Saint Odon
Abbé de Cluny
(857-942)
Saint Odon était fils d'un noble seigneur, et, fut, dès le berceau, consacré à saint Martin. Il montra, jeune encore, un grand amour pour la prière. Sa piété lui faisait regarder comme perdu le temps qu'il était forcé de donner à la chasse et aux autres amusements du siècle. À l'âge de dix-neuf ans, il reçut la tonsure et fut nommé à un canonicat de l'Église de Tours.
Après de brillantes et solides études, où il montra, avec une haute intelligence, une vertu extraordinaire, couchant sur une natte et ne prenant qu'un peu de nourriture grossière, il fut séduit par la lecture de la Règle de Saint-Benoît et se décida dès lors à embrasser la vie monastique.
Il fut plus tard élu abbé de Cluny, où il fit fleurir toutes les vertus religieuses: le silence, l'obéissance, l'humilité et le renoncement à soi-même. Ses exemples allaient de pair avec ses conseils ou ses ordres. Il donnait tout aux pauvres, sans s'inquiéter du lendemain. Les enfants étaient surtout l'objet de sa prédilection; il veillait avec un soin paternel, une douceur de mère, sur les moeurs, les études, le sommeil de tous ceux qui lui avaient été confiés.
À Cluny, la Règle de Saint-Benoît était suivie avec zèle; les jeûnes, les abstinences, les chants, les offices, le silence presque absolu, le travail, remplissaient les journées des religieux. Les restes des repas étaient distribués aux pauvres et aux pèlerins. On y nourrissait, de plus, dix-huit pauvres par jour, et la charité y était si abondante, surtout dans le Carême, qu'à l'une de ces époques de l'année on fit des distributions de vivres à plus de sept mille indigents.
Dans les voyages si difficiles auxquels son zèle et ses fonctions l'obligèrent plus d'une fois, Odon ne pensait qu'à secourir le prochain. Il descendait de son cheval pour faire monter à sa place les indigents et les vieillards; on le vit même porter le sac d'une pauvre femme. Pourtant malgré tant de fatigues, à son dernier voyage de Rome, il lassait ses jeunes compagnons par la rapidité de sa marche, et ils s'étonnaient qu'il eût, à soixante-sept ans, après une vie si austère, conservé tant d'agilité et de vigueur.
Un jour, Dieu le récompensa de sa ponctualité. La Règle de Saint-Benoît demande qu'au son de la cloche on laisse même une lettre à demi formée. Odon, corrigeant un livre avec un de ses religieux, laissa dehors, au son de la cloche, le livre ouvert. Il plut toute la nuit abondamment; le lendemain, le livre, malgré les flots de pluie, se trouva intact. Il en rapporta toute la gloire au glorieux saint Martin, dont la vie était écrite en ce volume.
Abbé L. Jaud, Vie des Saints pour tous les jours de l'année, Tours, Mame, 1950
BENOÎT XVI
AUDIENCE GÉNÉRALE
Mercredi 2 septembre 2009
Odon de Cluny
Chers frères et sœurs,
Après une longue pause, je voudrais reprendre la présentation des grands écrivains de l'Eglise d'Orient et d'Occident à l'époque médiévale, car, comme dans un miroir, nous voyons dans leur vie et dans leurs écrits ce que signifie être chrétiens. Je vous propose aujourd'hui la figure lumineuse de saint Odon, abbé de Cluny: celle-ci se situe dans le Moyen-Age monastique qui vit la surprenante diffusion en Europe de la vie et de la spiritualité inspirées par la Règle de saint Benoît. Il y eut au cours de ces siècles une prodigieuse apparition et multiplication de cloîtres qui, se ramifiant sur le continent, y diffusèrent largement la sensibilité et l'esprit chrétiens. Saint Odon nous reconduit, en particulier, à un monastère, Cluny qui, au Moyen-Age, compta parmi les plus illustres et célébrés et qui, aujourd'hui encore, révèle à travers ses ruines majestueuses les signes d'un passé glorieux en raison de l'intense attachement à l'ascèse, à l'étude, et, de façon particulière, au culte divin, entouré de dignité et de beauté.
Odon fut le deuxième abbé de Cluny. Il était né aux environs de 880, à la frontière entre le Maine et la Touraine, en France. Il fut consacré par son père au saint évêque Martin de Tours, à l'ombre bénéfique et dans la mémoire duquel Odon vécut ensuite toute sa vie, la concluant à la fin auprès de son tombeau. Le choix de la consécration religieuse fut précédé chez lui par l'expérience d'un moment spécial de grâce, dont il parla lui-même à un autre moine, Jean l'Italien, qui fut par la suite son biographe. Odon était encore adolescent, âgé environ de 16 ans, lorsque, au cours d'une veillée de Noël, il sentit s'élever spontanément de ses lèvres cette prière à la Vierge: "Notre Dame, Mère de miséricorde qui en cette nuit as donné à la lumière le Sauveur, prie pour moi. Que ton enfantement glorieux et singulier soit, ô Très pieuse, mon refuge" (Vita sancti Odonis, I, 9: PL 133, 747). L'appellation "Mère de miséricorde", avec laquelle le jeune Odon invoqua alors la Vierge, sera celle avec laquelle il aimera ensuite s'adresser à Marie, l'appelant également "unique espérance du monde,... grâce à laquelle nous ont été ouvertes les portes du paradis" (In veneratione S. Mariae Magdalenae: PL 133, 721). Il lui arriva à cette époque de lire la Règle de saint Benoît et de commencer à en observer certaines indications, "portant, pas encore moine, le joug léger des moines" (ibid., I, 14: PL 133, 50). Dans l'un de ses sermons, Odon célébrera Benoît comme "une lampe qui brille dans le stade ténébreux de cette vie" (De sancto Benedicto abbate: PL 133, 725), et le qualifiera de "maître de discipline spirituelle" (ibid., PL 133, 727). Il soulignera avec affection que la piété chrétienne "fait mémoire avec une plus grande douceur" de lui, dans la conscience que Dieu l'a élevé "parmi les Pères suprêmes et élus de la Sainte Eglise" (ibid., PL 133, 722).
