l'ordonnancement communautaire. La liberté nécessite une conviction; une conviction n'existe pas en soi, mais elle doit toujours être de nouveau reconquise de manière communautaire.

b) Puisque l'homme demeure toujours libre et que sa liberté est également toujours fragile, le règne du bien définitivement consolidé n'existera jamais en ce monde. Celui qui promet le monde meilleur qui durerait irrévocablement pour toujours fait une fausse promesse; il ignore la liberté humaine. La liberté doit toujours de nouveau être conquise pour le bien. La libre adhésion au bien n'existe jamais simplement en soi. S'il y avait des structures qui fixeraient de manière irrévocable une condition déterminée – bonne – du monde, la liberté de l'homme serait niée, et, pour cette raison, ce ne serait en définitive nullement des structures bonnes.

25. La conséquence de ce qui a été dit est que la recherche pénible et toujours nouvelle d'ordonnancements droits pour les choses humaines est le devoir de chaque génération; ce n'est jamais un devoir simplement accompli. Toutefois, chaque génération doit aussi apporter sa propre contribution pour établir des ordonnancements convaincants de liberté et de bien, qui aident la génération suivante en tant qu'orientation pour l'usage droit de la liberté humaine et qui donnent ainsi, toujours dans les limites humaines, une garantie certaine pour l'avenir. Autrement dit: les bonnes structures aident, mais, à elles seules elles ne suffisent pas. L'homme ne peut jamais être racheté simplement de l'extérieur. Francis Bacon et les adeptes du courant de pensée de l'ère moderne qu'il a inspiré, en considérant que l'homme serait racheté par la science, se trompaient. Par une telle attente, on demande trop à la science; cette sorte d'espérance est fallacieuse. La science peut contribuer beaucoup à l'humanisation du monde et de l'humanité. Cependant, elle peut aussi détruire l'homme et le monde si elle n'est pas orientée par des forces qui se trouvent hors d'elle. D'autre part, nous devons aussi constater que le christianisme moderne, face aux succès de la science dans la structuration progressive du monde, ne s'était en grande partie concentré que sur l'individu et sur son salut. Par là, il a restreint l'horizon de son espérance et n'a même pas reconnu suffisamment la grandeur de sa tâche, même si ce qu'il a continué à faire pour la formation de l'homme et pour le soin des plus faibles et des personnes qui souffrent reste important.

26. Ce n'est pas la science qui rachète l'homme. L'homme est racheté par l'amour. Cela vaut déjà dans le domaine purement humain. Lorsque quelqu'un, dans sa vie, fait l'expérience d'un grand amour, il s'agit d'un moment de « rédemption » qui donne un sens nouveau à sa vie. Mais, très rapidement, il se rendra compte que l'amour qui lui a été donné ne résout pas, par lui seul, le problème de sa vie. Il s'agit d'un amour qui demeure fragile. Il peut être détruit par la mort. L'être humain a besoin de l'amour inconditionnel. Il a besoin de la certitude qui lui fait dire: « Ni la mort ni la vie, ni les esprits ni les puissances, ni le présent ni l'avenir, ni les astres, ni les cieux, ni les abîmes, ni aucune autre créature, rien ne pourra nous séparer de l'amour de Dieu qui est en Jésus Christ » (Rm 8, 38-39). Si cet amour absolu existe, avec une certitude absolue, alors – et seulement alors – l'homme est « racheté », quel que soit ce qui lui arrive dans un cas particulier. C'est ce que l'on entend lorsqu'on dit: Jésus Christ nous a « rachetés ». Par lui nous sommes devenus certains de Dieu – d'un Dieu qui ne constitue pas une lointaine « cause première » du monde – parce que son Fils unique s'est fait homme et de lui chacun peut dire: « Ma vie aujourd'hui dans la condition humaine, je la vis dans la foi au Fils de Dieu qui m'a aimé et qui s'est livré pour moi » (Ga 2, 20).

27. En ce sens, il est vrai que celui qui ne connaît pas Dieu, tout en pouvant avoir de multiples espérances, est dans le fond sans espérance, sans la grande espérance qui soutient toute l'existence (cf. Ep 2, 12). La vraie, la grande espérance de l'homme, qui résiste malgré toutes les désillusions, ce ne peut être que Dieu – le Dieu qui nous a aimés et qui nous aime toujours « jusqu'au bout », « jusqu'à ce que tout soit accompli » (cf. Jn 13, 1 et 19, 30). Celui qui est touché par l'amour commence à comprendre ce qui serait précisément « vie ». Il commence à comprendre ce que veut dire la parole d'espérance que nous avons rencontrée dans le rite du Baptême: de la foi j'attends la « vie éternelle » – la vie véritable qui, totalement et sans menaces, est, dans toute sa plénitude, simplement la vie. Jésus, qui a dit de lui-même être venu pour que nous ayons la vie et que nous l'ayons en plénitude, en abondance (cf. Jn 10, 10), nous a aussi expliqué ce que signifie « la vie »: « La vie éternelle, c'est de te connaître, toi le seul Dieu, le vrai Dieu, et de connaître celui que tu as envoyé, Jésus Christ » (Jn 17, 3). La vie dans le sens véritable, on ne l'a pas en soi, de soi tout seul et pas même seulement par soi: elle est une relation. Et la vie dans sa totalité est relation avec Celui qui est la source de la vie. Si nous sommes en relation avec Celui qui ne meurt pas, qui est Lui-même la Vie et l'Amour, alors nous sommes dans la vie. Alors nous « vivons ».

28. Mais maintenant se pose la question: de cette façon ne sommes-nous pas retombés de nouveau dans l'individualisme du salut, dans l'espérance pour moi seulement pour moi, qui n’est justement pas une véritable espérance, parce qu’elle oublie et néglige les autres? Non. La relation avec Dieu s'établit par la communion avec Jésus – seuls et avec nos seules possibilités nous n'y arrivons pas. La relation avec Jésus, toutefois, est une relation avec Celui qui s'est donné lui-même en rançon pour nous tous (cf. 1 Tm 2, 6). Le fait d'être en communion avec Jésus Christ nous implique dans son être « pour tous », il en fait notre façon d'être. Il nous engage pour les autres, mais c'est seulement dans la communion avec Lui qu'il nous devient possible d'être vraiment pour les autres, pour l'ensemble. Je voudrais, dans ce contexte, citer le grand docteur grec de l'Église, saint Maxime le Confesseur (mort en 662), qui tout d'abord exhorte à ne rien placer avant la connaissance et l'amour de Dieu, mais qui ensuite arrive aussitôt à des applications très pratiques: « Qui aime Dieu aime aussi son prochain sans réserve. Bien incapable de garder ses richesses, il les dispense comme Dieu, fournissant à chacun ce dont il a besoin ».[19] De l'amour envers Dieu découle la participation à la justice et à la bonté de Dieu envers autrui; aimer Dieu demande la liberté intérieure face à toute possession et à toutes les choses matérielles: l'amour de Dieu se révèle dans la responsabilité envers autrui.[20] Nous pouvons observer de façon frappante la même relation entre amour de Dieu et responsabilité envers les hommes dans la vie de saint Augustin. Après sa conversion à la foi chrétienne, avec quelques amis aux idées semblables, il voulait mener une vie qui fût totalement consacrée à la parole de Dieu et aux choses éternelles. Il voulait réaliser par des valeurs chrétiennes l'idéal de la vie contemplative exprimé dans la grande philosophie grecque, choisissant de cette façon « la meilleure part » (cf. Lc 10, 42). Mais les choses en allèrent autrement. Alors qu'il participait à la messe dominicale dans la ville portuaire d'Hippone, il fut appelé hors de la foule par l'Évêque et contraint de se laisser ordonner pour l'exercice du ministère sacerdotal dans cette ville. Jetant un regard rétrospectif sur ce moment, il écrit dans ses Confessions: « Atterré par mes péchés et la masse pesante de ma misère, j'avais, en mon cœur, agité et ourdi le projet de fuir dans la solitude: mais tu m'en as empêché, et tu m'as fortifié par ces paroles: “Le Christ est mort pour tous afin que les vivants n'aient plus leur vie centrée sur eux-mêmes, mais sur lui, qui est mort et ressuscité pour eux” (2 Co 5, 15) ».[21] Le Christ est mort pour tous. Vivre pour Lui signifie se laisser associer à son « être pour ».

29. Pour Augustin, cela signifiait une vie totalement nouvelle. Une fois, il décrivit ainsi son quotidien: « Corriger les indisciplinés, conforter les pusillanimes, soutenir les faibles, réfuter les opposants, se garder des mauvais, instruire les ignorants, stimuler les négligents, freiner les querelleurs, modérer les ambitieux, encourager les découragés, pacifier les adversaires, aider les personnes dans le besoin, libérer les opprimés, montrer son approbation aux bons, tolérer les mauvais et [hélas] aimer tout le monde ».[22] « C'est l'Évangile qui m'effraie » [23] – cette crainte salutaire qui nous empêche de vivre pour nous-mêmes et qui nous pousse à transmettre notre commune espérance. De fait, c'était bien l'intention d'Augustin: dans la situation difficile de l'empire romain, qui menaçait aussi l'Afrique romaine et qui, à la fin de la vie d'Augustin, la détruisit tout à fait, transmettre une espérance – l'espérance qui lui venait de la foi et qui, en totale contradiction avec son tempérament introverti, le rendit capable de participer de façon résolue et avec toutes ses forces à l'édification de la cité. Dans le même chapitre des Confessions, où nous venons de voir le motif décisif de son engagement « pour tous », il écrit: Le Christ « intercède pour nous, sans lui c'est le désespoir. Elles sont nombreuses, ces langueurs, et si fortes! Nombreuses et fortes, mais ton remède est plus grand. En croyant que ton Verbe était beaucoup trop loin de s'unir à l'homme, nous aurions bien pu désespérer de nous, s'il ne s'était fait chair, habitant parmi nous ».[24] En raison de son espérance, Augustin s'est dépensé pour les gens simples et pour sa ville – il a renoncé à sa noblesse spirituelle et il a prêché et agi de façon simple pour les gens simples.

30. Résumons ce que nous avons découvert jusqu'à présent au cours de nos réflexions. Tout au long des jours, l'homme a de nombreuses espérances – les plus petites ou les plus grandes –, variées selon les diverses périodes de sa vie. Parfois il peut sembler qu'une de ces espérances le satisfasse totalement et qu'il n'ait pas besoin d'autres espérances. Dans sa jeunesse, ce peut être l'espérance d'un grand amour qui le comble; l'espérance d'une certaine position dans sa profession, de tel ou tel succès déterminant pour le reste de la vie. Cependant, quand ces espérances se réalisent, il apparaît clairement qu'en réalité ce n'était pas la totalité. Il paraît évident que l'homme a besoin d'une espérance qui va au-delà. Il paraît évident que seul peut lui suffire quelque chose d'infini, quelque chose qui sera toujours plus que tout ce qu'il peut atteindre. En ce sens, les temps modernes ont fait grandir l'espérance de l'instauration d'un monde parfait qui, grâce aux connaissances de la science et à une politique scientifiquement fondée, semblait être devenue réalisable. Ainsi l'espérance biblique du règne de Dieu a été remplacée par l'espérance du règne de l'homme, par l'espérance d'un monde meilleur qui serait le véritable « règne de Dieu ». Cela semblait finalement l'espérance, grande et réaliste, dont l'homme avait besoin. Elle était en mesure de mobiliser – pour un certain temps – toutes les énergies de l'homme; ce grand objectif semblait mériter tous les engagements. Mais au cours du temps il parut clair que cette espérance s'éloignait toujours plus. On se rendit compte avant tout que c'était peut-être une espérance pour les hommes d'après-demain, mais non une espérance pour moi. Et bien que le « pour tous » fasse partie de la grande espérance – je ne puis en effet devenir heureux contre les autres et sans eux – il reste vrai qu'une espérance qui ne me concerne pas personnellement n'est pas non plus une véritable espérance. Et il est devenu évident qu'il s'agissait d'une espérance contre la liberté, parce que la situation des choses humaines dépend pour chaque génération, de manière renouvelée, de la libre décision des hommes qui la composent. Si, en raison des conditions et des structures, cette liberté leur était enlevée, le monde, en définitive, ne serait pas bon, parce qu'un monde sans liberté n'est en rien un monde bon. Ainsi, bien qu'un engagement continu pour l'amélioration du monde soit nécessaire, le monde meilleur de demain ne peut être le contenu spécifique et suffisant de notre espérance. Et toujours à ce propos se pose la question: Quand le monde est-il « meilleur »? Qu'est ce qui le rend bon? Selon quel critère peut-on évaluer le fait qu'il soit bon? Et par quels chemins peut-on parvenir à cette « bonté »?

31. Encore une chose: nous avons besoin des espérances – des plus petites ou des plus grandes – qui, au jour le jour, nous maintiennent en chemin. Mais sans la grande espérance, qui doit dépasser tout le reste, elles ne suffisent pas. Cette grande espérance ne peut être que Dieu seul, qui embrasse l'univers et qui peut nous proposer et nous donner ce que, seuls, nous ne pouvons atteindre. Précisément, le fait d'être gratifié d'un don fait partie de l'espérance. Dieu est le fondement de l'espérance – non pas n'importe quel dieu, mais le Dieu qui possède un visage humain et qui nous a aimés jusqu'au bout – chacun individuellement et l'humanité tout entière. Son Règne n'est pas un au-delà imaginaire, placé dans un avenir qui ne se réalise jamais; son règne est présent là où il est aimé et où son amour nous atteint. Seul son amour nous donne la possibilité de persévérer avec sobriété jour après jour, sans perdre l'élan de l'espérance, dans un monde qui, par nature, est imparfait. Et, en même temps, son amour est pour nous la garantie qu'existe ce que nous pressentons vaguement et que, cependant, nous attendons au plus profond de nous-mêmes: la vie qui est « vraiment » vie. Cherchons maintenant à concrétiser cette idée dans une dernière partie, en portant notre attention sur quelques « lieux » d'apprentissage pratique et d'exercice de l'espérance.

« Lieux » d'apprentissage et d'exercice de l'espérance

I. La prière comme école de l'espérance

32. Un premier lieu essentiel d'apprentissage de l'espérance est la prière. Si personne ne m'écoute plus, Dieu m'écoute encore. Si je ne peux plus parler avec personne, si je ne peux plus invoquer personne – je peux toujours parler à Dieu. S'il n'y a plus personne qui peut m'aider – là où il s'agit d'une nécessité ou d'une attente qui dépasse la capacité humaine d'espérer, Lui peut m'aider.[25] Si je suis relégué dans une extrême solitude...; celui qui prie n'est jamais totalement seul. De ses treize années de prison, dont neuf en isolement, l'inoubliable Cardinal Nguyên Van Thuan nous a laissé un précieux petit livre: Prières d'espérance. Durant treize années de prison, dans une situation de désespoir apparemment total, l'écoute de Dieu, le fait de pouvoir lui parler, devint pour lui une force croissante d'espérance qui, après sa libération, lui a permis de devenir pour les hommes, dans le monde entier, un témoin de l'espérance – de la grande espérance qui ne passe pas, même dans les nuits de la solitude.

33. De façon très belle, Augustin a illustré la relation profonde entre prière et espérance dans une homélie sur la Première lettre de Jean. Il définit la prière comme un exercice du désir. L'homme a été créé pour une grande réalité – pour Dieu lui-même, pour être rempli de Lui. Mais son cœur est trop étroit pour la grande réalité qui lui est assignée. Il doit être élargi. « C'est ainsi que Dieu, en faisant attendre, élargit le désir; en faisant désirer, il élargit l'âme; en l'élargissant, il augmente sa capacité de recevoir ». Augustin renvoie à saint Paul qui dit lui-même qu'il vit tendu vers les choses qui doivent venir (cf. Ph 3, 13). Puis il utilise une très belle image pour décrire ce processus d'élargissement et de préparation du cœur humain. « Suppose que Dieu veut te remplir de miel [symbole de la tendresse de Dieu et de sa bonté]: si tu es rempli de vinaigre, où mettras-tu ce miel? » Le vase, c'est-à-dire le cœur, doit d'abord être élargi et ensuite nettoyé: libéré du vinaigre et de sa saveur. Cela requiert de l'effort, coûte de la souffrance, mais c'est seulement ainsi que se réalise l'adaptation à ce à quoi nous sommes destinés.[26] Même si Augustin ne parle directement que de la réceptivité pour Dieu, il semble toutefois clair que dans cet effort, par lequel il se libère du vinaigre et de la saveur du vinaigre, l'homme ne devient pas libre seulement pour Dieu, mais il s'ouvre aussi aux autres. En effet, c'est uniquement en devenant fils de Dieu, que nous pouvons être avec notre Père commun. Prier ne signifie pas sortir de l'histoire et se retirer dans l'espace privé de son propre bonheur. La façon juste de prier est un processus de purification intérieure qui nous rend capables de Dieu et de la sorte capables aussi des hommes. Dans la prière, l'homme doit apprendre ce qu'il peut vraiment demander à Dieu – ce qui est aussi digne de Dieu. Il doit apprendre qu'on ne peut pas prier contre autrui. Il doit apprendre qu'on ne peut pas demander des choses superficielles et commodes que l'on désire dans l'instant – la fausse petite espérance qui le conduit loin de Dieu. Il doit purifier ses désirs et ses espérances. Il doit se libérer des mensonges secrets par lesquels il se trompe lui-même: Dieu les scrute, et la confrontation avec Dieu oblige l'homme à les reconnaître lui aussi. « Qui peut discerner ses erreurs? Purifie-moi de celles qui m'échappent », prie le Psalmiste (18 [19], 13). La non-reconnaissance de la faute, l'illusion d'innocence ne me justifient pas et ne me sauvent pas, parce que l'engourdissement de la conscience, l'incapacité de reconnaître le mal comme tel en moi, telle est ma faute. S'il n'y a pas de Dieu, je dois peut-être me réfugier dans de tels mensonges, parce qu'il n'y a personne qui puisse me pardonner, personne qui soit la mesure véritable. Au contraire, la rencontre avec Dieu réveille ma conscience parce qu'elle ne me fournit plus d'auto-justification, qu'elle n'est plus une influence de moi-même et de mes contemporains qui me conditionnent, mais qu'elle devient capacité d'écoute du Bien lui-même.

