Les
nouveaux défis de la liberté religieuse
Marko
Vombergar | ALETEIA
R. P. Serge-Thomas Bonino, o.p. | 13 mai
2019
Le secrétaire général
de la Commission théologique internationale présente la note de la CTI sur « La
liberté religieuse pour le bien de tous » qui vient de paraître en français.
Dans le contexte nouveau d’une dérive autoritaire de l’État démocratique
libéral qui, au nom de l’idéologie de la « neutralité » morale, marginalise la
liberté religieuse, les droits de la personne humaine perdent tout fondement
objectif.
Un
demi-siècle après la déclaration Dignitatis
humanae du concile Vatican II sur la liberté religieuse (1965), le
contexte géopolitique mais aussi culturel et idéologique s’est considérablement
modifié. Il était donc nécessaire de réfléchir, à la lumière de la théologie
catholique, sur les évolutions en cours et leurs retombées aussi sur la notion
de la liberté religieuse que sur sa mise en pratique. La Commission théologique
internationale (CTI), organisme au service de la Congrégation pour la doctrine
de la foi, s’y est employée au cours des cinq dernières années, avec comme
résultat un
document qui vient de paraître sous le titre : « La
liberté religieuse pour le bien de tous. Une approche théologique aux défis
contemporains ».
La clé de voûte des droits de l’homme
À l’époque du Concile, la déclaration sur le droit naturel
de la personne à la liberté religieuse visait à répondre à deux défis majeurs,
particulièrement aigus dans les années d’après-guerre. Il fallait tout d’abord
dresser une digue éthique et juridique contre les monstruosités sanglantes et
les persécutions anti-religieuses engendrées par les totalitarismes du XXesiècle.
En affirmant que toute personne humaine jouissait par
nature du droit à n’être pas contrainte par les autorités politiques en matière
religieuse, le Concile coupait court aux prétentions de l’État totalitaire à
régir toutes les dimensions, même les plus intimes, de l’existence personnelle
et communautaire de ses membres : la personne, faite par Dieu et pour Dieu,
transcende de quelque manière l’ordre socio-politique et la foi elle-même,
libre réponse sous la grâce à l’Évangile du Christ, ne s’impose que par la
force de sa vérité elle-même. Dans cette ligne, saint Jean Paul II a fait du
droit à la liberté religieuse la clé de voûte et la garantie de tout
l’organisme des droits de l’homme. Le second défi, dans un monde qui avait
définitivement pris congé de l’Ancien Régime, était de redéfinir la présence de
l’Église et son rapport à l’autorité politique dans des sociétés désormais
façonnées par la culture démocratique et marquées par un pluralisme religieux
de fait, qui n’a cessé de s’accentuer depuis.
L’idéologie de la neutralité
Or, depuis cinquante ans, le contexte a changé. Le
phénomène le plus significatif et le plus inquiétant est une certaine dérive,
potentiellement totalitaire, de l’État démocratique libéral vers une prétendue
« neutralité » morale, qui résulte d’une crise profonde des
fondements substantiels, anthropologiques et éthiques, de la démocratie. La CTI
suggère même, en passant, que l’État neutre qui s’inspire de ce relativisme et
les fondamentalismes « religieux » que nous connaissons aujourd’hui
pourraient bien être des frères jumeaux, issus d’une même crise morale. En
effet, avec la sécularisation galopante, les valeurs humanistes, souvent
d’origine chrétienne, qui ont porté et nourri l’aventure des démocraties
modernes tendent à s’effacer de l’horizon social et culturel, de sorte que la
démocratie se réduit de plus en plus à une pure forme procédurale qui entend
faire abstraction des biens substantiels, éthiques et religieux, qui donnent
sens à la vie des personnes et animent les communautés qui forment la société
civile. Au nom de cette prétendue neutralité valoriale, supposée garantir
l’égalité des citoyens et la « non-discrimination » mais qui masque
en fait un nihilisme éthique (cf. n° 62), on aboutit à une relativisation des
valeurs, spécialement de celles qui fondent le droit à la liberté religieuse.
Dans le contexte actuel où prolifèrent les droits
subjectifs privés, déconnectés de la vérité objective de la nature humaine, la
liberté religieuse cesse d’être un droit fondamental pour devenir un droit
subjectif comme les autres… et de plus en plus en concurrence avec les autres.
La tendance est alors à réduire la liberté religieuse, comme l’atteste la
restriction croissante de la reconnaissance juridique du droit à l’objection de
conscience. « La prétendue neutralité idéologique d’une culture politique
qui déclare vouloir se construire sur la formation de règles purement
procédurales de justice, en écartant toute justification éthique et toute
inspiration religieuse, manifeste la tendance à élaborer une idéologie de la
neutralité qui, de fait, impose la marginalisation, sinon l’exclusion, de l’expression
religieuse de la sphère publique. Et donc de la pleine liberté de participer à
la formation de la citoyenneté démocratique » (n° 5).
Les effets sociaux de la mission de l’Église
Or une société ne peut se résigner au face-à-face stérile
entre l’État émancipateur et une poussière d’individus désormais sans
appartenance réelle. Lorsque la neutralité institutionnelle de l’État devient
indifférence à la dimension éthique et/ou religieuse, seule capable de donner
un sens à la vie des hommes et de nourrir l’espérance, elle favorise la
dissolution du lien social dans l’acide de l’individualisme libertaire. Le
document de la CTI insiste au contraire sur l’importance vitale des corps
intermédiaires (familles, associations, communautés religieuses…) qui sont la
chair et le sang de toute société politique. Non des lieux d’oppression qui
brimeraient la liberté de l’individu mais des lieux où cette liberté peut
s’épanouir en forme de communion interpersonnelle. Les communautés religieuses
ne sont donc ni des groupes de pression, ni des lobbies qui ne défendraient que
leurs intérêts particuliers (ce serait le communautarisme au mauvais sens du
terme), mais des communautés qui contribuent à l’humanisation intégrale et à la
socialisation de leurs membres, au service du bien commun de l’ensemble de la
société. Certes, la mission de l’Église catholique ne se réduit aucunement à
insuffler un supplément d’âme à la société civile. Elle est d’un tout autre
ordre puisqu’elle consiste à communiquer à tout homme le salut surnaturel qui
se réalise dans l’union de foi et d’amour à Jésus-Christ, mais elle a
inévitablement des « retombées » sociales et politiques.
Laïcité positive
Dans cette perspective, on comprend que le document de la
CTI en appelle à plusieurs reprises à une laïcité positive — sujet sensible
s’il en est dans l’Hexagone ! La laïcité ne peut être une religion de
substitution, une théocratie inversée, ni même un principe d’exclusion
systématique de la religion hors de l’espace social. Si les institutions
politiques sont laïques, la société n’a pas à l’être. En effet, la saine
laïcité est avant tout un principe de distinction entre l’autorité politique et
les religions. Pas d’instrumentalisation ni dans un sens, ni dans l’autre.
Mais, en raison même de ce que sont la société et les personnes qui la
composent, cette distinction doit s’accompagner, dans la juste distinction des
tâches, d’une coopération confiante en vue de la promotion du bien commun. Pour
le dire avec Benoît XVI, analyste aigu de l’évolution idéologique de nos
démocraties libérales, la laïcité positive est la juste articulation entre la
dimension éthico-religieuse et la politique : « La dimension religieuse, dans
la diversité de ses expressions, est non seulement tolérée, mais valorisée
comme « âme » de la nation et garantie fondamentale des droits et des
devoirs de l’homme » (Audience générale,
30 avril 2008).
COMMISSION
THEOLOGIQUE INTERNATIONALE
LA LIBERTE
RELIGIEUSE
POUR LE BIEN DE TOUS
Une approche
théologique aux défis contemporains
Index
Note préliminaire
1.Un regard sur le contexte actuel
2. La perspective de Dignitatis
Humanae à son époque et aujourd’hui
Avant le concile Vatican II
Les points saillants de Dignitatis Humanae
La liberté religieuse après le Concile Vatican II
Un seuil de nouveauté ?
3. Le droit de la personne à la liberté
religieuse
La discussion sur les fondements théoriques
Dignité et vérité de la personne humaine
L’être-personne est inhérent à la condition humaine
La médiation de la conscience
4. Le droit des communautés à la
liberté religieuse
Dimension sociale de la personne humaine
Subsidiarité et récit fondateur
Pratiques religieuses et humanité concrète
Éducation intégrale et incorporation à la communauté
La valeur des corps intermédiaires et l’État
L’État, la toile et les communautés de conviction
5. L’État et la liberté religieuse
Christianisme et dignité de l’État
La dérive « monophysite » dans les relations entre religion et État
La réduction « libérale » de la liberté religieuse
Ambiguïté de l’État moralement neutre
6. La contribution de la liberté
religieuse à la convivance et à la paix sociale
Liberté religieuse pour le bien de tous
L’être-ensemble a qualité de bien
Le juste discernement de la liberté religieuse
Les extensions de la liberté religieuse
7. La liberté religieuse dans la
mission de l’Église
Le libre témoignage de l’amour de Dieu
L’Église proclame la liberté religieuse pour tous
Le dialogue interreligieux comme voie vers la paix
Le courage du discernement et du refus de la violence au nom de Dieu
Conclusion
Note préliminaire
Au cours de son IXe quinquennium,
la Commission Théologique Internationale a pu mener à bien une étude sur le
thème de la liberté religieuse dans le contexte d’aujourd’hui. Cette étude a
été menée par une sous-commission constituée à cet effet, présidée par le P.
Javier Prades López et composée des membres suivants : le P. Željko Tanjić, le
P. John Junyang Park, le Prof. Moira Mary McQueen, le P. Bernard Pottier, S.I.,
le Prof. Tracey Rowland, Mons. Pierangelo Sequeri, le P. Philippe Vallin, le P.
Koffi Messan Laurent Kpogo, le P. Serge-Thomas Bonino, O.P.
Les discussions générales sur le thème en question
se sont déroulées lors des différentes rencontres de la sous-commission, et à
l’occasion des sessions plénières de la Commission au cours des années
2014-2018. Le présent texte a été approuvé in forma specifica par
la majorité des membres de la Commission par un vote écrit. Il a été ensuite
soumis à l’approbation de son Président, Son Éminence le cardinal Luis F.
Ladaria, s.j., Préfet de la Congrégation pour la Doctrine de la Foi, lequel,
après avoir reçu le 21 mars 2019 l’avis favorable du pape François, en a
autorisé la publication.
1.Un regard sur le contexte actuel
1. En 1965 la Déclaration conciliaire Dignitatis
Humanae fut approuvée dans un contexte historique notablement
différent de celui d’aujourd’hui, aussi par rapport au thème qui en constituait
le sujet central, savoir celui de la liberté religieuse dans le monde moderne.
Sa mise au point courageuse des raisons chrétiennes de respecter la liberté
religieuse des individus et des communautés dans le cadre de l’État de droit et
des pratiques de la justice des sociétés civiles, suscite encore maintenant
notre admiration. La contribution du Concile, que nous pouvons bien définir
prophétique, a offert à l’Église un horizon de crédibilité et d’estime qui a
énormément favorisé son témoignage évangélique dans le contexte de la société
contemporaine.
2. Entretemps, le rôle de premier plan qu’ont
récemment pris les traditions religieuses et nationales de la région du
Moyen-Orient et de l’Asie a sensiblement changé la perception du rapport entre
religion et société. Les grandes traditions religieuses du monde n’apparaissent
plus seulement comme le résidu d’époques anciennes et de cultures prémodernes
dépassées par l’histoire. Les diverses formes d’appartenance religieuse
influent d’une manière nouvelle sur la constitution de l’identité personnelle,
sur l’interprétation du lien social et sur la recherche du bien commun. Dans
beaucoup de sociétés sécularisées les diverses formes de communauté religieuse
continuent d’être perçues socialement comme d’importants facteurs de médiation
entre les individus et l’État. L’élément relativement nouveau dans la
configuration actuelle de ces modèles réside dans le fait que, aujourd’hui,
cette importance des communautés religieuses doit se situer – directement ou
indirectement – face au modèle démocratique-libéral de l’État de droit et de la
gestion techno-économique de la société civile.
3. Partout où se pose aujourd’hui dans le monde le
problème de la liberté religieuse, ce concept est discuté en référence –
positive ou négative – à une conception des droits humains et des libertés
civiles qui est associée à la culture politique libérale, démocratique,
pluraliste et séculière. La rhétorique humaniste qui fait appel aux valeurs de
la convivance pacifique, de la dignité individuelle, du dialogue inter-culturel
et inter-religieux, s’exprime dans le langage de l’État libéral moderne. Et
d’autre part, encore plus profondément, elle puise aux principes chrétiens de
la dignité de la personne et de la proximité entre les hommes, qui ont
contribué à la formation et à l’universalisation de ce langage.
4. La radicalisation religieuse actuelle désignée
comme « fondamentalisme », dans le cadre des diverses cultures politiques, ne
semble pas être un simple retour plus « observant » à la religiosité
traditionnelle. Cette radicalisation est souvent connotée par une réaction
spécifique à la conception libérale de l’État moderne, en raison de son
relativisme éthique et de son indifférence vis-à-vis de la religion. D’autre
part, l’État libéral apparait à beaucoup comme critiquable également pour la
raison opposée : sa neutralité proclamée ne semble pas en mesure d’éviter la
tendance à considérer la foi professée et l’appartenance religieuse comme un
obstacle à l’admission à la pleine citoyenneté culturelle et politique des
individus. Une forme de « totalitarisme doux », pourrait-on dire, qui rend
particulièrement vulnérable à la diffusion du nihilisme éthique dans la sphère
publique.
5. La prétendue neutralité idéologique d’une
culture politique qui déclare vouloir se construire sur la formation de règles
purement procédurales de justice, en écartant toute justification éthique et
toute inspiration religieuse, manifeste la tendance à élaborer une idéologie de
la neutralité qui, de fait, impose la marginalisation, sinon l’exclusion, de
l’expression religieuse de la sphère publique. Et donc de la pleine liberté de
participer à la formation de la citoyenneté démocratique. Ici se découvre
l’ambivalence d’une neutralité de la sphère publique qui n’est qu’apparente et
d’une liberté civique objectivement discriminante. Une culture civique qui
définit son propre humanisme par la mise à l’écart de la composante religieuse
de la réalité humaine se voit contrainte de mettre aussi à l’écart des pans
décisifs de sa propre histoire : de son propre savoir, de sa propre tradition, de
sa propre cohésion sociale. Le résultat en est la mise à l’écart de parties
toujours plus importantes de l’humanité et de la citoyenneté dont la société
elle-même est formée. La réaction à la faiblesse humaniste du système va
jusqu’à faire apparaitre à beaucoup (surtout aux jeunes) comme justifié le
recours à un fanatisme désespéré, athée ou aussi théocratique.
L’incompréhensible attraction qu’exercent des formes violentes et totalitaires
d’idéologie politique ou de militantisme religieux, qui semblaient désormais
consignées au jugement de la raison et de l’histoire, doit nous interpeller
d’une manière nouvelle et avec une plus grande profondeur d’analyse.
6. En opposition à la thèse classique qui prévoyait
la réduction de la religion comme effet inévitable de la modernisation
technique et économique, on parle aujourd’hui d’un retour de la religion sur la
scène publique. À la vérité, la corrélation automatique entre progrès civil et
extinction de la religion avait été formulée sur la base d’un préjugé idéologique,
qui voyait la religion comme la construction mythique d’une société humaine ne
maîtrisant pas encore les instruments rationnels capables de produire
émancipation et bien-être de la société. Ce schéma s’est révélé inadéquat, non
seulement par rapport à la véritable nature de la conscience religieuse mais
aussi pour ce qui est de la confiance naïve placée dans les effets humanistes
attribués à la modernisation technologique. Néanmoins, c’est justement la
réflexion théologique qui a contribué à tirer au clair, en ces dernières
décennies, les fortes ambiguïtés de ce qu’on a hâtivement désigné comme un
retour de la religion. Ce soi-disant « retour », en effet, présente également
des aspects de « régression » par rapport aux valeurs personnelles et à la convivance
démocratique qui sont à la base de la conception humaniste de l’ordre politique
et du lien social. Beaucoup de phénomènes associés à la nouvelle présence du
facteur religieux dans la sphère politique et sociale apparaissent tout à fait
hétérogènes – pour ne pas dire contradictoires – par rapport à la tradition
authentique et au développement culturel des grandes religions historiques. Des
formes nouvelles de religiosité, cultivées dans la ligne de contaminations
arbitraires entre recherche du bien-être psycho-physique et constructions
pseudo-scientifiques de la vision du monde et du soi, apparaissent plutôt, aux
croyants eux-mêmes, comme des déviations inquiétantes de l’orientation
religieuse. Pour ne rien dire de la grossière motivation religieuse de
certaines formes de fanatisme totalitaire, qui visent à imposer la violence
terroriste, même à l’intérieur des grandes traditions religieuses.
7. Le progressif retrait post-moderne vis-à-vis de
l’engagement sur la vérité et sur la transcendance pose certainement en termes
nouveaux aussi le thème politique et juridique de la liberté religieuse.
D’autre part, les théories de l’État libéral qui le pensent comme radicalement
indépendant de ce qu’apportent l’argumentation et le témoignage de la culture
religieuse, le doivent concevoir comme plus vulnérable aux pressions des formes
de religiosité – ou de pseudo-religiosité – qui cherchent à s’affirmer dans
l’espace publique en dehors des règles d’un dialogue culturel respectueux et
d’une confrontation démocratique citoyenne. La protection de la liberté
religieuse et de la paix sociale présuppose un État qui non seulement développe
des logiques de coopération réciproque entre les communautés religieuses et la
société civile, mais qui se montre aussi capable de mettre en œuvre la
circulation d’une culture adéquate de la religion. La culture civile doit
dépasser le préjugé d’une vision purement émotionnelle ou idéologique de la
religion. La religion à son tour doit être sans cesse stimulée à élaborer la
vision de la réalité et de la convivance qui l’inspirent en un langage
recevable au regard de l’humanisme.
8. Le christianisme – le catholicisme d’une manière
spécifique, et justement avec le sceau du Concile – a conçu une ligne de
développement de sa qualité religieuse qui passe par la répudiation de toute
tentative d’instrumentaliser le pouvoir politique, même pratiquée en vue d’un
prosélytisme de la foi. L’évangélisation se tourne aujourd’hui vers la mise en
valeur positive d’un contexte de liberté religieuse et civile de la conscience,
que le christianisme conçoit comme un espace historique, social et culturel
favorable à un appel de la foi qui ne veut pas être confondu avec une
imposition ou profiter d’un état de soumission de l’homme. La proclamation de
la liberté religieuse, qui doit valoir pour tous, et le témoignage rendu à une
vérité transcendante qui ne s’impose pas par la force, apparaissent
profondément cohérents avec l’inspiration de la foi. La foi chrétienne, par sa
nature, est ouverte à la confrontation positive avec les raisons humaines de la
vérité et du bien, que l’histoire de la culture met au jour dans la vie et la
pensée des peuples. La liberté de rechercher les paroles et les signes de la
vérité de Dieu, et la passion pour la fraternité entre les hommes vont toujours
ensemble.
9. Les transformations récentes de la scène
religieuse, comme aussi de la culture humaniste, dans la vie politique et
sociale des peuples, confirment – s’il en était besoin – que les relations
entre ces deux aspects sont étroites, profondes et d’importance vitale pour la
qualité de la convivance et pour l’orientation de l’existence. Dans cette
perspective, la recherche des formes les plus aptes à garantir les meilleures
conditions possibles pour leur interaction, dans la liberté et dans la paix,
sont un facteur décisif du bien commun et du progrès historique des
civilisations humaines. L’impressionnante période de migrations de peuples
entiers, dont les terres sont désormais hostiles à la vie et à la convivance,
surtout parce que s’y installent de façon endémique la pauvreté et un état de
guerre permanent, est en train de créer, dans le monde occidental, des sociétés
structurellement inter-religieuses, interculturelles, inter-ethniques. Au-delà
de l’urgence, ne serait-ce pas le moment de discuter du fait que l’histoire
semble imposer ici la véritable invention d’un avenir nouveau pour la
construction de modèles du rapport entre liberté religieuse et démocratie
civile ? Le trésor de culture et de foi dont nous avons hérité à travers les
siècles, et que nous avons accueilli librement, ne devrait-il pas engendrer un
humanisme réellement à la hauteur de l’appel de l’histoire, capable de répondre
à la requête d’une terre plus habitable ?
