Texte de La Légende
dorée (Legenda aurea, v.1261-1266, Jacques de VORAGINE) :
http://www.abbaye-saint-benoit.ch/voragine/index.htm
EXTRAIT :
L'ANNONCIATION DE
NOTRE-SEIGNEUR
L'annonciation du Seigneur, est ainsi appelée parce que, à pareil jour, un ange
annonça l'avènement du Fils de Dieu dans la chair. Il a été convenable que
l’incarnation du Fils de Dieu fût précédée par l’annonciation de l’ange, et
cela pour trois raisons : 1° pour conserver un certain ordre, savoir : afin que
l’ordre de la réparation correspondît à l’ordre de la prévarication. Car de
même que le diable tenta la femme pour l’amener au doute, du doute au
consentement, du consentement à la chute, de même l’ange annonça à la Vierge
pour l’exciter à la foi, par la foi au consentement et par le consentement à ce
qu'elle conçût le Fils de Dieu ; 2° à raison du ministère de l’ange; car l’ange
étant le ministre et le serviteur du Très-Haut, et la bienheureuse Vierge ayant
été choisie pour être la mère de Dieu, il est de toute convenance que le
ministre serve la maîtresse, il était donc juste que l’annonciation fût faite à
la Sainte Vierge par le ministère d'un ange; 3° pour réparer la chute de
l’ange. En effet puisque l’incarnation n'avait pas seulement pour objet de
réparer la chute de l’homme, mais aussi de réparer la ruine de l’ange, les
anges n'en devaient donc pas être exclus. Et comme la femme n'est pas exclue de
la connaissance du mystère de l’Incarnation et de la résurrection, de même
aussi le messager angélique ne le doit pas ignorer. Il y a plus, Dieu a annoncé
à la femme l’un et l’autre mystère par le moyen d'un ange, savoir :
l’Incarnation à la Vierge Marie et la résurrection à Marie-Madeleine.— La
bienheureuse Vierge étant donc restée depuis la troisième année de son âge
jusqu'à la quatorzième dans le temple avec les autres vierges, et ayant fait
voeu de conserver la chasteté, à moins que Dieu n'en disposât autrement, Joseph
la prit pour épouse après qu'il en eut reçu une révélation divine, et que son
rameau eut reverdi, ainsi qu'il est rapporté plus au long dans l’histoire de la
Nativité de la bienheureuse Marie. Il alla à Bethléem, d'où il était
originaire, afin de pourvoir à tout ce qui était nécessaire pour les noces ;
quant à Marie, elle revint à Nazareth dans la maison de ses parents. Nazareth
veut dire fleur. « Ainsi, dit saint Bernard, la fleur voulut naître d'une
fleur, dans une fleur, et dans la saison des fleurs. » Ce fut donc là que
l’ange lui apparut et la salua en disant : Je vous salue, pleine de grâce,
le Seigneur est avec vous, vous êtes bénie entre les femmes. Saint Bernard
s'exprime ainsi : « L'exemple de Gabriel nous invite à saluer Marie, comme
aussi le tressaillement de saint Jean ; ainsi que le profit que nous retirons
du consentement de la Bienheureuse Vierge. » Mais ici, il convient de
rechercher les motifs pour lesquels le Seigneur a voulu que sa mère se mariât.