34. Afin que la prière développe cette force purificatrice, elle doit, d'une part, être très personnelle, une confrontation de mon moi avec Dieu, avec le Dieu vivant. D'autre part, cependant, elle doit toujours être à nouveau guidée et éclairée par les grandes prières de l'Église et des saints, par la prière liturgique, dans laquelle le Seigneur nous enseigne continuellement à prier de façon juste. Dans son livre d'Exercices spirituels, le Cardinal Nguyên Van Thuan a raconté comment dans sa vie il y avait eu de longues périodes d'incapacité de prier et comment il s'était accroché aux paroles de la prière de l'Église: au Notre Père, à l'Ave Maria et aux prières de la liturgie.[27] Dans la prière, il doit toujours y avoir une association entre prière publique et prière personnelle. Ainsi nous pouvons parler à Dieu, ainsi Dieu nous parle. De cette façon se réalisent en nous les purifications grâce auxquelles nous devenons capables de Dieu et aptes au service des hommes. Ainsi, nous devenons capables de la grande espérance et nous devenons ministres de l'espérance pour les autres: l'espérance dans le sens chrétien est toujours aussi espérance pour les autres. Et elle est une espérance active, par laquelle nous luttons pour que les choses n'aillent pas vers « une issue perverse ». Elle est aussi une espérance active dans le sens que nous maintenons le monde ouvert à Dieu. C'est seulement dans cette perspective qu'elle demeure également une espérance véritablement humaine.

II. Agir et souffrir comme lieux d'apprentissage de l'espérance

35. Tout agir sérieux et droit de l'homme est espérance en acte. Il l'est avant tout dans le sens où nous cherchons, de ce fait, à poursuivre nos espérances, les plus petites ou les plus grandes: régler telle ou telle tâche qui pour la suite du chemin de notre vie est importante; par notre engagement, apporter notre contribution afin que le monde devienne un peu plus lumineux et un peu plus humain, et qu'ainsi les portes s'ouvrent sur l'avenir. Mais l'engagement quotidien pour la continuation de notre vie et pour l'avenir de l'ensemble nous épuise ou se change en fanatisme si nous ne sommes pas éclairés par la lumière d'une espérance plus grande, qui ne peut être détruite ni par des échecs dans les petites choses ni par l'effondrement dans des affaires de portée historique. Si nous ne pouvons espérer plus que ce qui est effectivement accessible d'une fois sur l'autre ni plus que ce qu'on peut espérer des autorités politiques et économiques, notre vie se réduit bien vite à être privée d'espérance. Il est important de savoir ceci: je peux toujours encore espérer, même si apparemment pour ma vie ou pour le moment historique que je suis en train de vivre, je n'ai plus rien à espérer. Seule la grande espérance-certitude que, malgré tous les échecs, ma vie personnelle et l'histoire dans son ensemble sont gardées dans le pouvoir indestructible de l'Amour et qui, grâce à lui, ont pour lui un sens et une importance, seule une telle espérance peut dans ce cas donner encore le courage d'agir et de poursuivre. Assurément, nous ne pouvons pas « construire » le règne de Dieu de nos propres forces – ce que nous construisons demeure toujours le règne de l'homme avec toutes les limites qui sont propres à la nature humaine. Le règne de Dieu est un don, et c’est pourquoi justement il est grand et beau, et il constitue la réponse à l'espérance. Et nous ne pouvons pas – pour utiliser la terminologie classique – « mériter » le ciel grâce à « nos propres œuvres ». Il est toujours plus que ce que nous méritons; il en va de même pour le fait d'être aimé qui n'est jamais une chose « méritée », mais toujours un don. Cependant, avec toute notre conscience de la « plus-value » du « ciel », il n'en reste pas moins toujours vrai que notre agir n'est pas indifférent devant Dieu et qu'il n'est donc pas non plus indifférent pour le déroulement de l'histoire. Nous pouvons nous ouvrir nous-mêmes, ainsi que le monde, à l'entrée de Dieu: de la vérité, de l'amour, du bien. C'est ce qu'ont fait les saints, qui, comme « collaborateurs de Dieu », ont contribué au salut du monde (cf. 1 Co 3, 9; 1 Th 3, 2). Nous pouvons libérer notre vie et le monde des empoisonnements et des pollutions qui pourraient détruire le présent et l'avenir. Nous pouvons découvrir et tenir propres les sources de la création et ainsi, avec la création qui nous précède comme don, faire ce qui est juste selon ses exigences intrinsèques et sa finalité. Cela garde aussi un sens si, à ce qu'il semble, nous ne réussissons pas ou nous paraissons désarmés face à la puissance de forces hostiles. Ainsi, d'un côté, une espérance pour nous et pour les autres jaillit de notre agir; de l'autre, cependant, c'est la grande espérance appuyée sur les promesses de Dieu qui, dans les bons moments comme dans les mauvais, nous donne courage et oriente notre agir.

36. Comme l'agir, la souffrance fait aussi partie de l'existence humaine. Elle découle, d'une part, de notre finitude et, de l'autre, de la somme de fautes qui, au cours de l'histoire, s'est accumulée et qui encore aujourd'hui grandit sans cesse. Il faut certainement faire tout ce qui est possible pour atténuer la souffrance: empêcher, dans la mesure où cela est possible, la souffrance des innocents; calmer les douleurs; aider à surmonter les souffrances psychiques. Autant de devoirs aussi bien de la justice que de l'amour qui rentrent dans les exigences fondamentales de l'existence chrétienne et de toute vie vraiment humaine. Dans la lutte contre la douleur physique, on a réussi à faire de grands progrès; la souffrance des innocents et aussi les souffrances psychiques ont plutôt augmenté au cours des dernières décennies. Oui, nous devons tout faire pour surmonter la souffrance, mais l'éliminer complètement du monde n'est pas dans nos possibilités – simplement parce que nous ne pouvons pas nous extraire de notre finitude et parce qu'aucun de nous n'est en mesure d'éliminer le pouvoir du mal, de la faute, qui – nous le voyons – est continuellement source de souffrance. Dieu seul pourrait le réaliser: seul un Dieu qui entre personnellement dans l'histoire en se faisant homme et qui y souffre. Nous savons que ce Dieu existe et donc que ce pouvoir qui « enlève le péché du monde » (Jn 1, 29) est présent dans le monde. Par la foi dans l'existence de ce pouvoir, l'espérance de la guérison du monde est apparue dans l'histoire. Mais il s'agit précisément d'espérance et non encore d'accomplissement; espérance qui nous donne le courage de nous mettre du côté du bien même là où cela semble sans espérance, tout en restant conscients que, faisant partie du déroulement de l'histoire tel qu’il apparaît extérieurement, le pouvoir de la faute demeure aussi dans l'avenir une présence terrible.

37. Revenons à notre thème. Nous pouvons chercher à limiter la souffrance, à lutter contre elle, mais nous ne pouvons pas l'éliminer. Justement là où les hommes, dans une tentative d'éviter toute souffrance, cherchent à se soustraire à tout ce qui pourrait signifier souffrance, là où ils veulent s'épargner la peine et la douleur de la vérité, de l'amour, du bien, ils s'enfoncent dans une existence vide, dans laquelle peut-être n'existe pratiquement plus de souffrance, mais où il y a d'autant plus l'obscure sensation du manque de sens et de la solitude. Ce n'est pas le fait d'esquiver la souffrance, de fuir devant la douleur, qui guérit l'homme, mais la capacité d'accepter les tribulations et de mûrir par elles, d'y trouver un sens par l'union au Christ, qui a souffert avec un amour infini. Dans ce contexte, je voudrais citer quelques phrases d'une lettre du martyr vietnamien Paul Le-Bao-Tinh (mort en 1857), dans lesquelles devient évidente cette transformation de la souffrance par la force de l'espérance qui provient de la foi. « Moi, Paul, lié de chaînes pour le Christ, je veux vous raconter les tribulations dans lesquelles je suis chaque jour enseveli, afin qu'embrasés de l'amour divin, vous bénissiez avec moi le Seigneur, parce que dans tous les siècles est sa miséricorde (cf. Ps 135 [136], 3). Cette prison est vraiment une vive figure de l'enfer éternel. Aux liens, aux cangues et aux entraves viennent s'ajouter des colères, des vengeances, des malédictions, des conversations impures, des rixes, des actes mauvais, des serments injustes, des médisances, auxquels se joignent aussi l'ennui et la tristesse. Mais celui qui a déjà délivré les trois enfants des flammes ardentes est aussi demeuré avec moi; il m'a délivré de ces maux et il me les convertit en douceur, parce que dans tous les siècles est sa miséricorde. Par la grâce de Dieu, au milieu de ces supplices qui ont coutume d'attrister les autres, je suis rempli de gaieté et de joie, parce que je ne suis pas seul, mais le Christ est avec moi [...]. Comment puis-je vivre, voyant chaque jour les tyrans et leurs satellites infidèles blasphémer ton saint nom, toi, Seigneur, qui es assis au milieu des Chérubins (cf. Ps 79 [80], 2) et des Séraphins ? Vois ta croix foulée aux pieds des mécréants. Où est ta gloire? À cette vue, enflammé de ton amour, j'aime mieux mourir et que mes membres soient coupés en morceaux en témoignage de mon amour pour toi, Seigneur. Montre ta puissance, délivre-moi et aide-moi, afin que, dans ma faiblesse, ta force se fasse sentir et soit glorifiée devant le monde [...]. En entendant ces choses, vous rendrez, remplis de joie, d'immortelles actions de grâces à Dieu, auteur de tous les dons, et vous le bénirez avec moi, parce que dans tous les siècles est sa miséricorde [...]. Je vous écris ces choses pour que nous unissions votre foi et la mienne: au milieu de ces tempêtes, je jette une ancre qui va jusqu'au trône de Dieu; c'est l'espérance qui vit toujours en mon cœur ».[28] C'est une lettre de l'enfer. S'y manifeste toute l'horreur d'un camp de concentration, dans lequel, aux tourments de la part des tyrans, s'ajoute le déchaînement du mal dans les victimes elles-mêmes qui, de cette façon, deviennent ensuite des instruments de la cruauté des bourreaux. C'est une lettre de l'enfer, mais en elle se réalise la parole du psaume: « Je gravis les cieux: tu es là; je descends chez les morts: te voici... J'avais dit: “Les ténèbres m'écrasent...”, “...même les ténèbres pour toi ne sont pas ténèbres, et la nuit comme le jour est lumière” » (138 [139], 8-12, voir aussi Ps 22 [23], 4). Le Christ est descendu en « enfer » et ainsi il est proche de celui qui y est jeté, transformant pour lui les ténèbres en lumière. La souffrance, les tourments restent terribles et quasi insupportables. Cependant l'étoile de l'espérance s'est levée – l'ancre du cœur arrive au trône de Dieu. Le mal n'est pas déchaîné dans l'homme, mais la lumière vainc: la souffrance – sans cesser d'être souffrance – devient malgré tout chant de louange.

38. La mesure de l'humanité se détermine essentiellement dans son rapport à la souffrance et à celui qui souffre. Cela vaut pour chacun comme pour la société. Une société qui ne réussit pas à accepter les souffrants et qui n'est pas capable de contribuer, par la compassion, à faire en sorte que la souffrance soit partagée et portée aussi intérieurement est une société cruelle et inhumaine. Cependant, la société ne peut accepter les souffrants et les soutenir dans leur souffrance, si chacun n'est pas lui-même capable de cela et, d'autre part, chacun ne peut accepter la souffrance de l'autre si lui-même personnellement ne réussit pas à trouver un sens à la souffrance, un chemin de purification et de maturation, un chemin d'espérance. Accepter l'autre qui souffre signifie, en effet, assumer en quelque manière sa souffrance, de façon qu'elle devienne aussi la mienne. Mais parce que maintenant elle est devenue souffrance partagée, dans laquelle il y a la présence d'un autre, cette souffrance est pénétrée par la lumière de l'amour. La parole latine con-solatio, consolation, l'exprime de manière très belle, suggérant un être-avec dans la solitude, qui alors n'est plus solitude. Ou encore la capacité d'accepter la souffrance par amour du bien, de la vérité et de la justice est constitutive de la mesure de l'humanité, parce que si, en définitive, mon bien-être, mon intégrité sont plus importants que la vérité et la justice, alors la domination du plus fort l'emporte; alors règnent la violence et le mensonge. La vérité et la justice doivent être au-dessus de mon confort et de mon intégrité physique, autrement ma vie elle-même devient mensonge. Et enfin, le « oui » à l'amour est aussi source de souffrance, parce que l'amour exige toujours de sortir de mon moi, où je me laisse émonder et blesser. L'amour ne peut nullement exister sans ce renoncement qui m'est aussi douloureux à moi-même, autrement il devient pur égoïsme et, de ce fait, il s'annule lui-même comme tel.

39. Souffrir avec l'autre, pour les autres; souffrir par amour de la vérité et de la justice; souffrir à cause de l'amour et pour devenir une personne qui aime vraiment – ce sont des éléments fondamentaux d'humanité; leur abandon détruirait l'homme lui-même. Mais encore une fois surgit la question: en sommes-nous capables? L'autre est-il suffisamment important pour que je devienne pour lui une personne qui souffre? La vérité est-elle pour moi si importante pour payer la souffrance? La promesse de l'amour est-elle si grande pour justifier le don de moi-même? À la foi chrétienne, dans l'histoire de l'humanité, revient justement ce mérite d'avoir suscité dans l'homme d'une manière nouvelle et à une profondeur nouvelle la capacité de souffrir de la sorte, qui est décisive pour son humanité. La foi chrétienne nous a montré que vérité, justice, amour ne sont pas simplement des idéaux, mais des réalités de très grande densité. Elle nous a montré en effet que Dieu – la Vérité et l'Amour en personne – a voulu souffrir pour nous et avec nous. Bernard de Clairvaux a forgé l'expression merveilleuse: Impassibilis est Deus, sed non incompassibilis,[29] Dieu ne peut pas souffrir, mais il peut compatir. L'homme a pour Dieu une valeur si grande que Lui-même s'est fait homme pour pouvoir compatir avec l'homme de manière très réelle, dans la chair et le sang, comme cela nous est montré dans le récit de la Passion de Jésus. De là, dans toute souffrance humaine est entré quelqu'un qui partage la souffrance et la patience; de là se répand dans toute souffrance la con-solatio; la consolation de l'amour qui vient de Dieu et ainsi surgit l'étoile de l'espérance. Certainement, dans nos multiples souffrances et épreuves nous avons toujours besoin aussi de nos petites ou de nos grandes espérances – d'une visite bienveillante, de la guérison des blessures internes et externes, de la solution positive d'une crise, et ainsi de suite. Dans les petites épreuves, ces formes d'espérance peuvent aussi être suffisantes. Mais dans les épreuves vraiment lourdes, où je dois faire mienne la décision définitive de placer la vérité avant le bien-être, la carrière, la possession, la certitude de la véritable, de la grande espérance, dont nous avons parlé, devient nécessaire. Pour cela nous avons aussi besoin de témoins, de martyrs, qui se sont totalement donnés, pour qu'ils puissent nous le montrer – jour après jour. Nous en avons besoin pour préférer, même dans les petits choix de la vie quotidienne, le bien à la commodité – sachant que c'est justement ainsi que nous vivons vraiment notre vie. Disons-le encore une fois: la capacité de souffrir par amour de la vérité est la mesure de l'humanité; cependant, cette capacité de souffrir dépend du genre et de la mesure de l'espérance que nous portons en nous et sur laquelle nous construisons. Les saints ont pu parcourir le grand chemin de l'être-homme à la façon dont le Christ l'a parcouru avant nous, parce qu'ils étaient remplis de la grande espérance.

40. Je voudrais encore ajouter une petite annotation qui n'est pas du tout insignifiante pour les événements de chaque jour. La pensée de pouvoir « offrir » les petites peines du quotidien, qui nous touchent toujours de nouveau comme des piqûres plus ou moins désagréables, leur attribuant ainsi un sens, était une forme de dévotion, peut-être moins pratiquée aujourd'hui, mais encore très répandue il n'y a pas si longtemps. Dans cette dévotion, il y avait certainement des choses exagérées et peut-être aussi malsaines, mais il faut se demander si quelque chose d'essentiel qui pourrait être une aide n'y était pas contenu de quelque manière. Que veut dire « offrir » ? Ces personnes étaient convaincues de pouvoir insérer dans la grande compassion du Christ leurs petites peines, qui entraient ainsi d'une certaine façon dans le trésor de compassion dont le genre humain a besoin. De cette manière aussi les petits ennuis du quotidien pourraient acquérir un sens et contribuer à l'économie du bien, de l'amour entre les hommes. Peut-être devrions-nous nous demander vraiment si une telle chose ne pourrait pas redevenir une perspective judicieuse pour nous aussi.

III. Le Jugement comme lieu d'apprentissage et d'exercice de l'espérance

41. Dans le grand Credo de l'Église, la partie centrale, qui traite du mystère du Christ à partir de sa naissance éternelle du Père et de sa naissance temporelle de la Vierge Marie pour arriver par la croix et la résurrection jusqu'à son retour, se conclut par les paroles: « Il reviendra dans la gloire pour juger les vivants et les morts ». Déjà dès les tout premiers temps, la perspective du Jugement a influencé les chrétiens jusque dans leur vie quotidienne en tant que critère permettant d'ordonner la vie présente, comme appel à leur conscience et, en même temps, comme espérance dans la justice de Dieu. La foi au Christ n'a jamais seulement regardé en arrière ni jamais seulement vers le haut, mais toujours aussi en avant vers l'heure de la justice que le Seigneur avait annoncée plusieurs fois. Ce regard en avant a conféré au christianisme son importance pour le présent. Dans la structure des édifices sacrés chrétiens, qui voulaient rendre visible l'ampleur historique et cosmique de la foi au Christ, il devint habituel de représenter sur le côté oriental le Seigneur qui revient comme roi – l'image de l'espérance –, sur le côté occidental, par contre, le jugement final comme image de la responsabilité pour notre existence, une représentation qui regardait et accompagnait les fidèles sur le chemin de leur vie quotidienne. Cependant, dans le développement de l'iconographie, on a ensuite donné toujours plus d'importance à l'aspect menaçant et lugubre du Jugement, qui évidemment fascinait les artistes plus que la splendeur de l'espérance, souvent excessivement cachée sous la menace.