Fasciné par l'idéal bénédictin, Odon quitta Tours et entra en tant que moine dans l'abbaye bénédictine de Baume, pour ensuite passer à celle de Cluny, dont il devint abbé en 927. De ce centre de vie spirituelle, il put exercer une vaste influence sur les monastères du continent. En Italie également, différents ermitages bénéficièrent de sa direction et de sa réforme, parmi lesquels celui de Saint-Paul-hors-les-Murs. Odon se rendit plus d'une fois à Rome, allant jusqu'à Subiaco, le Mont Cassin et Salerne. Ce fut précisément à Rome que, pendant l'été 942, il tomba malade. Se sentant proche de la fin, il voulut à tout prix revenir auprès de saint Martin à Tours, où il mourut pendant l'octavaire du saint, le 18 novembre 942. Son biographe, en soulignant chez Odon la "vertu de la patience", offre une longue liste de ses autres vertus, telles que le mépris du monde, le zèle pour les âmes, l'engagement pour la paix des Eglises. Les grandes aspirations de l'abbé Odon étaient la concorde entre les rois et les princes, l'observance des commandements, l'attention envers les pauvres, l'amendement des jeunes, le respect des personnes âgées (cf. Vita sancti Odonis, I, 17: PL 133, 49). Il aimait la petite cellule dans laquelle il résidait, "loin des yeux de tous, attentif à ne plaire qu'à Dieu" (ibid., I, 14: PL 133, 49). Il ne manquait cependant pas d'exercer également, comme "source surabondante", le ministère de la parole et de l'exemple, "en pleurant ce monde comme étant immensément misérable" (ibid., i,17: PL 133, 51). Chez un seul moine, commente son biographe, se trouvaient réunies les différentes vertus existant de manière dispersée dans les autres monastères: "Jésus, dans sa bonté, puisant aux différents jardins des moines, formait dans un petit lieu un paradis, pour irriguer par sa source le cœur des fidèles" (ibid., I, 14: PL 133, 49).
Dans un passage d'un sermon en l'honneur de Marie de Magdala, l'abbé de Cluny nous révèle comment il concevait la vie monastique: "Marie qui, assise aux pieds du Seigneur, écoutait sa parole avec l'esprit attentif, est le symbole de la douceur de la vie contemplative, dont la saveur, plus on la goûte, pousse l'âme à se détacher encore davantage des choses visibles et des tumultes des préoccupations du monde" (In ven. S. Mariae Magd., PL 133, 717). C'est une conception qu'Odon confirme et développe dans ses autres écrits, desquels transparaissent l'amour de l'intériorité, une vision du monde comme étant une réalité fragile et précaire dont il faut se détacher, une inclination constante au détachement des choses ressenties, comme étant source d'inquiétude, une sensibilité aiguë pour la présence du mal chez les différentes catégories d'hommes, une profonde aspiration eschatologique. Cette vision du monde peut apparaître assez éloignée de la nôtre, toutefois celle d'Odon est une conception qui, voyant la fragilité du monde, valorise la vie intérieure ouverte à l'autre, à l'amour du prochain, et précisément ainsi transforme l'existence et ouvre le monde à la lumière de Dieu.
Une attention particulière doit être portée à la "dévotion" au Corps et au Sang du Christ qu'Odon, face à une négligence répandue qu'il déplorait vivement, cultiva toujours avec conviction. Il était en effet fermement convaincu de la présence réelle, sous les espèces eucharistiques, du Corps et du Sang du Seigneur, en vertu de la transformation "substantielle" du pain et du vin. Il écrivait: "Dieu, le Créateur de tout, a pris le pain, en disant qu'il était son Corps et qu'il l'aurait offert pour le monde et il a distribué le vin, en l'appelant son sang"; or, "c'est une loi de nature que la transformation ait lieu selon le commandement du Créateur", et voilà donc qu'"immédiatement, la nature change sa condition habituelle: sans retard, le pain devient chair, et le vin devient sang"; à l'ordre du Seigneur "la substance se transforme" (Odonis Abb. Cluniac. occupatio, ed. A. Swoboda, Lipsia 1900, p. 121). Malheureusement, remarque notre abbé, ce "sacro-saint mystère du Corps du Seigneur, qui constitue tout le salut du monde" (Collationes, XXVIII: PL 133, 572) est célébré avec négligence. "Les prêtres, avertit-il, qui accèdent à l'autel de manière indigne, entachent le pain, c'est-à-dire le Corps du Christ" (ibid., PL 133, 572-573). Seul celui qui est uni spirituellement au Christ peut participer dignement à son Corps eucharistique: dans le cas contraire, manger sa chair et boire son sang ne serait pas un bienfait, mais une condamnation (cf. ibid. XXX, PL 133, 575). Tout cela nous invite à croire avec une force et une profondeur nouvelles à la vérité de la présence du Seigneur. La présence du Créateur parmi nous, qui se remet entre nos mains et nous transforme comme il transforme le pain et le vin, transforme ainsi le monde.