10. En référence aux « signes des temps » à venir, qui
ont déjà commencé à se produire, il est nécessaire de se doter d’instruments
adéquats pour mettre à jour la réflexion chrétienne, le dialogue religieux, et
la confrontation citoyenne. La résignation en face de la dureté et de la
complexité de certaines régressions du présent serait une faiblesse
injustifiable vis-à-vis de la responsabilité de la foi. Le lien de la liberté
religieuse et de la dignité humaine est devenu central même sur le plan
politique : les deux sont étroitement connexes, d’une manière qui aujourd’hui
apparait définitivement claire. Une Église croyante qui vit à l’intérieur de
sociétés humaines toujours plus marquées par la diversité religieuse et
ethnique – c’est, semble-t-il, le mouvement de l’histoire – doit savoir
développer à temps une compétence adaptée à la nouvelle condition existentielle
de son témoignage de foi. Condition du reste qui, à bien y regarder, n’est pas
si différente de celle en laquelle le christianisme fut envoyé jeter la semence
et fut capable de fleurir.
11. Ce document débute en rappelant l’enseignement
de la Déclaration conciliaire Dignitatis Humanae et sa
réception, dans le magistère et dans la théologie, après le concile Vatican II
(cf. Chapitre 2). Puis, par manière de cadre synthétique des principes, surtout
anthropologiques, de la compréhension chrétienne de la liberté religieuse, on
traite de la liberté religieuse de la personne, d’abord dans sa dimension
individuelle (cf. Chapitre 3) et ensuite dans sa dimension communautaire,
soulignant entre autres l’importance des communautés religieuses comme corps
intermédiaires dans la vie sociale (cf. Chapitre 4). Les deux aspects sont
inséparables dans la réalité. Toutefois, puisque l’enracinement de la liberté
religieuse dans la condition personnelle de l’être humain indique le fondement
ultime de sa dignité inaliénable, il semble utile de procéder selon cet ordre.
On considère ensuite la liberté religieuse par rapport à l’État et on propose
une mise au point sur les contradictions inscrites dans l’idéologie d’une conception
de l’État qui serait neutre dans le domaine de la religion, de l’éthique et des
valeurs (cf. Chapitre 5). Dans les derniers chapitres le document s’arrête sur
la contribution de la liberté religieuse à la convivance et à la paix sociale
(cf. Chapitre 6), avant de mettre en relief la place centrale de la liberté
religieuse dans la mission de l’Église aujourd’hui (cf. Chapitre 7).
12. La réflexion que nous proposons dans ce texte
adopte une approche générale que l’on peut décrire brièvement dans les termes
suivants. Notre intention n’est pas de proposer un texte académique sur les
nombreux aspects du débat sur la liberté religieuse. La complexité du thème,
aussi bien du point de vue des différents facteurs de la vie personnelle et
sociale qui y sont impliqués, que du point de vue des perspectives
interdisciplinaires qu’il met en jeu, est évidente pour tous. Notre choix
méthodologique fondamental peut être présenté synthétiquement comme une
réflexion théologico-herméneutique qui poursuit un double but. a) En premier
lieu, proposer une mise à jour raisonnée de la réception de Dignitatis
Humanae. b) En second lieu, expliciter les raisons de la juste
intégration – anthropologique et politique – entre l’instance
personnelle et l’instance communautaire de la liberté religieuse.L’exigence
d’un tel éclaircissement découle essentiellement de la nécessité pour la
doctrine sociale de l’Église de tenir compte des données historiques les plus
importantes de la nouvelle expérience globale.
13. L’indifférence absolue de l’État en matière
éthique et religieuse affaiblit la société civile par rapport au discernement
requis pour l’application d’un droit vraiment libéral et démocratique, en
mesure de tenir compte effectivement des formes communautaires
qui interprètent le lien social en vue du bien commun. En même temps,
l’élaboration correcte de la pensée sur la liberté religieuse dans la sphère
publique demande à la théologie chrétienne elle-même un approfondissement
conscient de la complexité culturelle de la forme civile d’aujourd’hui, qui
permette de barrer théoriquement la route à la régression du
droit commun vers une forme théocratique. Le fil conducteur de
l’éclaircissement proposé ici est inspiré par l’utilité qu’il y a à maintenir
étroitement liés, tant sous l’angle anthropologique que théologique, les
principes personnalistes, communautaires et chrétiens de la liberté religieuse
de tous. Le développement n’aspire pas (il ne le pourrait d’ailleurs pas)
au caractère systématique d’un « traité ». En ce sens, on ne doit donc pas
attendre de ce texte un exposé théorique détaillé sur les catégories
(politiques et ecclésiologiques) impliquées. Par ailleurs tout le monde sait
que beaucoup de ces catégories se trouvent exposées à des oscillations de
signification : soit en raison de leur emploi dans des contextes culturels
différents, soit en fonction des diverses idéologies de référence. Malgré cette
limite objective, imposée par la matière elle-même et par son évolution, cet
instrument de mise à jour pourra offrir une aide valable pour un meilleur
niveau d’entente et de communication du témoignage chrétien. Aussi bien dans le
domaine de la conscience ecclésiale, par rapport au juste respect des valeurs
humanistes de la foi, qu’à l’intérieur du conflit actuel des interprétations
sur la doctrine de l’État, qui requiert une meilleure élaboration – non
seulement théologique, mais aussi anthropologique et politique – du nouveau
rapport entre communauté civile et appartenance religieuse.
2. La perspective de Dignitatis
Humanae à son époque et aujourd’hui
Ce chapitre se propose de relever la signification
que les Pères conciliaires ont donné à la liberté religieuse comme droit
inaliénable de toute personne. Nous évaluerons l’enseignement magistériel en
considérant de façon synthétique ce qu’était la perception de l’Église avant le
concile Vatican II et quelle a été sa réception dans le Magistère récent.
Avant le concile Vatican II
14. La Déclaration du Concile Vatican II sur la
liberté religieuse révèle une maturation de la pensée du Magistère
sur la nature propre de l’Église en relation avec la forme juridique de l’État[1] .
L’histoire du document démontre l’importance essentielle de cette corrélation
pour l’évolution homogène de la doctrine, en raison de changements substantiels
du contexte politique et social, dans lequel la conception de l’État et de son
rapport avec les traditions religieuses, avec la culture civile, avec l’ordre
juridique, avec la personne humaine, connaît une transformation[2]. Dignitatis humanae témoigne
d’un progrès substantiel dans la compréhension ecclésiale de ces rapports, dû à
une intelligence de la foi plus approfondie, qui permet de reconnaître la
nécessité d’un progrès dans l’exposition de la doctrine. Cette meilleure intelligence
de la nature et des implications de la foi chrétienne, qui puise aux racines de
la Révélation et de la tradition ecclésiale, implique une nouveauté de
perspective et une attitude différente vis-à-vis de certaines déductions et
applications du magistère antécédent.
15. Une certaine configuration idéologique de
l’État qui avait interprété la modernité de la sphère publique comme
émancipation par rapport à la sphère religieuse, a incité le Magistère de
l’époque à condamner la liberté de conscience, entendue comme indifférence
légitime et arbitraire subjectif vis-à-vis de la vérité éthique et religieuse[3].
La contradiction apparente entre revendication de la liberté ecclésiale et
condamnation de la liberté religieuse doit désormais être éclaircie – et
dépassée – par la prise en compte des nouveaux concepts qui définissent le
domaine de la conscience civile : la légitime autonomie des réalités
temporelles, la justification démocratique de la liberté politique, la
neutralité idéologique de la sphère publique. La première réaction de l’Église
s’explique à partir d’un contexte historique où le christianisme représentait
la religion d’État et la religion dominante de fait dans la société
occidentale. La mise en place agressive d’un laïcisme d’État qui répudiait le
christianisme de la communauté a d’abord fait l’objet d’une lecture théologique
en termes d’« apostasie » de la foi, plutôt que de légitime « séparation »
entre l’État et l’Église. L’évolution de cette position initiale de la question
a été favorisée essentiellement par deux développements : une meilleure
auto-compréhension de l’autorité de l’Église dans le contexte du pouvoir
politique et un élargissement progressif des raisons de la liberté de l’Église
dans le cadre des libertés fondamentales de l’homme[4].
16. Dans le sillage de ce dynamisme des droits
humains, saint Jean XXIII avait ouvert la voie au Concile. Dans Pacem in terris,
il décrit les droits et devoirs des hommes, dans une perspective ouverte à
la Déclaration universelle des droits de l’homme, et il enseigne
que la convivance des hommes doit s’effectuer dans la liberté, « c’est-à-dire
de la façon qui convient à des êtres raisonnables, faits pour assurer la
responsabilité de leurs actes » [5].
Comme telle, la liberté favorise le dynamisme de la convivance humaine dans
l’histoire et l’ordre de création voulu par Dieu l’authentifie. En effet, elle
est la capacité dont le Créateur a doté l’homme afin qu’il puisse chercher la
vérité avec son intelligence, choisir le bien avec sa volonté, et adhérer de
tout son cœur à la promesse divine du salut, qui rachète et achève dans l’amour
de Dieu sa vocation à la vie. Cette disposition de la liberté de l’être humain
doit être défendue contre toute espèce de prévarication, intimidation ou
violence[6] .
Les points saillants de Dignitatis Humanae
17. Nous abordons maintenant, bien que d’une façon
très synthétique, l’enseignement du Concile Vatican II. D’une manière
solennelle la Déclaration affirme : « Le droit à la liberté
religieuse a son fondement réel dans la dignité même de la personne humaine
telle que l’ont fait connaître la Parole de Dieu et la raison elle-même. Ce
droit de la personne humaine à la liberté religieuse dans l’ordre juridique de
la société doit être reconnu de telle manière qu’il constitue un droit civil ».
(DH 2a). Dignitatis humanae propose quatre
arguments qui justifient le choix de la liberté religieuse précisément comme un
droit qui se fonde sur la dignité de la personne humaine (cf. DH 1-8). Ces
arguments sont repris de façon ample à la lumière de la Révélation divine (cf.
DH 9-11), librement accueillie dans l’acte de foi (cf. DH 10), précisant
également l’usage qu’en a fait l’Église (cf. DH 12-14)[7].
18. Le premier argument est l’intégrité de la
personne humaine, c’est-à-dire l’impossibilité de séparer sa liberté intérieure
de sa manifestation publique. Ce droit de la liberté n’est pas un fait
subjectif, mais il jaillit ontologiquement de la nature et de la vocation
foncière par laquelle tout être humain est une personne, douée de raison et de
volonté, en vertu desquelles elle est appelée à entrer en une relation avec le
bien, la vérité, la justice, qui l’implique existentiellement. En termes
religieux, cette vocation intrinsèque de l’être personnel, c’est l’être humain
selon le dessein divin originaire : créé comme capax Dei,
ouvert à la transcendance. Tel est le fondement radical et ultime de la liberté
religieuse (cf. DH 2a, 9, 11, 12). Le point central est donc la liberté
sacro-sainte de l’individu de ne pas être contraint ou empêché dans l’exercice
authentique de la religion. Tout individu, à cet égard, doit répondre de ses
actes d’une manière responsable : dans le sérieux de sa conscience du bien et
dans la liberté de sa recherche de la vérité (et de la justice ; cf. DH 2, 4,
5, 8, 13).
19. Le second argument est intrinsèque au devoir de
chercher la vérité, qui requiert et présuppose le dialogue entre êtres humains
selon leur nature, donc d’une manière sociale. La liberté religieuse, loin
d’évacuer l’importance du lien social, demeure la condition partagée d’une
recherche de la vérité digne de l’homme. La valeur du dialogue est décisive
puisque « la vérité ne s’impose que par la force de la vérité elle-même qui
pénètre l’esprit avec autant de douceur que de puissance » (DH 1c). Le dialogue
mis en œuvre par cette recherche permettra à tous, sans discriminations,
d’exposer et argumenter la vérité reçue et découverte, afin d’en reconnaître l’importance
pour la communauté humaine tout entière (cf. DH 3b[8]).
Le sujet de la liberté religieuse n’est donc pas seulement l’individu, mais
aussi la communauté et, en particulier, la famille. D’où le rappel de la
nécessité de l’exercice de la liberté dans la transmission des valeurs
religieuses à travers l’éducation et l’enseignement (cf. DH 4, 5, 13b). Pour ce
qui concerne la famille et les parents, il est affirmé : « Chaque famille, en
tant que société jouissant d’un droit propre et primordial, a le droit
d’organiser librement sa vie religieuse à la maison, sous la direction des
parents. À ceux-ci revient le droit de décider, selon leur propre conviction
religieuse, de la formation religieuse à donner à leurs enfants. C’est pourquoi
le pouvoir civil doit leur reconnaître le droit de choisir en toute liberté les
écoles ou autres moyens d’éducation » (DH 5a).
20. Le troisième argument découle de la nature de
la religion, que l’homo religiosus, en tant qu’être social, vit et
manifeste dans la société à travers actes internes et culte public[9].
Le droit à la liberté religieuse s’exerce, en effet, dans la société humaine et
permet à l’homme avant tout l’immunité à l’égard de n’importe quelle coercition
extérieure pour ce qui touche au rapport avec Dieu (cf. DH 2, 3c-e, 4, 10, 11,
13). Les autorités civiles et politiques, dont la finalité propre est de
prendre soin du bien commun temporel, n’ont aucun droit de s’ingérer dans les
questions concernant la sphère de la liberté religieuse personnelle, qui
demeure intangible dans la conscience de l’individu, ni non plus dans sa
manifestation publique, à moins qu’il ne s’agisse d’une question d’ordre public
juste, fondée, en tous les cas, sur des faits avérés et des informations correctes
(cf. DH 1, 2, 5)
21. Le quatrième argument, enfin, concerne les
limites du pouvoir purement humain, civil et juridique, en matière de religion.
Il faut aussi que la religion elle-même ait une pleine conscience de la
légitimité ou non de sa manifestation publique. En effet l’explicitation des
limites de la liberté religieuse, en vue de la sauvegarde de la justice et de
la paix, sont parties intégrantes du bien commun (cf. DH 3, 4, 7, 8) et
implique les croyants eux-mêmes (cf. DH 7, 15).
La liberté religieuse après le Concile
Vatican II
22. Avec le principe de la liberté religieuse
désormais clairement défini en tant que droit civil du citoyen et des groupes à
vivre et à manifester la dimension religieuse inhérente à l’homme, les Pères
conciliaires laissent encore ouvert un approfondissement ultérieur. Ayant
souligné les fondements, la déclaration Dignitatis Humanae favorise
une maturation des points qui ressortent du document conciliaire. En effet
aujourd’hui encore « il est des régimes, où, bien que la liberté de culte
religieux soit reconnue dans la Constitution, les pouvoirs publics eux-mêmes
s’efforcent de détourner les citoyens de professer la religion et de rendre la
vie des communautés religieuses difficile et précaire. Saluant avec joie les
signes favorables qu’offre notre temps, mais dénonçant avec tristesse ces faits
déplorables, le saint Concile demande aux catholiques, mais prie aussi
instamment tous les hommes d’examiner avec le plus grand soin à quel point la
liberté religieuse est nécessaire, surtout dans la condition présente de la
famille humaine » (DH 15b-c). C’est ainsi que cinquante ans plus tard les
nouvelles menaces à la liberté religieuse ont pris des dimensions globales,
mettant en danger aussi d’autres valeurs morales, et interpellent le Magistère
pontifical dans ses principales interventions internationales, discours et
enseignements[10].
Les Papes de notre époque laissent clairement entendre que ce thème, comme
expression plus profonde de la liberté de conscience, pose, en amont, des
questions anthropologiques, politiques et théologiques qui apparaissent
maintenant décisives pour le sort du bien commun et de la paix entre les
peuples du monde.
23. Pour saint Paul VI le droit à la liberté
religieuse est une question liée à la vérité de la personne humaine. Doué
d’intellect et de volonté, l’homme a une dimension spirituelle qui fait de lui
un être d’ouverture, de relation, et de transcendance[11].
La vérité sur l’homme révèle qu’il cherche à franchir les limites de la
temporalité, jusqu’à reconnaître qu’il créé par Dieu et, en tant que croyant,
jusqu’à la conscience d’être appelé à participer à la Vie divine. Cette
dimension religieuse est enracinée dans sa conscience, et sa dignité consiste
précisément à correspondre à la vérité des impératifs moraux et à dialoguer
avec les autres. Dans le contexte d’aujourd’hui le dialogue engage aussi les
religions, qui doivent avoir des attitudes d’ouverture les unes à l’égard des
autres, sans condamner a priori et en évitant les polémiques qui pourraient
offenser injustement les autres croyants.
24. Saint Jean-Paul II affirme que la liberté
religieuse, fondement de toutes les autres libertés, est une exigence
inaliénable de la dignité de tout homme. Elle n’est pas un droit parmi d’autres
mais constitue « la garantie de toutes les libertés qui fondent le bien commun
des personnes et des peuples »[12].
Il s’agit d’une « pierre angulaire dans l’édifice des droits humains »[13] comme
aspiration et tension vers une espérance plus haute, espace de liberté et de
responsabilité. Par conséquent, la liberté de l’homme dans la recherche de la
vérité et dans la profession des convictions religieuses doit trouver une
garantie claire dans l’ordre juridique de la société ; autrement dit, elle doit
être reconnue et sanctionnée par le droit civil. Il faut que les États
s’engagent à travers des documents normatifs à reconnaitre le droit des
citoyens à la liberté religieuse, base d’une convivance civile pacifique,
élément substantiel d’une véritable démocratie, garantie nécessaire pour la
vie, la justice, la vérité, la paix, et la mission des chrétiens et de leurs
communautés[14].
25. On peut indiquer comme synthèse de la pensée de
Benoit XVI sur la liberté religieuse le message pour la célébration de la Journée
mondiale de la paix de 2011[15].
Il enseigne que le droit à la liberté religieuse s’enracine dans la dignité de
la personne humaine comme être spirituel, relationnel et ouvert à la
transcendance. Ce n’est donc pas un droit réservé aux seuls croyants mais il
vaut pour tous, parce que synthèse et sommet des autres droits fondamentaux.
Comme origine de la liberté morale, la liberté religieuse, si elle est
respectée par tous, est le signe d’une culture politique et juridique qui
garantit la réalisation d’un authentique développement humain intégral. C’est
pourquoi elle promeut la justice, l’unité et la paix pour la famille humaine,
favorise la recherche de la vérité qui se concentre sur Dieu, sur les valeurs
éthiques et spirituelles, universelles et partagées, et enfin suscite le
dialogue de tous pour le bien commun. C’est ainsi que se construit l’ordre
social et pacifique. Au contraire, le fait de ne pas respecter la liberté religieuse
à quelque niveau que ce soit de la vie individuelle, communautaire, civile et
politique, offense Dieu, la dignité humaine elle-même, et crée des situations
contraires à l’harmonie sociale. Malheureusement on enregistre encore dans le
monde de fréquents épisodes de négation de la liberté religieuse qui se
manifestent dans les formes équivoques de religion comme le sectarisme ou le
fondamentalisme violent, dans la discrimination religieuse et aussi dans les
manipulations idéologiques de type laïciste. Il y a donc besoin d’une laïcité
positive des institutions étatiques pour promouvoir l’éducation religieuse, «
route privilégiée pour donner aux nouvelles générations la possibilité de
reconnaître en l’autre un frère et une sœur, avec qui marcher ensemble et
collaborer »[16].
Les religions doivent, de leur côté, s’insérer dans une dynamique de
purification et de conversion, œuvre de la droite raison éclairée elle-même par
la religion.
26. Le pape François souligne que la liberté
religieuse ne vise pas à préserver une « sous-culture » comme le voudrait un
certain laïcisme, mais constitue un don précieux de Dieu pour tous, garantie
fondamentale de toute autre expression de liberté, rempart contre les
totalitarismes et contribution décisive à la fraternité humaine. Certains
textes classiques des religions ont une force de motivation qui ouvre des
horizons toujours nouveaux, stimule la pensée et fait grandir l’intelligence et
la sensibilité. Ainsi peuvent-ils aussi offrir un sens pour toutes les époques.