42. À l'époque moderne, la préoccupation du Jugement final s'estompe: la foi chrétienne est individualisée et elle est orientée surtout vers le salut personnel de l'âme; la réflexion sur l'histoire universelle, au contraire, est en grande partie dominée par la préoccupation du progrès. Toutefois, le contenu fondamental de l'attente du jugement n'a pas simplement disparu. Maintenant il prend une forme totalement différente. L'athéisme des XIXe et XXe siècles est, selon ses racines et sa finalité, un moralisme: une protestation contre les injustices du monde et de l'histoire universelle. Un monde dans lequel existe une telle quantité d'injustice, de souffrance des innocents et de cynisme du pouvoir ne peut être l'œuvre d'un Dieu bon. Le Dieu qui aurait la responsabilité d'un monde semblable ne serait pas un Dieu juste et encore moins un Dieu bon. C'est au nom de la morale qu'il faut contester ce Dieu. Puisqu'il n'y a pas de Dieu qui crée une justice, il semble que l'homme lui-même soit maintenant appelé à établir la justice. Si face à la souffrance de ce monde la protestation contre Dieu est compréhensible, la prétention que l'humanité puisse et doive faire ce qu'aucun Dieu ne fait ni est en mesure de faire est présomptueuse et fondamentalement fausse. Que d'une telle prétention s'ensuivent les plus grandes cruautés et les plus grandes violations de la justice n'est pas un hasard, mais est fondé sur la fausseté intrinsèque de cette prétention. Un monde qui doit se créer de lui-même sa justice est un monde sans espérance. Personne ni rien ne répond pour la souffrance des siècles. Personne ni rien ne garantit que le cynisme du pouvoir – sous quelque habillage idéologique conquérant qu'il se présente – ne continuera à commander dans le monde. Ainsi les grands penseurs de l'école de Francfort, Max Horkheimer et Theodor W. Adorno, ont critiqué de la même façon l'athéisme et le théisme. Horkheimer a radicalement exclu que puisse être trouvé un quelconque succédané immanent pour Dieu, refusant cependant en même temps l'image du Dieu bon et juste. Dans une radicalisation extrême de l'interdit vétéro-testamentaire des images, il parle de la « nostalgie du totalement autre » qui demeure inaccessible – un cri du désir adressé à l'histoire universelle. De même, Adorno s'est conformé résolument à ce refus de toute image qui, précisément, exclut aussi l'« image » du Dieu qui aime. Mais il a aussi toujours de nouveau souligné cette dialectique « négative » et il a affirmé que la justice, une vraie justice, demanderait un monde « dans lequel non seulement la souffrance présente serait anéantie, mais où serait aussi révoqué ce qui est irrémédiablement passé ».[30] Cependant, cela signifierait – exprimé en symboles positifs et donc pour lui inappropriés – que la justice ne peut être pour nous sans résurrection des morts. Néanmoins, une telle perspective comporterait « la résurrection de la chair, une chose qui est toujours restée étrangère à l'idéalisme, au règne de l'esprit absolu ».[31]

43. Du refus rigoureux de toute image, qui fait partie du premier Commandement de Dieu (cf. Ex 20, 4), le chrétien lui aussi peut et doit apprendre toujours de nouveau. La vérité de la théologie négative a été mise en évidence au IVe Concile du Latran, qui a déclaré explicitement que, aussi grande que puisse être la ressemblance constatée entre le Créateur et la créature, la dissemblance est toujours plus grande entre eux.[32] Pour le croyant, cependant, le renoncement à toute image ne peut aller jusqu'à devoir s'arrêter, comme le voudraient Horkheimer et Adorno, au « non » des deux thèses, au théisme et à l'athéisme. Dieu lui-même s'est donné une « image »: dans le Christ qui s'est fait homme. En Lui, le Crucifié, la négation des fausses images de Dieu est portée à l'extrême. Maintenant Dieu révèle son propre Visage dans la figure du souffrant qui partage la condition de l'homme abandonné de Dieu, la prenant sur lui. Ce souffrant innocent est devenu espérance-certitude: Dieu existe et Dieu sait créer la justice d'une manière que nous ne sommes pas capables de concevoir et que, cependant, dans la foi nous pouvons pressentir. Oui, la résurrection de la chair existe.[33] Une justice existe.[34] La « révocation » de la souffrance passée, la réparation qui rétablit le droit existent. C'est pourquoi la foi dans le Jugement final est avant tout et surtout espérance – l'espérance dont la nécessité a justement été rendue évidente dans les bouleversements des derniers siècles. Je suis convaincu que la question de la justice constitue l'argument essentiel, en tout cas l'argument le plus fort, en faveur de la foi dans la vie éternelle. Le besoin seulement individuel d'une satisfaction qui dans cette vie nous est refusée, de l'immortalité de l'amour que nous attendons, est certainement un motif important pour croire que l'homme est fait pour l'éternité, mais seulement en liaison avec le fait qu'il est impossible que l'injustice de l'histoire soit la parole ultime, la nécessité du retour du Christ et de la vie nouvelle devient totalement convaincante.

44. La protestation contre Dieu au nom de la justice ne sert à rien. Un monde sans Dieu est un monde sans espérance (cf. Ep 2, 12). Seul Dieu peut créer la justice. Et la foi nous donne la certitude qu'Il le fait. L'image du Jugement final est en premier lieu non pas une image terrifiante, mais une image d'espérance; pour nous peut-être même l'image décisive de l'espérance. Mais n'est-ce pas aussi une image de crainte? Je dirais: c'est une image qui appelle à la responsabilité. Une image, donc, de cette crainte dont saint Hilaire dit que chacune de nos craintes a sa place dans l'amour.[35] Dieu est justice et crée la justice. C'est cela notre consolation et notre espérance. Mais dans sa justice il y a aussi en même temps la grâce. Nous le savons en tournant notre regard vers le Christ crucifié et ressuscité. Justice et grâce doivent toutes les deux être vues dans leur juste relation intérieure. La grâce n'exclut pas la justice. Elle ne change pas le tort en droit. Ce n'est pas une éponge qui efface tout, de sorte que tout ce qui s'est fait sur la terre finisse par avoir toujours la même valeur. Par exemple, dans son roman « Les frères Karamazov », Dostoïevski a protesté avec raison contre une telle typologie du ciel et de la grâce. À la fin, au banquet éternel, les méchants ne siégeront pas indistinctement à table à côté des victimes, comme si rien ne s'était passé. Je voudrais sur ce point citer un texte de Platon qui exprime un pressentiment du juste jugement qui, en grande partie, demeure vrai et salutaire, pour le chrétien aussi. Même avec des images mythologiques, qui cependant rendent la vérité avec une claire évidence, il dit qu'à la fin les âmes seront nues devant le juge. Alors ce qu'elles étaient dans l'histoire ne comptera plus, mais seulement ce qu'elles sont en vérité. « Souvent, mettant la main sur le Grand Roi ou sur quelque autre prince ou dynaste, il constate qu'il n'y a pas une seule partie de saine dans son âme, qu'elle est toute lacérée et ulcérée par les parjures et les injustices [...], que tout est déformé par les mensonges et la vanité, et que rien n'y est droit parce qu'elle a vécu hors de la vérité, que la licence enfin, la mollesse, l'orgueil, l'intempérance de sa conduite l'ont rempli de désordre et de laideur: à cette vue, Rhadamante l'envoie aussitôt déchue de ses droits, dans la prison, pour y subir les peines appropriées [...]; quelquefois, il voit une autre âme, qu'il reconnaît comme ayant vécu saintement dans le commerce de la vérité. [...] Il en admire la beauté et l'envoie aux îles des Bienheureux ».[36] Dans la parabole du riche bon vivant et du pauvre Lazare (cf. Lc 16, 19-31), Jésus nous a présenté en avertissement l'image d'une telle âme ravagée par l'arrogance et par l'opulence, qui a créé elle-même un fossé infranchissable entre elle et le pauvre; le fossé de l'enfermement dans les plaisirs matériels; le fossé de l'oubli de l'autre, de l'incapacité d’aimer, qui se transforme maintenant en une soif ardente et désormais irrémédiable. Nous devons relever ici que Jésus dans cette parabole ne parle pas du destin définitif après le Jugement universel, mais il reprend une conception qui se trouve, entre autre, dans le judaïsme ancien, à savoir la conception d'une condition intermédiaire entre mort et résurrection, un état dans lequel la sentence dernière manque encore.

45. Cette idée vétéro-juive de la condition intermédiaire inclut l'idée que les âmes ne se trouvent pas simplement dans une sorte de détention provisoire, mais subissent déjà une punition, comme le montre la parabole du riche bon vivant, ou au contraire jouissent déjà de formes provisoires de béatitude. Et enfin il y a aussi l'idée que, dans cet état, sont possibles des purifications et des guérisons qui rendent l'âme mûre pour la communion avec Dieu. L'Église primitive a repris ces conceptions, à partir desquelles ensuite, dans l'Église occidentale, s'est développée petit à petit la doctrine du purgatoire. Nous n'avons pas besoin de faire ici un examen des chemins historiques compliqués de ce développement; demandons-nous seulement de quoi il s'agit réellement. Avec la mort, le choix de vie fait par l'homme devient définitif – sa vie est devant le Juge. Son choix, qui au cours de toute sa vie a pris forme, peut avoir diverses caractéristiques. Il peut y avoir des personnes qui ont détruit totalement en elles le désir de la vérité et la disponibilité à l'amour. Des personnes en qui tout est devenu mensonge; des personnes qui ont vécu pour la haine et qui en elles-mêmes ont piétiné l'amour. C'est une perspective terrible, mais certains personnages de notre histoire laissent entrevoir de façon effroyable des profils de ce genre. Dans de semblables individus, il n'y aurait plus rien de remédiable et la destruction du bien serait irrévocable: c'est cela qu'on indique par le mot « enfer ».[37] D'autre part, il peut y avoir des personnes très pures, qui se sont laissées entièrement pénétrer par Dieu et qui, par conséquent, sont totalement ouvertes au prochain – personnes dont la communion avec Dieu oriente dès maintenant l'être tout entier et dont le fait d'aller vers Dieu conduit seulement à l'accomplissement de ce qu'elles sont désormais.[38]

46. Selon nos expériences, cependant, ni un cas ni l'autre ne sont la normalité dans l'existence humaine. Chez la plupart des hommes – comme nous pouvons le penser – demeure présente au plus profond de leur être une ultime ouverture intérieure pour la vérité, pour l'amour, pour Dieu. Mais, dans les choix concrets de vie, elle est recouverte depuis toujours de nouveaux compromis avec le mal – beaucoup de saleté recouvre la pureté, dont cependant la soif demeure et qui, malgré cela, émerge toujours de nouveau de toute la bassesse et demeure présente dans l'âme. Qu'advient-il de tels individus lorsqu'ils comparaissent devant le juge? Toutes les choses sales qu'ils ont accumulées dans leur vie deviendront-elles d'un coup insignifiantes ? Ou qu'arrivera-t-il d'autre? Dans la Première lettre aux Corinthiens, saint Paul nous donne une idée de l'impact différent du jugement de Dieu sur l'homme selon son état. Il le fait avec des images qui veulent en quelque sorte exprimer l'invisible, sans que nous puissions transformer ces images en concepts – simplement parce que nous ne pouvons pas jeter un regard dans le monde d’au delà de la mort et parce que nous n'en avons aucune expérience. Paul dit avant tout de l'expérience chrétienne qu'elle est construite sur un fondement commun: Jésus Christ. Ce fondement résiste. Si nous sommes demeurés fermes sur ce fondement et que nous avons construit sur lui notre vie, nous savons que ce fondement ne peut plus être enlevé, pas même dans la mort. Puis Paul continue: « On peut poursuivre la construction avec de l'or, de l'argent ou de la belle pierre, avec du bois, de l'herbe ou du chaume, mais l'ouvrage de chacun sera mis en pleine lumière au jour du jugement. Car cette révélation se fera par le feu, et c'est le feu qui permettra d'apprécier la qualité de l'ouvrage de chacun. Si l'ouvrage construit par quelqu'un résiste, celui-là recevra un salaire; s'il est détruit par le feu, il perdra son salaire. Et lui-même sera sauvé, mais comme s'il était passé à travers un feu » (3, 12-15). Dans ce texte, en tout cas, il devient évident que le sauvetage des hommes peut avoir des formes diverses; que certaines choses édifiées peuvent brûler totalement; que pour se sauver il faut traverser soi-même le « feu » afin de devenir définitivement capable de Dieu et de pouvoir prendre place à la table du banquet nuptial éternel.

47. Certains théologiens récents sont de l'avis que le feu qui brûle et en même temps sauve est le Christ lui-même, le Juge et Sauveur. La rencontre avec Lui est l'acte décisif du Jugement. Devant son regard s'évanouit toute fausseté. C'est la rencontre avec Lui qui, en nous brûlant, nous transforme et nous libère pour nous faire devenir vraiment nous-mêmes. Les choses édifiées durant la vie peuvent alors se révéler paille sèche, vantardise vide et s'écrouler. Mais dans la souffrance de cette rencontre, où l'impur et le malsain de notre être nous apparaissent évidents, se trouve le salut. Le regard du Christ, le battement de son cœur nous guérissent grâce à une transformation assurément douloureuse, comme « par le feu ». Cependant, c'est une heureuse souffrance, dans laquelle le saint pouvoir de son amour nous pénètre comme une flamme, nous permettant à la fin d'être totalement nous-mêmes et par là totalement de Dieu. Ainsi se rend évidente aussi la compénétration de la justice et de la grâce: notre façon de vivre n'est pas insignifiante, mais notre saleté ne nous tache pas éternellement, si du moins nous sommes demeurés tendus vers le Christ, vers la vérité et vers l'amour. En fin de compte, cette saleté a déjà été brûlée dans la Passion du Christ. Au moment du Jugement, nous expérimentons et nous accueillons cette domination de son amour sur tout le mal dans le monde et en nous. La souffrance de l'amour devient notre salut et notre joie. Il est clair que la « durée » de cette brûlure qui transforme, nous ne pouvons la calculer avec les mesures chronométriques de ce monde. Le « moment » transformant de cette rencontre échappe au chronométrage terrestre – c'est le temps du cœur, le temps du « passage » à la communion avec Dieu dans le Corps du Christ.[39] Le Jugement de Dieu est espérance, aussi bien parce qu'il est justice que parce qu'il est grâce. S'il était seulement grâce qui rend insignifiant tout ce qui est terrestre, Dieu resterait pour nous un débiteur de la réponse à la question concernant la justice – question décisive pour nous face à l'histoire et face à Dieu lui-même. S'il était pure justice, il ne pourrait être à la fin pour nous tous qu’un motif de peur. L'incarnation de Dieu dans le Christ a tellement lié l'une à l'autre – justice et grâce – que la justice est établie avec fermeté: nous attendons tous notre salut « dans la crainte de Dieu et en tremblant » (Ph 2, 12). Malgré cela, la grâce nous permet à tous d'espérer et d'aller pleins de confiance à la rencontre du Juge que nous connaissons comme notre « avocat » (parakletos) (cf. 1 Jn 2, 1).

48. Un motif doit encore être mentionné ici, parce qu'il est important pour la pratique de l'espérance chrétienne. Dans le judaïsme ancien, il existe aussi l'idée qu'on peut venir en aide aux défunts dans leur condition intermédiaire par la prière (cf. par exemple 2 M 12, 38-45: 1er s. av. JC). La pratique correspondante a été adoptée très spontanément par les chrétiens et elle est commune à l'Église orientale et occidentale. L'Orient ignore la souffrance purificatrice et expiatrice des âmes dans « l'au-delà », mais il connaît divers degrés de béatitude ou aussi de souffrance dans la condition intermédiaire. Cependant, grâce à l'Eucharistie, à la prière et à l'aumône, « repos et fraîcheur » peuvent être donnés aux âmes des défunts. Que l'amour puisse parvenir jusqu'à l'au-delà, que soit possible un mutuel donner et recevoir, dans lequel les uns et les autres demeurent unis par des liens d'affection au delà des limites de la mort – cela a été une conviction fondamentale de la chrétienté à travers tous les siècles et reste aussi aujourd'hui une expérience réconfortante. Qui n'éprouverait le besoin de faire parvenir à ses proches déjà partis pour l'au-delà un signe de bonté, de gratitude ou encore de demande de pardon? À présent on pourrait enfin se demander: si le « purgatoire » consiste simplement à être purifié par le feu dans la rencontre avec le Seigneur, Juge et Sauveur, comment alors une tierce personne peut-elle intervenir, même si elle est particulièrement proche de l'autre? Quand nous posons une telle question, nous devrions nous rendre compte qu'aucun homme n'est une monade fermée sur elle-même. Nos existences sont en profonde communion entre elles, elles sont reliées l'une à l'autre au moyen de multiples interactions. Nul ne vit seul. Nul ne pèche seul. Nul n'est sauvé seul. Continuellement la vie des autres entre dans ma vie: en ce que je pense, je dis, je fais, je réalise. Et vice-versa, ma vie entre dans celle des autres: dans le mal comme dans le bien. Ainsi mon intercession pour quelqu'un n'est pas du tout quelque chose qui lui est étranger, extérieur, pas même après la mort. Dans l'inter-relation de l'être, le remerciement que je lui adresse, ma prière pour lui peuvent signifier une petite étape de sa purification. Et avec cela il n'y a pas besoin de convertir le temps terrestre en temps de Dieu: dans la communion des âmes le simple temps terrestre est dépassé. Il n'est jamais trop tard pour toucher le cœur de l'autre et ce n'est jamais inutile. Ainsi s'éclaire ultérieurement un élément important du concept chrétien d'espérance. Notre espérance est toujours essentiellement aussi espérance pour les autres; c'est seulement ainsi qu'elle est vraiment espérance pour moi.[40] En tant que chrétiens nous ne devrions jamais nous demander seulement: comment puis-je me sauver moi-même? Nous devrions aussi nous demander: que puis-je faire pour que les autres soient sauvés et que surgisse aussi pour les autres l'étoile de l'espérance? Alors j'aurai fait le maximum pour mon salut personnel.