Saint Odon a été un véritable guide spirituel tant pour les moines que pour les fidèles de son temps. Devant "le grand nombre des vices" répandus dans la société, le remède qu'il proposait avec fermeté était celui d'un changement de vie radical, fondé sur l'humilité, l'austérité, le détachement des choses éphémères et l'adhésion aux choses éternelles (cf. Collationes, XXX, PL 133, 613). Malgré le réalisme de son diagnostic sur la situation de son temps, Odon n'est pas tenté par le pessimisme: "Nous ne disons pas cela - précise-t-il - pour précipiter dans le désespoir ceux qui voudront se convertir. La miséricorde divine est toujours disponible; elle attend l'heure de notre conversion" (ibid.: PL 133, 563). Et il s'exclame: "O ineffables entrailles de la piété divine! Dieu poursuit les fautes et protège toutefois les pécheurs" (ibid., PL 133, 592). Soutenu par cette conviction, l'abbé de Cluny aimait s'arrêter en contemplation devant la miséricorde du Christ, le Sauveur, qu'il qualifiait de manière suggestive d'"amant des hommes": "amator hominum Christus" (ibid., LIII: PL 133, 637). Jésus a pris sur lui les fléaux qui auraient dû nous être réservés - observe-t-il - pour sauver ainsi la créature qui est son œuvre et qu'il aime (cf. ibid.: PL 133, 638).
Ici apparaît un trait du saint abbé presque caché à première vue sous la rigueur de son austérité de réformateur: la profonde bonté de son âme. Il était austère, mais surtout il était bon, un homme d'une grande bonté, une bonté qui provient du contact avec la bonté divine. Odon, comme nous le disent ses contemporains, diffusait autour de lui la joie dont il était empli. Son biographe atteste n'avoir jamais entendu sortir de bouche d'homme "tant de douceur en paroles" (ibid., I, 17: PL 133, 31). Il avait l'habitude, rappelle son biographe, d'inviter au chant les jeunes enfants qu'il rencontrait sur la route pour ensuite leur faire quelque petit don, et il ajoute: "ses paroles étaient pleines de joie..., son hilarité communiquait à notre cœur un joie intime" (ibid., ii; 5: PL 133, 63). De cette manière, le vigoureux et aimable abbé médiéval, passionné de réforme, à travers une action incisive alimentait chez les moines, comme aussi chez les fidèles laïcs de son temps, l'intention de progresser d'un pas vif sur le chemin de la perfection chrétienne.
Nous voulons espérer que sa bonté, la joie qui provient de la foi, unies à l'austérité et à l'opposition aux vices du monde, toucheront aussi notre cœur, afin que nous aussi puissions trouver la source de la joie qui jaillit de la bonté de Dieu.
* * *
J’accueille avec joie les pèlerins francophones. Je salue particulièrement les séminaristes de Brugge, en Belgique, et leurs accompagnateurs ainsi que les nombreux pèlerins du diocèse de Kaolack, au Sénégal, avec leur Evêque Mgr Ndiaye. Puissiez-vous tous suivre généreusement le Christ chaque jour. Que Dieu vous bénisse!
Hier, nous avons rappelé le 70 anniversaire du début de la deuxième guerre mondiale. Dans la mémoire des peuples demeurent les tragédies humaines et l'absurdité de la guerre. Demandons à Dieu que l'esprit du pardon, de la paix et de la réconciliation imprègne le cœur des hommes. L'Europe et le monde d'aujourd'hui ont besoin d'un esprit de communion. Construisons-la sur le Christ et sur l'Evangile, sur le fondement de la charité et de la vérité. A vous ici présents, et à tous ceux qui contribuent à édifier un climat de paix, je donne de tout cœur ma bénédiction.
© Copyright 2009 - Libreria Editrice Vaticana
Sermon pour la fête de Saint Benoît Abbé
Par Saint Odon de Cluny
Ms Orléans 323 (F1) p. 34 53
La solennité du bienheureux Benoît répand sa lumière par la grâce du Seigneur et, comme toujours, elle augmente le sentiment de dévotion dans le cœur des fidèles et leur apporte une joie spirituelle. C’est à bon droit que les mêmes fidèles se réjouissent de la mémoire d’un tel Père afin que s’accomplisse cette parole prophétique : « Dites au juste qu’il est heureux » (Is. III, 10) et encore : « La mémoire du juste est en bénédiction ». (Prov. X, 7). Il apparaît en effet que la piété des chrétiens entourera un saint d’une vénération d’autant plus grande qu’ils auront reconnu qu’il est plus honoré de Dieu. C’est pourquoi, par une sorte d’instinct divin, ils aiment ce Père d’une façon spéciale et célèbrent sa mémoire avec plus d’affection. Car ils n’ignorent pas que le Dieu Tout-Puissant l’a élevé merveilleusement au rang des pères les plus grands de la sainte Eglise et l’a exalté de façon insigne parmi les fondateurs de la sainte foi et les magistrats d’un genre de vie céleste. A la vérité, si le charisme du Saint-Esprit l’a orné par l’éclat des miracles et par l’exercice des vertus, c’est pour qu’il apparaisse digne aux yeux du monde de la multitude d’un ordre si excellent. C’est pourquoi, chaque année, lorsqu’arrivent cette solennité et les autres fêtes dédiées à ce nom si saint, il y a tant de foules accourant à son saint tombeau avec tant de dévotion, tant de spontanéité et de tant de lieux… C’est pourquoi tous confluent dans la joie : non seulement les paysans, mais aussi le peuple de la ville et, en union étroite avec eux, des gens de la noblesse, enfin des clercs illustres qui forment pour ainsi dire une couronne de fleurs.