Saint Bernard en donne trois raisons : « Il fut nécessaire, dit ce Père, que
Marie fût mariée avec Joseph, puisque 1 ° par là le mystère reste caché aux
démons; 2° l’époux est le garant de la virginité ; 3° et la pudeur, comme la
réputation de la Vierge, est sauve ; 4° c'était afin que l’opprobre fût effacé
dans toutes les conditions de la femme, savoir, dans les mariées, les vierges
et les veuves : trois conditions dans lesquelles se trouva la Vierge elle-même
; 5° afin qu'elle pût recevoir des services de son époux; 6° pour être une
preuve de la bonté du mariage; 7° pour que la suite de sa généalogie fût
établie par son mari. Or, l’ange lui dit Salut, pleine de grâce. Saint
Bernard dit en expliquant ces mots : « La grâce de la divinité est dans son
sein, la grâce de la charité dans son coeur, la grâce de l’affabilité dans sa
bouche : dans ses mains la grâce de la miséricorde et de la largesse. » Il
ajoute : « Elle est vraiment pleine; car de sa plénitude tous les captifs
reçoivent rédemption ; malades, guérison ; tristes, consolation ; pécheurs,
pardon ; justes, grâce ; anges, allégresse ; enfin toute la Trinité, gloire, le
Fils de l’homme, substance de la chair humaine. » Le Seigneur est avec
vous : « Avec vous est le Seigneur qui est Père, qui a engendré celui que
vous avez conçu : le Seigneur Saint-Esprit, duquel vous avez conçu; et le
Seigneur Fils que vous revêtez de votre chair. » Vous êtes bénie entre les
femmes, c'est-à-dire, par dessus toutes les femmes, car en effet vous serez
mère et vierge et mère de Dieu. Les femmes étaient sujettes à une triple
malédiction d'opprobre, malédiction de péché et malédiction de supplice : la
malédiction d'opprobre atteignait celles qui ne concevaient point, ce qui fait
dire à Rachel : « Le Seigneur m’a tirée de l’opprobre où j'ai été ». (Genèse,
XXX, 20) ; la malédiction du péché était pour celles qui concevaient : ce qui
fait dire à David : « Voilà que j'ai été conçu dans les iniquités » (Ps. L). La
malédiction du supplice affligeait celles qui enfantaient : il est dit dans
la Genèse (III) : « Vous enfanterez dans la douleur. » Seule la
Vierge Marie est bénie entre toutes les femmes ; elle dont la virginité est
unie à la fécondité, dont la fécondité est unie à la sainteté dans la
conception, et à la sainteté de laquelle vient se joindre la joie dans
l’enfantement. Elle est pleine de grâces, au témoignage de saint Bernard ; pour
quatre raisons, qui brillèrent en son esprit : ce furent la dévotion de
l’humilité, le respect de la pudeur, la grandeur de sa foi, et le martyre de
son coeur.
On ajoute : Le Seigneur est avec vous, pour quatre qualités qui
resplendirent du ciel en sa personne (c'est encore la pensée de saint Bernard).
Ce sont la sanctification de Marie, la salutation angélique, la venue du
Saint-Esprit et l’Incarnation du Fils de Dieu. Il est dit encore : Vous
êtes bénie entre les femmes, pour quatre autres privilèges qui, d'après saint
Bernard, resplendirent en sa chair : elle fut la reine des vierges, féconde
sans corruption, enceinte sans être incommodée, elle mit au monde sans douleur.
— Aussitôt qu'elle eut entendu, elle fut troublée du discours de l’ange et
elle examinait en elle-même ce que c'était que cette salutation. Elle fut donc
troublée du discours de l’ange, mais non de son apparition, parce que la
bienheureuse Vierge avait souvent vu des anges, mais elle ne les avait jamais
entendu parler de cette manière. « L'ange, dit saint Pierre de Ravenne, était
venu doux en apparence, mais terrible en ses paroles. Aussi celui dont la vue
l’avait doucement réjouie, la troubla quand il parla. Le trouble qu'elle
ressentit, dit saint Bernard, est l’effet de sa pudeur virginale ; si elle ne
fut pas troublée outre mesure, elle le dut à sa force d’âme ; en se taisant et
en réfléchissant, elle donnait une preuve de prudence et de discrétion.» Et
alors l’ange la rassura et lui dit : « Ne craignez point, Marie, vous avez
trouvé grâce auprès du Seigneur. » « Vous avez trouvé, ajoute saint
Bernard, la grâce de Dieu, la paix des hommes, la destruction de la mort, la
réparation de la vie. » — Voici que vous concevrez et que vous enfanterez un
fils, et vous lui donnerez le nom de Jésus, c'est-à-dire, de Sauveur, car il
sauvera son peuple de ses péchés. Il sera grand et sera appelé le Fils du
Très-Haut. » Ce qui signifie, dit saint Bernard : celui qui est le grand
Dieu, sera grand, c'est-à-dire, grand homme, grand docteur, grand prophète. »
Alors Marie dit à l’ange : Comment cela se pourra-t-il faire, puisque je
ire connais point d'homme ? c'est-à-dire, puisque je ne me propose pas
d'en connaître. Elle fut donc vierge, d'esprit, de coeur et de propos délibéré.