Marie, étoile de l'espérance

49. Par une hymne du VIIe -IXe siècle, donc depuis plus de mille ans, l'Église salue Marie, Mère de Dieu, comme « étoile de la mer »: Ave maris stella. La vie humaine est un chemin. Vers quelle fin? Comment en trouvons-nous la route? La vie est comme un voyage sur la mer de l'histoire, souvent obscur et dans l'orage, un voyage dans lequel nous scrutons les astres qui nous indiquent la route. Les vraies étoiles de notre vie sont les personnes qui ont su vivre dans la droiture. Elles sont des lumières d'espérance. Certes, Jésus Christ est la lumière par antonomase, le soleil qui se lève sur toutes les ténèbres de l'histoire. Mais pour arriver jusqu'à Lui nous avons besoin aussi de lumières proches – de personnes qui donnent une lumière en la tirant de sa lumière et qui offrent ainsi une orientation pour notre traversée. Et quelle personne pourrait plus que Marie être pour nous l'étoile de l'espérance – elle qui par son « oui » ouvrit à Dieu lui-même la porte de notre monde; elle qui devint la vivante Arche de l'Alliance, dans laquelle Dieu se fit chair, devint l'un de nous, planta sa tente au milieu de nous (cf. Jn 1, 14)? C'est ainsi que nous nous adressons à elle:

50. Sainte Marie, tu appartenais aux âmes humbles et grandes en Israël qui, comme Syméon, attendaient « la consolation d'Israël » (Lc 2, 25) et qui, comme Anne, attendaient « la délivrance de Jérusalem » (Lc 2, 38). Tu vivais en contact intime avec les Saintes Écritures d'Israël, qui parlaient de l'espérance – de la promesse faite à Abraham et à sa descendance (cf. Lc 1, 55). Ainsi nous comprenons la sainte crainte qui t'assaillit quand l'ange du Seigneur entra dans ta maison et te dit que tu mettrais au jour Celui qui était l'espérance d'Israël et l'attente du monde. Par toi, par ton « oui », l'espérance des millénaires devait devenir réalité, entrer dans ce monde et dans son histoire. Toi tu t'es inclinée devant la grandeur de cette mission et tu as dit « oui »: « Voici la servante du Seigneur; que tout se passe pour moi selon ta parole » (Lc 1, 38). Quand remplie d'une sainte joie tu as traversé en hâte les monts de Judée pour rejoindre ta parente Élisabeth, tu devins l'image de l'Église à venir qui, dans son sein, porte l'espérance du monde à travers les monts de l'histoire. Mais à côté de la joie que, dans ton Magnificat, par les paroles et par le chant tu as répandue dans les siècles, tu connaissais également les affirmations obscures des prophètes sur la souffrance du serviteur de Dieu en ce monde. Sur la naissance dans l'étable de Bethléem brilla la splendeur des anges qui portaient la bonne nouvelle aux bergers, mais en même temps on a par trop fait en ce monde l'expérience de la pauvreté de Dieu. Le vieillard Syméon te parla de l'épée qui transpercerait ton cœur (cf. Lc 2, 35), du signe de contradiction que ton Fils serait dans ce monde. Quand ensuite commença l'activité publique de Jésus, tu as dû te mettre à l'écart, afin que puisse grandir la nouvelle famille, pour la constitution de laquelle Il était venu et qui devait se développer avec l'apport de ceux qui écouteraient et observeraient sa parole (cf. Lc 11, 27s.). Malgré toute la grandeur et la joie des tout débuts de l'activité de Jésus, toi, tu as dû faire, déjà dans la synagogue de Nazareth, l'expérience de la vérité de la parole sur le « signe de contradiction » (cf. Lc 4, 28ss). Ainsi tu as vu le pouvoir grandissant de l'hostilité et du refus qui progressivement allait s'affirmant autour de Jésus jusqu'à l'heure de la croix, où tu devais voir le Sauveur du monde, l'héritier de David, le Fils de Dieu mourir comme quelqu'un qui a échoué, exposé à la risée, parmi les délinquants. Tu as alors accueilli la parole: « Femme, voici ton fils! » (Jn 19, 26). De la croix tu reçus une nouvelle mission. À partir de la croix tu es devenue mère d'une manière nouvelle: mère de tous ceux qui veulent croire en ton Fils Jésus et le suivre. L'épée de douleur transperça ton cœur. L'espérance était-elle morte? Le monde était-il resté définitivement sans lumière, la vie sans but? À cette heure, probablement, au plus intime de toi-même, tu auras écouté de nouveau la parole de l'ange, par laquelle il avait répondu à ta crainte au moment de l'Annonciation: « Sois sans crainte, Marie! » (Lc 1, 30). Que de fois le Seigneur, ton fils, avait dit la même chose à ses disciples: N'ayez pas peur! Dans la nuit du Golgotha, tu as entendu de nouveau cette parole. À ses disciples, avant l'heure de la trahison, il avait dit: « Ayez confiance: moi, je suis vainqueur du monde » (Jn 16, 33). « Ne soyez donc pas bouleversés et effrayés » (Jn 14, 27). « Sois sans crainte, Marie! » À l'heure de Nazareth l'ange t'avait dit aussi: « Son règne n'aura pas de fin » (Lc 1, 33). Il était peut-être fini avant de commencer ? Non, près de la croix, sur la base de la parole même de Jésus, tu étais devenue la mère des croyants. Dans cette foi, qui était aussi, dans l'obscurité du Samedi Saint, certitude de l'espérance, tu es allée à la rencontre du matin de Pâques. La joie de la résurrection a touché ton cœur et t'a unie de manière nouvelle aux disciples, appelés à devenir la famille de Jésus par la foi. Ainsi, tu fus au milieu de la communauté des croyants qui, les jours après l'Ascension, priaient d'un seul cœur pour le don du Saint-Esprit (cf. Ac 1, 14) et qui le reçurent au jour de la Pentecôte. Le « règne » de Jésus était différent de ce que les hommes avaient pu imaginer. Ce « règne » commençait à cette heure et n'aurait jamais de fin. Ainsi tu demeures au milieu des disciples comme leur Mère, comme Mère de l'espérance. Sainte Marie, Mère de Dieu, notre Mère, enseigne-nous à croire, à espérer et à aimer avec toi. Indique-nous le chemin vers son règne! Étoile de la mer, brille sur nous et conduis-nous sur notre route!


Donné à Rome, près de Saint-Pierre, le 30 novembre 2007, fête de saint André Apôtre, en la troisième année de mon Pontificat.


BENEDICTUS PP. XVI


[1]Corpus Inscriptionum Latinarum, vol. VI, n. 26003.

[2]Cf. Poèmes dogmatiques V, 53-64: PG 37, 428-429.


[4]Somme théologique, IIa-IIæ q. 4, a. 1.

[5]Köster H. : ThWNT VIII (1969), p. 585.

[6]Homélie pour la mort de son frère Saturus, II, 47: CSEL 73, 274.

[7]Ibid., II, 46: CSEL 73, 273.

[8]Cf. Lettre 130 à Proba sur la prière 14, 25-15, 28: CSEL 44, 68-73.


[10]Jean Giono, Les vraies richesses, Paris (1936), Préface, in Henri de Lubac, Catholicisme. Aspects sociaux du dogme, Paris (1983), p. VII.

[11]Lettre 130 à Proba sur la prière, 13, 24: CSEL 44, 67.

[12]Sententiae III, 118: CCL 6/2, p. 215.

[13]Cf. ibid. III, 71: CCL 6/2, pp. 107-108.

[14]Novum Organum I, 117.

[15]Cf. ibid. I, 129.

[16]Cf. New Atlantis.

[17]In Werke IV, W. Weischedel dir. (1956), p. 777: La doctrine philosophique de la religion, III, I, VII: Œuvres philosophiques III, La Pléiade, Paris (1986), p. 140. Les pages sur la Victoire du bien constitue, on le sait, le troisième chapitre de l’écrit Die Religion innerhalb der Grenzen der bloβen Vernunft (La religion dans les limites de la raison), publié par Kant en 1793.

[18]Kant Immanuel, Das Ende aller Dinge: in Werke IV, W. Weischedel dir. (1964), p. 190: La fin de toutes choses. Remarque: Œuvres philosophiques III, La Pléiade, Paris (1986), pp. 324-325.

[19]Chapitres sur la charité, Centurie I, ch. 1: PG 90, 965: SCh 9, Paris (1943), p. 73.

[20]Cf. ibid.: PG 90, 962-966: SCh 9 (1943), pp. 69-75.

[21]Confessions X, 43, 70: CSEL 33, 279: Œuvres, Paris (1998), p. 1028.

[22]Sermon 340, 3: PL 38, 1484; cf. Frederik Van der Meer, Saint Augustin, Pasteur d'âmes, Colmar-Paris (1959), pp. 407-408.

[23]Sermon 339, 4: PL 38, 1481.

[24]Confessions X, 43, 69: Œuvres, Paris (1998), p. 1027.


[26]Cf. In 1 Joannis 4, 6: PL 35, 2008s: SCh 75, Paris (1961), pp. 231-233.

[27]Cf. Témoins de l'espérance, Montrouge, Nouvelle Cité (2000), pp. 157-159.

[28]Bréviaire romain, Office des Lectures, 24 novembre.

[29]Sermons sur le Cantique, Sermon 26, 5: PL 183, 906.

[30]Cf. Negative Dialektik (1966) Troisième partie, III 11, in Gesammelte Schriften VI, Frankfurt/Main (1973), p. 395.

[31]Ibid., Deuxième partie, p. 207.

[32]DS 806: FC, n. 225.


[34]Cf. ibid., n. 1040.

[35]Tractatus super Psalmos, Ps 127, 1-3: CSEL 22, 628-630.

[36]Gorgias 525a-526c: Les belles Lettres, Paris (1966), pp. 221-223.


[38]Cf. ibid., nn. 1023-1029.



© Copyright 2007 - Libreria Editrice Vaticana

SOURCE : http://www.vatican.va/holy_father/benedict_xvi/encyclicals/documents/hf_ben-xvi_enc_20071130_spe-salvi_fr.html



ENCYCLICAL LETTER
SPE SALVI
OF THE SUPREME PONTIFF
BENEDICT XVI
TO THE BISHOPS
PRIESTS AND DEACONS
MEN AND WOMEN RELIGIOUS
AND ALL THE LAY FAITHFUL
ON CHRISTIAN HOPE

Introduction

1. “SPE SALVI facti sumus”—in hope we were saved, says Saint Paul to the Romans, and likewise to us (Rom 8:24). According to the Christian faith, “redemption”—salvation—is not simply a given. Redemption is offered to us in the sense that we have been given hope, trustworthy hope, by virtue of which we can face our present: the present, even if it is arduous, can be lived and accepted if it leads towards a goal, if we can be sure of this goal, and if this goal is great enough to justify the effort of the journey. Now the question immediately arises: what sort of hope could ever justify the statement that, on the basis of that hope and simply because it exists, we are redeemed? And what sort of certainty is involved here?

Faith is Hope

2. Before turning our attention to these timely questions, we must listen a little more closely to the Bible's testimony on hope. “Hope”, in fact, is a key word in Biblical faith—so much so that in several passages the words “faith” and “hope” seem interchangeable. Thus the Letter to the Hebrews closely links the “fullness of faith” (10:22) to “the confession of our hope without wavering” (10:23). Likewise, when the First Letter of Peter exhorts Christians to be always ready to give an answer concerning the logos—the meaning and the reason—of their hope (cf. 3:15), “hope” is equivalent to “faith”. We see how decisively the self-understanding of the early Christians was shaped by their having received the gift of a trustworthy hope, when we compare the Christian life with life prior to faith, or with the situation of the followers of other religions. Paul reminds the Ephesians that before their encounter with Christ they were “without hope and without God in the world” (Eph 2:12). Of course he knew they had had gods, he knew they had had a religion, but their gods had proved questionable, and no hope emerged from their contradictory myths. Notwithstanding their gods, they were “without God” and consequently found themselves in a dark world, facing a dark future. In nihil ab nihilo quam cito recidimus (How quickly we fall back from nothing to nothing)[1]: so says an epitaph of that period. In this phrase we see in no uncertain terms the point Paul was making. In the same vein he says to the Thessalonians: you must not “grieve as others do who have no hope” (1 Th 4:13). Here too we see as a distinguishing mark of Christians the fact that they have a future: it is not that they know the details of what awaits them, but they know in general terms that their life will not end in emptiness. Only when the future is certain as a positive reality does it become possible to live the present as well. So now we can say: Christianity was not only “good news”—the communication of a hitherto unknown content. In our language we would say: the Christian message was not only “informative” but “performative”. That means: the Gospel is not merely a communication of things that can be known—it is one that makes things happen and is life-changing. The dark door of time, of the future, has been thrown open. The one who has hope lives differently; the one who hopes has been granted the gift of a new life.

3. Yet at this point a question arises: in what does this hope consist which, as hope, is “redemption”? The essence of the answer is given in the phrase from the Letter to the Ephesians quoted above: the Ephesians, before their encounter with Christ, were without hope because they were “without God in the world”. To come to know God—the true God—means to receive hope. We who have always lived with the Christian concept of God, and have grown accustomed to it, have almost ceased to notice that we possess the hope that ensues from a real encounter with this God. The example of a saint of our time can to some degree help us understand what it means to have a real encounter with this God for the first time. I am thinking of the African Josephine Bakhita, canonized by Pope John Paul II. She was born around 1869—she herself did not know the precise date—in Darfur in Sudan. At the age of nine, she was kidnapped by slave-traders, beaten till she bled, and sold five times in the slave-markets of Sudan. Eventually she found herself working as a slave for the mother and the wife of a general, and there she was flogged every day till she bled; as a result of this she bore 144 scars throughout her life. Finally, in 1882, she was bought by an Italian merchant for the Italian consul Callisto Legnani, who returned to Italy as the Mahdists advanced. Here, after the terrifying “masters” who had owned her up to that point, Bakhita came to know a totally different kind of “master”—in Venetian dialect, which she was now learning, she used the name “paron” for the living God, the God of Jesus Christ. Up to that time she had known only masters who despised and maltreated her, or at best considered her a useful slave. Now, however, she heard that there is a “paron” above all masters, the Lord of all lords, and that this Lord is good, goodness in person. She came to know that this Lord even knew her, that he had created her—that he actually loved her. She too was loved, and by none other than the supreme “Paron”, before whom all other masters are themselves no more than lowly servants. She was known and loved and she was awaited. What is more, this master had himself accepted the destiny of being flogged and now he was waiting for her “at the Father's right hand”. Now she had “hope” —no longer simply the modest hope of finding masters who would be less cruel, but the great hope: “I am definitively loved and whatever happens to me—I am awaited by this Love. And so my life is good.” Through the knowledge of this hope she was “redeemed”, no longer a slave, but a free child of God. She understood what Paul meant when he reminded the Ephesians that previously they were without hope and without God in the world—without hope because without God. Hence, when she was about to be taken back to Sudan, Bakhita refused; she did not wish to be separated again from her “Paron”. On 9 January 1890, she was baptized and confirmed and received her first Holy Communion from the hands of the Patriarch of Venice. On 8 December 1896, in Verona, she took her vows in the Congregation of the Canossian Sisters and from that time onwards, besides her work in the sacristy and in the porter's lodge at the convent, she made several journeys round Italy in order to promote the missions: the liberation that she had received through her encounter with the God of Jesus Christ, she felt she had to extend, it had to be handed on to others, to the greatest possible number of people. The hope born in her which had “redeemed” her she could not keep to herself; this hope had to reach many, to reach everybody.

The concept of faith-based hope in the New Testament and the early Church

4. We have raised the question: can our encounter with the God who in Christ has shown us his face and opened his heart be for us too not just “informative” but “performative”—that is to say, can it change our lives, so that we know we are redeemed through the hope that it expresses? Before attempting to answer the question, let us return once more to the early Church. It is not difficult to realize that the experience of the African slave-girl Bakhita was also the experience of many in the period of nascent Christianity who were beaten and condemned to slavery. Christianity did not bring a message of social revolution like that of the ill-fated Spartacus, whose struggle led to so much bloodshed. Jesus was not Spartacus, he was not engaged in a fight for political liberation like Barabbas or Bar- Kochba. Jesus, who himself died on the Cross, brought something totally different: an encounter with the Lord of all lords, an encounter with the living God and thus an encounter with a hope stronger than the sufferings of slavery, a hope which therefore transformed life and the world from within. What was new here can be seen with the utmost clarity in Saint Paul's Letter to Philemon. This is a very personal letter, which Paul wrote from prison and entrusted to the runaway slave Onesimus for his master, Philemon. Yes, Paul is sending the slave back to the master from whom he had fled, not ordering but asking: “I appeal to you for my child ... whose father I have become in my imprisonment ... I am sending him back to you, sending my very heart ... perhaps this is why he was parted from you for a while, that you might have him back for ever, no longer as a slave but more than a slave, as a beloved brother ...” (Philem 10-16). Those who, as far as their civil status is concerned, stand in relation to one an other as masters and slaves, inasmuch as they are members of the one Church have become brothers and sisters—this is how Christians addressed one another. By virtue of their Baptism they had been reborn, they had been given to drink of the same Spirit and they received the Body of the Lord together, alongside one another. Even if external structures remained unaltered, this changed society from within. When the Letter to the Hebrews says that Christians here on earth do not have a permanent homeland, but seek one which lies in the future (cf. Heb 11:13-16; Phil 3:20), this does not mean for one moment that they live only for the future: present society is recognized by Christians as an exile; they belong to a new society which is the goal of their common pilgrimage and which is anticipated in the course of that pilgrimage.

5. We must add a further point of view. The First Letter to the Corinthians (1:18-31) tells us that many of the early Christians belonged to the lower social strata, and precisely for this reason were open to the experience of new hope, as we saw in the example of Bakhita. Yet from the beginning there were also conversions in the aristocratic and cultured circles, since they too were living “without hope and without God in the world”. Myth had lost its credibility; the Roman State religion had become fossilized into simple ceremony which was scrupulously carried out, but by then it was merely “political religion”. Philosophical rationalism had confined the gods within the realm of unreality. The Divine was seen in various ways in cosmic forces, but a God to whom one could pray did not exist. Paul illustrates the essential problem of the religion of that time quite accurately when he contrasts life “according to Christ” with life under the dominion of the “elemental spirits of the universe” (Col 2:8). In this regard a text by Saint Gregory Nazianzen is enlightening. He says that at the very moment when the Magi, guided by the star, adored Christ the new king, astrology came to an end, because the stars were now moving in the orbit determined by Christ[2]. This scene, in fact, overturns the world-view of that time, which in a different way has become fashionable once again today. It is not the elemental spirits of the universe, the laws of matter, which ultimately govern the world and mankind, but a personal God governs the stars, that is, the universe; it is not the laws of matter and of evolution that have the final say, but reason, will, love—a Person. And if we know this Person and he knows us, then truly the inexorable power of material elements no longer has the last word; we are not slaves of the universe and of its laws, we are free. In ancient times, honest enquiring minds were aware of this. Heaven is not empty. Life is not a simple product of laws and the randomness of matter, but within everything and at the same time above everything, there is a personal will, there is a Spirit who in Jesus has revealed himself as Love[3].