Comme si Dieu jugeait que c’était peu pour des dévots que les fidèles, une fois par an seulement, célèbrent la solennité de ce Père, il accorde d’autres motifs qui permettent, par d’autres solennités, d’augmenter la joie des chrétiens. Il existe beaucoup de documents relatant les miracles au sujet de la sainte translation et de son ensevelissement, selon une disposition de la divine providence.[Note 123] Beaucoup se souviennent de la translation du corps de Saint Benoît à Fleury et la plupart en ont écrit le récit intégral. Voir la Bibliothèque de Fleury]. En ce lieu, de si nombreux et de si grands miracles sont rapportés par écrit et sont accomplis sous les yeux, que leur éclat pourrait ramener au respect même ceux qui sont éloignés. Bien que ces miracles semblent tarir en ce temps proche de l’Antéchrist car selon l’Ecriture, « l’indigence précède sa face » (Job XLI, 13) cependant, par les mérites du saint, on peut encore obtenir la santé la plus importante : celle de l’âme. Ici comme ailleurs, c’est l’énormité de nos péchés qui fait cesser les miracles divins : nous qui, après avoir reçu la révélation de la grâce du Christ, sommes retournés en arrière. De notre Seigneur Jésus-Christ lui-même, il est montré qu’à cause de l’aveuglement du peuple infidèle, il ne put accomplir aucun miracle à Capharnaüm (Mt VI, 5). Nous ne sommes donc pas dignes que ce père saint nous accorde sa faveur ou daigne nous consoler, lui qui avait coutume de faire plaisir aux disciples qu’il agréait. Pour des gens comme nous, le seul fait que nous puissions assister à sa solennité et nous réjouir de l’espérance de sa miséricorde, doit être considéré comme quelque chose de grand. Et pour lui, ce n’est pas une puissance ou une bonté moindre que s’il multipliait les miracles. Mais tandis que les signes cessent dans toute l’Eglise, il est nécessaire que soient manifestés quels sont ceux qui s’attachent à la foi universelle en raison des miracles présents en vue de la béatitude future. Ou plutôt, alors que le terrible jugement est déjà imminent, ce sont les séides de l’Antéchrist qui feront des signes pour tendre une embûche à ceux qui pèchent volontairement, comme il est écrit (Ezéch. III, 20). Cependant les vrais miracles ne manquent pas encore tout à fait, car, au sépulcre saint de ce Père, comme dans les autres lieux où l’on célèbre sa mémoire, nous n’ignorons pas qu’il s’en produit.
En fait, ceux qui cherchent des signes et qui pensent qu’un père saint, quel qu’il soit, est puissant ou impuissant selon la rareté ou la multiplicité des signes, ceux-là doivent prendre en considération ce reproche du Seigneur : « Cette génération mauvaise et adultère recherche un signe » (I Cor. II, 22) et il ne tait pas qu’ils sont « ennemis de Dieu » comme il le dit ailleurs (Rom. I, 30). Hérode désirait voir un signe de lui (Luc XXIII, 8) mais il ne fut même pas digne de recevoir une réponse de sa part. Par contre il a mis la foi du centurion au-dessus de celle de tout Israël (Mt. VIII, 13) car il n’a pas douté qu’une seule injonction serait suffisante pour la guérison de son serviteur. Pour ceux qui exigent que ces signes leur soient donnés de l’extérieur, leur tiédeur se refroidit complètement lorsqu’ils viennent à manquer. Que cette prérogative du bienheureux Père nous suffise donc : lui qui brille d’un tel éclat que les rayons émanent de son sein sur les sujets les plus éloignés de la chrétienté. Et la cohorte des moines répandus sur toute la terre n’ignorent pas ce fait sublime, eux qui s’attachent à cette sainte Institution de préférence à toutes les autres, à tel point en effet que même dans les monastères où des Pères ont édicté fidèlement et religieusement une norme de sainte vie, leurs sujets ont préféré celle-là. Ils pensent à juste titre que Dieu a prédestiné celui-ci comme un autre Moïse, pour établir les décrets de la loi monastique.