Mais voilà que Marie interroge ; or, qui interrogé, doute. Pourquoi alors n'y
eut-il que Zacharie qui ait été frappé de mutisme ? Sur cela saint Pierre de
Ravenne apporte quatre raisons : « Celui dit-il, qui connaît les cours, ne
considère pas seulement les paroles, mais le fond même des coeurs, il a porté son
jugement non pas sur ce qu'ils ont dit, mais sur ce qu'ils ont pensé. La cause
par laquelle ils interrogent n'est pas pareille, leur espérance n'est pas la
même. Marie a cru contre la nature, Zacharie a douté pour la nature. Celle-ci
s'informe de l’enchaînement des faits ; l’autre prétend impossibles les choses
que Dieu veut être faites. Celui-là, malgré es exemples qui l’y poussent, ne
parvient pas à la foi ; celle-ci y accourt sans avoir de modèle. Elle admire
qu'une vierge enfante et il contesta la conception. Marie ne doute donc pas du
fait, mais elle en demande le mode et les circonstances : car comme il v a
trois modes de conception, le naturel, le spirituel et le merveilleux, elle
s'informe de quel mode elle doit concevoir. Et l’ange lui répondit en disant
: Le Saint-Esprit viendra en vous, et lui-même opérera la conception en,
vous. C'est pour cela que l’on dit : qui a été conçu, du Saint-Esprit,
pour quatre raisons.
1° Pour montrer que c'est par l’ineffable charité divine que le Verbe de Dieu
s'est fait chair : « Dieu a tellement aimé le monde, dit saint Jean (III),
qu'il lui a donné son Fils unique. » C'est la raison qu'en donne le Maître des
sentences (Pierre Lombard, évêque de Paris). 2° Pour faire voir qu'il y a ici
une grâce accordée sans qu'elle eût été méritée, en sorte que quand on dit
: qui a été conçu du Saint-Esprit, il reste démontré que c'est l’effet
seulement d'une grâce qui n'a été précédée par aucun mérite de la part des
hommes. Cette raison est de saint Augustin. 3° Pour montrer que c'est par la
vertu et par l’opération du Saint-Esprit qu'il a été conçu. Cette raison vient
de saint Ambroise. 4° Pour le motif de la conception, et cette raison est celle
de Hugues de Saint Victor. Il dit que le motif de la conception naturelle,
c'est l’amour du mari pour sa femme, et de la femme pour son mari : « Il en fut
de même dans la Vierge, dit-il, parce que l’amour du- Saint-Esprit brûlait
singulièrement dans son coeur, alors l’amour du Saint-Esprit opérait des
merveilles dans sa chair. » Et la vertu du Très-Haut vous couvrira de son
ombre. Ce qui s'explique ainsi d'après la glose: L'ombre se forme ordinairement
de la lumière et d'un corps interposé : La vierge, aussi bien qu'un pur homme,
ne pouvait prendre la plénitude de la divinité, mais la vertu du Très-Haut
vous couvrira de son ombre, alors que dans Marie, la lumière incorporelle de la
divinité a pris le corps de l’humanité, afin qu'ainsi il fût possible à Dieu de
souffrir. Saint Bernard paraît toucher cette explication quand il dit : « Parce
que Dieu est esprit, et que nous sommes l’ombre de son corps, il s'est abaissé
jusqu'à nous afin que par le moyen de la chair vivifiée, nous voyions le Verbe
dans la chair, le soleil dans le nuage, la lumière dans la lampe, et la
chandelle dans la lanterne. » Voici comment saint Bernard explique encore ce
passage : « C'est comme si l’ange disait : ce mode par lequel vous concevrez du
Saint-Esprit, J.-C., la vertu de Dieu le cachera de son ombre dans son asile le
plus secret, afin qu'il soit connu de lui et de vous seulement. C'est comme
s'il disait encore : Pourquoi me demandez-vous ce que vous allez éprouver en
vous-même? Vous le saurez, vous le saurez, oui, heureusement vous le saurez,
mais, ce sera par L'entremise du docteur qui sera en même temps auteur. J'ai
été envoyé pour annoncer la conception virginale, mais non pour la créer. Ou
bien encore : il vous couvrira de son ombre, c'est-à-dire, il éteindra en vous
l’ardeur du vice. » Et voici que votre cousine Elisabeth a conçu un fils
dans sa vieillesse. L'ange dit : voici ; pour montrer qu'il avait
opéré dans le voisinage une grande nouveauté. Il y a quatre causes pour
lesquelles la conception d'Elisabeth est annoncée à Marie; elles sont de saint
Bernard.