6. The sarcophagi of the early Christian era illustrate this concept visually—in the context of death, in the face of which the question concerning life's meaning becomes unavoidable. The figure of Christ is interpreted on ancient sarcophagi principally by two images: the philosopher and the shepherd. Philosophy at that time was not generally seen as a difficult academic discipline, as it is today. Rather, the philosopher was someone who knew how to teach the essential art: the art of being authentically human—the art of living and dying. To be sure, it had long since been realized that many of the people who went around pretending to be philosophers, teachers of life, were just charlatans who made money through their words, while having nothing to say about real life. All the more, then, the true philosopher who really did know how to point out the path of life was highly sought after. Towards the end of the third century, on the sarcophagus of a child in Rome, we find for the first time, in the context of the resurrection of Lazarus, the figure of Christ as the true philosopher, holding the Gospel in one hand and the philosopher's travelling staff in the other. With his staff, he conquers death; the Gospel brings the truth that itinerant philosophers had searched for in vain. In this image, which then became a common feature of sarcophagus art for a long time, we see clearly what both educated and simple people found in Christ: he tells us who man truly is and what a man must do in order to be truly human. He shows us the way, and this way is the truth. He himself is both the way and the truth, and therefore he is also the life which all of us are seeking. He also shows us the way beyond death; only someone able to do this is a true teacher of life. The same thing becomes visible in the image of the shepherd. As in the representation of the philosopher, so too through the figure of the shepherd the early Church could identify with existing models of Roman art. There the shepherd was generally an expression of the dream of a tranquil and simple life, for which the people, amid the confusion of the big cities, felt a certain longing. Now the image was read as part of a new scenario which gave it a deeper content: “The Lord is my shepherd: I shall not want ... Even though I walk through the valley of the shadow of death, I fear no evil, because you are with me ...” (Ps 23 [22]:1, 4). The true shepherd is one who knows even the path that passes through the valley of death; one who walks with me even on the path of final solitude, where no one can accompany me, guiding me through: he himself has walked this path, he has descended into the kingdom of death, he has conquered death, and he has returned to accompany us now and to give us the certainty that, together with him, we can find a way through. The realization that there is One who even in death accompanies me, and with his “rod and his staff comforts me”, so that “I fear no evil” (cf. Ps 23 [22]:4)—this was the new “hope” that arose over the life of believers.

7. We must return once more to the New Testament. In the eleventh chapter of the Letter to the Hebrews (v. 1) we find a kind of definition of faith which closely links this virtue with hope. Ever since the Reformation there has been a dispute among exegetes over the central word of this phrase, but today a way towards a common interpretation seems to be opening up once more. For the time being I shall leave this central word untranslated. The sentence therefore reads as follows: “Faith is the hypostasis of things hoped for; the proof of things not seen”. For the Fathers and for the theologians of the Middle Ages, it was clear that the Greek word hypostasis was to be rendered in Latin with the term substantia. The Latin translation of the text produced at the time of the early Church therefore reads: Est autem fides sperandarum substantia rerum, argumentum non apparentium—faith is the “substance” of things hoped for; the proof of things not seen. Saint Thomas Aquinas[4], using the terminology of the philosophical tradition to which he belonged, explains it as follows: faith is a habitus, that is, a stable disposition of the spirit, through which eternal life takes root in us and reason is led to consent to what it does not see. The concept of “substance” is therefore modified in the sense that through faith, in a tentative way, or as we might say “in embryo”—and thus according to the “substance”—there are already present in us the things that are hoped for: the whole, true life. And precisely because the thing itself is already present, this presence of what is to come also creates certainty: this “thing” which must come is not yet visible in the external world (it does not “appear”), but because of the fact that, as an initial and dynamic reality, we carry it within us, a certain perception of it has even now come into existence. To Luther, who was not particularly fond of the Letter to the Hebrews, the concept of “substance”, in the context of his view of faith, meant nothing. For this reason he understood the term hypostasis/substance not in the objective sense (of a reality present within us), but in the subjective sense, as an expression of an interior attitude, and so, naturally, he also had to understand the term argumentum as a disposition of the subject. In the twentieth century this interpretation became prevalent—at least in Germany—in Catholic exegesis too, so that the ecumenical translation into German of the New Testament, approved by the Bishops, reads as follows: Glaube aber ist: Feststehen in dem, was man erhofft, Überzeugtsein von dem, was man nicht sieht (faith is: standing firm in what one hopes, being convinced of what one does not see). This in itself is not incorrect, but it is not the meaning of the text, because the Greek term used (elenchos) does not have the subjective sense of “conviction” but the objective sense of “proof”. Rightly, therefore, recent Prot- estant exegesis has arrived at a different interpretation: “Yet there can be no question but that this classical Protestant understanding is untenable”[5]. Faith is not merely a personal reaching out towards things to come that are still totally absent: it gives us something. It gives us even now something of the reality we are waiting for, and this present reality constitutes for us a “proof” of the things that are still unseen. Faith draws the future into the present, so that it is no longer simply a “not yet”. The fact that this future exists changes the present; the present is touched by the future reality, and thus the things of the future spill over into those of the present and those of the present into those of the future.

8. This explanation is further strengthened and related to daily life if we consider verse 34 of the tenth chapter of the Letter to the Hebrews, which is linked by vocabulary and content to this definition of hope-filled faith and prepares the way for it. Here the author speaks to believers who have undergone the experience of persecution and he says to them: “you had compassion on the prisoners, and you joyfully accepted the plundering of your property (hyparchonton—Vg. bonorum), since you knew that you yourselves had a better possession (hyparxin—Vg. substantiam) and an abiding one.” Hyparchonta refers to property, to what in earthly life constitutes the means of support, indeed the basis, the “substance” for life, what we depend upon. This “substance”, life's normal source of security, has been taken away from Christians in the course of persecution. They have stood firm, though, because they considered this material substance to be of little account. They could abandon it because they had found a better “basis” for their existence—a basis that abides, that no one can take away. We must not overlook the link between these two types of “substance”, between means of support or material basis and the word of faith as the “basis”, the “substance” that endures. Faith gives life a new basis, a new foundation on which we can stand, one which relativizes the habitual foundation, the reliability of material income. A new freedom is created with regard to this habitual foundation of life, which only appears to be capable of providing support, although this is obviously not to deny its normal meaning. This new freedom, the awareness of the new “substance” which we have been given, is revealed not only in martyrdom, in which people resist the overbearing power of ideology and its political organs and, by their death, renew the world. Above all, it is seen in the great acts of renunciation, from the monks of ancient times to Saint Francis of Assisi and those of our contemporaries who enter modern religious Institutes and movements and leave everything for love of Christ, so as to bring to men and women the faith and love of Christ, and to help those who are suffering in body and spirit. In their case, the new “substance” has proved to be a genuine “substance”; from the hope of these people who have been touched by Christ, hope has arisen for others who were living in darkness and without hope. In their case, it has been demonstrated that this new life truly possesses and is “substance” that calls forth life for others. For us who contemplate these figures, their way of acting and living is de facto a “proof” that the things to come, the promise of Christ, are not only a reality that we await, but a real presence: he is truly the “philosopher” and the “shepherd” who shows us what life is and where it is to be found.

9. In order to understand more deeply this reflection on the two types of substance—hypostasis and hyparchonta—and on the two approaches to life expressed by these terms, we must continue with a brief consideration of two words pertinent to the discussion which can be found in the tenth chapter of the Letter to the Hebrews. I refer to the words hypomone (10:36) and hypostole (10:39). Hypo- mone is normally translated as “patience”—perseverance, constancy. Knowing how to wait, while patiently enduring trials, is necessary for the believer to be able to “receive what is promised” (10:36). In the religious context of ancient Judaism, this word was used expressly for the expectation of God which was characteristic of Israel, for their persevering faithfulness to God on the basis of the certainty of the Covenant in a world which contradicts God. Thus the word indicates a lived hope, a life based on the certainty of hope. In the New Testament this expectation of God, this standing with God, takes on a new significance: in Christ, God has revealed himself. He has already communicated to us the “substance” of things to come, and thus the expectation of God acquires a new certainty.

It is the expectation of things to come from the perspective of a present that is already given. It is a looking-forward in Christ's presence, with Christ who is present, to the perfecting of his Body, to his definitive coming. The word hypostole, on the other hand, means shrinking back through lack of courage to speak openly and frankly a truth that may be dangerous. Hiding through a spirit of fear leads to “destruction” (Heb 10:39). “God did not give us a spirit of timidity but a spirit of power and love and self-control”—that, by contrast, is the beautiful way in which the Second Letter to Timothy (1:7) describes the fundamental attitude of the Christian.

Eternal life – what is it?

10. We have spoken thus far of faith and hope in the New Testament and in early Christianity; yet it has always been clear that we are referring not only to the past: the entire reflection concerns living and dying in general, and therefore it also concerns us here and now. So now we must ask explicitly: is the Christian faith also for us today a life-changing and life-sustaining hope?

Is it “performative” for us—is it a message which shapes our life in a new way, or is it just “information” which, in the meantime, we have set aside and which now seems to us to have been superseded by more recent information? In the search for an answer, I would like to begin with the classical form of the dialogue with which the rite of Baptism expressed the reception of an infant into the community of believers and the infant's rebirth in Christ. First of all the priest asked what name the parents had chosen for the child, and then he continued with the question: “What do you ask of the Church?” Answer: “Faith”. “And what does faith give you?” “Eternal life”. According to this dialogue, the parents were seeking access to the faith for their child, communion with believers, because they saw in faith the key to “eternal life”. Today as in the past, this is what being baptized, becoming Christians, is all about: it is not just an act of socialization within the community, not simply a welcome into the Church. The parents expect more for the one to be baptized: they expect that faith, which includes the corporeal nature of the Church and her sacraments, will give life to their child—eternal life. Faith is the substance of hope. But then the question arises: do we really want this—to live eternally? Perhaps many people reject the faith today simply because they do not find the prospect of eternal life attractive. What they desire is not eternal life at all, but this present life, for which faith in eternal life seems something of an impediment. To continue living for ever —endlessly—appears more like a curse than a gift. Death, admittedly, one would wish to postpone for as long as possible. But to live always, without end—this, all things considered, can only be monotonous and ultimately unbearable. This is precisely the point made, for example, by Saint Ambrose, one of the Church Fathers, in the funeral discourse for his deceased brother Satyrus: “Death was not part of nature; it became part of nature. God did not decree death from the beginning; he prescribed it as a remedy. Human life, because of sin ... began to experience the burden of wretchedness in unremitting labour and unbearable sorrow. There had to be a limit to its evils; death had to restore what life had forfeited. Without the assistance of grace, immortality is more of a burden than a blessing”[6]. A little earlier, Ambrose had said: “Death is, then, no cause for mourning, for it is the cause of mankind's salvation”[7].

11. Whatever precisely Saint Ambrose may have meant by these words, it is true that to eliminate death or to postpone it more or less indefinitely would place the earth and humanity in an impossible situation, and even for the individual would bring no benefit. Obviously there is a contradiction in our attitude, which points to an inner contradiction in our very existence. On the one hand, we do not want to die; above all, those who love us do not want us to die. Yet on the other hand, neither do we want to continue living indefinitely, nor was the earth created with that in view. So what do we really want? Our paradoxical attitude gives rise to a deeper question: what in fact is “life”? And what does “eternity” really mean? There are moments when it suddenly seems clear to us: yes, this is what true “life” is—this is what it should be like. Besides, what we call “life” in our everyday language is not real “life” at all. Saint Augustine, in the extended letter on prayer which he addressed to Proba, a wealthy Roman widow and mother of three consuls, once wrote this: ultimately we want only one thing—”the blessed life”, the life which is simply life, simply “happiness”. In the final analysis, there is nothing else that we ask for in prayer. Our journey has no other goal—it is about this alone. But then Augustine also says: looking more closely, we have no idea what we ultimately desire, what we would really like. We do not know this reality at all; even in those moments when we think we can reach out and touch it, it eludes us. “We do not know what we should pray for as we ought,” he says, quoting Saint Paul (Rom 8:26). All we know is that it is not this. Yet in not knowing, we know that this reality must exist. “There is therefore in us a certain learned ignorance (docta ignorantia), so to speak”, he writes. We do not know what we would really like; we do not know this “true life”; and yet we know that there must be something we do not know towards which we feel driven[8].

12. I think that in this very precise and permanently valid way, Augustine is describing man's essential situation, the situation that gives rise to all his contradictions and hopes. In some way we want life itself, true life, untouched even by death; yet at the same time we do not know the thing towards which we feel driven. We cannot stop reaching out for it, and yet we know that all we can experience or accomplish is not what we yearn for. This unknown “thing” is the true “hope” which drives us, and at the same time the fact that it is unknown is the cause of all forms of despair and also of all efforts, whether positive or destructive, directed towards worldly authenticity and human authenticity. The term “eternal life” is intended to give a name to this known “unknown”. Inevitably it is an inadequate term that creates confusion. “Eternal”, in fact, suggests to us the idea of something interminable, and this frightens us; “life” makes us think of the life that we know and love and do not want to lose, even though very often it brings more toil than satisfaction, so that while on the one hand we desire it, on the other hand we do not want it. To imagine ourselves outside the temporality that imprisons us and in some way to sense that eternity is not an unending succession of days in the calendar, but something more like the supreme moment of satisfaction, in which totality embraces us and we embrace totality—this we can only attempt. It would be like plunging into the ocean of infinite love, a moment in which time—the before and after—no longer exists. We can only attempt to grasp the idea that such a moment is life in the full sense, a plunging ever anew into the vastness of being, in which we are simply overwhelmed with joy. This is how Jesus expresses it in Saint John's Gospel: “I will see you again and your hearts will rejoice, and no one will take your joy from you” (16:22). We must think along these lines if we want to understand the object of Christian hope, to understand what it is that our faith, our being with Christ, leads us to expect[9].

Is Christian hope individualistic?

13. In the course of their history, Christians have tried to express this “knowing without knowing” by means of figures that can be represented, and they have developed images of “Heaven” which remain far removed from what, after all, can only be known negatively, via unknowing. All these attempts at the representation of hope have given to many people, down the centuries, the incentive to live by faith and hence also to abandon their hyparchonta, the material substance for their lives. The author of the Letter to the Hebrews, in the eleventh chapter, outlined a kind of history of those who live in hope and of their journeying, a history which stretches from the time of Abel into the author's own day. This type of hope has been subjected to an increasingly harsh critique in modern times: it is dismissed as pure individualism, a way of abandoning the world to its misery and taking refuge in a private form of eternal salvation. Henri de Lubac, in the introduction to his seminal book Catholicisme. Aspects sociaux du dogme, assembled some characteristic articulations of this viewpoint, one of which is worth quoting: “Should I have found joy? No ... only my joy, and that is something wildly different ... The joy of Jesus can be personal. It can belong to a single man and he is saved. He is at peace ... now and always, but he is alone. The isolation of this joy does not trouble him. On the contrary: he is the chosen one! In his blessedness he passes through the battlefields with a rose in his hand”[10].

14. Against this, drawing upon the vast range of patristic theology, de Lubac was able to demonstrate that salvation has always been considered a “social” reality. Indeed, the Letter to the Hebrews speaks of a “city” (cf. 11:10, 16; 12:22; 13:14) and therefore of communal salvation. Consistently with this view, sin is understood by the Fathers as the destruction of the unity of the human race, as fragmentation and division. Babel, the place where languages were confused, the place of separation, is seen to be an expression of what sin fundamentally is. Hence “redemption” appears as the reestablishment of unity, in which we come together once more in a union that begins to take shape in the world community of believers. We need not concern ourselves here with all the texts in which the social character of hope appears. Let us concentrate on the Letter to Proba in which Augustine tries to illustrate to some degree this “known unknown” that we seek. His point of departure is simply the expression “blessed life”. Then he quotes Psalm 144 [143]:15: “Blessed is the people whose God is the Lord.” And he continues: “In order to be numbered among this people and attain to ... everlasting life with God, ‘the end of the commandment is charity that issues from a pure heart and a good conscience and sincere faith' (1 Tim 1:5)”[11]. This real life, towards which we try to reach out again and again, is linked to a lived union with a “people”, and for each individual it can only be attained within this “we”. It presupposes that we escape from the prison of our “I”, because only in the openness of this universal subject does our gaze open out to the source of joy, to love itself—to God.

15. While this community-oriented vision of the “blessed life” is certainly directed beyond the present world, as such it also has to do with the building up of this world—in very different ways, according to the historical context and the possibilities offered or excluded thereby. At the time of Augustine, the incursions of new peoples were threatening the cohesion of the world, where hitherto there had been a certain guarantee of law and of living in a juridically ordered society; at that time, then, it was a matter of strengthening the basic foundations of this peaceful societal existence, in order to survive in a changed world. Let us now consider a more or less randomly chosen episode from the Middle Ages, that serves in many respects to illustrate what we have been saying. It was commonly thought that monasteries were places of flight from the world (contemptus mundi) and of withdrawal from responsibility for the world, in search of private salvation. Bernard of Clairvaux, who inspired a multitude of young people to enter the monasteries of his reformed Order, had quite a different perspective on this. In his view, monks perform a task for the whole Church and hence also for the world. He uses many images to illustrate the responsibility that monks have towards the entire body of the Church, and indeed towards humanity; he applies to them the words of pseudo-Rufinus: “The human race lives thanks to a few; were it not for them, the world would perish ...”[12]. Contemplatives—contemplantes—must become agricultural labourers—laborantes—he says. The nobility of work, which Christianity inherited from Judaism, had already been expressed in the monastic rules of Augustine and Benedict. Bernard takes up this idea again. The young noblemen who flocked to his monasteries had to engage in manual labour. In fact Bernard explicitly states that not even the monastery can restore Paradise, but he maintains that, as a place of practical and spiritual “tilling the soil”, it must prepare the new Paradise. A wild plot of forest land is rendered fertile—and in the process, the trees of pride are felled, whatever weeds may be growing inside souls are pulled up, and the ground is thereby prepared so that bread for body and soul can flourish[13]. Are we not perhaps seeing once again, in the light of current history, that no positive world order can prosper where souls are overgrown?

The transformation of Christian faith-hope in the modern age

16. How could the idea have developed that Jesus's message is narrowly individualistic and aimed only at each person singly? How did we arrive at this interpretation of the “salvation of the soul” as a flight from responsibility for the whole, and how did we come to conceive the Christian project as a selfish search for salvation which rejects the idea of serving others? In order to find an answer to this we must take a look at the foundations of the modern age. These appear with particular clarity in the thought of Francis Bacon. That a new era emerged—through the discovery of America and the new technical achievements that had made this development possible—is undeniable. But what is the basis of this new era? It is the new correlation of experiment and method that enables man to arrive at an interpretation of nature in conformity with its laws and thus finally to achieve “the triumph of art over nature” (victoria cursus artis super naturam)[14]. The novelty—according to Bacon's vision—lies in a new correlation between science and praxis. This is also given a theological application: the new correlation between science and praxis would mean that the dominion over creation —given to man by God and lost through original sin—would be reestablished[15].