Il y en a d’autres, comme cela a été dit, qui ont été des législateurs dans cette même institution, mais il est dit à celui-ci comme à Moïse : « Je t’ai connu par ton nom ». Il a brillé dans cette discipline céleste d’un éclat paisible. En effet, avant Moïse les cérémonies sacrificielles et les rites de circoncision étaient déjà en vigueur et on en faisait un fréquent usage, néanmoins elles furent établies de façon particulière par Moïse (Exod. XXXV, 12 ; Gen. VIII, 20 ; Exod. XII, 3). De même donc, notre bienheureux législateur n’a pas à subir de préjudice de la part des autres pères qui ont détaillé les devoirs d’une sainte règle, mais ils viennent plutôt en approbateurs pour confirmer ce qu’il a établi,. Et ce n’est pas sans raison qu’il est comparé à Moïse lorsque l’un et l’autre accomplissent en grand nombre des choses merveilleuses presque semblables.
S’ils sont séparés par la majesté du mystère, car du temps de Moïse « toutes choses arrivaient seulement en figure » (I Cor. X, 11), pour le reste tu trouveras que notre saint aaccompli beaucoup de choses semblables faites comme sous l’impulsion d’un même esprit. Et assurément ils ont ce privilège en commun qu’ils sont tous deux des législateurs. Celui-là a persuadé la foule gémissante des Hébreux de sortir d’Egypte, celui-ci a pour ainsi dire arraché à leurs ténèbres natives des foules nombreuses du peuple racheté et les a introduit sous sa conduite dans la terre des vivants. Celui-là a divisé la mer Rouge ; celui-ci, après Pierre – miracle inusité – a fait courir son disciple sur les eaux. Dans l’un et l’autre fait il est clair que la nature des choses est contredite, mais voyons lequel des deux l’emporte, ou plutôt si ce n’est pas équivalent d’avoir divisé les eaux et d’avoir couru sur elles à pied sec. Celui-là, dans des terres brûlées, a tiré l’eau de la pierre pour un peuple assoiffé (Nom. XX, 10) ; celui-ci, d’une roche aride, a fait couler de l’eau pour l’usage des moines et aujourd’hui, elle s’écoule en rivière. Celui-ci, par la verge de la loi a maté les mœurs brutales des Juifs qu’il nomme « incrédules et rebelles » ; celui-ci soumet au joug suave du Christ la troupe des moines obéissant volontairement au son de sa voix comme un seul homme ; (puisqu’il parle) comme à un cœur unique, il l’appelle « mon fils ».
Bien d’autres choses pourraient être dites par lesquelles leur ressemblance apparaîtrait clairement. C’est surtout la législation qui rend le bienheureux Père comparable à Moïse. Mais la grandeur des miracles et des signes ne nous le montre pas moins semblable à d’autres hommes excellents. Ainsi nous l’a décrit ce remarquable narrateur de sa vie – je veux dire le pape Grégoire – lui qui l’assimile à d’autres personnages qu’il nomme explicitement, disant entre autres choses : Dans l’eau produite de la pierre on reconnaît Moïse, dans le fer ramené des profondeurs : Elisée ; dans la marche sur l’eau : Pierre ; dans l’obéissance du corbeau : Élie ; dans les pleurs pour la mort de son ennemi, je vois et je nomme :David. Cet homme fut rempli de l’esprit de tous les justes. On ne saurait taire qu’il a été très perspicace soit par le don de prophétie, soit pour discerner les pensées des hommes ou connaître leurs secrets jugements. Mais surtout, parmi les multiples charismes d’en-haut, il fut très éloquent : il a écrit la règle des moines avec une parole lumineuse, brillant surtout par la « discrétion » (discernement) et nos oreilles en sont toutes réjouies, en effet, c’est une grande joie pour les moines qui ont le goût de ce qui est sensé : la providence céleste leur donne un chef et un précepteur si grand que le monde entier peut le reconnaître digne et capable de promulguer la loi d’un genre de vie céleste. Ils se réjouissent donc et, comme s’il allait devant eux, ils le suivent, fixant sur lui la fine pointe de leur esprit. En militant sous sa conduite, ils espèrent être introduits dans le palais du roi des cieux. Et comme ils ne présument rien de leurs propres mérites, ils ont confiance d’y être admis, grâce à l’intercession de ce chef.
Ils regardent souvent vers cette lampe qui brille pour ainsi dire dans le « stade » obscur de cette vie, et grâce à elle, ils voient où doit tendre la marche de leurs œuvres. Le bienheureux Benoît est donc une lumière, une lumière dis-je, posée sur le chandelier, pour que brillant et éclairant – ainsi que la Vérité l’atteste de son précurseur – elle resplendisse pour tous ceux qui sont dans la maison (Matth. V, 13 ; Jn V, 35). Est-ce que celui-ci n’a pas brûlé avec véhémence de l’amour d’en-haut ? Est-ce que par la parole, par les œuvres autant que par la splendeur des signes, il n’a pas réfléchi cette lumière ? C’est donc bien une lampe. Mais comment les légions de moines appelleront-ils plus dignement leur précepteur, mieux leur maître ? Maître, justement, de la même façon qu’Élie est appelé maître d’Élisée, Que la piété filiale l’appelle donc affectueusement lampe. Mais, comme si c’était trop peu, qu’il soit appelé aussi étoile. Et pas n’importe laquelle, mais assez brillante pour éduquer des foules à la justice - comme dit David – pour de perpétuelles éternités. Qu’il soit appelé aussi soleil car il brillera comme un soleil avec les justes, maintenant dans l’Église, et plus tard dans le royaume de leurs pères. Qu’on l’appelle aussi ange car de sa bouche on recherche la loi. Finalement, qu’ils se réjouissent de voir combien il est proprement appelé Béni (Benoît) lui que Dieu a béni à ce point de toute bénédiction spirituelle et par qui tant de personnes posséderont la bénédiction en héritage.