Les gouvernements doivent – parmi toutes leurs tâches – protéger et défendre
les droits humains comme la liberté de conscience et religieuse. En effet,
respecter le droit à la liberté religieuse rend une nation plus forte et la
renouvelle. Pour cette raison, François porte une grande attention aux nombreux
martyrs de notre temps, victimes des persécutions et des violences pour motifs
religieux comme des idéologies qui excluent Dieu de la vie des individus et des
communautés. Selon le Pontife, la religion authentique doit arriver, à partir
de sa propre intériorité, à rendre compte de l’existence de l’autre pour
favoriser un espace commun, un milieu de collaboration avec tous, dans la
détermination de marcher ensemble, de prier ensemble, de travailler ensemble,
de nous aider ensemble à établir la paix[17].
Un seuil de nouveauté ?
27. Face à certaines difficultés dans la réception
de l’orientation nouvelle de Dignitatis Humanae, le
Magistère postconciliaire a souligné la dynamique immanente au processus de
l’évolution homogène de la doctrine, que Benoit XVI a désignée comme «
‘herméneutique de la réforme’, du renouveau dans la continuité de l’unique
sujet-Église »[18].
La déclaration elle-même en anticipait le sens : « Cette doctrine, reçue du
Christ et des Apôtres, l’Église l’a donc, au cours des temps, gardée et
transmise. Bien qu’il y ait eu parfois dans la vie du peuple de Dieu, cheminant
à travers les vicissitudes de l’histoire humaine, des manières d’agir moins
conformes, bien plus même contraires à l’esprit évangélique, l’Église a cependant
toujours enseigné que personne ne peut être amené par contrainte à la foi » (DH
12, §1). Le texte conciliaire ramène donc à son donné fondamental
l’enseignement du christianisme selon lequel on ne doit pas contraindre à la
religion parce que cette contrainte n’est pas digne de la nature humaine créée
par Dieu et ne correspond pas à la doctrine de la foi professée par le
christianisme. Dieu appelle à Lui tout homme, mais ne contraint personne. C’est
pourquoi cette liberté devient un droit fondamental que l’homme peut
revendiquer en conscience et de façon responsable vis-à-vis de l’État.
28. Telle est la dynamique de l’inculturation de
l’Evangile qui est une libre immersion de la Parole de Dieu dans les cultures
pour les transformer de l’intérieur, en les éclairant à la lumière de la
Révélation, de telle façon que la foi elle-même se laisse interpeller par les
réalités historiques contingentes – interculturalité – comme point de départ
pour pouvoir discerner des significations plus profondesde la vérité révélée,
laquelle doit à son tour être reçue dans la culture du contexte[19].
3. Le droit de la personne à la
liberté religieuse
29. Dans l’anthropologie chrétienne, chaque
personne individuelle est toujours en relation avec la communauté humaine,
depuis sa conception et tout du long de la maturation de sa vie : « Lorsqu’on
parle de la personne, on fait référence à l’identité irréductible et à
l’intériorité qui constituent l’être individuel particulier, ainsi qu’à la
relation fondamentale avec d’autres personnes qui est le fondement de la
communauté humaine »[20].
Cette relation, dans laquelle se façonne historiquement la qualité humaine de
l’individu et de la société, est une dimension propre de l’existence humaine et
de sa condition spirituelle elle-même. Le bien de la personne et le bien de la
communauté ne doivent pas être compris comme des principes opposés, mais comme
finalités convergentes de l’engagement éthique et du développement culturel.
30. Le dialogue sur la vérité recherchée par tous
et sur le bien désiré par tous, dans l’horizon de la convivance, nous engage
par conséquent à développer les conditions les meilleures pour penser et
pratiquer la vérité sur l’anthropologie et sur les droits de la personne dans le
dialogue. Nous devons certainement faire davantage, puisqu’il s’agit de la
question culturelle probablement la plus décisive pour renouer les liens de la
civilisation moderne, de l’économie et de la technique avec l’humanisme
intégral de la personne et de la communauté. C’est aussi une question cruciale
pour la crédibilité humaine de la foi chrétienne, qui reconnait dans le
dévouement pour la justice de cet humanisme intégral un témoignage d’importance
universelle pour la conversion de l’esprit et du cœur à la vérité de l’amour de
Dieu.
La discussion sur les fondements
théoriques
31. La réaction contre l’expérience traumatisante
des totalitarismes qui au XXème siècle ont massacré les
individus au nom du pouvoir de l’État, considéré comme un absolu dans lequel
les personnes sont absorbées comme fonctions et instruments de sa réalisation,
joue un rôle central dans le développement et la défense actuelle des droits
inaliénables de chaque individu. Dans ce cadre, le droit à la liberté
religieuse apparait comme un des droits fondamentaux de toute personne humaine[21].
Presque tout le monde s’accorde sur le fait que les « droits fondamentaux de
l’homme » sont fondés sur la « dignité de la personne humaine ». Mais la nature
de cette dignité est objet de discussion et d’opposition. Ce fondement
transcende–t-il objectivement l’auto-détermination humaine ou bien dépend- il exclusivement
de la reconnaissance sociale ? Est-il d’ordre ontologique ou bien de nature
purement légale ? Quel est son rapport avec la liberté des choix personnels,
avec la sauvegarde du bien commun, avec la vérité de la nature humaine ? Faute
d’un consensus – ou du moins d’une orientation commune – quant à
l’identification des critères de l’exercice juste des droits à la liberté
religieuse, le caractère arbitraire des pratiques et le conflit des
interprétations va devenir ingérable pour la société civile (et dangereux pour
la communauté humaine). Le risque est redoublé dans les sociétés dans lesquels
l’ouverture religieuse à la transcendance n’est plus perçue comme un élément
unifiant pour la confiance partagée à l’égard du sens de la condition humaine,
mais plutôt comme la survivance historique d’une vision archaïque et désormais
révolue.
Dignité et vérité de la personne
humaine
32. L’incipit de Dignitatis Humanae rattache
les droits de la personne humaine, et spécialement le droit à la liberté
religieuse, à la dignité de la personne humaine. En un sens très général, la
dignité renvoie à l’inaliénable perfection de l’être-sujet dans l’ordre
ontologique moral ou social[22].
La notion est employée dans l’ordre moral des relations intersubjectives pour
désigner ce qui possède une valeur en soi-même et ne peut par suite jamais être
traité comme s’il n’était qu’un simple moyen. La dignité est donc une propriété
inhérente à la personne comme telle.
33. Dans la perspective de la métaphysique
classique, intégrée et réélaborée par la réflexion chrétienne, la personne a
été définie traditionnellement, eu égard à sa singularité irréductible et à sa
dignité individuelle, comme « une substance individuelle de nature rationnelle
»[23].
Tous les individus qui, en vertu de leur filiation biologique, appartiennent à
l’espèce humaine participent de cette nature. Chaque individu de nature
humaine, par conséquent, quel que soit l’état de son propre développement
biologique ou psychologique, quel que soit son sexe ou son ethnie, réalise la
notion de personne et appelle de la part des autres le respect absolu qui lui
est dû. La nature humaine dans son irréductibilité est située à l’horizon du
monde spirituel et du monde corporel[24].
La dignité de la personne humaine concerne donc également le corps qui en est
dimension constitutive et « participe à l’imago Dei »[25].
Le corps ne peut pas être traité comme un simple moyen ou un instrument, comme
s’il n’était pas une dimension intégrante de la dignité personnelle. Le corps
partage le destin de la personne et sa vocation à la divinisation[26].
34. La dimension intrinsèquement personnelle de la
nature humaine se déploie dans l’ordre moral comme capacité de s’autodéterminer
et de s’orienter vers le bien, c’est-à-dire comme liberté responsable. Cette
qualité constitue radicalement la dignité de la nature humaine, objet de
responsabilité et de soin pour la communauté humaine tout entière. « Il existe
aussi une écologie de l’homme. L’homme aussi possède une nature qu’il doit
respecter et qu’il ne peut manipuler à volonté. L’homme n’est pas seulement une
liberté qui se crée de soi. L’homme ne se crée pas lui-même »[27].
Depuis le commencement, en effet, l’homme et la femme se découvrent ultimement
eux-mêmes comme donnés à soi-même par Dieu à travers leurs parents. Cet «
être-donné » requiert d’être reçu, en s’intégrant avec le développement de la
conscience. Il ne constitue pas une limite pour la liberté de se réaliser
soi-même, mais représente plutôt la condition qui oriente la liberté en tant
qu’« être-don » pour l’autre. Cette reconnaissance originaire barre la route à
une conception auto-référencée de l’individualité, en orientant la construction
de la personne vers le développement partagé de la réciprocité.
35. « Dans la tradition théologique chrétienne, la
personne présente deux aspects complémentaires »[28].
La notion de personne « renvoie à l’unicité d’un sujet ontologique qui, étant
de nature spirituelle, jouit d’une dignité et d’une autonomie qui se manifeste
dans la conscience de soi et la libre maîtrise de son agir »[29].
Ce même sujet spirituel « se manifeste dans sa capacité à entrer en relation :
la personne déploie son action dans l’ordre de l’intersubjectivité et de la
communion dans l’amour »[30].
La nécessité de rendre plus parfaitement évidente la raison métaphysique du
lien originaire entre être-individuel et être-relationnel, qui s’est affirmée à
l’intérieur de l’intelligence de la foi, a produit des développements qui ont
enrichi de façon décisive la pensée chrétienne et ses potentialités de dialogue
avec la culture moderne. La philosophie, la science, l’anthropologie sociale de
la modernité, de leur côté, en accueillant aussi la sollicitation même de la
vision chrétienne originaire, ont donné une vigoureuse impulsion aux structures
de l’être personnel – notamment, conscience et liberté –
en les identifiant comme dimensions constitutives de la nature humaine.
36. Dans cette mise en valeur moderne de la
singularité humaine, les dimensions de l’historicité et de la praxis ont
acquis un relief inédit par rapport à la tradition précédente. Cette légitime
mise en valeur, dans ses multiples interprétations, ne s’est pas effectuée sans
contradictions, qui se reflètent maintenant en bien des processus de la société
et de la culture contemporaine. Par exemple, dans l’accent mis sur l’instance
inconditionnelle de la liberté individuelle dans le domaine politique,
affectif, moral, en un contexte où apparaît de plus en plus forte la prise en
compte scientifique des conditionnements impersonnels et matériels qui
déterminent les pensées, les sentiments, les décisions. La théologie, de son
côté, dès avant le Concile Vatican II, avait déjà commencé à se confronter, à
la lumière de la Révélation, avec les instances de la nouvelle culture
anthropologique. Soit en considérant plus profondément la vocation divine de
chaque personne individuelle à la responsabilité de se réaliser elle-même à
travers son agir historique. Soit en explorant plus profondément la qualité
sociale de l’être personnel, appelé à se définir lui-même par rapport à Dieu,
aux autres hommes, au monde et à l’histoire.
L’être-personne est inhérent à la
condition humaine
37. Dans ce cadre dialectique, on pourrait résumer
synthétiquement le point anthropologique central du document conciliaire.Dignitatis
Humanae établit le lien radical des droits inviolables de l’homme, et
donc de sa liberté individuelle, avec la nature même de son être-personne. Il y
a en effet un unique critère pour la reconnaissance effective de l’a
priori personnel : l’appartenance biologique au genre humain. La
dignité personnelle, et les droits humains qui lui sont inhérents, sont déjà
inscrits de façon inconditionnelle dans cette appartenance. L’être-personne, en
ce sens, n’est pas une attribution liée à une qualité ou un don spécifique de
l’être humain, comme le fait d’être conscient ou la capacité
d’auto-détermination. Il ne s’agit pas non plus d’une potentialité ou d’un
effet de sa maturation. La dignité personnelle est déjà radicalement inhérente
à chaque individu, comme facteur constitutif de sa condition humaine : celle-ci
est la matrice de toute qualité individuelle, de toute condition existentielle,
de tout degré de développement. L’exister personnel évolue et se développe,
certes ; l’être–personne cependant n’est pas quelque chose que chacun peut
s’ajouter à lui-même (ou à quelqu’un d’autre). Il n’y a pas de processus de
l’être humain par lequel « quelque chose » devient « quelqu’un » : on est
toujours et inséparablement être-humain et être-personne, parce qu’on ne
devient pas humain si on est quelque chose d’autre. Et la manière humaine
d’être est d’être individualité personnelle.
38. La reconnaissance de l’être-personne, comme
dimension inhérente à chaque être humain individuel, fonde la communauté des
êtres humains, à l’intérieur de laquelle chacun occupe une place irrévocable et
se pose comme titulaire de droits inaliénables. En ces termes, on peut dire que
les droits de la personne sont les droits de l’homme. La communauté humaine qui
prétendrait exproprier l’individu de sa qualité humaine-personnelle,
commencerait donc à ce moment même à violer sa propre dignité et à se détruire
elle-même : aussi bien en tant que communauté qu’en tant qu’humaine. D’un autre
côté, il apparaît également clair que la reconnaissance de l’inaliénable
qualité personnelle de tout être humain est le principe même de l’appartenance
à l’humanité de chaque individu. Et justement cette appartenance, qui rend
légitime le projet d’une pleine réalisation de soi, n’est pas livrée à son
arbitraire, mais à sa responsabilité envers l’humain, qui est commun. Et donc
envers tous. La reconnaissance et la pratique de la communauté humaine, en tant
qu’humaine et constituée de personnes, est précisément la manière dont chacun
réalise et honore sa propre et irréductible qualité personnelle humaine. Dans
cette perspective, il apparaît définitivement clair que le respect de la
dignité personnelle de l’individu et la participation de l’individu à la
construction communautaire de l’humain se correspondent radicalement.
39. L’engagement à soutenir une conception
relationnelle de l’être personnel revêt pour cela une importance spéciale, en
développant une réflexion anthropologique en mesure de corriger de façon
convaincante les visions individualistes du sujet[31].
D’autre part, non seulement les orientations les plus importantes de la pensée philosophique
récente, mais aussi des courants majeurs du savoir politique, économique et
même scientifique, convergent de façon significative pour mettre en lumière de
la dimension constitutive des dynamiques relationnelles. L’interaction et la
réciprocité qui caractérisent l’existence personnelle correspondent à la
condition profonde de la singularité humaine, dans la vie du corps comme dans
celle de l’esprit. La personne se manifeste dans toute sa beauté justement à
travers sa capacité de se réaliser en relation avec l’intériorité spirituelle
dans l’ordre des rapports intersubjectifs et dans celui de la nature du monde.
Il n’est point besoin de souligner ici l’importance fondamentale qu’assume la
communion entre les personnes, finalisée ultimement par la vérité de l’amour,
dans la vision chrétienne de la personne et de la communauté[32].
La médiation de la conscience
40. Cette vérité de la condition humaine interpelle
la personne au moyen de la conscience morale, c’est-à-dire du « jugement de la
raison par lequel la personne humaine reconnaît la qualité morale d’un acte
concret qu’elle va poser, est en train d’exécuter ou a accompli »[33].
La personne ne doit jamais agir contre le jugement de sa propre conscience –
qu’elle a la responsabilité de former de manière droite avec toutes les aides
nécessaires. Ce serait de sa part consentir à agir contre ce qu’elle croit être
l’exigence du bien, et par conséquent, en dernière analyse, la volonté de Dieu[34].
Parce que c’est Dieu qui nous parle dans ce « centre le plus secret de l’homme,
le sanctuaire où il est seul avec Dieu »[35].
Agir contre le jugement de sa propre conscience, correctement formée, est
moralement erroné. Au devoir moral de ne pas agir contre le jugement de sa
propre conscience, même invinciblement erronée, correspond le droit de la
personne à n’être jamais contrainte par personne à agir contre sa propre
conscience, spécialement en matière religieuse. Les autorités civiles ont le
devoir corrélatif de respecter et de faire respecter ce droit fondamental dans
les justes limites du bien commun.
41. Le droit de ne pas être contraint à agir contre
sa propre conscience est en profonde harmonie avec la conviction chrétienne que
l’appartenance religieuse se définit essentiellement par une attitude – la foi
– qui, de par sa nature, ne peut pas ne pas être libre. Cette insistance
chrétienne sur l’indispensable liberté de l’acte de foi a vraisemblablement
joué un rôle de premier plan dans le processus historique d’émancipation de
l’individu dans la première modernité. « L’obéissance de la foi » (Rm 1,5) est
une libre adhésion de la personne au dessein d’amour du Père qui, par le Christ
et dans la puissance de l’Esprit, invite tout homme à entrer dans le mystère de
la communion trinitaire. L’acte de foi est l’acte par lequel « l’homme s’en
remet tout entier et librement à Dieu […] dans un assentiment volontaire à la
révélation qu’il fait »[36].
Ainsi, malgré les comportements historiques des chrétiens en sérieuse
contradiction avec sa doctrine constante [37],
l’Église sait que Dieu respecte la liberté de l’agir humain et son insertion
dans les processus de la vie et de l’histoire. En défendant la liberté de
l’acte de foi, l’Église offre à tous les hommes un haut témoignage : s’il est
vrai que la liberté grandit avec la vérité, il tout aussi évident que la vérité
a besoin d’un climat de liberté pour s’épanouir (cf. Jn 8,32).
42. En effet, à bien y réfléchir, la liberté de la
foi est le modèle le plus élevé que l’on puisse concevoir pour la dignité de
l’homme. Dans ce cadre on comprend que l’Église interprète sa mission
fondamentale en termes de rachat de la liberté à l’égard de la puissance du
péché et du mal, qui veut convaincre la créature de l’impossibilité de l’amour
de Dieu. Le soupçon insinué par le serpent malin dont parle le livre de la
Genèse (cf. Gn 3), enferme l’être humain dans la pensée d’une secrète hostilité
de Dieu. Cette corruption de l’image de Dieu engendre conflit entre les êtres
humains, étouffe la liberté, détruit les relations. L’image despotique de Dieu,
insinuée par la tromperie du malin, se reflète en tous le rapports humains (en
commençant par celui entre l’homme et la femme) et donne naissance à un
histoire de violence et d’assujettissement, qui conduit à la dégradation de la
dignité personnelle et à la corruption du lien social[38].
La doctrine sociale de l’Église affirme explicitement que le centre et la
source de l’ordre politique et social ne peut être que la dignité de la
personne humaine, inscrite dans la forme de la liberté[39].
Il s’agit d’un principe absolu, inconditionnel. Cette approche converge, sur ce
point, avec un principe universellement accepté par la modernité philosophique
et politique : la personne humaine ne peut jamais être considérée simplement
comme un moyen, mais comme une fin[40].
4. Le droit des communautés à la
liberté religieuse
Dimension sociale de la personne
humaine
43. La conception chrétienne des droits de la
personne – qui trouverait des échos dans l’anthropologie explicite ou implicite
d’autres traditions religieuses – affirme que la liberté inhérente au sujet
humain est appelée à vivre dans la responsabilité pour le bien de tous.
Cependant elle n’a aucune possibilité de grandir en force et sagesse sans la médiation
de relations humanisantes qui aident cette liberté à s’engager, à s’éduquer, à
s’affermir et aussi à se transmettre, au-delà des aliénations où
l’individualité pure, ravalée à l’individualisme, ne peut que végéter. En
d’autres termes, aucune personne, de fait, ne vit seule dans l’univers, mais
elle est toujours ensemble avec d’autres, avec lesquels elle est appelée à
constituer une communauté[41].
Il a été reconnu depuis longtemps que nous ne pourrions jamais juger si une
chose est meilleure par rapport à une autre si une conscience élémentaire de la
vérité n’avait été déjà instillée en nous. Le jugement de la conscience sur la
rectitude de l’agir est élaboré sur la base de l’expérience personnelle, à
travers la réflexion morale ; et ce jugement se définit par rapport à l’ethos communautaire
qui instruit et qui rend manifeste la valeur des comportements vertueux
conformes à la vérité de l’humain[42].
En ce sens, les communautés d’appartenance (famille, nation, religion)
précèdent l’individu pour l’accueillir et l’assister dans la grande aventure
anthropologique de sa personnalisation intégrale[43].