17. Anyone who reads and reflects on these statements attentively will recognize that a disturbing step has been taken: up to that time, the recovery of what man had lost through the expulsion from Paradise was expected from faith in Jesus Christ: herein lay “redemption”. Now, this “redemption”, the restoration of the lost “Paradise” is no longer expected from faith, but from the newly discovered link between science and praxis. It is not that faith is simply denied; rather it is displaced onto another level—that of purely private and other-worldly affairs—and at the same time it becomes somehow irrelevant for the world. This programmatic vision has determined the trajectory of modern times and it also shapes the present-day crisis of faith which is essentially a crisis of Christian hope. Thus hope too, in Bacon, acquires a new form. Now it is called: faith in progress. For Bacon, it is clear that the recent spate of discoveries and inventions is just the beginning; through the interplay of science and praxis, totally new discoveries will follow, a totally new world will emerge, the kingdom of man[16]. He even put forward a vision of foreseeable inventions—including the aeroplane and the submarine. As the ideology of progress developed further, joy at visible advances in human potential remained a continuing confirmation of faith in progress as such.

18. At the same time, two categories become increasingly central to the idea of progress: reason and freedom. Progress is primarily associated with the growing dominion of reason, and this reason is obviously considered to be a force of  good and a force for good. Progress is the overcoming of all forms of dependency—it is progress towards perfect freedom. Likewise freedom is seen purely as a promise, in which man becomes more and more fully himself. In both concepts—freedom and reason—there is a political aspect. The kingdom of reason, in fact, is expected as the new condition of the human race once it has attained total freedom. The political conditions of such a kingdom of reason and freedom, however, appear at first sight somewhat ill defined. Reason and freedom seem to guarantee by themselves, by virtue of their intrinsic goodness, a new and perfect human community. The two key concepts of “reason” and “freedom”, however, were tacitly interpreted as being in conflict with the shackles of faith and of the Church as well as those of the political structures of the period. Both concepts therefore contain a revolutionary potential of enormous explosive force.

19. We must look briefly at the two essential stages in the political realization of this hope, because they are of great importance for the development of Christian hope, for a proper understanding of it and of the reasons for its persistence. First there is the French Revolution—an attempt to establish the rule of reason and freedom as a political reality. To begin with, the Europe of the Enlightenment looked on with fascination at these events, but then, as they developed, had cause to reflect anew on reason and freedom. A good illustration of these two phases in the reception of events in France is found in two essays by Immanuel Kant in which he reflects on what had taken place. In 1792 he wrote Der Sieg des guten Prinzips über das böse und die Gründung eines Reiches Gottes auf Erden (“The Victory of the Good over the Evil Principle and the Founding of a Kingdom of God on Earth”). In this text he says the following: “The gradual transition of ecclesiastical faith to the exclusive sovereignty of pure religious faith is the coming of the Kingdom of God”[17]. He also tells us that revolutions can accelerate this transition from ecclesiastical faith to rational faith. The “Kingdom of God” proclaimed by Jesus receives a new definition here and takes on a new mode of presence; a new “imminent expectation”, so to speak, comes into existence: the “Kingdom of God” arrives where “ecclesiastical faith” is vanquished and superseded by “religious faith”, that is to say, by simple rational faith. In 1794, in the text Das Ende aller Dinge (“The End of All Things”) a changed image appears. Now Kant considers the possibility that as well as the natural end of all things there may be another that is unnatural, a perverse end. He writes in this connection: “If Christianity should one day cease to be worthy of love ... then the prevailing mode in human thought would be rejection and opposition to it; and the Antichrist ... would begin his—albeit short—regime (presumably based on fear and self-interest); but then, because Christianity, though destined to be the world religion, would not in fact be favoured by destiny to become so, then, in a moral respect, this could lead to the (perverted) end of all things”[18].

20. The nineteenth century held fast to its faith in progress as the new form of human hope, and it continued to consider reason and freedom as the guiding stars to be followed along the path of hope. Nevertheless, the increasingly rapid advance of technical development and the industrialization connected with it soon gave rise to an entirely new social situation: there emerged a class of industrial workers and the so-called “industrial proletariat”, whose dreadful living conditions Friedrich Engels described alarmingly in 1845. For his readers, the conclusion is clear: this cannot continue; a change is necessary. Yet the change would shake up and overturn the entire structure of bourgeois society. After the bourgeois revolution of 1789, the time had come for a new, proletarian revolution: progress could not simply continue in small, linear steps. A revolutionary leap was needed. Karl Marx took up the rallying call, and applied his incisive language and intellect to the task of launching this major new and, as he thought, definitive step in history towards salvation—towards what Kant had described as the “Kingdom of God”. Once the truth of the hereafter had been rejected, it would then be a question of establishing the truth of the here and now. The critique of Heaven is transformed into the critique of earth, the critique of theology into the critique of politics. Progress towards the better, towards the definitively good world, no longer comes simply from science but from politics—from a scientifically conceived politics that recognizes the structure of history and society and thus points out the road towards revolution, towards all-encompassing change. With great precision, albeit with a certain onesided bias, Marx described the situation of his time, and with great analytical skill he spelled out the paths leading to revolution—and not only theoretically: by means of the Communist Party that came into being from the Communist Manifesto of 1848, he set it in motion. His promise, owing to the acuteness of his analysis and his clear indication of the means for radical change, was and still remains an endless source of fascination. Real revolution followed, in the most radical way in Russia.

21. Together with the victory of the revolution, though, Marx's fundamental error also became evident. He showed precisely how to overthrow the existing order, but he did not say how matters should proceed thereafter. He simply presumed that with the expropriation of the ruling class, with the fall of political power and the socialization of means of production, the new Jerusalem would be realized. Then, indeed, all contradictions would be resolved, man and the world would finally sort themselves out. Then everything would be able to proceed by itself along the right path, because everything would belong to everyone and all would desire the best for one another. Thus, having accomplished the revolution, Lenin must have realized that the writings of the master gave no indication as to how to proceed. True, Marx had spoken of the interim phase of the dictatorship of the proletariat as a necessity which in time would automatically become redundant. This “intermediate phase” we know all too well, and we also know how it then developed, not ushering in a perfect world, but leaving behind a trail of appalling destruction. Marx not only omitted to work out how this new world would be organized—which should, of course, have been unnecessary. His silence on this matter follows logically from his chosen approach. His error lay deeper. He forgot that man always remains man. He forgot man and he forgot man's freedom. He forgot that freedom always remains also freedom for evil. He thought that once the economy had been put right, everything would automatically be put right. His real error is materialism: man, in fact, is not merely the product of economic conditions, and it is not possible to redeem him purely from the outside by creating a favourable economic environment.

22. Again, we find ourselves facing the question: what may we hope? A self-critique of modernity is needed in dialogue with Christianity and its concept of hope. In this dialogue Christians too, in the context of their knowledge and experience, must learn anew in what their hope truly consists, what they have to offer to the world and what they cannot offer. Flowing into this self-critique of the modern age there also has to be a self-critique of modern Christianity, which must constantly renew its self-understanding setting out from its roots. On this subject, all we can attempt here are a few brief observations. First we must ask ourselves: what does “progress” really mean; what does it promise and what does it not promise? In the nineteenth century, faith in progress was already subject to critique. In the twentieth century, Theodor W. Adorno formulated the problem of faith in progress quite drastically: he said that progress, seen accurately, is progress from the sling to the atom bomb. Now this is certainly an aspect of progress that must not be concealed. To put it another way: the ambiguity of progress becomes evident. Without doubt, it offers new possibilities for good, but it also opens up appalling possibilities for evil—possibilities that formerly did not exist. We have all witnessed the way in which progress, in the wrong hands, can become and has indeed become a terrifying progress in evil. If technical progress is not matched by corresponding progress in man's ethical formation, in man's inner growth (cf. Eph 3:16; 2 Cor 4:16), then it is not progress at all, but a threat for man and for the world.

23. As far as the two great themes of “reason” and “freedom” are concerned, here we can only touch upon the issues connected with them. Yes indeed, reason is God's great gift to man, and the victory of reason over unreason is also a goal of the Christian life. But when does reason truly triumph? When it is detached from God? When it has become blind to God? Is the reason behind action and capacity for action the whole of reason? If progress, in order to be progress, needs moral growth on the part of humanity, then the reason behind action and capacity for action is likewise urgently in need of integration through reason's openness to the saving forces of faith, to the differentiation between good and evil. Only thus does reason become truly human. It becomes human only if it is capable of directing the will along the right path, and it is capable of this only if it looks beyond itself. Otherwise, man's situation, in view of the imbalance between his material capacity and the lack of judgement in his heart, becomes a threat for him and for creation. Thus where freedom is concerned, we must remember that human freedom always requires a convergence of various freedoms. Yet this convergence cannot succeed unless it is determined by a common intrinsic criterion of measurement, which is the foundation and goal of our freedom. Let us put it very simply: man needs God, otherwise he remains without hope. Given the developments of the modern age, the quotation from Saint Paul with which I began (Eph 2:12) proves to be thoroughly realistic and plainly true. There is no doubt, therefore, that a “Kingdom of God” accomplished without God—a kingdom therefore of man alone—inevitably ends up as the “perverse end” of all things as described by Kant: we have seen it, and we see it over and over again. Yet neither is there any doubt that God truly enters into human affairs only when, rather than being present merely in our thinking, he himself comes towards us and speaks to us. Reason therefore needs faith if it is to be completely itself: reason and faith need one another in order to fulfil their true nature and their mission.

The true shape of Christian hope

24. Let us ask once again: what may we hope? And what may we not hope? First of all, we must acknowledge that incremental progress is possible only in the material sphere. Here, amid our growing knowledge of the structure of matter and in the light of ever more advanced inventions, we clearly see continuous progress towards an ever greater mastery of nature. Yet in the field of ethical awareness and moral decision-making, there is no similar possibility of accumulation for the simple reason that man's freedom is always new and he must always make his decisions anew. These decisions can never simply be made for us in advance by others—if that were the case, we would no longer be free. Freedom presupposes that in fundamental decisions, every person and every generation is a new beginning. Naturally, new generations can build on the knowledge and experience of those who went before, and they can draw upon the moral treasury of the whole of humanity. But they can also reject it, because it can never be self-evident in the same way as material inventions. The moral treasury of humanity is not readily at hand like tools that we use; it is present as an appeal to freedom and a possibility for it. This, however, means that:

a) The right state of human affairs, the moral well-being of the world can never be guaranteed simply through structures alone, however good they are. Such structures are not only important, but necessary; yet they cannot and must not marginalize human freedom. Even the best structures function only when the community is animated by convictions capable of motivating people to assent freely to the social order. Freedom requires conviction; conviction does not exist on its own, but must always be gained anew by the community.

b) Since man always remains free and since his freedom is always fragile, the kingdom of good will never be definitively established in this world. Anyone who promises the better world that is guaranteed to last for ever is making a false promise; he is overlooking human freedom. Freedom must constantly be won over for the cause of good. Free assent to the good never exists simply by itself. If there were structures which could irrevocably guarantee a determined—good—state of the world, man's freedom would be denied, and hence they would not be good structures at all.

25. What this means is that every generation has the task of engaging anew in the arduous search for the right way to order human affairs; this task is never simply completed. Yet every generation must also make its own contribution to establishing convincing structures of freedom and of good, which can help the following generation as a guideline for the proper use of human freedom; hence, always within human limits, they provide a certain guarantee also for the future. In other words: good structures help, but of themselves they are not enough. Man can never be redeemed simply from outside. Francis Bacon and those who followed in the intellectual current of modernity that he inspired were wrong to believe that man would be redeemed through science. Such an expectation asks too much of science; this kind of hope is deceptive. Science can contribute greatly to making the world and mankind more human. Yet it can also destroy mankind and the world unless it is steered by forces that lie outside it. On the other hand, we must also acknowledge that modern Christianity, faced with the successes of science in progressively structuring the world, has to a large extent restricted its attention to the individual and his salvation. In so doing it has limited the horizon of its hope and has failed to recognize sufficiently the greatness of its task—even if it has continued to achieve great things in the formation of man and in care for the weak and the suffering.

26. It is not science that redeems man: man is redeemed by love. This applies even in terms of this present world. When someone has the experience of a great love in his life, this is a moment of “redemption” which gives a new meaning to his life. But soon he will also realize that the love bestowed upon him cannot by itself resolve the question of his life. It is a love that remains fragile. It can be destroyed by death. The human being needs unconditional love. He needs the certainty which makes him say: “neither death, nor life, nor angels, nor principalities, nor things present, nor things to come, nor powers, nor height, nor depth, nor anything else in all creation, will be able to separate us from the love of God in Christ Jesus our Lord” (Rom 8:38- 39). If this absolute love exists, with its absolute certainty, then—only then—is man “redeemed”, whatever should happen to him in his particular circumstances. This is what it means to say: Jesus Christ has “redeemed” us. Through him we have become certain of God, a God who is not a remote “first cause” of the world, because his only-begotten Son has become man and of him everyone can say: “I live by faith in the Son of God, who loved me and gave himself for me” (Gal 2:20).

27. In this sense it is true that anyone who does not know God, even though he may entertain all kinds of hopes, is ultimately without hope, without the great hope that sustains the whole of life (cf. Eph 2:12). Man's great, true hope which holds firm in spite of all disappointments can only be God—God who has loved us and who continues to love us “to the end,” until all “is accomplished” (cf. Jn 13:1 and 19:30). Whoever is moved by love begins to perceive what “life” really is. He begins to perceive the meaning of the word of hope that we encountered in the Baptismal Rite: from faith I await “eternal life”—the true life which, whole and unthreatened, in all its fullness, is simply life. Jesus, who said that he had come so that we might have life and have it in its fullness, in abundance (cf. Jn 10:10), has also explained to us what “life” means: “this is eternal life, that they know you the only true God, and Jesus Christ whom you have sent” (Jn 17:3). Life in its true sense is not something we have exclusively in or from ourselves: it is a relationship. And life in its totality is a relationship with him who is the source of life. If we are in relation with him who does not die, who is Life itself and Love itself, then we are in life. Then we “live”.

28. Yet now the question arises: are we not in this way falling back once again into an individualistic understanding of salvation, into hope for myself alone, which is not true hope since it forgets and overlooks others? Indeed we are not! Our relationship with God is established through communion with Jesus—we cannot achieve it alone or from our own resources alone. The relationship with Jesus, however, is a relationship with the one who gave himself as a ransom for all (cf. 1 Tim 2:6). Being in communion with Jesus Christ draws us into his “being for all”; it makes it our own way of being. He commits us to live for others, but only through communion with him does it become possible truly to be there for others, for the whole. In this regard I would like to quote the great Greek Doctor of the Church, Maximus the Confessor († 662), who begins by exhorting us to prefer nothing to the knowledge and love of God, but then quickly moves on to practicalities: “The one who loves God cannot hold on to money but rather gives it out in God's fashion ... in the same manner in accordance with the measure of justice”[19]. Love of God leads to participation in the justice and generosity of God towards others. Loving God requires an interior freedom from all possessions and all material goods: the love of God is revealed in responsibility for others[20]. This same connection between love of God and responsibility for others can be seen in a striking way in the life of Saint Augustine. After his conversion to the Christian faith, he decided, together with some like-minded friends, to lead a life totally dedicated to the word of God and to things eternal. His intention was to practise a Christian version of the ideal of the contemplative life expressed in the great tradition of Greek philosophy, choosing in this way the  “better part” (cf. Lk 10:42). Things turned out differently, however. While attending the Sunday liturgy at the port city of Hippo, he was called out from the assembly by the Bishop and constrained to receive ordination for the exercise of the priestly ministry in that city. Looking back on that moment, he writes in his Confessions: “Terrified by my sins and the weight of my misery, I had resolved in my heart, and meditated flight into the wilderness; but you forbade me and gave me strength, by saying: ‘Christ died for all, that those who live might live no longer for themselves but for him who for their sake died' (cf. 2 Cor 5:15)”[21]. Christ died for all. To live for him means allowing oneself to be drawn into his being for others.

29. For Augustine this meant a totally new life. He once described his daily life in the following terms: “The turbulent have to be corrected, the faint-hearted cheered up, the weak supported; the Gospel's opponents need to be refuted, its insidious enemies guarded against; the unlearned need to be taught, the indolent stirred up, the argumentative checked; the proud must be put in their place, the desperate set on their feet, those engaged in quarrels reconciled; the needy have to be helped, the oppressed to be liberated, the good to be encouraged, the bad to be tolerated; all must be loved”[22]. “The Gospel terrifies me”[23]—producing that healthy fear which prevents us from living for ourselves alone and compels us to pass on the hope we hold in common. Amid the serious difficulties facing the Roman Empire—and also posing a serious threat to Roman Africa, which was actually destroyed at the end of Augustine's life—this was what he set out to do: to transmit hope, the hope which came to him from faith and which, in complete contrast with his introverted temperament, enabled him to take part decisively and with all his strength in the task of building up the city. In the same chapter of the Confessions in which we have just noted the decisive reason for his commitment “for all”, he says that Christ “intercedes for us, otherwise I should despair. My weaknesses are many and grave, many and grave indeed, but more abundant still is your medicine. We might have thought that your word was far distant from union with man, and so we might have despaired of ourselves, if this Word had not become flesh and dwelt among us”[24]. On the strength of his hope, Augustine dedicated himself completely to the ordinary people and to his city—renouncing his spiritual nobility, he preached and acted in a simple way for simple people.

30. Let us summarize what has emerged so far in the course of our reflections. Day by day, man experiences many greater or lesser hopes, different in kind according to the different periods of his life. Sometimes one of these hopes may appear to be totally satisfying without any need for other hopes. Young people can have the hope of a great and fully satisfying love; the hope of a certain position in their profession, or of some success that will prove decisive for the rest of their lives. When these hopes are fulfilled, however, it becomes clear that they were not, in reality, the whole. It becomes evident that man has need of a hope that goes further. It becomes clear that only something infinite will suffice for him, something that will always be more than he can ever attain. In this regard our contemporary age has developed the hope of creating a perfect world that, thanks to scientific knowledge and to scientifically based politics, seemed to be achievable. Thus Biblical hope in the Kingdom of God has been displaced by hope in the kingdom of man, the hope of a better world which would be the real “Kingdom of God”. This seemed at last to be the great and realistic hope that man needs. It was capable of galvanizing—for a time—all man's energies. The great objective seemed worthy of full commitment. In the course of time, however, it has become clear that this hope is constantly receding. Above all it has become apparent that this may be a hope for a future generation, but not for me.