La première c'est le comble de l’allégresse, la seconde la perfection de la
science, la troisième la perfection de la doctrine, la quatrième la
condescendance de la miséricorde. Voici en effet les paroles de saint Jérôme :
« La conception d'une cousine stérile est annoncée à Marie, afin de causer joie
sur joie, alors qu'à un miracle vient se joindre un autre miracle : ou bien
c'est qu'il était tout à fait convenable que la vierge apprit de la bouche de
l’ange, avant de le connaître par un homme, une parole qui devait être
divulguée, en tous lieux, afin que la mère de Dieu ne parût pas écartée des
conseils de son fils, si elle restait dans l’ignorance des événements qui
arrivaient si près d'elle sur la terre. Ou plutôt encore, Marie, instruite et
de l’avènement du Sauveur, et de celui du Précurseur, quant au temps et à
l’enchaînement des faits, pouvait dans la suite découvrir la vérité aux
écrivains et aux prédicateurs de l’Evangile ; ou bien, afin que sachant que sa
cousine déjà vieille et cependant enceinte, Marie qui était toute jeune encore,
pensât à lui être utile, et donner au petit prophète Jean le moyen de faire sa
cour au Seigneur et d'opérer, eu présence d'un miracle, un miracle plus
admirable encore. » Plus loin saint Bernard dit : « O vierge, hâtez-vous de
répondre. O ma dame, répondez une parole et recevez, le verbe, prononcez-vous
et recevez la divinité, dites un mot qui ne dure qu'un instant et renfermez en
vous l’éternel. Levez-vous, courez, ouvrez. Levez-vous pour prouver votre foi,
courez pour montrer votre dévouement; ouvrez pour donner une marque de votre
consentement. » Alors Marie, étendant les mains et tournant les, yeux vers le
ciel : Voici, dit-elle, la servante dit Seigneur, qu'il me soit fait
selon votre parole. Saint Bernard s'exprime ainsi: « On rapporte que les uns
ont reçu le Verbe de Dieu dans l’oreille, les autres dans la bouche, et dans la
main. Pour Marie elle 1'a reçu dans son oreille, par la salutation angélique;
dans son coeur, par la foi; dans sa bouche, par la confession; dans sa main,
par le toucher; dans son sein, par l’incarnation; dans son giron, quand elle le
tenait dans ses bras, lorsqu'elle l’offrit : » Qu'il me soit fait selon
votre parole. Saint Bernard explique ainsi ce passage : «Je ne veux point qu'il
me soit fait en forme de parole vide et déclamatoire, ni en figure, ni en
imagination ; mais je veux qu'il descende en moi par l’inspiration calme du
Saint-Esprit, que sa personnalité prenne chair, et qu'il habite corporellement
en mon sein. » Et aussitôt le Fils de Dieu fut conçu en ses entrailles ; il
réunissait les perfections d'un Dieu et les perfections d'un homme, et dès le
premier jour de sa conception,, il avait, la même sagesse, la même puissance
que quand il atteignit l’âge de trente ans. Alors Marie partit, s'en alla vers
les montagnes de la Judée chez Elisabeth et après qu'elle l’eut saluée, Jean,
tressaillit, dans le sein de sa mère. La glose dit : Ne le pouvant faire avec
la langue, il tressaille de coeur pour saluer J.-C. et commencer l’office de
Précurseur. La sainte Vierge aida sa cousine, pendant trois mois, jusqu'à la
naissance de saint Jean qu'elle leva de terre de ses mains ; comme on lit dans
le Livre des Justes. Ce fut à pareil jour, dit-on, que dans le cours des
temps, Dieu opéra quantité de merveilles racontées par un poète dans les beaux
vers suivants :
Salve, festa dies, quae vulnera nostra coerces,
Angelus est missus, et passus in cruce Christus.
Est Adam factus et eodem tempore lapsus,
Ob meritum decimae cadit Abel fratris ab ense.
Offert Melchisedech, Ysaac supponitur aris.
Est decollatus Christi baptista beatus.
Est Petrus ereptus, Jacobus sub Herode peremptus.
Corpora Sanctorum cum Christo multa resurgunt.
Latro dolce tamen per Christum suscipit, amen *.
*Voici comme maistre Jean-Batallier traduit cette poésie :
le frère Iehan qui translatay ce liure les vueil aussi mettre en frâcays en la
manière qui s’en suit.
Ie, te salue iour tressait
Qui nez plaies nous restrains.
Lange y fut envoie ce iour
Dieu y souffrit mort ce iour
A ce leur fut fait Adam home :
Et a ce tour mordit en la pomme.
Abel fut occis pour sa disme
De son propre frère mesmes.
Melchisedech offrit a lautel :
Abraham fist de Ysaac autel,
Et Herode par son meschief
Coppa a Baptiste le chief.
Pierre sa prison renua :
Et Herode iaqs tua.