Ici se vérifie la forme historique et sociale de réalisation de la nature
humaine, qui comporte un mouvement d’intégration réciproque entre vérité et
liberté.
44. La reconnaissance de l’« égale dignité » des
personnes, en tout cas, ne se résout pas dans la simple formulation juridique
des « droits égaux ». Une conception trop abstraite et formelle de l’égalité
juridique des individus, dans le cadre de la légalité institutionnelle, tend à
ignorer la richesse des différences qui peuvent et doivent être valorisées et
mises en relation comme source de richesse humaine, et non neutralisées comme
si elles étaient, en elles-mêmes, fondement de discrimination et exténuation de
l’identité. D’un autre côté, il convient de distinguer les différences qui
structurent la condition humaine de l’arbitraire des inclinations subjectives
privées. L’État qui se bornerait à enregistrer ces désirs subjectifs, en les
transformant en liens juridiques, sans aucune considération du rapport avec le
bien commun risquerait d’affaiblir le soutien institutionnel qui est dû aux
raisons éthiques qui protègent le lien social[44].
La protection de l’humain, qui est notre bien commun le plus précieux, est de
cette façon exposée à une inévitable érosion, qui finit par faire tort aussi à
l’individu[45].
En particulier, nous le reconnaissons aujourd’hui avec une évidence qui n’a pas
été aussi forte à d’autres époques, l’égale dignité de la femme doit se
traduire par la pleine reconnaissance des droits humains égaux. De fait, « la
Bible n’apporte aucun appui à l’idée d’une supériorité naturelle du sexe
masculin sur le sexe féminin »[46].
Bien qu’on puisse reconnaître clairement dans le texte vétérotestamentaire (cf.
Gn 2,18-25), comme aussi dans les paroles et l’attitude de Jésus (Cf. Mt 27, 55
; 28, 6 ; Mc 7, 24-30 ; Lc 8, 1-3 ; Jn 4, 1-42 ;11, 21-27 ; 19, 25), l’égale
dignité de la créature de Dieu, en vertu de laquelle la réciprocité doit mettre
en valeur et non éliminer la différence de son être « homme et femme »[47],
l’élaboration concrète et universelle de ce principe ne fait que commencer, non
seulement dans la pensée chrétienne, mais encore dans la culture civile[48].
Subsidiarité et récit fondateur
45. L’évacuation procédurale des institutions
conduit à ignorer le rôle humanisant propre à la famille, dans laquelle le lien
intime de l’homme et de la femme assure une continuité personnelle dans la
génération et l’éducation des enfants. L’unité – biologique et spirituelle – de
cette introduction à la condition humaine et à l’identité personnelle, dans un
milieu primordial de réciprocité et de responsabilité affective, constitue une
prémisse indispensable pour l’acquisition du sens humain de la socialité[49].
La société entière vit de ce fondement : l’expérience millénaire des
communautés humaines, dans l’extrême variété de leurs cultures, en sait très
bien le caractère irremplaçable.
En second lieu, l’obsession d’une parfaite
neutralité éthique – qui tend vers l’agnosticisme – à l’égard de la vision
religieuse du sens, incline inévitablement la légalité institutionnelle à
prendre ses distances par rapport à tout l’univers symbolique de la communauté
civile, c’est-à-dire de la culture proprement humaine. Toute communauté
religieuse puise à cette matrice symbolique et s’exprime en la mettant en
lumière et en l’interprétant. L’indifférence de l’État le rend progressivement
étranger aux fonctions symboliques dont se nourrit l’appartenance sociale et il
devient de plus en plus incapable de les comprendre, et donc de les respecter,
comme il déclare vouloir le faire.
46. L’expérience religieuse est gardienne du niveau
de réalité où la convivance sociale vit et affronte les thèmes et les
contradictions qui sont propres à la condition humaine (l’amour et la mort, le
vrai et le juste, ce qu’on ne peut comprendre et ce qu’on peut espérer). Le
témoignage religieux est le gardien de ces thèmes de la vie et du sens avec
toute leur mystérieuse profondeur. La religion en effet explicite et maintient
la transcendance des fondements éthiques et affectifs de l’humain : elle les
soustrait au nihilisme de la volonté de puissance et les restitue à la foi dans
l’amour de l’Autre. L’unité indissoluble de l’amour de Dieu et du prochain,
scellée dans la foi chrétienne, confère au récit familial de la justice et de
la destinée des affections l’horizon de l’unique vérité de l’espérance
réellement à la hauteur des promesses de la vie.
Pratiques religieuses et humanité
concrète
47. La promesse d’un rachat éternel pour l’aventure
des affections humaines, qui correspond à l’espérance qu’elles seront
justifiées et sauvés –au-delà même de toute espérance humaine – barre la route
à un mélancolique repli sur soi individualiste et matérialiste de la condition
humaine et de la culture civile elle-même. L’universelle mémoire affective des
défunts, qui a été – et demeure – une caractéristique de la communauté
religieuse, démontre la force de la fidélité au caractère irrévocable des liens
humains. En eux quelque chose d’inachevé demeure en attente de rachat, même
lorsqu’ils sont défiés par la mort. La tradition la plus ancienne de l’humanité
atteste que l’humain est originairement disposé à accueillir une vérité
transcendante des langages symboliques de la vie, qui résiste spontanément à sa
réduction biologique et ouvre ses liens au mystère de la vie divine. D’autre
part, dans les conditions-limite des événements tragiques qui bouleversent la
vie et ses liens, même dans beaucoup d’États sécularisés on fait place
publiquement à la vérité symbolique de la célébration religieuse. Lorsqu’une
catastrophe de grande envergure frappe la communauté civile, la fermeté de la
résistance religieuse au nihilisme de la mort apparaît à tous comme un
irremplaçable rempart d’humanité. La justice des affections de la famille et de
la communauté, qui apparaît inaccessible à l’impuissance des ressources
humaines, ne renonce pas à son espérance, qui ne peut qu’être confiée à la
justice et à l’amour du Créateur. Dans de tels cas, le thème du sens et de la
destinée ultime de l’humain apparaît en toute son évidence de question
publique. Et la « forme religieuse » de cette reconnaissance se légitime pour
ainsi dire d’elle-même, comme une véritable « fonction publique », même dans le
cadre de l’État laïc.
48. Le récit national, dans lequel les destinées
individuelles tentent de s’inscrire à travers la succession des générations –
pour trouver leurs racines et leur identité profonde avant et au-delà de la
forme spécifique de l’État – est aujourd’hui un défi de géopolitique globale.
S’il est vrai – et il est vrai – que la liberté et la dignité des personnes ne
peuvent être façonnées que par les traditions et les récits qui les expriment
et les actualisent, alors il est urgent que le récit national parvienne à
s’enrichir, en acceptent la complexité et la différenciation de leurs apports,
moyennant le récit familial de chaque citoyen, en référence au récit global de
l’universel humain. Donc, directement ou indirectement, également à travers le
récit particulier de la communauté religieuse[50].
Pour cette raison, ceux qui, ne connaissant désormais plus le christianisme, le
confondent avec une idéologie, un moralisme, une discipline, ou bien avec une
superstructure archaïque, ne pourront être approchés de nouveau qu’à travers
une rencontre familiale–humaine, où l’on peut écouter le récit de l’histoire
qui a permis de reconnaitre Dieu et dans laquelle on doit garder les
générations qui se suivent : « Lorsqu’à l’avenir ton fils te demandera : ‘Que
signifient ces instructions, ces lois et ces normes que le Seigneur notre Dieu
vous a données ? tu répondras à ton fils : ‘Nous étions esclaves de Pharaon en
Egypte et le Seigneur nous fit sortir d’Egypte (…) Il nous fit sortir de là
pour nous conduire au pays qu’il avait juré à nos pères de nous donner. Alors
le Seigneur nous ordonna de mettre en pratique toutes ces lois, de craindre le
Seigneur notre Dieu pour que nous ayons du bonheur et qu’il nous garde en vie’
» (Dt 6, 20-24).
Éducation intégrale et incorporation à
la communauté
49. La libre adhésion à la personne de Jésus, à ses
paroles et à ses gestes, est vécue à travers une communauté, l’Église, dans
laquelle la relation de chacun des croyants avec le Christ présent est rendue
existentiellement possible et se déploie socialement dans la communion
ecclésiale [51].
Ainsi, l’existence chrétienne unit-elle la liberté individuelle de l’acte de
foi et l’insertion dans une tradition communautaire, comme les deux faces d’un
même dynamisme personnel. L’évocation de cette généalogie de la foi chrétienne
nous ramène à la conviction, essentielle dans l’optique anthropologique, que la
liberté humaine, protégée par la reconnaissance des droits humains, ne peut
être réalisée de façon spontanée et individualiste. Les hommes libres viennent
à la lumière dans la relation avec d’autres qui ont déjà conquis plus de
liberté, et apprennent de ceux qui sont davantage libres à corriger en
eux-mêmes tout ce qui demeure encore en dépendance des pulsions, des
conditionnements, des contraintes conformistes, de l’auto-confirmation
narcissique. Quelles que soient les qualifications – ‘démocratique’, ‘libéral’,
‘pluraliste’ – avec lesquelles l’État moderne entendait se définir comme
structure solide et pérenne, naturelle et historique, dans laquelle les
citoyens peuvent développer leurs droits humains, il est essentiel de
comprendre de quelle manière ce processus peut être soutenu et régulé de la
façon la plus juste et efficace.
50. En d’autres termes, il s’agit de spécifier de
quelle manière ces formules générales sont en mesure d’assumer le mouvement de
la vie et la participation à la citoyenneté, dans des conditions aptes à harmoniser
les différences des processus d’humanisation et l’unité de l’histoire qui
engendre la communauté nationale [52] .
Il n’y a pas un seul État qui puisse garantir d’une autre manière les
communautés qui le composent, et à travers elles, la vitalité de sa «
démocratie » comme bien commun[53].
Dans le cas contraire, même les formules les plus nobles demeureront de pures
paroles, voire même deviendront des fétiches bien plus trompeurs et vains que
les arcana imperii d’antan. La conception chrétienne du bon
gouvernement inclue l’idée que la liberté humaine n’a pas en elle–même sa
propre fin, comme si son sens et son achèvement coïncidaient avec l’arbitraire
illimité et indéterminé de toutes les possibilités de l’affectivité et du
vouloir. La fin de la liberté réside plutôt dans sa cohérence avec la dignité
humaine de l’affectivité et du vouloir, qui se tourne toujours vers la qualité
du bien par rapport auquel elle se détermine.
51. La qualité humaine, personnelle et relationnelle,
qui se réalise à travers la liberté instruite par la raison et par la
révélation du bien, est la fin propre de la liberté humaine. C’est à partir de
là que se mesure son progrès dans la manière de construire l’histoire et
d’habiter la terre. Cette idée est aujourd’hui incluse dans l’expression bien
connue de « écologie humaine », à savoir l’engagement pour une organisation de
la vie et de l’habitat humain cohérente avec les raisons suprêmes (naturelles
et divines) de son origine et de sa destination. C’est pour cela qu’on a élargi
l’expression jusqu’à proposer une « écologie intégrale » qui embrasse
clairement ses dimensions humaines et sociales [54].
Dans la vision chrétienne qui a inspiré de nouvelles voies dans l’histoire de
la liberté et de la responsabilité humaine par rapport à la constitution et à
la destinée de la personne, la liberté est certainement le reflet merveilleux
du geste créateur de Dieu à l’égard de l’homme et de la femme. Le passage à
travers la conscience et la liberté est fondamental pour la sauvegarde et
l’accroissement de la dignité de la créature, et en ce sens il est une
condition essentielle pour la réalisation de l’histoire du salut. Le libre
vouloir et l’affection intime de l’être humain dans la relation avec Dieu,
décide de la qualité salvifique de l’histoire humaine, conçue comme projet
d’alliance et de communion avec un Dieu qui veut être cru et aimé et pas
seulement subi passivement.
La valeur des corps intermédiaires et
l’État
52. Pour élargir cette réflexion sur la dimension
sociale on peut encore rappeler l’importance spécifique de ce que l’on appelle
les ‘corps intermédiaires’, c’est-à-dire des formations sociales qui se
présentent et s’auto-représentent dans des secteurs ou des lieux déterminés de
la société civile[55].
En tant que tels, ils assurent une fonction de médiation entre les droits
personnels et le gouvernement de l’État. Il faut les distinguer des groupes
d’opinion ou de revendication (comme par exemple les lobbies de
pression ou les groupes de class action), qui entendent
procurer des avantages exclusivement au groupe de conviction et d’agrégation,
sans égard pour le bien commun. Les corps intermédiaires exercent une médiation
active vis-à-vis de l’État avec des fonctions de subsidiarité institutionnelle
et dans l’intérêt du bien commun[56].
53. L’Église catholique refuse d’être identifiée à
un sujet d’intérêt privé qui se bat pour affirmer se privilèges. La mission de
l’Église est l’évangélisation qui annonce la justice de l’amour universel de
Dieu et ne se laisse pas réduire à un intérêt politique partisan. Par
conséquent, sa contribution à la bonne culture et aux pratiques de l’éthique
publique passe à travers le lien social et la participation à la vie civile. La
valeur publique de cette médiation renvoie à l’intérêt pour le bien commun et
au souci pour l’humanisme politique. En ce sens on peut dire que l’Église est
principe animateur d’institutions intermédiaires, qui concourent loyalement à
soutenir l’éthique publique et le lien social à l’intérieur des possibilités et
des limites du gouvernement étatique sur le plan national et aussi sur le plan
international. Partant, elle ne s’identifie pas comme un simple groupe
d’opinion ou de pression. Elle ne se place pas non plus en compétition avec
l’État dans la fonction de gouvernement de la société civile. Dans cette
perspective, qui refuse de toutes façons le modèle du gouvernement
théocratique, l’Église contribue, même d’un point de vue méthodologique, à
définir le cadre correct de la liberté religieuse dans la sphère publique.
L’instance de liberté en laquelle l’Église s’inscrit idéalement prend, en
effet, ses distances par rapport au modèle d’un multiculturalisme agnostique,
qui accepte la pure autoréférentialité des corporations idéologiques ou
religieuses, en les excluant en même temps de toute légitime fonction
médiatrice – éthique, culturelle, communautaire – entre citoyenneté active et
gouvernement de l’État.
L’État, la toile et les communautés de
conviction
54. Après le développement des communications à
travers internet et les réseaux sociaux, on peut entrevoir les potentialités
des nouvelles ressources technologiques pour l’interaction entre les hommes. Le
thème est bien connu et sa complexité requiert une attention constante. Les
réseaux de l’information moderne donnent un relief exceptionnel aux
manifestations des religions, mais diffusent aussi, et amplifient, des théories
et des pratiques qui leur sont attribuées indûment. La facilité et la rapidité
d’intervention sur la plateforme de la toile, à bien des niveaux, ouvre des
potentialités de participation sociale inaccessibles jusqu’à hier. Nous ne
pouvons qu’apprécier ces nouvelles possibilités. Néanmoins, elles favorisent un
style d’interaction émotif, d’une intensité croissante, comme le soulignent
désormais les observateurs. L’apparente liberté des formes de l’expression
individuelle online, jointe à la difficulté grandissante de
vérifier la fiabilité des contenus, favorise des phénomènes de massification de
fausses nouvelles (fake news) et de polarisation de la violence
persécutrice (haters). Tous ces éléments rendent ambivalente la valeur
des effets d’information/discussion, et de consensus/désaccord, qui
caractérisent la participation à cette nouvelle agora. Leur poids
ne saurait être sous-estimé, même du point de vue des effets de type politique
et social.
55. La liberté d’expression et la responsabilité de
la participation peuvent facilement être dissociées dans le milieu de
l’interaction online, exposant les personnes et les collectivités à
de nouvelles formes de pression, qui au lieu de favoriser une éthique de la
liberté réfléchie et partagée, peuvent servir à une manipulation plus subtile
de l’ethos. Dans ce nouveau cadre, les formes expressives de la religion
sont parmi les plus exposées à l’émotivité incontrôlée et au malentendu piloté.
Avec le temps, la communauté globale apprendra les règles qui conviennent à la
gestion des formes de ce nouvel échange privé-publique. Dès maintenant, il faut
que la communauté chrétienne soit capable d’identifier des instruments
d’éducation qui répondent de façon adéquate au caractère envahissant de la
sphère médiatique dans les processus de la construction de l’ethos relationnel
et de la formation du consensus politique[57].
En ce sens, la communauté chrétienne doit porter une attention spéciale à la
nécessité de ne pas se laisser enfermer médiatiquement dans l’image d’une
corporation partisane, d’un lobby de pression, d’une idéologie de pouvoir en
compétition avec le légitime gouvernement de l’État de droit et de la société
civile.
5. L’État et la liberté religieuse
Christianisme et dignité de l’État
56. En termes généraux, déjà la révélation de
l’Ancien Testament affirme toujours clairement la priorité de la souveraine
seigneurie de Dieu comme objet de la libre obéissance de la foi dans la logique
de l’alliance exclusive avec Dieu (cf. Dt 6, 4-6). Cependant, elle ne fait pas
de cette obéissance une alternative à la constitution d’un légitime pouvoir de
gouvernement du peuple, qui répond à des règles intrinsèques à la constitution
de cadres institutionnels – politiques, économiques, juridiques – dotés de leur
rationalité d’exercice, en correspondance avec toutes les formes normales de
développement des fonctions d’administration et d’organisation de la « nation
». De fait, la forme instituée du gouvernement du peuple de Dieu dans
l’histoire connaît des formes diverses d’organisation et d’exercice (depuis la
fédération des tribus jusqu’à la formalisation de la [double] monarchie). Dans
ce cadre, même s’il est conditionné par l’étroite conjonction de la dimension
politico-institutionnelle et de la dimension théologico-cultuelle,
caractéristique de toutes les civilisations antiques, on peut remarquer deux
aspects importants. Le premier réside justement dans le fait que le lien de
l’obéissance de la foi vis-à-vis des commandements de Dieu est solidement
enraciné dans la forme de l’alliance, comme libre choix de suivre Dieu. D’autre
part, la fidélité à l’alliance, et donc l’observation de la loi divine, passe à
travers la liberté d’une décision, toujours renouvelée, de veiller à la
cohérence du commandement de Dieu avec le souci pour le bien commun du peuple
(cf. Dt 7, 7-16 ; Jr 11,1-7). Cette même alliance doit par conséquent être
toujours alimentée de la fidélité du cœur et de la pratique de la justice.
57. C’est la fidélité même à l’esprit de l’Alliance
qui requiert de ne pas se transformer dans le privilège d’une élection qui
dispense de l’observation de la justice économique, du bien commun, du respect
réciproque, de la convivance solidaire. Dans l’histoire de l’ancienne alliance,
une certaine distinction entre pouvoir politique et institutions religieuses
apparaît durant la période des rois. Le pouvoir politique du roi est distinct
du pouvoir religieux du prêtre, même si c’est au roi que revient ensuite le
privilège de nommer le grand-prêtre, et si le prêtre garde une influence
pratique à l’égard du roi (cf. 2 R 11-12). Lorsque la domination étrangère
(Nabuchodonosor) abolit la royauté, se produit une concentration du pouvoir
civil et religieux en la personne du grand-prêtre comme personne de confiance :
mais demeure une certaine distinction entre les fonctions proprement politiques
et les prérogatives spécifiquement religieuses[58].
L’exigence d’harmoniser la fidélité à Dieu et à ses commandements avec la
pratique de la justice et de la solidarité dans le cadre de la vie sociale
représente néanmoins l’inspiration profonde du code d’une conduite de la vie
politique cohérente avec les principes de l’alliance avec Dieu. Lorsque les
prophètes dénonceront l’injustice sociale et la corruption politique,
l’intimidation violente et la prévarication économique, ils stigmatiseront en
même temps la trahison de l’alliance religieuse avec Dieu et la dégénération de
l’ethos politique (pensons à Samuel en 1 S 13, Nathan en 2 S 12,
Élie en 1 R 17-19, ainsi qu’aux écrits prophétiques comme Am 4-6, Os 4, Is 1,
Mi 1, etc.). Le caractère concret de la dénonciation, avec ses exemples
circonstanciés, fait appel, pour ainsi dire, à une « rationalité intrinsèque »
à la justice politique, dont la foi religieuse fait une partie intégrante de la
« loi divine ».