Je déclare que pour ceux qui aiment ce père, il plaît que celui-ci soit appelé d’un tel vocable, car dans l’habitude chrétienne, on a coutume de l’appliquer surtout au nom divin. Qui en effet, parlant avec piété, ne dirait pas « Benoît » ou « bénédiction » lorsqu’il a obtenu quelque chose ? D’autre part, faire résonner ses louanges conviendrait de quelque manière à des hommes qui, selon l’apôtre, savent « quelle est l’espérance de l’appel de Dieu. » (Ephés. I, 18) : c’est-à-dire ceux qui ont reconnu être non seulement appelés à la foi commune aux autres chrétiens, mais encore à gravir un degré supérieur institué par ce père pour ceux qui « n’ont pas reçu en vain cette grâce » mais ont reconnu ce qui leur a été donné par Dieu (II Cor. VI, 1). Et ceux-là, parce qu’ils ont un seul cœur et une seule âme, Dieu les appelle un seul peuple lorsqu’il dit : « Ils m’écoutent de leurs oreilles » Lui que nous avons l’ordre de « louer dans ses saints » (Ps. XVII, 45 ; CL, 1). Mais quels doivent être ceux qui le louent, l’Écriture ne le tait pas lorsqu’elle dit : « Vous qui craignez le Seigneur louez-le » et de même : « Ils loueront le Seigneur ceux qui le cherchent » (Ps. XXI, 24,25). Et à l’inverse elle dit : « La louange n’est pas belle dans la bouche des pécheurs » (Eccl. XV, 9). Que penser de nous qui sommes pécheurs au-delà de toute mesure et qui osons essayer de le louer ? Mais, espérant les richesses de la divine bonté, nous avons cette audace en nous appuyant sur la miséricorde de ce très indulgent « patron ».
En effet, la même Écriture qui dit : « Que le louent les cieux » ajoute aussitôt « et la terre » (Ps. Ps LXVIII, 35), afin que les pécheurs ne désespèrent pas. Car sa miséricorde se multiplie à ce point qu’il sauve son seulement les hommes mais les bêtes. Donc nous aussi, quoiqu’indignes, réjouissons-nous de louer ce père. Et bien que ce ne soit pas à nous d’ouvrir la bouche dans notre confusion, cependant que chacun de nous dise cette parole de Moïse : « Je sais que tu es miséricordieux, Seigneur. » (Ps. XXXV, 8). Attendant dans la crainte et l’espérance que selon la coutume propre aux rois, les coupables soient absous au jour anniversaire de ceux-ci, de même, que ce prince de Dieu, à cause de la joie de sa sainte solennité, délie nos liens. Nous revient également en mémoire ce fait que, parmi les dons précieux des fils d’Israël, certains ont apporté des poils de chèvres (Ex. XXV, 4). Et puisque par ceci est désigné la confession des péchés, offrons du moins ce présent. En vérité, si manquent l’or de la sagesse, l’argent d’une parole de louange, les pierres précieuses des diverses vertus, si fait défaut, enfin, la pourpre de la chasteté, du moins offrons ces poils de chèvres, parce qu’ils pourront plaire eux aussi, accompagnés d’une confession sincère. Sincère bien entendu, car celui qui prend encore plaisir à pécher avec consentement, il est faux de dire qu’il se repente vraiment du passé. Mais pour parler d’une manière humaine, lorsque le père de famille, après un temps d’absence, revient à la maison, toute la famille se réjouit ; même les petits chiens sautent aussi et montrent qu’ils se réjouissent par un mouvement de leurs membres. Et nous aussi, bien qu’à bon droit nous soyons comparés à des bêtes, cependant si en l’honneur de cette solennité qui représente d’une certaine manière le Seigneur, nous nous serons réjouis, nous pourrons espérer des miettes de sa miséricorde comme les petits chiens sous la table. Et cela, non à cause de nous, mais à cause de la bonté du roi évangélique qui a daigné convier à son festin les aveugles et les boîteux (Lc XIV, 13). Il agit avec bonté envers nous, ce même père de famille qui ne dédaigne pas de nous faire participer à ses solennités. Ô combien y en a-t-il qui habitent dans les régions les plus reculées au-delà des mers et qui se réjouiraient grandement si leur était donné la possibilité, ne serait-ce qu’une fois, de se rendre à son saint tombeau ! D’où il nous faut considérer ce qui nous a été donné par Dieu. De peur que si nous sentions moins de révérence en sa présence ou qu’avec un cœur souillé - ce qu’à Dieu ne plaise – nous