And however much “for all” may be part of the great hope—since I cannot be happy without others or in opposition to them—it remains true that a hope that does not concern me personally is not a real hope. It has also become clear that this hope is opposed to freedom, since human affairs depend in each generation on the free decisions of those concerned. If this freedom were to be taken away, as a result of certain conditions or structures, then ultimately this world would not be good, since a world without freedom can by no means be a good world. Hence, while we must always be committed to the improvement of the world, tomorrow's better world cannot be the proper and sufficient content of our hope. And in this regard the question always arises: when is the world “better”? What makes it good? By what standard are we to judge its goodness? What are the paths that lead to this “goodness”?

31. Let us say once again: we need the greater and lesser hopes that keep us going day by day. But these are not enough without the great hope, which must surpass everything else. This great hope can only be God, who encompasses the whole of reality and who can bestow upon us what we, by ourselves, cannot attain. The fact that it comes to us as a gift is actually part of hope. God is the foundation of hope: not any god, but the God who has a human face and who has loved us to the end, each one of us and humanity in its entirety. His Kingdom is not an imaginary hereafter, situated in a future that will never arrive; his Kingdom is present wherever he is loved and wherever his love reaches us. His love alone gives us the possibility of soberly persevering day by day, without ceasing to be spurred on by hope, in a world which by its very nature is imperfect. His love is at the same time our guarantee of the existence of what we only vaguely sense and which nevertheless, in our deepest self, we await: a life that is “truly” life. Let us now, in the final section, develop this idea in more detail as we focus our attention on some of the “settings” in which we can learn in practice about hope and its exercise.

“Settings” for learning and practising hope

I. Prayer as a school of hope

32. A first essential setting for learning hope is prayer. When no one listens to me any more, God still listens to me. When I can no longer talk to anyone or call upon anyone, I can always talk to God. When there is no longer anyone to help me deal with a need or expectation that goes beyond the human capacity for hope, he can help me[25]. When I have been plunged into complete solitude ...; if I pray I am never totally alone. The late Cardinal Nguyen Van Thuan, a prisoner for thirteen years, nine of them spent in solitary confinement, has left us a precious little book: Prayers of Hope. During thirteen years in jail, in a situation of seemingly utter hopelessness, the fact that he could listen and speak to God became for him an increasing power of hope, which enabled him, after his release, to become for people all over the world a witness to hope—to that great hope which does not wane even in the nights of solitude.

33. Saint Augustine, in a homily on the First Letter of John, describes very beautifully the intimate relationship between prayer and hope. He defines prayer as an exercise of desire. Man was created for greatness—for God himself; he was created to be filled by God. But his heart is too small for the greatness to which it is destined. It must be stretched. “By delaying [his gift], God strengthens our desire; through desire he enlarges our soul and by expanding it he increases its capacity [for receiving him]”. Augustine refers to Saint Paul, who speaks of himself as straining forward to the things that are to come (cf. Phil 3:13). He then uses a very beautiful image to describe this process of enlargement and preparation of the human heart. “Suppose that God wishes to fill you with honey [a symbol of God's tenderness and goodness]; but if you are full of vinegar, where will you put the honey?” The vessel, that is your heart, must first be enlarged and then cleansed, freed from the vinegar and its taste. This requires hard work and is painful, but in this way alone do we become suited to that for which we are destined[26]. Even if Augustine speaks directly only of our capacity for God, it is nevertheless clear that through this effort by which we are freed from vinegar and the taste of vinegar, not only are we made free for God, but we also become open to others. It is only by becoming children of God, that we can be with our common Father. To pray is not to step outside history and withdraw to our own private corner of happiness. When we pray properly we undergo a process of inner purification which opens us up to God and thus to our fellow human beings as well. In prayer we must learn what we can truly ask of God—what is worthy of God. We must learn that we cannot pray against others. We must learn that we cannot ask for the superficial and comfortable things that we desire at this moment—that meagre, misplaced hope that leads us away from God. We must learn to purify our desires and our hopes. We must free ourselves from the hidden lies with which we deceive ourselves. God sees through them, and when we come before God, we too are forced to recognize them. “But who can discern his errors? Clear me from hidden faults” prays the Psalmist (Ps 19:12 [18:13]). Failure to recognize my guilt, the illusion of my innocence, does not justify me and does not save me, because I am culpable for the numbness of my conscience and my incapacity to recognize the evil in me for what it is. If God does not exist, perhaps I have to seek refuge in these lies, because there is no one who can forgive me; no one who is the true criterion. Yet my encounter with God awakens my conscience in such a way that it no longer aims at self-justification, and is no longer a mere reflection of me and those of my contemporaries who shape my thinking, but it becomes a capacity for listening to the Good itself.

34. For prayer to develop this power of purification, it must on the one hand be something very personal, an encounter between my intimate self and God, the living God. On the other hand it must be constantly guided and enlightened by the great prayers of the Church and of the saints, by liturgical prayer, in which the Lord teaches us again and again how to pray properly. Cardinal Nguyen Van Thuan, in his book of spiritual exercises, tells us that during his life there were long periods when he was unable to pray and that he would hold fast to the texts of the Church's prayer: the Our Father, the Hail Mary and the prayers of the liturgy[27]. Praying must always involve this intermingling of public and personal prayer. This is how we can speak to God and how God speaks to us. In this way we undergo those purifications by which we become open to God and are prepared for the service of our fellow human beings. We become capable of the great hope, and thus we become ministers of hope for others. Hope in a Christian sense is always hope for others as well. It is an active hope, in which we struggle to prevent things moving towards the “perverse end”. It is an active hope also in the sense that we keep the world open to God. Only in this way does it continue to be a truly human hope.

II. Action and suffering as settings for learning hope

35. All serious and upright human conduct is hope in action. This is so first of all in the sense that we thereby strive to realize our lesser and greater hopes, to complete this or that task which is important for our onward journey, or we work towards a brighter and more humane world so as to open doors into the future. Yet our daily efforts in pursuing our own lives and in working for the world's future either tire us or turn into fanaticism, unless we are enlightened by the radiance of the great hope that cannot be destroyed even by small-scale failures or by a breakdown in matters of historic importance. If we cannot hope for more than is effectively attainable at any given time, or more than is promised by political or economic authorities, our lives will soon be without hope. It is important to know that I can always continue to hope, even if in my own life, or the historical period in which I am living, there seems to be nothing left to hope for. Only the great certitude of hope that my own life and history in general, despite all failures, are held firm by the indestructible power of Love, and that this gives them their meaning and importance, only this kind of hope can then give the courage to act and to persevere. Certainly we cannot “build” the Kingdom of God by our own efforts—what we build will always be the kingdom of man with all the limitations proper to our human nature. The Kingdom of God is a gift, and precisely because of this, it is great and beautiful, and constitutes the response to our hope. And we cannot—to use the classical expression—”merit” Heaven through our works. Heaven is always more than we could merit, just as being loved is never something “merited”, but always a gift. However, even when we are fully aware that Heaven far exceeds what we can merit, it will always be true that our behaviour is not indifferent before God and therefore is not indifferent for the unfolding of history. We can open ourselves and the world and allow God to enter: we can open ourselves to truth, to love, to what is good. This is what the saints did, those who, as “God's fellow workers”, contributed to the world's salvation (cf. 1 Cor 3:9; 1 Th 3:2). We can free our life and the world from the poisons and contaminations that could destroy the present and the future. We can uncover the sources of creation and keep them unsullied, and in this way we can make a right use of creation, which comes to us as a gift, according to its intrinsic requirements and ultimate purpose. This makes sense even if outwardly we achieve nothing or seem powerless in the face of overwhelming hostile forces. So on the one hand, our actions engender hope for us and for others; but at the same time, it is the great hope based upon God's promises that gives us courage and directs our action in good times and bad.

36. Like action, suffering is a part of our human existence. Suffering stems partly from our finitude, and partly from the mass of sin which has accumulated over the course of history, and continues to grow unabated today. Certainly we must do whatever we can to reduce suffering: to avoid as far as possible the suffering of the innocent; to soothe pain; to give assistance in overcoming mental suffering. These are obligations both in justice and in love, and they are included among the fundamental requirements of the Christian life and every truly human life. Great progress has been made in the battle against physical pain; yet the sufferings of the innocent and mental suffering have, if anything, increased in recent decades. Indeed, we must do all we can to overcome suffering, but to banish it from the world altogether is not in our power. This is simply because we are unable to shake off our finitude and because none of us is capable of eliminating the power of evil, of sin which, as we plainly see, is a constant source of suffering. Only God is able to do this: only a God who personally enters history by making himself man and suffering within history. We know that this God exists, and hence that this power to “take away the sin of the world” (Jn 1:29) is present in the world. Through faith in the existence of this power, hope for the world's healing has emerged in history. It is, however, hope—not yet fulfilment; hope that gives us the courage to place ourselves on the side of good even in seemingly hopeless situations, aware that, as far as the external course of history is concerned, the power of sin will continue to be a terrible presence.

37. Let us return to our topic. We can try to limit suffering, to fight against it, but we cannot eliminate it. It is when we attempt to avoid suffering by withdrawing from anything that might involve hurt, when we try to spare ourselves the effort and pain of pursuing truth, love, and goodness, that we drift into a life of emptiness, in which there may be almost no pain, but the dark sensation of meaninglessness and abandonment is all the greater. It is not by sidestepping or fleeing from suffering that we are healed, but rather by our capacity for accepting it, maturing through it and finding meaning through union with Christ, who suffered with infinite love. In this context, I would like to quote a passage from a letter written by the Vietnamese martyr Paul Le-Bao-Tinh († 1857) which illustrates this transformation of suffering through the power of hope springing from faith. “I, Paul, in chains for the name of Christ, wish to relate to you the trials besetting me daily, in order that you may be inflamed with love for God and join with me in his praises, for his mercy is for ever (Ps 136 [135]). The prison here is a true image of everlasting Hell: to cruel tortures of every kind—shackles, iron chains, manacles—are added hatred, vengeance, calumnies, obscene speech, quarrels, evil acts, swearing, curses, as well as anguish and grief. But the God who once freed the three children from the fiery furnace is with me always; he has delivered me from these tribulations and made them sweet, for his mercy is for ever. In the midst of these torments, which usually terrify others, I am, by the grace of God, full of joy and gladness, because I am not alone —Christ is with me ... How am I to bear with the spectacle, as each day I see emperors, mandarins, and their retinue blaspheming your holy name, O Lord, who are enthroned above the Cherubim and Seraphim? (cf. Ps 80:1 [79:2]). Behold, the pagans have trodden your Cross underfoot! Where is your glory? As I see all this, I would, in the ardent love I have for you, prefer to be torn limb from limb and to die as a witness to your love. O Lord, show your power, save me, sustain me, that in my infirmity your power may be shown and may be glorified before the nations ... Beloved brothers, as you hear all these things may you give endless thanks in joy to God, from whom every good proceeds; bless the Lord with me, for his mercy is for ever ... I write these things to you in order that your faith and mine may be united. In the midst of this storm I cast my anchor towards the throne of God, the anchor that is the lively hope in my heart”[28]. This is a letter from “Hell”. It lays bare all the horror of a concentration camp, where to the torments inflicted by tyrants upon their victims is added the outbreak of evil in the victims themselves, such that they in turn become further instruments of their persecutors' cruelty. This is indeed a letter from Hell, but it also reveals the truth of the Psalm text: “If I go up to the heavens, you are there; if I sink to the nether world, you are present there ... If I say, ‘Surely the darkness shall hide me, and night shall be my light' —for you darkness itself is not dark, and night shines as the day; darkness and light are the same” (Ps 139 [138]:8-12; cf. also Ps 23 [22]:4). Christ descended into “Hell” and is therefore close to those cast into it, transforming their darkness into light. Suffering and torment is still terrible and well- nigh unbearable. Yet the star of hope has risen—the anchor of the heart reaches the very throne of God. Instead of evil being unleashed within man, the light shines victorious: suffering—without ceasing to be suffering—becomes, despite everything, a hymn of praise.

38. The true measure of humanity is essentially determined in relationship to suffering and to the sufferer. This holds true both for the individual and for society. A society unable to accept its suffering members and incapable of helping to share their suffering and to bear it inwardly through “com-passion” is a cruel and inhuman society. Yet society cannot accept its suffering members and support them in their trials unless individuals are capable of doing so themselves; moreover, the individual cannot accept another's suffering unless he personally is able to find meaning in suffering, a path of purification and growth in maturity, a journey of hope. Indeed, to accept the “other” who suffers, means that I take up his suffering in such a way that it becomes mine also. Because it has now become a shared suffering, though, in which another person is present, this suffering is penetrated by the light of love. The Latin word con-solatio, “consolation”, expresses this beautifully. It suggests being with the other in his solitude, so that it ceases to be solitude. Furthermore, the capacity to accept suffering for the sake of goodness, truth and justice is an essential criterion of humanity, because if my own well-being and safety are ultimately more important than truth and justice, then the power of the stronger prevails, then violence and untruth reign supreme. Truth and justice must stand above my comfort and physical well-being, or else my life itself becomes a lie. In the end, even the “yes” to love is a source of suffering, because love always requires expropriations of my “I”, in which I allow myself to be pruned and wounded. Love simply cannot exist without this painful renunciation of myself, for otherwise it becomes pure selfishness and thereby ceases to be love.

39. To suffer with the other and for others; to suffer for the sake of truth and justice; to suffer out of love and in order to become a person who truly loves—these are fundamental elements of humanity, and to abandon them would destroy man himself. Yet once again the question arises: are we capable of this? Is the other important enough to warrant my becoming, on his account, a person who suffers? Does truth matter to me enough to make suffering worthwhile? Is the promise of love so great that it justifies the gift of myself? In the history of humanity, it was the Christian faith that had the particular merit of bringing forth within man a new and deeper capacity for these kinds of suffering that are decisive for his humanity. The Christian faith has shown us that truth, justice and love are not simply ideals, but enormously weighty realities. It has shown us that God —Truth and Love in person—desired to suffer for us and with us. Bernard of Clairvaux coined the marvellous expression: Impassibilis est Deus, sed non incompassibilis[29]—God cannot suffer, but he can suffer with. Man is worth so much to God that he himself became man in order to suffer with man in an utterly real way—in flesh and blood—as is revealed to us in the account of Jesus's Passion. Hence in all human suffering we are joined by one who experiences and carries that suffering with us; hence con-solatio is present in all suffering, the consolation of God's compassionate love—and so the star of hope rises. Certainly, in our many different sufferings and trials we always need the lesser and greater hopes too—a kind visit, the healing of internal and external wounds, a favourable resolution of a crisis, and so on. In our lesser trials these kinds of hope may even be sufficient. But in truly great trials, where I must make a definitive decision to place the truth before my own welfare, career and possessions, I need the certitude of that true, great hope of which we have spoken here. For this too we need witnesses—martyrs—who have given themselves totally, so as to show us the way—day after day. We need them if we are to prefer goodness to comfort, even in the little choices we face each day—knowing that this is how we live life to the full. Let us say it once again: the capacity to suffer for the sake of the truth is the measure of humanity. Yet this capacity to suffer depends on the type and extent of the hope that we bear within us and build upon. The saints were able to make the great journey of human existence in the way that Christ had done before them, because they were brimming with great hope.

40. I would like to add here another brief comment with some relevance for everyday living. There used to be a form of devotion—perhaps less practised today but quite widespread not long ago—that included the idea of “offering up” the minor daily hardships that continually strike at us like irritating “jabs”, thereby giving them a meaning. Of course, there were some exaggerations and perhaps unhealthy applications of this devotion, but we need to ask ourselves whether there may not after all have been something essential and helpful contained within it. What does it mean to offer something up? Those who did so were convinced that they could insert these little annoyances into Christ's great “com-passion” so that they somehow became part of the treasury of compassion so greatly needed by the human race. In this way, even the small inconveniences of daily life could acquire meaning and contribute to the economy of good and of human love. Maybe we should consider whether it might be judicious to revive this practice ourselves.

III. Judgement as a setting for learning and practising hope

41. At the conclusion of the central section of the Church's great Credo—the part that recounts the mystery of Christ, from his eternal birth of the Father and his temporal birth of the Virgin Mary, through his Cross and Resurrection to the second coming—we find the phrase: “he will come again in glory to judge the living and the dead”. From the earliest times, the prospect of the Judgement has influenced Christians in their daily living as a criterion by which to order their present life, as a summons to their conscience, and at the same time as hope in God's justice. Faith in Christ has never looked merely backwards or merely upwards, but always also forwards to the hour of justice that the Lord repeatedly proclaimed. This looking ahead has given Christianity its importance for the present moment. In the arrangement of Christian sacred buildings, which were intended to make visible the historic and cosmic breadth of faith in Christ, it became customary to depict the Lord returning as a king—the symbol of hope—at the east end; while the west wall normally portrayed the Last Judgement as a symbol of our responsibility for our lives—a scene which followed and accompanied the faithful as they went out to resume their daily routine. As the iconography of the Last Judgement developed, however, more and more prominence was given to its ominous and frightening aspects, which obviously held more fascination for artists than the splendour of hope, often all too well concealed beneath the horrors.

42. In the modern era, the idea of the Last Judgement has faded into the background: Christian faith has been individualized and primarily oriented towards the salvation of the believer's own soul, while reflection on world history is largely dominated by the idea of progress. The fundamental content of awaiting a final Judgement, however, has not disappeared: it has simply taken on a totally different form. The atheism of the nineteenth and twentieth centuries is—in its origins and aims—a type of moralism: a protest against the injustices of the world and of world history. A world marked by so much injustice, innocent suffering, and cynicism of power cannot be the work of a good God. A God with responsibility for such a world would not be a just God, much less a good God. It is for the sake of morality that this God has to be contested. Since there is no God to create justice, it seems man himself is now called to establish justice. If in the face of this world's suffering, protest against God is understandable, the claim that humanity can and must do what no God actually does or is able to do is both presumptuous and intrinsically false. It is no accident that this idea has led to the greatest forms of cruelty and violations of justice; rather, it is grounded in the intrinsic falsity of the claim. A world which has to create its own justice is a world without hope. No one and nothing can answer for centuries of suffering. No one and nothing can guarantee that the cynicism of power—whatever beguiling ideological mask it adopts—will cease to dominate the world. This is why the great thinkers of the Frankfurt School, Max Horkheimer and Theodor W. Adorno, were equally critical of atheism and theism. Horkheimer radically excluded the possibility of ever finding a this-worldly substitute for God, while at the same time he rejected the image of a good and just God. In an extreme radicalization of the Old Testament prohibition of images, he speaks of a “longing for the totally Other” that remains inaccessible—a cry of yearning directed at world history. Adorno also firmly upheld this total rejection of images, which naturally meant the exclusion of any “image” of a loving God. On the other hand, he also constantly emphasized this “negative” dialectic and asserted that justice —true justice—would require a world “where not only present suffering would be wiped out, but also that which is irrevocably past would be undone”[30]. This, would mean, however—to express it with positive and hence, for him, inadequate symbols—that there can be no justice without a resurrection of the dead. Yet this would have to involve “the resurrection of the flesh, something that is totally foreign to idealism and the realm of Absolute spirit”[31].