58. En ouverture de sa mission d’annonce et
d’instauration du Royaume de Dieu, Jésus reprendra, de façon radicale mais dans
le même sens, l’esprit de la critique prophétique : aussi bien dans son
enseignement en paraboles que dans sa critique du légalisme (cf. Mt 23,14-28 ;
Lc 10, 29-37 ; 18,11-12). Dans cette perspective, Jésus se place certainement
dans la ligne de la distinction entre l’exercice du pouvoir économique et
politique, selon les possibilités et les limites des conditions historiques, et
la sollicitude religieuse et pastorale pour le peuple, dans laquelle il inscrit
la nouveauté absolue de la révélation et de l’action de Dieu qu’Il incarne. La
légitimité de principe du pouvoir politique, distinct de l’autorité religieuse,
ne fait pas débat dans la communauté primitive. Signe qu’il s’agit d’une consigne
que l’on peut paisiblement rattacher à Jésus lui-même. Les recommandations de
saint Paul et saint Pierre concernant le respect pour l’autorité civile
légitime (cf. Rm 13,1-7 ; 1 P 2, 13-14) sont claires à ce sujet. Le pouvoir de
gouvernement politique, accordé par Dieu en vue du bien du peuple, représente
une médiation de l’ordre historique et séculier de la justice qui ne peut être
annulée. En effet, la représentation de cet ordre, inscrite dans le pouvoir
politique légitime, renvoie ultimement au soin que Dieu prend de sa créature.
Il n’y a pas de raison d’annuler la distinction ; d’autre part, justement par
rapport à elle on doit toujours mettre en évidence la spécificité de la mission
évangélique et ecclésiale et du pouvoir pastoral qui prend forme en elle, sur
indication explicite de Jésus. En ce sens, il doit apparaitre clairement que le
Royaume inauguré avec Jésus n’est pas « de ce monde » (Jn 18, 36) ; et que
l’exercice du pouvoir pastoral ne doit pas être confondu avec les logiques des
puissants « qui dominent sur les nations » (Lc 22, 25). De toute façon,
l’espace pour une légitime et nécessaire reconnaissance des prérogatives de
l’autorité publique (« César ») n’est pas en discussion, à condition,
naturellement, que celle-ci ne prétende pas occuper la place de Dieu (cf. Mt
22, 21)[59].
Dans ce cas, en effet, il ne fait pas de doute pour le chrétien que la suprême
obéissance ne doive être réservée à Dieu, et à lui seul (cf. Ac 5,29). La
liberté de cette obéissance, que le disciple du Seigneur revendique justement
come expression radicale de la liberté de la foi (cf. 1 P 3, 14-17), n’empiète
par elle-même sur la liberté individuelle de personne, ni n’entend menacer
l’ordre public légitime d’aucune communauté (1 P 2, 16-17).
59. Pour s’en tenir au contexte de l’empire romain,
le témoignage de la résistance chrétienne face aux interprétations
persécutrices de la religio civilis et à
l’imposition du culte de l’empereur ne fait pas défaut[60].
Le culte religieux de l’empereur apparaît comme une véritable religion
alternative à la foi christologique – laquelle représente l’unique incarnation
authentique de la seigneurie de Dieu – imposée à travers la violence par le
pouvoir politique[61].
L’inspiration évangélique – qui justifie le pouvoir civil soucieux du bien
commun, mais résiste lorsqu’il prend la forme d’un substitut à la religion –
est reprise par saint Augustin dans la Cité de Dieu[62].
Loin de dénigrer l’État, Augustin, avec l’idée que la tâche suprême de l’État
qui est de garantir la paix temporelle se rattache à la destinée de paix
promise par Dieu dans la vie éternelle, restitue à l’État l’intégrité de sa
fonction. Le bien temporel de la communauté humaine et le bien éternel de la
communion avec Dieu ne sont pas deux biens complètement séparés, comme on le
laisse souvent entendre dans la vulgarisation de la pensée augustinienne des «
deux cités ». Et de même la simplification selon laquelle l’État gouverne
séparément « les corps », tandis que l’Église gouverne les « âmes », doit être
considérée – des deux côtés – comme une simplification réductrice de la pensée
d’Augustin.
60. Les coordonnées du problème de la liberté
religieuse et des rapports entre l’Église et les autorités politiques
apparaissent changées à partir des lois de l’empereur Théodose (vers 380-390).
Le fait d’aboutir à une certaine interprétation du concept d’« État chrétien »,
où il n’y a pas plus d’espace officiel pour le pluralisme religieux, introduit
une variante décisive dans la présentation du thème[63].
La réflexion chrétienne a cherché à maintenir une juste distinction entre le
pouvoir politique et le pouvoir spirituel de l’Église sans jamais renoncer à
penser leur articulation intrinsèque. Cependant, cet équilibre a toujours été
menacé par une double tentation. La première est la tentation théocratique de
faire découler l’origine et la légitimité du pouvoir civil de la plenitudo potestatisde
l’autorité religieuse, comme si l’autorité politique s’exerçait en vertu d’une
simple délégation, toujours révocable, de la part du pouvoir ecclésiastique. La
seconde tentation est celle d’absorber l’Église dans l’État, comme si l’Église
était un organe ou une simple fonction de l’État, chargé de la dimension
religieuse. La formule théologique de l’équilibre, toujours cherchée néanmoins
dans un cadre qui prévoit la supériorité de la compétence spirituelle de
la sacra potestas par rapport au soin de l’ordre
public reconnu comme appartenant au pouvoir politique, apparaît sous des formes
variées et dans des contextes divers déjà à partir du Vème siècle.
(Gélase I, 494) jusqu’à la fin du XIXème siècle (Léon XIII,
1885)[64].
Le modèle de la recherche d’une juste harmonisation dans la distinction est
confirmé par Gaudium et Spes, qui propose de l’interpréter à la
lumière des principes d’autonomie et de coopération entre communauté politique
et Église[65].
Le changement des coordonnées socio-politiques, qui recommandent de prendre des
distances par rapport à la prétention de légitimer religieusement les
compétences éthico-sociales du gouvernement politique, se produit dans le
contexte contemporain à travers l’approfondissement de la valeur de la libre
adhésion à la foi. Et en général, de la valeur d’une convivance civile qui
exclut toute forme de contrainte, même psychologique, dans le domaine de
l’adhésion aux valeurs de l’expérience éthico-religieuse. Cette vision apparaît
comme un fruit mûr de la tradition chrétienne et, en même temps, comme un
principe universel du respect pour la dignité humaine que l’État doit garantir.
La dérive « monophysite » dans les
relations entre religion et État
61. La cité de Dieu vit et se développe « à
l’intérieur » de la cité de l’homme. De là vient la conviction de la Doctrine
sociale de l’Église, qui reconnaît comme une bénédiction l’engagement de toutes
les personnes de bonne volonté à promouvoir le bien commun dans le cadre de la
condition temporelle de la vie humaine[66].
La doctrine chrétienne des « deux cités » affirme leur distinction, mais ne
l’explique pas en termes d’opposition entre réalités temporelles et
spirituelles. Certes, Dieu n’impose pas une forme déterminée de gouvernement
temporel ; reste cependant la donnée théologique que toute autorité de l’homme
sur l’homme dérive ultimement de Dieu et est jugée selon la justice de Dieu.
Malgré ce renvoi au fondement ultime posé par Dieu, le lien social et son
gouvernement politique demeurent une entreprise humaine. Mais c’est justement
cela qui pose une limite précise au pouvoir conféré à l’autorité terrestre
concernant le gouvernement des personnes et des communautés humaines – et une
dépendance ultime par rapport au jugement de Dieu[67].
De ce point de vue, par conséquent, on doit dire également qu’une « théocratie
d’État », comme aussi un « athéisme d’État », qui prétendent, de manière
diverse, imposer une idéologie qui substitue au pouvoir de Dieu le pouvoir de
l’État, produisent respectivement une déformation de la religion et une
perversion de la politique. Dans ces modèles, on peut saisir une certaine
analogie politique du monophysisme christologique, qui confond – et finalement
annule – la distinction des deux natures, réalisée dans l’Incarnation, en
compromettant l’harmonie de leur unité. Dans cette phase historique, il
apparaît évident que la tentation du « monophysisme politique », qu’on a connue
dans l’histoire chrétienne, se fait jour de nouveau plus clairement dans
certains courants radicaux de traditions religieuses non chrétiennes.
La réduction « libérale » de la liberté
religieuse
62. Le concept d’égalité des citoyens, qui était à
l’origine limité à la relation légale entre l’individu et l’État, telle que
chaque membre d’un système donné de gouvernement était considéré égal devant la
loi de ce système de gouvernement, a été transposé dans le monde de l’éthique
et de la culture. Par cette extension, la simple possibilité qu’une évaluation
morale différente ou une appréciation diverse des pratiques culturelle puissent
être supérieures à d’autres ou contribuer plus que d’autres au bien commun, est
devenue maintenant une question politique controversée. D’après cette idée de
la neutralité, tout l’univers de la moralité humaine et du savoir social doit
être lui-même démocratisé[68].
La perte de signification de l’ethos et de la culture, qui découle
de l’application de cette idéologie égalitaire qui refuse d’exprimer quelque
jugement de valeur que ce soit, ne peut qu’éveiller des inquiétudes. Les
pratiques formatives et le lien social de la communauté sont amenés à la
paralysie de leurs présupposés eux-mêmes. En outre, on ne peut s’empêcher de
remarquer que lorsqu’un État de ce type, « moralement neutre », se met à
contrôler le domaine de tous les jugements humains, il commence à assumer les
traits d’un État « éthiquement autoritaire ». Dans son rapport originaire à la
vérité, l’exercice de la liberté de conscience – au nom de laquelle tout
jugement de valeur est censuré – finit par se trouver en constant danger. Au
nom de cette « éthique d’État », on met parfois indûment en question, au-delà
du critère de l’ordre public juste, la liberté des communautés religieuses à
s’organiser selon leurs principes[69].
63. La neutralité morale de l’État peut se
rattacher à certaines des diverses compréhensions de l’État libéral moderne. En
effet, le libéralisme, comme théorie politique, a une histoire longue et
complexe, qui ne se laisse pas réduire à une conception univoque et partagée
par tous. Parmi ses diverses élaborations théoriques – certaines sont plus
directement liées à une vision anthropologique d’inspiration radicalement
individualiste, d’autres adhèrent davantage à une conception où son application
politico-sociale est liée à la négociation –, on peut identifier au moins
quatre interprétations principales de la neutralité de l’État. (a) Une
présentation qui définit pragmatiquement les matières qui peuvent être objet de
normes contraignantes pour la liberté individuelle ; (b) une théorie qui
précise le type de rationalité définissant la compétence normative du législateur
; (c) une théorie qui rend acceptables des effets différenciés, en rapport avec
les avantages des divers groupes sociaux, à condition que ces avantages ne
soient pas la raison formelle de la norme ; (d) une théorie qui garantit un
exercice des libertés politiques n’impliquant pas la référence obligatoire à
une notion transcendante du bien. Dans cette dernière acception, le libéralisme
politique apparaît étroitement associé avec des limitations de la liberté qui
concernent la parole, la pensée, la conscience, la religion. La neutralité de
la sphère publique, en effet, ne se borne pas en ce cas à garantir l’égalité
des personnes devant la loi, mais impose l’exclusion d’un ordre déterminé de
préférences, qui associent la responsabilité morale et l’argumentation éthique
à une vision anthropologique et sociale du bien commun. L’État tend à assumer,
dans ce cas, la forme d’une ‘imitation laïciste’ de la conception théocratique
de la religion, qui décide de l’orthodoxie et de l’hérésie de la liberté au nom
d’une vision politico-salvifique de la société idéale : en décrétant a priori
son identité parfaitement rationnelle, parfaitement civile, parfaitement
humaine. L’absolutisme et le relativisme de cette moralité libérale sont ici en
contradiction, ce qui induit des effets d’exclusion antilibérale dans la sphère
publique, à l’intérieur de la prétendue neutralité libérale de l’État.
Ambiguïté de l’État moralement neutre
64. La conscience morale exige la transcendance de
la vérité et du bien moral : sa liberté est définie par cette référence, qui
indique précisément ce qui la justifie pour tous, sans qu’elle puisse être la
propriété à la disposition de personne. Parler de liberté de la conscience
individuelle signifie parler d’un droit originaire de l’humain, qui ne peut
être amputé de cette référence responsable à l’universel humain, soustrait à
l’arbitraire des hommes. Faute de cela, nous ne parlons plus de conscience éthiquement
inviolable, mais du simple reflet du monde donné ou de l’arbitraire voulu.
L’instance éthique ne se superpose pas à la liberté de conscience et au bien de
la convivance comme un élément optionnel ou idéologique. Elle est plutôt la
condition de leur harmonisation intrinsèque avec la dignité de la personne. La
référence à Dieu, comme principe transcendant de l’instance éthique qui habite
le cœur de l’homme, doit être entendue, en dernière analyse, comme la limite
posée à toute prévarication de l’homme sur l’homme et la défense de toute
convivance fraternelle d’êtres libres et égaux. Lorsque la place de Dieu, dans
la conscience collective d’un peuple, est occupée abusivement par les idoles
fabriquées par l’homme, le résultat n’est pas un climat de liberté plus
avantageux pour chacun, mais bien plutôt une servitude plus insidieuse pour
tous. La neutralité idéologique présumée de l’État libéral, qui exclut
sélectivement la liberté d’un témoignage transparent de la communauté
religieuse dans la sphère publique, ouvre une brèche à la fausse transcendance
d’une idéologie occulte du pouvoir. Le pape François nous a mis en garde contre
cette sous-estimation de l’indifférence religieuse : « Quand, au nom d’une
idéologie, on veut expulser Dieu de la société, on finit par adorer des idoles,
et bien vite aussi l’homme s’égare lui-même, sa dignité est piétinée, ses
droits violés »[70].
65. Pour le christianisme, le problème naît au
moment où les chrétiens eux-mêmes sont amenés à se considérer comme membres
d’une ‘société neutre’, qui, dans les principes et dans les faits, ne l’est
pas. Dans ce cas, leur condition de membres de communautés diverses, mais non
opposées (la famille, l’État, l’Église) est amenée à se traduire dans le choix
d’habiter de façon privée (d’une manière autoréférentielle) la communauté
familiale ou ecclésiale, pour se concevoir ensuite comme appartenance neutre
(non-religieuse) à la société libérale et politique. Autrement dit, dans le
sillage de cette dérive, les chrétiens commencent à s’envisager eux- mêmes,
dans la sphère publique, seulement comme membres de cette polis «
moralement neutre » à laquelle il est arrivé par hasard de se constituer en un
contexte historiquement chrétien. Lorsque les chrétiens acceptent passivement
cette dichotomie de leur être entre une extériorité gouvernée par l’État et une
intériorité gouvernée par l’Église, ils ont, de fait, déjà renoncé à leur
liberté de conscience et d’expression religieuse. Les chrétiens ne peuvent pas,
au nom du pluralisme de la société, favoriser des solutions qui compromettent
la sauvegarde d’exigences éthique fondamentales pour le bien commun[71].
Il ne s’agit pas, en soi, d’imposer des « valeurs confessionnelles »
particulières, mais de concourir à la sauvegarde d’un bien commun qui ne perde
pas de vue la référence obligatoire de la ‘sphère publique’ à la vérité de la
personne et à la dignité de la convivance humaine. Comme nous le verrons
ultérieurement dans les chapitres suivants, la foi chrétienne a une attitude de
coopération avec l’État, justement en vertu de la
juste distinction des tâches, pour rechercher ce que Benoit XVI a qualifié
de « laïcité positive » dans le rapport entre le domaine politique et le
domaine religieux[72].
6. La contribution de la liberté
religieuse à la convivance et à la paix sociale
Liberté religieuse pour le bien de tous
66. Dans les chapitres précédents nous avons pris
en considération les divers aspects du sujet personnel et communautaire de la
liberté religieuse, approfondissant surtout les dimensions anthropologiques de
la liberté religieuse, et aussi sa place vis-à-vis de l’État. Notre réflexion,
développée dans la perspective unitaire de la dignité de la personne humaine, a
décrit la signification et les implications de la liberté de conscience – d’un
côté – et la valeur des communautés religieuses – de l’autre. Dans un deuxième
temps, nous avons présenté quelques mises au point concernant les
contradictions inscrites dans l’idéologie de l’État neutre, lorsque cette «
neutralité » est déclinée en termes d’« exclusion » de la légitime
participation de la religion à la formation de la culture publique et du lien
social. Il convient maintenant de nous arrêter sur l’exercice concret de la
liberté religieuse, c’est-à-dire sur les thèmes pratiques de la médiation entre
vie sociale et institution juridique qui doit régler son exercice concret.
L’être-ensemble a qualité de bien
67. Être ensemble, vivre ensemble, est, en soi, un
bien, tant pour les individus que pour la communauté. Ce bien ne résulte pas de
l’adoption d’une vision théorique particulière ; sa justification ressort de
l’évidence même de son advenir[73].
Dans la mesure où ce fait est reconnu, apprécié et défendu, il contribue à la
paix sociale et au bien commun. L’acceptation de la convivance humaine et la
recherche de sa meilleure qualité représentent la prémisse fondamentale d’une
entente – une alliance, pourrait-on dire – qui crée d’elle-même les conditions
d’une vie bonne pour tous. De fait, une des données les plus impressionnantes,
au sujet des conflits qui suscitent maintenant les plus graves préoccupations,
est justement le fait que les fractures et les horreurs qui allument les foyers
d’une guerre mondiale « par morceaux »[74],
dévastent avec furie soudaine des convivances pacifiques longuement
expérimentées et sédimentées dans le temps, et laissent derrière elles une
série interminable de souffrances pour les personnes et pour les peuples[75].
Dans le contexte tourmenté d’aujourd’hui, nous ne pouvons pas ignorer les
effets concrets qu’entraînent, pour le juste exercice de la liberté religieuse
dans le monde, les migrations dues à des conflits politiques ou à des
conditions économiques précaires, parce que les migrants se déplacent avec leur
religion[76].
68. C’est seulement là où il y a la volonté de
vivre ensemble que l’on pourra construire un avenir bon pour tous : sinon, il
n’y aura d’avenir bon pour personne. À l’ère de la globalisation, le besoin
humain fondamental de sécurité et de communauté n’a pas changé : naître dans un
lieu concret implique toujours interagir avec d’autres, en commençant par les
plus proches, mais en réalité interagir avec le monde entier. Ce fait même nous
rend responsables les uns des autres, proches et lointains. Aujourd’hui les
responsabilités sont de plus en plus interdépendantes, dépassant les
différences sociales ou les frontières. Les problèmes décisifs pour la vie
humaine ne peuvent être résolus de manière adéquate que dans une perspective
d’interaction aussi bien locale que temporelle. Pour cette raison, le bien
pratique du vivre ensemble n’est pas un bien statique mais en continuelle
évolution, qui, pour pouvoir se développer d’une manière convenable doit être
assuré aussi politiquement[77].
Les communautés religieuses, mises en condition de promouvoir les raisons
transcendantes et les valeurs humaines de la convivance, sont un principe de
vitalité de l'amour mutuel pour unir la famille humaine toute entière. Le bien
du vivre ensemble devient une richesse pour tous, lorsque tous ont le souci de
vivre bien ensemble.
69. Particulièrement importante, pour
l’harmonisation des dimensions constitutives de la vie en commun, est la sphère
des croyances religieuses et des convictions éthiques les plus intimes des
hommes : c’est-à-dire celles où ils investissent leur identité profonde et
orientent leurs attitudes à l’égard de la conscience et des comportements des
autres. On ne voit pas pourquoi il devrait être impossible, dans le respect
mutuel, de partager comme un bien à la disposition de tous la relation
personnelle et communautaire que les communautés religieuses cultivent à
l’égard de Dieu. En tout cas, ce n’est certainement pas un bien que cette
expérience soi cultivée clandestinement, sans possibilité que tous les membres
de la société la reconnaissent librement et y aient accès. L’esprit religieux
cultive la relation avec Dieu comme un bien qui concerne l’être humain : la sincérité
et la bénédiction de cette conviction doivent pouvoir être vérifiées et
appréciées par tous. De là découle aussi l’engagement des croyants à améliorer
la qualité du dialogue entre expérience religieuse et vie sociale. Tous ont
intérêt à dépasser la dérive du savoir social relatif au sens vers
l’indifférentisme et le relativisme radical.