arrivions vides de tout bien devant lui présence, il ne dise cette parole du prophète : « Mon âme n’est pas attachée à ce peuple » (Is. XV, 1) et de même : « Tu es proche de leur bouche et loin de leurs reins » (Jer. XII, 2). C’est pourquoi, lorsqu’il entrera comme le roi évangélique pour voir ceux qui célèbrent la fête et qui sont attablés pour ainsi dire au festin, il ne faudrait pas que quelqu’un d’entre nous risque d’offenser ses regards paternels par le vêtement du cœur ou du corps (en effet, comme il est rempli de l’esprit de Dieu, rien dans les créatures de Dieu ne peut lui échapper ». Il a dit lui-même : « Toute exaltation s’apparente à la superbe » ; par elle, on se rend abominable à Dieu au plus haut point ; l’Écriture le dit (Dt XXII, 5). Rappelons-nous cependant que pour apaiser le juge d’en-haut ou les autorités du ciel, le souvenir ou la confession des péchés est d’une singulière utilité selon cette phrase : « Si tu as quelque chose, dis-le, afin d’être justifié » (Is. XLIII, 26). « Mon iniquité – dit-il – moi je la connais ». Et c’est pourquoi il demande avec une quasi-assurance : « Détourne ta face de mes péchés » (Ps. L. 11). Mais celui qui veut voir quelle est la « face » de son mérite, il faut qu’il regarde dans ce miroir, c’est-à-dire qu’il pèse avec soin les actes de ce bienheureux confesseur. En inspectant ses actions, autant que notre petitesse le peut, nous pourrons voir dans quel abîme nous sommes, ou bien, combien lui-même est sublime. C’est pourquoi, de tout pénitent, il est écrit . « Qu’il regarde les hommes – c’est-à-dire les saints – et qu’il dise j’ai péché. » (Job, XXXIII, 27). Parce que, autant il considère leur beauté, autant il se voit déformé. L’utilité que l’on tire de cette confession, cela est signalé dans le même endroit lorsqu’il est dit : « Libérons-le de la superbe et de ce qu’il commis afin qu’il n’aille pas à la perdition .» (Ibid. 17) . Mais puisque l’Ecriture ordonne : « Le jour du Seigneur est saint, ne soyez pas tristes » (II Esdr. VIII, 10), laissons tomber tout ce qui est triste en nous ou de nous, et comme si l’époux était avec nous aujourd’hui, osons nous réjouir. Offrant pour ainsi dire le présent de notre confession aux pieds de sa paternelle bonté, relevons-nous pour le louer et l’admirer de toute notre force. Les louanges, on les clamera d’une voix d’autant plus haute qu’on l’aimera plus ardemment ou qu’on scrutera sa vie avec plus de soin, elle qui, depuis le début, est digne de toute admiration. En effet, comme il est magnifique, ce fait qu’ayant abandonné les richesses paternelles, il ait pris le Saint-Esprit, pour ainsi dire, comme domicile dans sa sainte petite poitrine, lui qui, avec une âme déjà grande, a osé affronter la vaste solitude du désert. Et cela, Martin lui-même, si admiré du monde entier, ne l’a pas fait, d’après ce qu’on rapporte de lui. Et parce qu’il a « porté le joug » non seulement « depuis l’adolescence » mais depuis l’enfance (Lament. III, 25), comme Jérémie le dit ensuite : « Il s’est assis solitaire » dans le céleste capitole. Et il est clair que ce n’est pas sans un dessein providentiel de Dieu qu’il a expérimenté en lui-même l’aiguillon si fort de la tentation. En effet, de même que Pierre, le chef des bons, a d’abord été révélé à lui-même avant d’être mis à la tête du troupeau de Dieu, de même pour celui-ci qui devait être miséricordieux envers ceux qui lui sont soumis. Cependant il a vaincu fortement dès le principe la violence de l’attaque à tel point qu’ensuite, il n’en a plus rien ressenti. Avec quelle soumission et quelle netteté on doit préférer le bien commun au bien privé, ce maître de discipline spirituelle le montre par ses actes. Car à peine eut-il gagné cette chère solitude qu’il la quitta en se vainquant lui-même pour satisfaire aux vœux des suppliants. Mais comme ses actions saintes et admirables sont notoires, nous n’en parlerons pas pour le moment. Cependant, pour son honneur, mentionnons que ce n’est pas n’importe quel autre maître de l’Église qui a relaté la vie d’un tel père mais l’insigne et très éloquent pape Grégoire : tout ce qu’il a écrit brille comme de l’or.