43. Christians likewise can and must constantly learn from the strict rejection of images that is contained in God's first commandment (cf. Ex 20:4). The truth of negative theology was highlighted by the Fourth Lateran Council, which explicitly stated that however great the similarity that may be established between Creator and creature, the dissimilarity between them is always greater[32]. In any case, for the believer the rejection of images cannot be carried so far that one ends up, as Horkheimer and Adorno would like, by saying “no” to both theses—theism and atheism. God has given himself an “image”: in Christ who was made man. In him who was crucified, the denial of false images of God is taken to an extreme. God now reveals his true face in the figure of the sufferer who shares man's God-forsaken condition by taking it upon himself. This innocent sufferer has attained the certitude of hope: there is a God, and God can create justice in a way that we cannot conceive, yet we can begin to grasp it through faith. Yes, there is a resurrection of the flesh[33]. There is justice[34]. There is an “undoing” of past suffering, a reparation that sets things aright. For this reason, faith in the Last Judgement is first and foremost hope—the need for which was made abundantly clear in the upheavals of recent centuries. I am convinced that the question of justice constitutes the essential argument, or in any case the strongest argument, in favour of faith in eternal life. The purely individual need for a fulfilment that is denied to us in this life, for an everlasting love that we await, is certainly an important motive for believing that man was made for eternity; but only in connection with the impossibility that the injustice of history should be the final word does the necessity for Christ's return and for new life become fully convincing.

44. To protest against God in the name of justice is not helpful. A world without God is a world without hope (cf. Eph 2:12). Only God can create justice. And faith gives us the certainty that he does so. The image of the Last Judgement is not primarily an image of terror, but an image of hope; for us it may even be the decisive image of hope. Is it not also a frightening image? I would say: it is an image that evokes responsibility, an image, therefore, of that fear of which Saint Hilary spoke when he said that all our fear has its place in love[35]. God is justice and creates justice. This is our consolation and our hope. And in his justice there is also grace. This we know by turning our gaze to the crucified and risen Christ. Both these things—justice and grace—must be seen in their correct inner relationship. Grace does not cancel out justice. It does not make wrong into right. It is not a sponge which wipes everything away, so that whatever someone has done on earth ends up being of equal value. Dostoevsky, for example, was right to protest against this kind of Heaven and this kind of grace in his novel The Brothers Karamazov. Evildoers, in the end, do not sit at table at the eternal banquet beside their victims without distinction, as though nothing had happened. Here I would like to quote a passage from Plato which expresses a premonition of just judgement that in many respects remains true and salutary for Christians too. Albeit using mythological images, he expresses the truth with an unambiguous clarity, saying that in the end souls will stand naked before the judge. It no longer matters what they once were in history, but only what they are in truth: “Often, when it is the king or some other monarch or potentate that he (the judge) has to deal with, he finds that there is no soundness in the soul whatever; he finds it scourged and scarred by the various acts of perjury and wrong-doing ...; it is twisted and warped by lies and vanity, and nothing is straight because truth has had no part in its development. Power, luxury, pride, and debauchery have left it so full of disproportion and ugliness that when he has inspected it (he) sends it straight to prison, where on its arrival it will undergo the appropriate punishment ... Sometimes, though, the eye of the judge lights on a different soul which has lived in purity and truth ... then he is struck with admiration and sends him to the isles of the blessed”[36]. In the parable of the rich man and Lazarus (cf. Lk 16:19-31), Jesus admonishes us through the image of a soul destroyed by arrogance and opulence, who has created an impassable chasm between himself and the poor man; the chasm of being trapped within material pleasures; the chasm of forgetting the other, of incapacity to love, which then becomes a burning and unquenchable thirst. We must note that in this parable Jesus is not referring to the final destiny after the Last Judgement, but is taking up a notion found, inter alia, in early Judaism, namely that of an intermediate state between death and resurrection, a state in which the final sentence is yet to be pronounced.

45. This early Jewish idea of an intermediate state includes the view that these souls are not simply in a sort of temporary custody but, as the parable of the rich man illustrates, are already being punished or are experiencing a provisional form of bliss. There is also the idea that this state can involve purification and healing which mature the soul for communion with God. The early Church took up these concepts, and in the Western Church they gradually developed into the doctrine of Purgatory. We do not need to examine here the complex historical paths of this development; it is enough to ask what it actually means. With death, our life-choice becomes definitive—our life stands before the judge. Our choice, which in the course of an entire life takes on a certain shape, can have a variety of forms. There can be people who have totally destroyed their desire for truth and readiness to love, people for whom everything has become a lie, people who have lived for hatred and have suppressed all love within themselves. This is a terrifying thought, but alarming profiles of this type can be seen in certain figures of our own history. In such people all would be beyond remedy and the destruction of good would be irrevocable: this is what we mean by the word Hell[37]. On the other hand there can be people who are utterly pure, completely permeated by God, and thus fully open to their neighbours—people for whom communion with God even now gives direction to their entire being and whose journey towards God only brings to fulfilment what they already are[38].

46. Yet we know from experience that neither case is normal in human life. For the great majority of people—we may suppose—there remains in the depths of their being an ultimate interior openness to truth, to love, to God. In the concrete choices of life, however, it is covered over by ever new compromises with evil—much filth covers purity, but the thirst for purity remains and it still constantly re-emerges from all that is base and remains present in the soul. What happens to such individuals when they appear before the Judge? Will all the impurity they have amassed through life suddenly cease to matter? What else might occur? Saint Paul, in his First Letter to the Corinthians, gives us an idea of the differing impact of God's judgement according to each person's particular circumstances. He does this using images which in some way try to express the invisible, without it being possible for us to conceptualize these images—simply because we can neither see into the world beyond death nor do we have any experience of it. Paul begins by saying that Christian life is built upon a common foundation: Jesus Christ. This foundation endures. If we have stood firm on this foundation and built our life upon it, we know that it cannot be taken away from us even in death. Then Paul continues: “Now if any one builds on the foundation with gold, silver, precious stones, wood, hay, straw—each man's work will become manifest; for the Day will disclose it, because it will be revealed with fire, and the fire will test what sort of work each one has done. If the work which any man has built on the foundation survives, he will receive a reward. If any man's work is burned up, he will suffer loss, though he himself will be saved, but only as through fire” (1 Cor 3:12-15). In this text, it is in any case evident that our salvation can take different forms, that some of what is built may be burned down, that in order to be saved we personally have to pass through “fire” so as to become fully open to receiving God and able to take our place at the table of the eternal marriage-feast.

47. Some recent theologians are of the opinion that the fire which both burns and saves is Christ himself, the Judge and Saviour. The encounter with him is the decisive act of judgement. Before his gaze all falsehood melts away. This encounter with him, as it burns us, transforms and frees us, allowing us to become truly ourselves. All that we build during our lives can prove to be mere straw, pure bluster, and it collapses. Yet in the pain of this encounter, when the impurity and sickness of our lives become evident to us, there lies salvation. His gaze, the touch of his heart heals us through an undeniably painful transformation “as through fire”. But it is a blessed pain, in which the holy power of his love sears through us like a flame, enabling us to become totally ourselves and thus totally of God. In this way the inter-relation between justice and grace also becomes clear: the way we live our lives is not immaterial, but our defilement does not stain us for ever if we have at least continued to reach out towards Christ, towards truth and towards love. Indeed, it has already been burned away through Christ's Passion. At the moment of judgement we experience and we absorb the overwhelming power of his love over all the evil in the world and in ourselves. The pain of love becomes our salvation and our joy. It is clear that we cannot calculate the “duration” of this transforming burning in terms of the chronological measurements of this world. The transforming “moment” of this encounter eludes earthly time-reckoning—it is the heart's time, it is the time of “passage” to communion with God in the Body of Christ[39]. The judgement of God is hope, both because it is justice and because it is grace. If it were merely grace, making all earthly things cease to matter, God would still owe us an answer to the question about justice—the crucial question that we ask of history and of God. If it were merely justice, in the end it could bring only fear to us all. The incarnation of God in Christ has so closely linked the two together—judgement and grace—that justice is firmly established: we all work out our salvation “with fear and trembling” (Phil 2:12). Nevertheless grace allows us all to hope, and to go trustfully to meet the Judge whom we know as our “advocate”, or parakletos (cf. 1 Jn 2:1).

48. A further point must be mentioned here, because it is important for the practice of Christian hope. Early Jewish thought includes the idea that one can help the deceased in their intermediate state through prayer (see for example 2 Macc 12:38-45; first century BC). The equivalent practice was readily adopted by Christians and is common to the Eastern and Western Church. The East does not recognize the purifying and expiatory suffering of souls in the afterlife, but it does acknowledge various levels of beatitude and of suffering in the intermediate state. The souls of the departed can, however, receive “solace and refreshment” through the Eucharist, prayer and almsgiving. The belief that love can reach into the afterlife, that reciprocal giving and receiving is possible, in which our affection for one another continues beyond the limits of death—this has been a fundamental conviction of Christianity throughout the ages and it remains a source of comfort today. Who would not feel the need to convey to their departed loved ones a sign of kindness, a gesture of gratitude or even a request for pardon? Now a further question arises: if “Purgatory” is simply purification through fire in the encounter with the Lord, Judge and Saviour, how can a third person intervene, even if he or she is particularly close to the other? When we ask such a question, we should recall that no man is an island, entire of itself. Our lives are involved with one another, through innumerable interactions they are linked together. No one lives alone. No one sins alone. No one is saved alone. The lives of others continually spill over into mine: in what I think, say, do and achieve. And conversely, my life spills over into that of others: for better and for worse. So my prayer for another is not something extraneous to that person, something external, not even after death. In the interconnectedness of Being, my gratitude to the other—my prayer for him—can play a small part in his purification. And for that there is no need to convert earthly time into God's time: in the communion of souls simple terrestrial time is superseded. It is never too late to touch the heart of another, nor is it ever in vain. In this way we further clarify an important element of the Christian concept of hope. Our hope is always essentially also hope for others; only thus is it truly hope for me too[40]. As Christians we should never limit ourselves to asking: how can I save myself? We should also ask: what can I do in order that others may be saved and that for them too the star of hope may rise? Then I will have done my utmost for my own personal salvation as well.

Mary, Star of Hope

49. With a hymn composed in the eighth or ninth century, thus for over a thousand years, the Church has greeted Mary, the Mother of God, as “Star of the Sea”: Ave maris stella. Human life is a journey. Towards what destination? How do we find the way? Life is like a voyage on the sea of history, often dark and stormy, a voyage in which we watch for the stars that indicate the route. The true stars of our life are the people who have lived good lives. They are lights of hope. Certainly, Jesus Christ is the true light, the sun that has risen above all the shadows of history. But to reach him we also need lights close by—people who shine with his light and so guide us along our way. Who more than Mary could be a star of hope for us? With her “yes” she opened the door of our world to God himself; she became the living Ark of the Covenant, in whom God took flesh, became one of us, and pitched his tent among us (cf. Jn 1:14).

50. So we cry to her: Holy Mary, you belonged to the humble and great souls of Israel who, like Simeon, were “looking for the consolation of Israel” (Lk 2:25) and hoping, like Anna, “for the redemption of Jerusalem” (Lk 2:38). Your life was thoroughly imbued with the sacred scriptures of Israel which spoke of hope, of the promise made to Abraham and his descendants (cf. Lk 1:55). In this way we can appreciate the holy fear that overcame you when the angel of the Lord appeared to you and told you that you would give birth to the One who was the hope of Israel, the One awaited by the world. Through you, through your “yes”, the hope of the ages became reality, entering this world and its history. You bowed low before the greatness of this task and gave your consent: “Behold, I am the handmaid of the Lord; let it be to me according to your word” (Lk 1:38). When you hastened with holy joy across the mountains of Judea to see your cousin Elizabeth, you became the image of the Church to come, which carries the hope of the world in her womb across the mountains of history. But alongside the joy which, with your Magnificat, you proclaimed in word and song for all the centuries to hear, you also knew the dark sayings of the prophets about the suffering of the servant of God in this world. Shining over his birth in the stable at Bethlehem, there were angels in splendour who brought the good news to the shepherds, but at the same time the lowliness of God in this world was all too palpable. The old man Simeon spoke to you of the sword which would pierce your soul (cf. Lk 2:35), of the sign of contradiction that your Son would be in this world. Then, when Jesus began his public ministry, you had to step aside, so that a new family could grow, the family which it was his mission to establish and which would be made up of those who heard his word and kept it (cf. Lk 11:27f). Notwithstanding the great joy that marked the beginning of Jesus's ministry, in the synagogue of Nazareth you must already have experienced the truth of the saying about the “sign of contradiction” (cf. Lk 4:28ff). In this way you saw the growing power of hostility and rejection which built up around Jesus until the hour of the Cross, when you had to look upon the Saviour of the world, the heir of David, the Son of God dying like a failure, exposed to mockery, between criminals. Then you received the word of Jesus: “Woman, behold, your Son!” (Jn 19:26). From the Cross you received a new mission. From the Cross you became a mother in a new way: the mother of all those who believe in your Son Jesus and wish to follow him. The sword of sorrow pierced your heart. Did hope die? Did the world remain definitively without light, and life without purpose? At that moment, deep down, you probably listened again to the word spoken by the angel in answer to your fear at the time of the Annunciation: “Do not be afraid, Mary!” (Lk 1:30). How many times had the Lord, your Son, said the same thing to his disciples: do not be afraid! In your heart, you heard this word again during the night of Golgotha. Before the hour of his betrayal he had said to his disciples: “Be of good cheer, I have overcome the world” (Jn 16:33). “Let not your hearts be troubled, neither let them be afraid” (Jn 14:27). “Do not be afraid, Mary!” In that hour at Nazareth the angel had also said to you: “Of his kingdom there will be no end” (Lk 1:33). Could it have ended before it began? No, at the foot of the Cross, on the strength of Jesus's own word, you became the mother of believers. In this faith, which even in the darkness of Holy Saturday bore the certitude of hope, you made your way towards Easter morning. The joy of the Resurrection touched your heart and united you in a new way to the disciples, destined to become the family of Jesus through faith. In this way you were in the midst of the community of believers, who in the days following the Ascension prayed with one voice for the gift of the Holy Spirit (cf. Acts 1:14) and then received that gift on the day of Pentecost. The “Kingdom” of Jesus was not as might have been imagined. It began in that hour, and of this “Kingdom” there will be no end. Thus you remain in the midst of the disciples as their Mother, as the Mother of hope. Holy Mary, Mother of God, our Mother, teach us to believe, to hope, to love with you. Show us the way to his Kingdom! Star of the Sea, shine upon us and guide us on our way!

Given in Rome, at Saint Peter's, on 30 November, the Feast of Saint Andrew the Apostle, in the year 2007, the third of my Pontificate.

BENEDICTUS PP. XVI

[1] Corpus Inscriptionum Latinarum VI, no. 26003.

[2] Cf. Dogmatic Poems, V, 53-64: PG 37, 428-429.


[4] Summa Theologiae, II-IIae, q.4, a.1.

[5] H. Köster in Theological Dictionary of the New Testament VIII (1972), p.586.

[6] De excessu fratris sui Satyri, II, 47: CSEL 73, 274.

[7] Ibid., II, 46: CSEL 73, 273.

[8] Cf. Ep. 130 Ad Probam 14, 25-15, 28: CSEL 44, 68-73.


[10] Jean Giono, Les vraies richesses, Paris 1936, Preface, quoted in Henri de Lubac, Catholicisme. Aspects sociaux du dogme, Paris 1983, p. VII.

[11] Ep. 130 Ad Probam 13, 24: CSEL 44, 67.

[12] Sententiae III, 118: CCL 6/2, 215.

[13] Cf. ibid. III, 71: CCL 6/2, 107-108.

[14] Novum Organum I, 117.

[15] Cf. ibid. I, 129.

[16] Cf. New Atlantis.

[17] In Werke IV, ed. W. Weischedel (1956), p.777. The essay on “The Victory of the Good over the Evil Principle” constitutes the third chapter of the text Die Religion innerhalb der Grenzen der bloßen Vernunft (“Religion within the Limits of Reason Alone”), which Kant published in 1793.

[18] I. Kant, Das Ende aller Dinge, in Werke VI, ed. W. Weischedel (1964), p.190.

[19] Chapters on charity, Centuria 1, ch. 1: PG 90, 965.

[20] Cf. ibid.: PG 90, 962-966.

[21] Conf. X 43, 70: CSEL 33, 279.

[22] Sermo 340, 3: PL 38, 1484; cf. F. Van der Meer, Augustine the Bishop, London and New York 1961, p.268.

[23] Sermo 339, 4: PL 38, 1481.

[24] Conf. X 43, 69: CSEL 33, 279.


[26] Cf. In 1 Ioannis 4, 6: PL 35, 2008f.

[27] Testimony of Hope, Boston 2000, pp.121ff.

[28] The Liturgy of the Hours, Office of Readings, 24 November.

[29] Sermones in Cant., Sermo 26, 5: PL 183, 906.

[30] Negative Dialektik (1966), Third part, III, 11, in Gesammelte Schriften VI, Frankfurt am Main 1973, p.395.

[31] Ibid., Second part, p.207.

[32] DS 806.

[33] Cf. Catechism of the Catholic Church, 988-1004.


[35] Cf. Tractatus super Psalmos, Ps 127, 1-3: CSEL 22, 628-630.

[36] Gorgias 525a-526c.





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SOURCE : http://www.vatican.va/holy_father/benedict_xvi/encyclicals/documents/hf_ben-xvi_enc_20071130_spe-salvi_en.html