Le juste discernement de la liberté
religieuse
70. Comme nous l’avons déjà fait remarquer, on ne
peut pas reconnaître la même valeur à toutes les formes possibles de
l’expérience religieuse – individuelles ou collectives, historiques ou
récentes. Il est donc nécessaire d’évaluer les diverses formes de religiosité
et les comparer en fonction de leur aptitude à sauvegarder le sens universel et
le bien commun de l’être ensemble[78].
En ce sens, chacune des religions actives dans une société doit accepter de «
se présenter » devant les justes exigences de la raison « digne » de l’homme.
Il revient, de fait, à l’autorité politique, gardienne de l’ordre public, de
défendre les citoyens, spécialement les plus faibles, contre les dérives
sectaires de certaines prétentions religieuses (manipulation psychologique et
affective, exploitation économique et politique, isolationnisme…). Parmi les
justes exigences de la raison dans ses implications juridico-politiques on peut
citer – dans les années récentes – la réciprocité pacifique des droits
religieux, y compris celui de la liberté de conversion[79].
Réciprocité pacifique des droits signifie qu’à la liberté d’expression et de
pratique qu’un pays accorde à une identité religieuse minoritaire, correspond
une reconnaissance symétrique de la liberté pour les minorités religieuses des
pays où cette identité est, en revanche, majoritaire. Cette réciprocité
pacifique des droits va au-delà du célèbre principe cuius regio eius et
religio consacré par la paix d’Augsbourg (1555). Le lien d’une
religion d’État, qui fut proposé à un moment donné de l’histoire européenne
pour contenir les excès de ce qu’on appelle les « guerres de religion », semble
maintenant dépassé avec l’évolution actuelle du principe de citoyenneté, qui
implique la liberté de conscience.
Les extensions de la liberté religieuse
71. De fait, dans certains pays il n’y a aucune
liberté juridique de religion, tandis que dans d’autres la liberté juridique
est drastiquement limitée à l’exercice communautaire du culte ou de pratiques
strictement privées. Dans de tels pays l’expression publique d’une croyance
religieuse n’est pas autorisée, toute forme de communication religieuse est
généralement interdite, et des peines sévères, y compris la peine de mort, sont
réservées à celui qui désire se convertir ou cherche à convertir d’autres
personnes. Dans les pays à régime dictatorial où prévaut une pensée athée – et
même, avec toutes les distinctions voulues, dans certains pays qui se
considèrent démocratiques – les membres des communautés religieuses sont
souvent persécutés ou soumis à des traitements défavorables dans leur lieu de
travail, sont exclus des fonctions publiques et empêchés d’accéder à certains
niveaux d’assistance sociale. Pareillement, les œuvres sociales fondées par des
chrétiens (dans le domaine de la santé, de l’éducation…) sont soumises à des
limitations sur le plan législatif, financier ou des communications, qui
rendent difficile sinon impossible leur développement. Dans toutes ces
circonstances il n’y a pas de vraie liberté de religion. Une véritable liberté
de religion est possible seulement si elle peut s’exprimer activement[80].
72. Une conscience libre et éclairée nous permet de
respecter tout individu, d’encourager l’accomplissement de l’homme et de
refuser un comportement qui nuirait à l’individu ou au bien commun. L’Église
s’attend à ce que tous ses membres puissent vivre leur foi librement et que les
droits de leur conscience soient garantis dès lors qu’ils respectent, eux, les
droits des autres. Vivre la foi peut parfois demander l’objection de
conscience. En effet les lois civiles n’obligent pas en conscience lorsqu’elles
contredisent l’éthique naturelle, et par conséquent l’État doit reconnaitre le
droit des personnes à l’objection de conscience[81].
Le lien ultime de la conscience est avec le Dieu unique, Père de tous. Le refus
de cette référence transcendante expose fatalement à la prolifération d’autres
dépendances, selon l’aphorisme incisif de saint Ambroise : « Combien de maitres
a celui qui en a fui un seul ! »[82]
7. La liberté religieuse dans la
mission de l’Église
Le libre témoignage de l’amour de Dieu
73. L’évangélisation ne consiste pas seulement dans
la proclamation confiante de l’amour salvifique de Dieu, mais dans la mise en
œuvre d’une vie fidèle à la miséricorde qu’Il a manifestée dans l’événement de
Jésus Christ, par lequel l’histoire tout entière s’ouvre à la réalisation du
Règne de Dieu. La mission de l’Église inclue une double action qui se déploie
dans l’engagement pour l’humanisme de la charité et le dévouement pour la
responsabilité de l’éducation des nouvelles générations.
74. De cette façon l’Église exprime sa profonde
union avec les hommes et les femmes, dans toutes les conditions de vie, en
montrant une attention spéciale pour les pauvres et les persécutés. Dans cette
prédilection apparaît clairement le sens de sa totale ouverture au partage des
espérances et des angoisses de l’humanité entière[83].
Ce dynamisme correspond à la vérité de la foi, selon laquelle l’humanité du
Christ, « homme parfait » (Ep 4,13), est intégralement assumée et non annulée
dans l’Incarnation du Fils[84].
Et d’autre part, le mystère du salut en Jésus Christ implique que l’humain soit
pleinement restitué – comme « création nouvelle » (2 Co 5,17) – à sa nature
originaire « d’image et ressemblance » de Dieu[85].
En ce sens, l’Église est intrinsèquement orientée vers service du mystère
salvifique de Dieu dans lequel l’humanité des hommes est radicalement rachetée
et pleinement réalisée. Ce service est proprement un acte d’adoration de Dieu,
qui Lui rend gloire pour son alliance avec la créature humaine.
L’Église proclame la liberté religieuse
pour tous
75. La liberté religieuse ne peut être réellement
garantie que dans l’horizon d’une vision humaniste ouverte à la coopération et
à la convivance, profondément enracinée dans le respect pour la dignité de la
personne et pour la liberté de la conscience. Du reste, amputée de cette
ouverture humaniste, qui œuvre comme levain de la culture civile, l’expérience
religieuse elle-même perd son authentique fondement dans la vérité de Dieu, et
devient vulnérable à la corruption de l’humain[86].
Le défi est de taille. Les adaptations de la religion aux formes du pouvoir
séculier, bien que justifiées au nom des possibilités d’obtenir de meilleurs
avantages pour la foi, sont une tentation constante et un risque permanent.
L’Église doit développer une sensibilité particulière dans le discernement de
ce compromis, s’engageant constamment à se purifier des faiblesses face à la
tentation de la « mondanité spirituelle »[87].
L’Église doit s’examiner elle-même pour retrouver avec un élan toujours
renouvelé le chemin de la véritable adoration de Dieu « en esprit et en vérité
» (Jn 4, 23) et du « premier amour » (Ap 2, 4). Elle doit ouvrir, justement à
travers cette continuelle conversion, l’accès de l’Évangile à l’intime du cœur
humain, en ce point où celui-ci cherche – secrètement et même sans le savoir –
à reconnaître le vrai Dieu et la vraie religion. L’Évangile est réellement
capable de démasquer la manipulation religieuse, qui produit des effets
d’exclusion, d’avilissement, d’abandon et de séparation entre les hommes.
76. En définitive, la vision proprement chrétienne
de la liberté religieuse puise son inspiration la plus profonde dans la foi en
la vérité du Fils fait homme pour nous et pour notre salut. Par Lui, le Père
attire à soi tous les fils dispersés et toutes les brebis sans pasteur (cf. Jn
12, 32 ; 10, 11-16 ; Mt 9, 36 ; Mc 6, 34). Et l’Esprit recueille les
gémissements (cf. Rm 8,22), même les plus confus et imperceptibles, de la
créature otage des puissances du péché, et les transforme en prière. L’Esprit
de Dieu agit de toute façon, librement et avec puissance. Cependant, là où
l’être humain est en mesure d’exprimer librement son gémissement et son
invocation, l’action de l’Esprit devient reconnaissable pour tous ceux qui cherchent
la justice de la vie. Et sa consolation devient témoignage d’une humanité
réconciliée. La liberté religieuse libère l’espace pour la conscience
universelle d’appartenir à une communauté d’origine et de destin qui ne veut
pas renoncer à maintenir vivante l’attente d’une justice de la vie que nous
sommes en mesure de reconnaitre, mais incapables d’honorer avec nos seules
forces. Le mystère de la récapitulation en Christ de toutes choses garde pour
nous et pour tous l’attente amoureuse des fruits de l’Esprit pour chacun, et
l’émouvante annonce de la venue du Fils pour tous (cf. Ep 1,3-14).
Le dialogue interreligieux comme voie
vers la paix
77. Le dialogue interreligieux est favorisé par la
liberté religieuse, dans la recherche du bien commun ensemble avec les
représentants d’autres religions. Il est une dimension inhérente à la mission
de l’Église[88].
Il n’est pas en tant que tel le but de l’évangélisation, mais il concourt
grandement à celle-ci. Il ne doit donc pas être compris ni pratiqué en
alternative ou en contradiction avec la mission ad gentes[89]. Le
dialogue éclaire, déjà dans sa bonne disposition au respect et à la
coopération, cette forme relationnelle de l’amour évangélique qui trouve son
principe ineffable dans le mystère de la vie de Dieu[90].
L’Église reconnaît en même temps la capacité particulière de l’esprit de dialogue
à saisir – et à nourrir – une exigence particulièrement ressentie dans le cadre
de la culture démocratique actuelle[91].
La disponibilité au dialogue et la promotion de la paix sont en effet
étroitement liées. Le dialogue nous aide à nous orienter dans la nouvelle
complexité des opinions, des savoirs, des cultures : aussi, et surtout, en
matière de religion.
78. Dans le dialogue sur les thèmes fondamentaux de
la vie humaine, les croyants des diverses religions mettent en lumière les
valeurs les plus importantes de leur tradition spirituelle, et rendent plus
reconnaissable leur sincère implication dans ce qu’ils jugent essentiel pour le
sens ultime de la vie humaine, et pour la justification de leur espérance en
une société plus juste et plus fraternelle[92].
L’Église est certainement disponible à entrer en un dialogue concret et
constructif avec tous ceux qui œuvrent en vue de cette justice et de cette
fraternité[93].
Dans l’exercice de la mission évangélique à travers le dialogue, l’Évangile
fait encore mieux resplendir sa lumière parmi les peuples et les religions.
Le courage du discernement et du refus
de la violence au nom de Dieu
79. Le christianisme lui-même, d’autre part, peut
saisir, en même temps que les inévitables différences – voire même dissonances
–, des affinités et ressemblances qui rendent encore plus appréciable
l’universalisme de la foi théologale[94].
Le droit de chacun à sa propre liberté religieuse est nécessairement connexe
avec la reconnaissance du droit identique pour tous les autres, étant sauf le
maintien général de l’ordre public[95].
Dans cette perspective, la question de la liberté religieuse se rattache au
thème traditionnel de la tolérance civile. La véritable liberté religieuse doit
se concilier avec le respect de la population religieuse et – symétriquement –
aussi de celle qui n’a pas d’identité religieuse spécifique. On ne doit
cependant pas négliger le fait que la simple tolérance relativiste, dans ce
domaine, peut conduire – en contradiction même avec son intention de respecter
la religion – à l’évolution du comportement vers l’indifférence à l’égard de la
vérité de sa propre religion[96].
Lorsque, d’autre part, la religion devient une menace pour la liberté
religieuse d’autres hommes, aussi bien dans les paroles que dans les faits,
allant même jusqu’à la violence au nom de Dieu, on franchit une limite qui
appelle l’énergique dénonciation en premier lieu des hommes religieux eux-mêmes[97].
Pour ce qui concerne le christianisme, ses « adieux définitifs » aux ambiguïtés
de la violence religieuse peuvent être considérés comme un kairos qui
favorise une nouvelle réflexion sur ce thème dans toutes les religions[98].
80. La recherche d’une adhésion plénière à la
vérité de sa propre religion et d’une attitude résolue de respect vis-à-vis des
autres religions, peut engendrer des tensions à l’intérieur de la conscience
individuelle, comme aussi de la communauté religieuse. L’éventualité, tout
autre qu’abstraite, qu’il en jaillisse un dynamisme de critique dans la mise en
œuvre de la religion propre, qui demeure néanmoins à l’intérieur de celle-ci,
fait naitre à l’intérieur de la société civile une nouvelle problématique
spécifique de la liberté religieuse. Il ne s’agit plus seulement d’appliquer la
liberté religieuse au respect pour la religion des autres, mais aussi à la
critique de sa propre religion. Cette situation pose des problèmes délicats
d’équilibre dans l’application de la liberté religieuse. Dans ces cas, le défi
de la protection de la liberté religieuse atteint un point-limite autant pour
la communauté civile que pour la communauté religieuse. L’aptitude à concilier
le souci de l’intégrité de la foi commune, le respect pour le conflit de
conscience, l’engagement pour la sauvegarde de la paix sociale, requièrent la
médiation d’une maturité personnelle et d’une sagesse partagée qu’il faut
demander sincèrement comme une grâce et un don d’en-Haut.
81. Le « martyre », comme suprême témoignage
non-violent de la fidélité à la foi, devenue objet de haine spécifique,
intimidation et persécution, est le cas limite de la réponse chrétienne à la
violence qui prend pour cible la confession évangélique de la vérité et de
l’amour de Dieu, introduite dans l’histoire – profane et religieuse – au nom de
Jésus-Christ. Le martyre devient ainsi le symbole extrême de la liberté
d’opposer l’amour à la violence, et la paix au conflit. Dans beaucoup de cas,
la détermination personnelle du martyr de la foi à accepter la mort est devenue
semence de libération religieuse et humaine pour une multitude d’hommes et de
femmes, jusqu’à obtenir la délivrance de la violence et le dépassement de la
haine. L’histoire de l’évangélisation chrétienne en témoigne, aussi à travers
la mise en route de processus et de mutations sociales de portée universelle.
Ces témoins de la foi sont un juste motif d’admiration et d’imitation de la
part des croyants, mais également de respect de la part de tous les hommes et
les femmes qui ont à cœur la liberté, la dignité, la paix entre les peuples.
Les martyrs ont résisté à la pression des représailles, annulant l’esprit de
vengeance et de violence par la force du pardon, de l’amour et de la fraternité[99].
De cette façon, ils ont rendu évidente pour tout le monde la grandeur de la
liberté religieuse comme semence d’une culture de la liberté et de la justice.
82. Parfois, les personnes ne sont pas tuées au nom
de leur pratique religieuse mais elles doivent subir des attitudes profondément
blessantes, qui les confinent aux marges de la vie sociale : exclusion des
fonctions publiques, interdiction sans discernement de leurs symboles
religieux, exclusion de certains avantages économique et sociaux… Ce qu’on
appelle le « martyre blanc », comme exemple de confession de la foi[100].
Ce témoignage se rencontre encore aujourd’hui en de nombreuses parties du monde
: il ne doit pas être minimisé, comme s’il s’agissait d’un simple effet
collatéral des conflits pour la suprématie ethnique ou pour la conquête du
pouvoir. La beauté de ce témoignage doit être bien comprise et bien
interprétée. Il nous instruit sur le bien authentique de la liberté religieuse
de la façon la plus limpide et la plus efficace. Le martyre chrétien montre à tous
ce qui se produit lorsque la liberté religieuse de l’innocent est contrariée et
supprimée : le martyre est le témoignage d’une foi qui demeure fidèle à
elle-même en refusant jusqu’au bout de se venger et de tuer. En ce sens, le
martyr de la foi chrétienne n’a rien à voir avec le suicide-homicide au nom de
Dieu : une telle confusion est déjà en elle-même une corruption de l’esprit et
une blessure de l’âme.
83. Le christianisme ne renferme pas l’histoire du
salut entre les bornes de l’histoire de l’Église. Au contraire, dans le
prolongement de l’enseignement du Concile Vatican II et dans l’horizon de
l’Encyclique Ecclesiam suam de saint Paul VI, l’Église ouvre
l’histoire humaine tout entière à l’action de l’amour de Dieu, qui « veut que
tous les hommes soient sauvés et parviennent à la connaissance de la vérité »
(1 Tm 2,4). La forme missionnaire de l’Église, inscrite dans la disposition
même de la foi, obéit à la logique du don, c’est-à-dire de la grâce et de la
liberté, et non à celle du contrat et de l’imposition. L’Église est consciente
du fait que, même avec les meilleures intentions, cette logique a été
contredite – et risque toujours de l’être – à cause de comportements qui ne
sont ni conformes ni cohérents avec la foi reçue. Néanmoins, nous, chrétiens,
nous professons avec une humble fermeté notre conviction que l’Église est
toujours guidée par le Seigneur et soutenue par l’Esprit tout au long du chemin
de son témoignage rendu à l’action salvifique de Dieu dans la vie de toutes les
personnes et de tous les peuples. Et toujours à nouveau elle s’engage à honorer
sa vocation historique, annonçant l’évangile de la véritable adoration de Dieu
en esprit et en vérité. Sur ce chemin, dans lequel la liberté et la grâce se
rencontrent dans la foi, l’Église se réjouit d’être confirmée par le Seigneur,
qui l’accompagne, et d’être entraînée par l’Esprit, qui la précède. Par
conséquent, toujours à nouveau elle déclare sa ferme intention de se convertir
à la fidélité du cœur, de la pensée et des œuvres qui rétablissent la pureté de
sa foi.
84. Le témoignage de la foi chrétienne habite le
temps et l’espace de la vie personnelle et communautaire qui sont propres à la
condition humaine. Les chrétiens sont conscients du fait que ce temps et cet
espace ne sont pas des espaces vides. Ni des espaces indistincts, c’est-à-dire
neutres et indifférenciés par rapport au sens, aux valeurs, aux convictions et
aux désirs qui donnent une forme à la culture proprement humaine de la vie. Ce
sont des espaces et des temps habités par le dynamisme des communautés et des
traditions, des regroupements et des appartenances, des institutions et du
droit. La conscience plus forte du pluralisme des diverses manières de
reconnaître et d’atteindre le sens de la vie individuelle et collective, qui
concourt à la formation du consensus éthique et à la manifestation du
consentement religieux, engage justement l’Église à élaborer un style de
témoignage de la foi tout à fait respectueux de la liberté individuelle et du
bien commun. Ce style, loin d’atténuer la fidélité à l’événement salvifique qui
est l’objet de l’annonce de la foi, doit rendre encore plus transparente sa
prise de distance par rapport à un esprit de domination, intéressé par la
conquête du pouvoir comme une fin en soi. C’est justement la fermeté avec
laquelle le magistère définit aujourd’hui la sortie théologique de cette
équivoque qui permet à l’Église de solliciter une élaboration plus cohérente de
la doctrine politique.
85. En tant que membres du Peuple de Dieu, nous
nous proposons humblement de demeurer fidèles à la mission confiée par le
Seigneur, qui envoie les disciples à tous les peuples de la terre pour annoncer
l’évangile de la miséricorde de Dieu (cf. Mt 28,19-20 ; Mc 16,15), Père de
tous, et ouvrir librement les cœurs à la foi dans le Fils, fait homme pour
notre salut. L’Église ne confond pas sa propre mission avec la domination sur
les peuples du monde et le gouvernement de la cité terrestre. Elle voit plutôt
une tentation maligne dans la prétention à une instrumentalisation réciproque
du pouvoir politique et de la mission évangélique. Jésus a rejeté l’avantage
apparent d’un tel projet comme une séduction diabolique (Mt 4,8-10). Il a
repoussé clairement la tentative de transformer le conflit avec les gardiens de
la loi (religieuse et politique) en un conflit en vue de remplacer le pouvoir
de gouvernement des institutions et de la société. Jésus a aussi clairement mis
en garde ses disciples au sujet de la tentation de se conformer, dans le soin
pastoral de la communauté chrétienne, aux critères et au style des puissants de
la terre (cf. Mt 20, 25; Mc 10, 42; Lc 22, 25). Le christianisme sait bien, par
conséquent, quelle signification et quelle image doit assumer l’évangélisation
du monde. Son ouverture au thème de la liberté religieuse est donc une
clarification cohérente avec le style d’une annonce évangélique et d’un appel à
la foi qui présupposent l’absence de privilèges indus de certaines politiques
confessionnelles et la défense des justes droits de la liberté de conscience.