Par une disposition divine, cet excellent législateur a été mis en évidence par Dieu de différentes façons, ce qui assure le plus son autorité étant le fait que le souverain pontife du siège apostolique a écrit sa vie. Et cette vie grâce au « Dialogue » de ce pape sera connue de beaucoup, et pas seulement chez les latins mais aussi chez les grecs. Et qu’on n’omette pas ceci qui doit être pour nous un grand sujet de joie : le bon plaisir divin nous a donné qu’une telle splendeur soit venue dans notre région du couchant. Et ce n’est pas sans raison, nous le croyons, que se soit produit ceci :que le disciple aimé de façon unique, je veux dire le bienheureux Maur, se soit dirigé de son vivant vers cet endroit et qu’il ait voulu finalement s’y établir. Et puisque cet esprit sanctifié fut à ce point dilaté qu’il voyait le monde entier ensemble, peut-être a-t-il choisi ce lieu spécialement par quelque intention secrète. Quiconque aura vu combien ce lieu est désirable pour toujours et pour tant de monde ne refusera pas d’admettre en quelle haute estime on doit le tenir et avec quelle révérence il doit être honoré. On a coutume d’évaluer le poids d’une accusation non seulement en fonction du degré d’intelligence de l’inculpé et des circonstances, mais aussi du lieu : par conséquent, la voix divine adresse un plus grand reproche lorsqu’elle porte plainte contre l’impie en disant. « Dans la terre des saints il a agi iniquement et il ne verra pas la gloire du Seigneur » (Is. XXVI, 10) et de même : « Mon bien-aimé a fait le mal dans ma maison. » (Jérém. XI, 15). Par ailleurs, celui que la présence d’un tel père n’incline pas à la révérence semble participer à l’esprit de Judas. Lui dont ni la vue, ni les paroles ni le partage de la table du seigneur en personne n’ont ramolli la dureté. Examinons donc ce qui nous a été donné par Dieu et ne recevons pas en vains la grâce offerte. Qu’un tel éclat illumine la cécité de notre esprit, qu’une telle bonté amollisse notre dureté. Qu’une médecine si puissante guérisse nos blessures. Si, encore petit enfant, il a réparé le crible au point que la cassure ne soit même plus visible, nous qui par grâce sommes appelés des vases d’honneur dans la maison de Dieu, vu que nous souffrons de nombreuses fractures dues à nos péchés, nous pourrons être réparés par le même médecin qui est déjà associé à son roi. Si la noirceur des crimes a altéré notre couleur, ne soyons pas comme les Éthiopiens qui ne changent pas de peau, mais, en ayant recours à sa mains secourable, demandons-lui, comme le corbeau, une bouchée de miséricorde. Si à bon droit nous sommes comptés parmi les individus injurieux, demandons-lui cette affection qui le fit pleurer pour celui qui le haïssait. Et, malgré leur indignité, il n’aura pas d’aversion pour ceux qui le supplient lui qui se lamentait pour celui qui persévérait dans la malice. Réjouissons-nous donc et à l’égard de notre maître, manifestons nos sentiments d’amour avec toute la force dont nous sommes capables. En effet de nombreux péchés ont été remis à Marie parce qu’elle a beaucoup aimé (Luc VII, 47).
Finalement, chacun doit désirer « ajouter aux louanges » de ce prince de Dieu selon l’expression du psalmiste, mais s’il est en notre pouvoir de manifester notre affection, jamais nous ne serons capables d’accomplir à la perfection une telle tâche. C’est pourquoi, ce n’est pas seulement une voix, une seule assemblée, ni une seule ville ou province qui proclame ses louanges, mais partout où l’Évangile est répandu, la louange de Benoît est célébrée par les tribus, par les nations, par les langues. Si « un peuple nombreux assure la notoriété d’un roi » comme le dit Salomon (Prov. XIV, 28), quelle sera – pensons-nous – la notoriété de ce roi suivi d’une armée de moines si nombreuse ? Quel roi ou quel empereur a jamais commandé en tant de parties du monde ou a enrôlé des légions originaires de nations si diverses, en dispose de si nombreuses engagées librement par serment dans la milice du Christ, de tout sexe et âge ? Ils regardent vers lui comme s’il était présent et en suivant l’étendard de son institution, ils brisent virilement les lignes diaboliques. Cette parole prophétique leur convient : « Tes yeux verront celui qui t’instruit » (Is. XXX, 20). Enfin c’est une opinion digne de foi que chacun des saints se lèvera avec ceux-ci lors de la régénération que le Seigneur nous a acquise. Lors donc que tous ceux qui ont suivi cette institution seront convoqués en un seul lieu, quel signe pour l’apostolat de Benoît constituera cette nombreuse armée ? Quel frémissement de joie pour celui qui aura pu se mêler à ces cohortes ! Que tous maintenant dirigent le regard de leur cœur vers lui, proches par le lieu ou par l’affection. Il s’est fait tout à tous. Dans son enfance, les enfants trouvent un modèle : qu’ils le suivent ! Afin que, ayant été offerts à Dieu à l’instar d’Isaac, ils se gardent de laisser fermenter leurs prémices. Et ensuite, dans la succession des années, qu’ils soient parfaits en bon sens afin que, nourris par sa paternelle bonté, ils ne dégénèrent pas. De peur que s’ils tombent d’un degré si excellent, leur chute ne soit d’autant plus lourde. Mais nous aussi qui avons failli, quelque nous soyons, ne nous décourageons nullement d’espérer dans sa clémence, parce que, de son vivant et après son décès, il a ressuscité des morts, réparé ce qui était brisé, soigné ce qui était désespéré.
Et quoique nous n’ayons pas fait sa volonté, invoquons-le comme notre maître et que nos yeux soient toujours fixés sur ses mains jusqu’à ce que lui-même se tourne vers nous et aie pitié de nous. Que Benoît soit toujours dans notre cœur, Benoît à la bouche, Benoît dans nos actes afin que (pour emprunter le langage de l’apôtre) s’il y a quelque vertu, quelque louange de conduite, que nous voyons en lui, que nous entendons de lui ou par lui : nous suivions cela afin qu’il soit avec nous. Dieu de paix par lui, pour les siècles des siècles ! Amen.
Voir aussi : http://www.narthex.fr/blogs/abbaye-de-cluny-910-2010/labbatiat-dodon-927-942/?searchterm=None
http://www.narthex.fr/blogs/abbaye-de-cluny-910-2010/labbatiat-dodon-927-942-2eme-partie/?searchterm=None
http://www.traditioninaction.org/SOD/j204sd_OdoCluny_11-18.html