Cette clarté, en même temps, requiert la pleine reconnaissance de la dignité de
la profession de foi et de la pratique du culte dans la sphère publique. Dans
la logique de la foi et de la mission, la participation active et réfléchie à
la pacifique construction du lien social, comme aussi le généreux partage de
l’intérêt pour le bien commun, sont des implications du témoignage chrétien.
86. L’engagement culturel et social de l’agir
croyant, qui s’exprime aussi dans la constitution de regroupements intermédiaires
et dans la promotion d’initiatives publiques, est également une dimension de
cet engagement que les chrétiens sont appelés à partager avec tout homme et
toute femme de leur temps, indépendamment des différences de culture et de
religion. En disant « indépendamment », on n’entend naturellement pas dire que
ces différences doivent être ignorées et considérées comme insignifiantes. On
veut plutôt signifier qu’elles doivent être respectées et jugées comme des
composantes vitales de la personne, et convenablement valorisées dans la
richesse de leurs contributions à la vitalité concrète de la sphère publique.
L’Église n’a aucun motif de choisir une voie différente de témoigner. Que tout
soit fait, recommande l’Apôtre Pierre « avec douceur et respect, ayant une
bonne conscience, afin que, sur le point même où l'on vous calomnie, vous
couvriez de confusion ceux qui diffament votre bonne conduite dans le Christ »
(1 P 3,16). Et on ne voit aucun argument raisonnable qui devrait imposer à
l’État d’exclure la liberté de la religion dans la participation à la réflexion
et à la promotion des raisons du bien commun dans le cadre de la sphère
publique. L’État ne peut être ni théocratique, ni athée, ni « neutre » (au sens
d’une indifférence qui s’imagine que la culture religieuse et l’appartenance
religieuse sont insignifiantes dans la constitution du sujet démocratique
réel). Il est plutôt appelé à exercer une « laïcité positive » vis-à-vis des
formes sociales et culturelles qui assurent le rapport nécessaire et concret de
l’État de droit avec la communauté effective des ayants-droit.
87. De cette manière, le christianisme se dispose à
soutenir l’espérance d’une commune destination vers le but eschatologique d’un
monde transfiguré, selon la promesse de Dieu (cf. Ap 21,1-8). Le foi chrétienne
est consciente du fait que cette transfiguration est un don de l’amour de Dieu
pour la créature humaine, et non le résultat de nos efforts pour améliorer la
qualité de la vie personnelle ou sociale. La religion existe pour maintenir
éveillé ce sens de la transcendance du rachat de la justice de la vie et de
l’achèvement de son histoire. Le christianisme, en particulier, est fondé sur
l’exclusion du délire de toute-puissance de tout messianisme mondain, qu’il
soit laïc ou religieux, qui débouche toujours sur la servitude des peuples et
la destruction de la maison commune. Le soin de la création, confié dès le
commencement à l’alliance de l’homme et de la femme (cf. Gn 1, 27-28), et
l’amour du prochain (cf. Mt 22, 39), qui scelle la vérité évangélique de
l’amour de Dieu, sont le sujet d’une responsabilité sur laquelle tous nous
serons jugés – les chrétiens en premier – à la fin du temps que Dieu nous a
donné pour nous convertir à son amour. Le Règne de Dieu est déjà à l’œuvre dans
l’histoire, dans l’attente de l’avènement du Seigneur, qui nous introduira dans
son achèvement. L’Esprit qui dit « Viens ! » (Ap 22, 17), qui recueille les «
gémissements de la création » (Rm 8,22) et « fait toutes choses nouvelles »,
porte dans le monde le courage de la foi qui soutient (cfr. Rm 8,1-27), au
bénéfice de tous, la beauté « de la raison [logos] de l’espérance qui
est en nous » (1 P 3,15). Et la liberté, pour tous, de l’écouter et de le
suivre.
[1] Le Concile se proposait de discerner la
signification de la liberté religieuse en tenant compte de la compréhension
qu’en avaient non seulement les communautés ecclésiales mais aussi les
gouvernements, les institutions, la presse, les juristes de l’époque. Voir
l’explication de A. J. De Smedt, Relatio (23 septembre 1964) (Acta
synodalia III/2, p. 349). Une référence importante à ce sujet était la
« Déclaration universelle des droits de l’homme » (1948), mais aussi d’autres
expressions de la pensée philosophique et juridique. La Commission
Théologique Internationale a proposé une hiérarchie des divers droits
de l’homme, en renvoyant aux Documents internationaux où ils sont présentés
: Dignité et droits de la personne humaine (1983), 1.2.
(Commission Théologique Internationale, Textes et documents I
[1969-1985], Préface du Cardinal J. Ratzinger, Cerf, Paris, 2013, p. 301-302).
[2] Cfr., entre autres, les études de J. Hamer –
Y. Congar, La Liberté religieuse. Déclaration «Dignitatis humanae
personae», Cerf, Paris, 1967; R. Minnerath, Le Droit de
l’Église à la liberté. Du Syllabus à Vatican II, Beauchesne,
Paris, 1982 ; D. Gonnet, La Liberté
religieuse à Vatican II. La contribution de John Courtney Murray,
Cerf, Paris, 1994 ; S. Scatena, La Fatica della libertà.
L’elaborazione della dichiarazione Dignitatis Humanae sulla
libertà religiosa del Vaticano II, Il Mulino, Bologna, 2003 ; R. A.
Siebenrock, «Theologischer Kommentar zur Erklärung über die
Religionsfreiheit Dignitatis Humanae », dans Herders
Theologischer Kommentar zum Zweiten Vatikanischen Konzil, Bd. IV, Herder,
Freiburg, 2005, p. 125-218 ; G. del Pozo, La Iglesia y la libertad
religiosa, BAC,Madrid, 2007 ; R. Latala – J. Rime (éd.), Liberté
religieuse et Église catholique. Héritage et développements
récents, Academic Press Fribourg, Fribourg, 2009 ; J. L.
Martínez, Libertad religiosa ydignidad humana. Claves católicas de una
gran comprensión, San Pablo-UPC, Madrid, 2009 ; D. L. Schindler – N. J.
Healey Jr., Freedom, Truth, and Human Dignity. The Second
Vatican Council’s Declaration on Religious Freedom, Eerdmans, Grand Rapids
(Mi), 2015 ; S. Noceti – R. Repole (a cura di), Commentario ai
Documenti del Vaticano II, Vol. 6 : Ad Gentes, Nostra Aetate,
Dignitatis Humanae, Dehoniane, Bologna, 2018.
[3] Cf. Grégoire XVI, Lettre encyclique Mirari
vos (15 août 1832) ; Bx Pie IX, Lettre encyclique Quanta cura (8
décembre 1864).
[4] Cf. Pie XII, Radiomessage de Noël
«Benignitas et Humanitas » aux peuples du monde entier (24 décembre
1944) (AAS 37 [1945], p. 10-23).
[5] Cf. saint Jean XXIII, Lettre encyclique Pacem
in terris (11 avril 1963), n. 18 (AAS 55 [1963], p. 261).
[6] Ibid., n. 9, 14, 45-46, 64, 75 (AAS [1963],
p. 260-261, 268-269, 275, 279). Ces perspectives deviendront constantes à
partir du Concile œcuménique Vatican II. Cf. Constitution pastorale Gaudium
et spes (7 décembre 1965), n. 17 ; saint Jean-Paul II, Lettre
encyclique Veritatis Splendor (6 août 1993), n. 35-41 (AAS 85
[1993], p. 1161-1166) ; Catéchisme de l’Église Catholique, n.
1731-1732 ; Benoit XVI, Lettre encyclique Caritas in veritate (9
juin 2009), n. 9, 17 (AAS 101 [2009], p. 646-647, 652-653).
[9] Lorsqu’il se réfère à l’athéisme le Concile
propose une description existentielle de la condition religieuse comme
appartenant à l’expérience commune des hommes. (Cf. Concile œcuménique Vatican
II, Constitution pastorale Gaudium et Spes [7 décembre 1965],
n. 19-21). C’est une réflexion constante dans les textes ecclésiaux
postconciliaires. Voir les synthèses du Catéchisme de l’Église
Catholique, n. 27-30 ou du Compendium de la Doctrine Sociale de
l’Église, n. 14-15, et aussi les documents de la Commission Théologique
Internationale Le Christianisme et les religions (1996), n.
107-108 (Commission Théologique Internationale, DocumentsII
[1986-2009], édité par G. Emery, o.p., Préface du Cardinal William Joseph
Levada, Cerf, Paris, 2013, p. 260-262) ; Dieu Trinité, unité des
hommes. Le monothéisme chrétien contre la violence (2014), n. 1-2.
[10] Voir plus loin le n. 44. Une synthèse
significative sur la doctrine ecclésiale se trouve dans le Compendium
de la Doctrine Sociale de l’Église, n. 421-423.
[11] Cf. saint Paul VI, Lettre encyclique Ecclesiam
suam (6 août 1964), n. 30, 72, 81, 90 et passim (AAS 56
[1964], p. 618-619, 641-642, 644, 646-647) ; Discours au corps
diplomatique accrédité près le Saint Siège, 14 janvier 1978 (AAS 70
[1978)], p. 168-174).
[12] Saint Jean-Paul II, Lettre encyclique Redemptoris
missio (7 décembre 1990), n. 39 (AAS 83 [1991], p.
286-287).
[13] Saint Jean-Paul
II, Message pour la célébration de la XXIe Journée
Mondiale de la Paix, « La liberté religieuse, condition pour vivre ensemble la
paix » (1 janvier 1988) (AAS 80 [1988], p. 278-286).
[14] Cf. saint Jean-Paul II, Lettre
encyclique Redemptor hominis (4 mars 1979), 12b-c ; 17f-i (AAS 71
[1979], p. 279-281, 297-300) ; Rencontre avec les représentants des
religions non chrétiennes à Madras (5 Février 1986), n. 5 (AAS 78
[1986], p. 766-771) ; Exhortation apostolique Christifideles laici (30
décembre 1988), n. 39 (AAS 81 [1989], p. 466-468) ; Message
pour la célébration de la XXIe Journée Mondiale de la Paix, «La
liberté religieuse, condition pour vivre ensemble la paix » (1er janvier
1988) (AAS 80 [1988], p. 278-286) ; Message pour la
célébration de la XXIIe Journée Mondiale de
la Paix, «Pour construire la paix, respecter les minorités »(1er janvier
1989) (AAS 81 [1989], p. 95-103) ; Message pour la
célébration de la XXIVe Journée Mondiale de la Paix, «
Si tu veux la paix, respecte la conscience de tout homme » (1 janvier
1991) (AAS 83 [1991], p. 410-421).
[15] Cf. Benoît XVI, Message pour la
célébration de la XLIVe Journée Mondiale de la Paix, « Liberté
religieuse, chemin vers la paix », (1er janvier 2011)(AAS 103
[2011], p. 46-58). Voir aussi : Lettre encyclique Caritas in veritate (29
juin 2009), n. 29 (AAS 101 [2009], p. 663-664) ; Discours
aux membres du Corps diplomatique accrédité auprès du Saint Siège (12
mai 2005) (AAS 97 [2005], p. 789-791) ; Discours à la curie
romaine à l’occasion de la présentation des vœux de Noël (22 décembre
2006) (AAS 99 [2007], p. 26-36) ; Discours aux
représentants de la science,« Foi, raison et université. Souvenirs et
réflexions » (Ratisbonne, 12 septembre 2006) (AAS98 [2006], p.
728-739) ; Discours aux membres duCorps diplomatique accrédité auprès
du Saint Siège (10 janvier 2011)(AAS 103 [2011], p.
100-107) ; Discours aux autorités civiles, Westminster, 17
septembre 2010 (AAS 102 [2010], p. 633-635) ; Discours aux
représentants institutionnels et laïcs des autres religions (London
Borough of Richmond, 17 septembre 2010) (AAS 102 [2010], p.
635-639) ; Homélie (La Havane, Cuba, 28 mai 2012) (AAS 104
[2012], p. 322-326).
[16] Benoît XVI, Message pour la
célébration de la XLIVe Journée Mondiale de la Paix, « Liberté
religieuse, chemin vers la paix », (1erjanvier 2011), n. 4(AAS 103
[2011], p. 49-50). Pour la signification de l’expression « laïcité
positive », voir plus loin note 72. Benoît XVI propose en d’autres occasions le
terme de « saine laïcité » pour identifier la modalité valable du rapport entre
la dimension éthico-religieuse et la politique « (…) où la dimension
religieuse, dans la diversité de ses expressions, est non seulement tolérée,
mais valorisée comme ‘âme’ de la nation et garantie fondamentale des droits et
des devoirs de l’homme » (Audience générale, 30 avril 2008). Déjà Pie
XII avait parlé de « légitime saine laïcité de l’État » : Discours aux
gens des Marches résidents à Rome, 23 mars 1958 (AAS 50 [1958],
p. 220).
[17] Cf. François, Exhortation apostolique Evangelii
gaudium (24 novembre 2013), n. 257(AAS 105 [2013], p.
1123) ; Discours lors de la rencontre avec les autorités (Ankara,
28 novembre 2014) (AAS 106 [2014], p. 1017-1019) ; Discours
lors de la rencontre avec les leaders des autres religions et
autresdénominations chrétiennes à l’Université Catholique « Nostra Signora del
Buon Consiglio » (Tirana, 21 septembre 2014) (Enchiridion
Vaticanum. Documenti ufficiali della Santa Sede, vol. 30 [2014], Dehoniane,
Bologna, 2016, p. 1023-1027) ; Discours lors de la rencontré pour la
liberté religieuse avec la communauté hispanique et autres immigrés (Philadelphie,
26 septembre 2015) (AAS 107 [2015], p. 1047-1052).
[18] Benoît XVI, Discours à la Curie
romaine à l’occasion de la présentation des vœux de Noël (22 décembre
2005) (AAS 98 [2006], p. 46) ; cf. François,
Exhortation apostolique Evangelii gaudium, n. 129 (AAS 105
[2013], p. 1030-1033).
[19] Cf. Concile œcuménique Vatican II,
Constitution pastorale Gaudium et spes, n. 53c ; saint Paul VI,
Exhortation apostolique Evangelii nuntiandi (8 décembre 1975),
n. 18-20 (AAS 68 [1976], p. 17-19) ; saint Jean-Paul II, Lettre
encyclique Slavorum Apostoli(2 juin 1985), n. 21 (AAS 77
[1985], p. 802-803) ; François, Exhortation apostolique Evangelii
gaudium, n. 116-117 (AAS 105 [2013], p. 1068-1069) ; Commission
Théologique Internationale, Foi et inculturation (1988) 1.[11]
(Documents II, p. 35). Pour la distinction entre «
inculturation » et « interculturalité », voir J. Ratzinger, « Christ,
Faith and The Challenge of Cultures », Address Given to the Presidents of Asian
Bishops’ Conferences and Chairmen of Theological Commissions, Hong-Kong,
March 2-5, 1993 (voir le texte sur le site officiel
http://www.vatican.va/roman_curia/congregations/cfaith/index_it.htm).
[20] Commission Théologique Internationale, Communion
et service : la personne humaine créée à l’image de Dieu (2004), n. 41
(Documents II, p. 457-458), qui réfère la socialité
constitutive à sa racine ultime dans le mystère trinitaire : « Dans la
perspective chrétienne, cette identité personnelle qui est en même temps une
orientation vers l’autre se fondeessentiellement dans la Trinité des personnes
divines » ; cf. aussi n. 42-43 (Documents II, p. 458-459). Compendium
de la Doctrine Sociale de l’Église, n. 149 : « La personne est de par
saconstitution un être social, car ainsi l’a voulue Dieu qui l’a créée ».
[21] Déclaration universelle des droits de
l’homme (1948), art.18 : « Toute personne a droit à la liberté de
pensée, de conscience et de religion ; ce droit implique la liberté de changer
de religion ou de conviction ainsi que la liberté de manifester sa religion ou
sa conviction seule ou en commun, tant en public qu'en privé, par
l’enseignement, les pratiques, le culte et l'accomplissement des rites ».
[22] Voir à ce sujet Commission Théologique
Internationale, Dignité et droits de la personne humaine (1983)
2 (Documents I, p. 303-310) ; Compendium de la Doctrine sociale
de l’Église, n.144-148.
[23] Boèce, Liber de persona et duabus
naturis. Contra Eutychen et Nestorium, dans C. Moreschini (ed.), A.M.S.
Boethius, De consolatione philosophiae. Opuscula theologica (= Bibliotheca
scriptorum graecorum et romanorum teubneriana), Saur, Monachii –
Lipsiae, 2000, p. 206–241 [p. 214]. Cf. saint Bonaventure, Commentaria
in quatuor libros sententiarum Magistri Petri Lombardi, I, d. 25, a.
1, q. 2, dans Opera omnia, vol. I, Typographia Collegii
S. Bonaventurae, Ad Claras Aquas, 1882, p. 439-441;
saint Thomas d’Aquin, Summa Theologiae, Ia, q. 29, a. 1,
dans Opera omnia iussu Leonis XIII P.M. edita, vol.1, ex
Typographia Polyglotta, Romae, 1888, p. 327-329.
[24] Cf. saint Thomas d’Aquin, Summa
contra gentiles, II, c. 68, dans Opera omnia iussu Leonis XIII P.M.
edita, vol.13, Typis Riccardi Garroni, Romae, 1918, p. 440-441. Cf. Concile
de Vienne (DS 902) ; Concile de Latran V (DS 1440) ;
Concile œcuménique de Vatican II, Constitution pastorale Gaudium et
Spes, n. 14 ; Catéchisme de l’Église Catholique, n. 362-368.
[26] La Sainte Écriture est constante dans son
enseignement à ce sujet : « Ne savez-vous pas que votre corps est le temple de
l’Esprit-Saint qui est en vous ? » (1 Co 6,19). Par conséquent, dans le Christ,
comme l’enseigne le Catéchisme de l’Église catholique, n. 999
« ‘tous ressusciteront avec leur propre corps, qu’ils ont
maintenant’ (DS 801), mais ce corps sera ‘transfiguré en corps de gloire’ (Ph
3, 21), en ‘corps spirituel’ (1 Co 15, 44) ». Voir aussi Commission Théologique
Internationale, Communion et service, n. 26-31 (Documents
II, p. 450-453).
[27] Benoît XVI Discours devant le
Bundestag, Berlin, 22 septembre 2011 (AAS 103 [2011], p.
663-669).
[28] Commission Théologique Internationale, À
la recherche d'une éthique universelle : nouveau regard sur la loi
naturelle (2009), n. 67 (Documents II, p. 598).
[30] Ibid. Voir aussi Commission
Théologique Internationale, Dignité et droits de la personne humaine (1983)
2.2.1 (Documents I, p. 306-307). Sur le rapport créatif entre théologie
et philosophie, voir la synthèse de saint Jean-Paul II, Lettre encyclique Fides
et Ratio,n. 73-79 (AAS 91 [1999], p. 61-67).
[31] Sur les implications théologiques de la
conception de l’être humain comme « imago Dei » cf. Commission Théologique
Internationale, Communion et service, 2 (Documents
II, p. 450-464).
[32] Cf. Commission Théologique
Internationale, Dignité et droits de la personne humaine (1983),
2.2.1 (Documents I, p. 306-307) ; également Communion et service,
n. 40-43 (Documents II, p. 457-459).
[34] Cf. saint Thomas d’Aquin, Summa
Theologiae, Ia-IIae, q. 19, a. 5, dans Opera omnia
iussu Leonis XIII P.M. edita, vol. 6, Ex Typographia Polyglotta, Romae,
1891, p. 145-146.
[37] Cf. Commission Théologique
Internationale, Mémoire et réconciliation : l’Église et les fautes du
passé (2000), 5.c (Documents II, p. 307-308).
[38] Dans la culture romaine, Virgile décrit avec
perspicacité comment la déesse Junon, pour se venger d’Énée, envoie la Furie
Alecto semer haine et division dans les cœurs des habitants du Latium, avec le
résultat effectif qu’une guerre cruelle, pleine de jalousies et de rancunes,
éclate, et le jeune héros ne peut pas atteindre son but. Cf.Virgile, Aeneis, VII,
341-405, dans O. Ribbeck (ed.), P. Vergilii Maronis Opera,
Lipsiae, Teubner, 1895, p. 554-557.
[39]Concile œcuménique Vatican II, Constitution
pastorale Gaudium et Spes, n. 25a : « La personne humaine qui, de
par sa nature même, a absolument besoin d’une vie sociale, est et doit être le
principe, le sujet et la fin de toutes les institutions ».
[40] Cf. E. Kant, Critique de la raison
pratique, Première partie, livre I, chap. III ; Commission Théologique
Internationale, À la recherche d'une éthique universelle, n. 84 (Documents
II, p. 607) : « La personne est au centre de l’ordre politique et social
parce qu’elle est une fin et non un moyen ».
[41] Cf. Commission Théologique
Internationale, À la recherche d'une éthique universelle, n. 41 (Documents
II, p. 582-583) ;Compendium de la Doctrine Sociale de l’Église, n. 110,
149.
[42] Cf. Commission Théologique
Internationale, À la recherche d'une éthique universelle, n. 38
(Documents II, p. 580-581).
[43]Cf. Commission Théologique Internationale,
Communion et service, n. 41-45 (Documents II, p. 457-460) ; Foi
et inculturation, 1.6 (Documents II, p.34).
[44] Cf. J. Ratzinger -
Benoît XVI, « La molteplicazione dei diritti e la distruzione dell’idea di
diritto », dans Liberare la libertà. Fede e politica nel terzo
millennio, Cantagalli, Siena, 2018, p. 9-15 (tr. fr. : Libérer
la Liberté, Foi et politique, Parole et Silence, Paris, 2018).
[45] À l’occasion du soixantième anniversaire de
la Déclaration des droits de l’homme, le Saint-Siège a attiré
l’attention sur le fait qu’il y a aujourd’hui un problème avec la reconnaissance
arbitraire de pures options et inclinations, manipulées idéologiquement, qui
n’ont pas grand-chose à voir avec les droits de l’homme authentiques. Dans
beaucoup de cas, l’aptitude de ces contenus à représenter la dignité de
l’humain universel n’est pas réellement examinée d’après le critère de son
apport effectif au bien commun. Cf. Mgr S. M. Tommasi, Intervention
à la sixième session ordinaire du Conseil des droits de l’homme, 10
décembre 2007, Genève.
[47] Cf. saint Jean-Paul II, Lettre
apostolique Mulieris Dignitatem (15 août 1988), n. 12-16 (AAS 80
[1988], 1681-1692).
[48] Cf. saint Jean-Paul II, Exhortation
apostolique Familiaris consortio (22 novembre 1981), n. 22-24
(AAS 74 [1982], p. 84-91) ; Lettre apostolique Mulieris
dignitatem, n. 1 (AAS 88 [1988], p. 1653-1655).
[49] Cf. saint Jean-Paul II, Exhortation
apostolique Familiaris consortio, n. 4-10, 36-41 (AAS 74
[1982], p. 84-91, 126-133). Voir les défis récents identifiés par François,
Exhortation apostolique Amoris Laetitia (19 mars 2016), n.
50-56 (AAS 108 [2016], p. 331-335). Cf. Commission Théologique
Internationale, À la recherche d'une éthique universelle, n. 35, 92
(Documents II, p. 578-579 ; 611).
[50] C’est là une des contributions maintenant
reçues de Paul Ricœur. Voir, par exemple, Temps et récit, 1. L’intrigue
et le récit historique, Seuil, Paris, 1983.
[51] Cf. Concile œcuménique Vatican II,
Constitution dogmatique Dei Verbum, n. 7-8 ; Constitution
dogmatique Lumen Gentium (21 novembre 1964), n. 3-4 et
passim. Aussi Commission Théologique Internationale, Thèmes choisis
d’ecclésiologie (1984), 1 (Documents I, p. 326-329).
[53] Sur ce sujet, demeure comme référence le
dialogue de J. Habermas – J. Ratzinger, Raison et religion. La
dialectique de la sécularisation, Salvator, Paris, 2010.
[54] Cf. François, Lettre encyclique Laudato
Si’ (24 mai 2015), n. 137-162 (AAS 107 [2015], p.
902-912).
[55] Le concept de corps intermédiaires appartient
à l’origine à la doctrine sociale de l’Église. Le pape Léon XIII le propose
déjà dans l’encyclique Rerum Novarum (15 mai 1891) au n. 10-11
(sur la famille) et aux n. 38 et 41 (pour d’autres associations : societates/sodalitates)
(ASS 23 [1891], p. 646, 665-666). Saint Jean XXIII dans
l’encyclique Mater et Magistra (15 mai 1961), n. 52 (AAS 53
[1961], p. 414), affirme : « Nous estimons, en outre, nécessaire que les corps
intermédiaires et les initiatives sociales diverses, par lesquelles surtout
s’exprime et se réalise la ‘socialisation’, jouissent d’une autonomie efficace
devant les pouvoirs publics, qu’ils poursuivent leurs intérêts spécifiques en
rapports de collaboration loyale entre eux et de subordination aux exigences du
bien commun. Il n’est pas moins nécessaire que ces corps sociaux se présentent
en forme de vraie communauté ; cela signifie que leurs membres seront
considérés et traités comme des personnes, stimulés à participer activement à
leur vie ». Saint Jean-Paul II le reprend dans la lettre encyclique Centesimus
annus (1er mai 1991), n. 13 (AAS 83
[1991], p. 809-810). L’idée décisive n’est pas celle de « corps », mais celle
d’« intermédiaires ». Chaque groupe intermédiaire doit être conscient de sa
fonction de médiation au sein de la société toute entière et pour le service du
bien commun
[56] Cf. Compendium de la Doctrine Sociale
de l’Église, n. 185-186, 394 ; aussi Catéchisme de
l’Église Catholique, n. 1880-1885, sur le principe de
subsidiarité.
[57] Voir à ce sujet Concile œcuménique Vatican
II, Décret Inter mirifica (4 décembre 1963) ; saint Jean-Paul
II, Lettre apostolique Le progrès rapide (24 janvier, 2005)
(AAS 97 [2005], p. 188-190) ; id., Lettre encyclique Redemptoris missio,
n. 37 (AAS 83 [1991], p 282-286) ; id., Message pour la
XXXVIe Journée Mondiale des Communications Sociales : «
Internet : un nouveau forum per proclamer l’Évangile » (24 janvier
2002) (Enchiridion Vaticanum 21 [2002], p. 29-36) ; François, Message
pour la Le Journée des Communications Sociales : «
Communications e miséricorde : une rencontre féconde » (24 janvier
2016) (AAS 108 [2016], p. 157-160) ; Conseil Pontifical pour les
Communications Sociales, Église et Internet (2
février 2002), n. 4.
[58]Cf. S. C. Mimouni, Le Judaïsme ancien du VIe siècle
avant notre ère au IIIe siècle de notre ère : des prêtres aux
rabbins, Paris, Presses universitaires de France, Collection « Nouvelle
Clio », 2012.
[60] Cf. Pline le Jeune, Epistula X,
96 dans R.A.B. Mynors (ed.), C. Plini Secundi epistularum
libri decem, Clarendon Press, Oxford 1963, p. 338-340.
[61] La persécution à cause de la foi et la
confession du martyre marquent la réflexion de l’Apocalypse, à la lumière du
premier témoin fidèle qu’est le Christ ; cf. Ap 1,5 ; 7,9-17 ;
13-14, etc.
[63] Augustin lui-même en viendra à adhérer à la
nécessité d’un « contrôle religieux » de la part de l’État. Ce changement
d’opinion est présenté comme rendu nécessaire par le fait que les hérétiques et
les schismatiques, les premiers, ont fait appel au « pouvoir civil » pour faire
reconnaître la légitimité de leur déviation religieuse par rapport à la foi chrétienne
orthodoxe. Cf. saint Augustin, Epistula XCIII, 12-13.17 (CCSL 31A,
p. 175-176.179-180) ; aussi Epistula
CLXXIII, 10 (PL 33, col. 757) ; Sermo XLVI, 14 (CCSL
41, p. 541).
[64] Dans des contextes historiques très
différents, Gelase, Epistula “Famuli vestrae pietatis” ad Anastasium I
imperatorem (494, DS347) ; Léon XIII, Lettre encyclique Immortale
Dei (1 novembre 1885), nº 6 (ASS 18 [1885]), p. 166), pour
la correcte distinction mais non la séparation radicale entre l’ordre politique
et l’ordre religieux.
[65] Concile œcuménique Vatican II, Constitution
pastorale Gaudium et Spes, n. 76. « Sur le terrain qui leur est
propre, la communauté politique et l’Église sont indépendantes l’une de l’autre
et autonomes. Mais toutes deux, quoique à des titres divers, sont au service de
la vocation personnelle et sociale des mêmes hommes. Elles exerceront d’autant
plus efficacement ce service pour le bien de tous qu’elles rechercheront
davantage entre elles une saine coopération, en tenant également compte des
circonstances de temps et de lieu. L’homme, en effet, n’est pas limité aux
seuls horizons terrestres, mais, vivant dans l’histoire humaine, il conserve
intégralement sa vocation éternelle ». On verra aussi les précisions apportées
par la Congrégation pour la Doctrine de la Foi : Note doctrinale à
propos de questions sur l’engagement et le comportement des catholiques dans la
vie politique (24 novembre 2002), n. 6.
[68] Pour un vaste panorama historique et
sociologique du développement du soi-disant « humanisme exclusif », entendu
comme unique espace public de référence, cf. C. Taylor, L’Âge séculier,
traduit de l’anglais par P. Savidan, « Les livres du nouveau monde », Seuil,
Paris, 2011.
[69] Ce phénomène se produit souvent aussi dans
des continents comme l’Asie, bien que dans un contexte différent : « La
limitation de la liberté religieuse dans beaucoup de constitutions s’exprime
moyennant la clause ‘pourvu que cela ne soit pas contraire aux devoirs civiques
ou à l’ordre public ou à la droite morale’ ; cependant, le bien commun et
l’ordre public sont définis par les cercles du pouvoir et dans certaines
occasions la phrase ‘soumis à la loi, l’ordre public ou à la moralité’ a été
utilisée pour nier de facto la liberté à certains groupes »
(Federation of Asian Bishops’ Conferences Office of Theological
Concerns, FABC Papers, n. 112, « Religious Freedom in the Context
of Asia », p. 7). Surtout dans la situation des minorités, il est important que
les autorités de l’État assurent un « respect égal pour toutes les religions »,
en tant que celles-ci sont en mesure de préserver le sens universel du bien
commun (cf. infra n° 70).
[70] François, Discours lors de la
rencontre avec les responsables des diverses confessions religieuses à
l’Université catholique « Notre-Dame du Bon Conseil » (Tirana, 21
septembre 2014) (Enchiridion Vaticanum 30 [2014], p. 1514-1524,
1515).
[71] Se référant à cette mentalité la Congrégation
pour la Doctrine de la Foi rappelle que « aucun fidèle chrétien ne
peut cependant en appeler au principe du pluralisme et de l’autonomie des laïcs
en politique pour favoriser des solutions qui compromettent ou qui atténuent la
sauvegarde des exigences éthiques fondamentales pour le bien commun de la
société » (Note doctrinale concernant certaines questions sur l’engagement
et le comportement des catholiques dans la vie politique, n. 5).
[72] « Vous avez d’ailleurs utilisé, Monsieur le Président, la belle expression de ‘laïcité positive’ pour qualifier cette compréhension plus ouverte. En ce moment historique où les cultures s’entrecroisent de plus en plus, je suis profondément convaincu qu’une nouvelle réflexion sur le vrai sens et sur l’importance de la laïcité est devenue nécessaire. Il est en effet fondamental, d’une part, d’insister sur la distinction entre le politique et le religieux, afin de garantir aussi bien la liberté religieuse des citoyens que la responsabilité de l’État envers eux, et d’autre part, de prendre une conscience plus claire de la fonction irremplaçable de la religion pour la formation des consciences et de la contribution qu’elle peut apporter, avec d’autres instances, à la création d’un consensus éthique fondamental dans la société » (Benoît XVI, Rencontre avec les autorités à l’Élysée, Paris [12 septembre 2008] ; La Documentation catholique 105 [2008], p. 824-825).
[73] Saint Jean-Paul II utilise la catégorie du
bien de l’« être-ensemble » à propos de la famille dans la Lettre aux
familles, Gratissimam sane (2 février 1994), n. 15 f (AAS 86
[1994], p. 897). François parle d’« être ensemble dans la proximité » pour «
promouvoir la reconnaissance réciproque » (Exhortation apostolique Amoris
Laetitia, n. 276-277 ; AAS 108 [2016], p. 421-422).
[74] François a parlé d’une « troisième guerre
menée ‘par morceaux’, avec crimes, massacres, destructions… » dans l’homélie de
la Messe au Cimetière Militaire de Redipuglia à l’occasion du centenaire du
début de la Première Guerre Mondiale, 13 septembre 2014 (AAS 106
[2014], p. 744).
[75] Selon les statistiques du Haut-Commissariat
des Nations Unies aux Réfugiés, il y a dans le monde environ 65,6 millions de
personnes forcées à laisser leur habitat, le chiffre le plus élevé jamais
rencontré, dont 22,5 millions de réfugiés (voir le site officiel : http://www.unhcr.org/data.html).
[76] Cfr. François, Discours lors de la
rencontre pour la liberté religieuse avec la communauté hispanique, et
d’autres immigrés(Philadelphia, 26 Septembre 2015) (AAS 107
[2015], p. 1047-1052). Pour le panorama contemporain on peut consulter : C.
Grütters – D. Dzananovic (eds.), Migration and Religious Freedom.
Essays on the Interaction between Religious Duty and Migration Law, Wolf
Legal Publisher, Nijmegen, 2018.
[77] Pie XII avait déjà rappelé en des temps bien
sombres la sauvegarde de ce bien élémentaire qu’est « l’inaliénable droit de
l’homme à la sécurité juridique, et par là même à une sphère concrète de droit,
protégée contre toute atteinte arbitraire » (Radiomessage pour la Vigile de
Noël [24 décembre 1942], n. 4 ; AAS 35 [1943], p.
21-22).
[78] Cf. Benoît XVI, « Foi, Raison et
Université : souvenirs et réflexions » Discours lors de la rencontre avec les
représentants du monde des sciences à l'Université de Ratisbonne (12
septembre 2006) (AAS 98 [2006], p. 728-739).
[79] Cf. quelques références du magistère
pontifical à la réciprocité dans les rapports internationaux, en particulier en
matière religieuse : saint Jean XXIII, Pacem in terris, n. 15 (AAS 55
[1963], p. 261 ; saint Paul VI, Ecclesiam suam, n. 112 (AAS 56
[1964], p. 657) ; saint Jean-Paul II, Rencontre avec les jeunes musulmans (Casablanca,
19 août 1985) (AAS 78 [1986], p. 99) : « Le respect et le dialogue
requièrent donc la réciprocité en tous les domaines, surtout en ce qui concerne
les libertés fondamentales et plus particulièrement la liberté religieuse. Ils
favorisent la paix et l’entente entre les peuples. Ils aident à résoudre
ensemble les problèmes des hommes et des femmes d’aujourd’hui, in particulier
ceux des jeunes » ; id., Exhortation apostolique Ecclesiain Europa (28
juin 2003), n. 57 (AAS 95 [2003], p. 684-685) ; Benoît XVI, Rencontre
avec le corps diplomatique près la République de Turquie (28 novembre 2006)
(AAS 98 [2006], p. 905-909) ; id., Rencontre avec les
représentants des autres religions (Washington D.C., 17 avril 2008) (AAS 100
[2008], 327-330). L’Exhortation apostolique Verbum Domini (30
septembre 2010), n. 120, invite aussi à la réciprocité en matière de liberté
religieuse (AAS 102 [2010], p. 783-784).
[80] On peut voir les rapports sur la situation de
la liberté religieuse dans le monde, présentés régulièrement par des
institutions de référence comme Kirche in Not (voir le site
officiel http://religious-freedom-report.org) ou Pew Research
Center (voir le site officiel http://www.pewresearch.org/).
[81] Cf. saint Jean-Paul II, Lettre
encyclique Evangelium Vitae (25 mars 1995), n. 73-74 (AAS 87
[1995], p. 486-488).
[82]Saint Ambroise, Epist. extra coll. 14,
96, dans M. Zelzer (ed.), Epistularum liber decimus. Epistulae extra
collectionem. Gesta concili Aquileiensis (CSEL 82/3),
Hoelder-Pichler-Tempsky, Vindobonae 1982, p. 287.
[83] Cf. Concile œcuménique Vatican II,
Déclaration Ad Gentes (7 décembre 1965), n. 12. On trouve un
exemple concret de la réflexion des Églises locales per mettre en œuvre
l’enseignement de Ad Gentes 12 dans : Federation of
Asian Bishops’ Conferences Papers, n. 138, « FABC at Forty Years :
Responding to the Challenges of Asia : 10th FABC Plenary Assembly, 10-16
December 2012, Vietnam », p. 1-84.
[84] Sur le rapport entre anthropologie et
christologie, cf. Commission Théologique Internationale, Questions
choisies de christologie (1979), III (Documents I, p. 228-232)
; Théologie, christologie, anthropologie (1981), I, D (Documents
I, p. 249-252) ; Communion et service, n. 52 (Documents II,
p. 462-463).
[85] Cf. saint Jean-Paul II, Lettre
encyclique Redemptor Hominis (4 mars 1979), n. 10 (AAS 71
[79], p. 274-275).
[87] Cf. François, Exhortation apostolique Evangelii
Gaudium, n. 93-97 (AAS 105 [2013], p.1059-1061).
[88] Cf. François, Discours lors de la
rencontre pour la liberté religieuse avec la communauté hispanique et autres
immigrés(Philadelphie, 26 Septembre 2015) (AAS 107
[2015], p. 1047-1052).
[89] Cf. saint Paul VI, Lettre encyclique Ecclesiam
suam, n. 67-81 (AAS 56 [1964], p. 640-645) ; saint Jean-Paul
II, Lettre encyclique Redemptoris Missio, n. 55 (AAS 83
[1991], p. 302-304) ; François, Exhortation apostolique Evangelii
Gaudium, n. 250-251 (AAS 105 [2013], p. 1120-1121). Voir la
vaste documentation recueillie dans : Conseil pontifical pour le dialogue
interreligieux, Le Dialogue interreligieux dans l’enseignement officiel
de l'Église catholique, Du Concile Vatican II à Jean-Paul II (1963-2005),
Documents rassemblés par Mgr Francesco Gioa, Éditions de
Solesmes, Solesmes, 2006.
[90] Cf. saint Jean-Paul II, Exhortation
apostolique Ecclesia in Asia (6 novembre 1999), n. 31 (AAS 92
[2000], p. 501-503).
[97] « Personne ne peut utiliser le nom de Dieu
pour commettre de la violence ! Tuer au nom de Dieu est un grand sacrilège !
Discriminer au nom de Dieu est inhumain » : François, Rencontre avec
les responsables des diverses Confessions religieuses à l’Université catholique
« Notre-Dame du Bon Conseil » (Tirana, 21 septembre 2014) (Enchiridion
Vaticanum 30 [2014], p. 1514-1524, 1518).
[98] Cf. Commission Théologique
Internationale, Dieu Trinité, unité des hommes. Le monothéisme chrétien
contre la violence (2014), n. 64.
[99] Le témoignage exceptionnel rendu par le
testament du P. Christian de Chergé, prieur du monastère cistercien de
Notre-Dame de l’Atlas à Thibirine et récemment proclamé bienheureux avec
dix-huit autres martyrs en Algérie (8 décembre 2018), montre cette paradoxale
force d’union de l’amour jusqu’au cas limite du martyre. Cf. Christian de
Chergé, Lettres à un ami fraternel, Bayard, Paris, 2015.
[100] Cf. François, Discours à l’Ordre du
Saint-Sépulcre (16 novembre 2018) dans Osservatore Romano 21
novembre 2018, Anno CLVIII/262 (2018), p. 8.