Avecques Dieu sa compaignie
Suscita corps saintz grant partie,
Le larron qui eut en memoire
Ihesucrist, fust mis en sa gloyre.
Un soldat riche et noble (La chronique de Grancey intitulée Roue de fortune,
commentée par le P. Viguier, raconte ce fait comme étant arrivé au fils du
comte de Blammont lequel épousa la sixième fille de Grancey -- Cf. Paulin
Paris, Cabinet historique, t. l, p. 135) renonçant au siècle, entra dans
l’ordre des Cisterciens et parce qu'il ne savait pas les lettres ; les moines
n'osant pas renvoyer chez les laïcs un si noble personnage, lui donnèrent un
maître, pour savoir si par aventure il pourrait apprendre quelque chose et, par
ce moyen, le faire rester chez eux. Mais après avoir reçu pendant bien du temps
les leçons de son maître, il ne put apprendre rien absolument que ces deux mots
: Ave Maria. Il les retint avec un tel amour que partout où il allait, en
tout ce qu'il faisait, à chaque instant il les ruminait. Enfin il vient à
mourir et il est enseveli avec les autres frères dans le cimetière : Or, voici
que sur sa tombe pousse un lys magnifique et sur chaque feuille sont écrits en
lettres d'or ces mots : Ave Maria. Tout le monde accourut pour contempler
un si grand miracle. On retira la terre de la fosse et on trouva que la racine
du lys partait de la bouche du défunt. On comprit alors avec quelle dévotion il
avait répété ces deux mots, puisque Dieu le rendait illustre par l’honneur d'un
si grand prodige (Thomas de Catempée, Denys le Chartreux, etc., rapportent
aussi cette merveille).— Un chevalier, dont le castel était sur un grand
chemin, dépouillait sans merci tous les passants. Cependant tous les jours il
saluait la Vierge mère de Dieu et quelque empêchement qui lui survînt, il ne
voulut jamais passer un jour sans réciter la salutation angélique. Or, il
arriva qu'un saint religieux vint à passer par là et le chevalier dont il est
question ordonna de le dépouiller aussitôt. Mais le saint homme pria les
brigands de le conduire à leur maître parce qu'il avait quelques secrets à lui
communiquer. Amené devant l’homme d'armés, il le pria de faire assembler toutes
les personnes de sa famille et de son castel pour leur prêcher la parole de
Dieu. Quand on fut réuni, le religieux dit : « Certainement vous n'êtes pas
tous ici ; il manque encore quelqu'un. » Comme on l’assurait qu'ils y étaient
tous : « Cherchez bien, reprit le voyageur, et vous trouverez qu'il manque
quelqu'un. » Alors l’un d'eux s'écria que le camérier seul, n'était pas venu.
Le religieux dit : « Oui, c'est lui seul qui manque.» On envoie aussitôt le
chercher et il se plaça au milieu des autres. Mais en voyant l’homme de Dieu,
il roulait des yeux affreux, agitait la tête comme un fou et n'osait
s'approcher de plus près. Alors le saint homme lui dit : « Je t'adjure, par le
nom de J.-C., de nous dire qui tu es et de découvrir en présence de l’assemblée
le motif qui t'a conduit ici. » Et celui-ci répondit « Hélas ! c'est parce que
je suis adjuré et bien malgré moi que je suis forcé de me découvrir : en effet
je ne suis pas un homme, mais un démon qui a pris la figure humaine et je suis
resté sous cette forme depuis quatorze ans avec ce seigneur : notre prince m’a
envoyé ici pour observer avec le plus grand soin le jour qu'il ne réciterait
pas la salutation à sa Marie, afin que je m’emparasse de lui et l’étranglasses
aussitôt en mourant ainsi dans ses mauvaises actions, il aurait été des nôtres
: car chaque jour qu'il disait cette salutation, je ne pouvais avoir puissance
sur lui : de jour en jour je le surveille avec la plus grande attention et il
n'en a passé aucun sans la saluer. » En entendant, cela le chevalier tomba dans
une véhémente stupeur, se jeta aux pieds de l’homme de Dieu, demanda pardon et,
dans la suite, il changea de manière de. vivre. Alors le saint homme dit au
démon : « Je te commande, démon, au nom de N. S. J.-C., de t'en aller d'ici, et
de ne plus revenir désormais en un lieu où tu auras l’audace de nuire à
quiconque invoquera la glorieuse mère de Dieu. » Immédiatement après cet ordre,
le démon s'évanouit et le chevalier laissa aller l’homme de Dieu libre, après
lui avoir témoigné respect et remercîments (Un livre intitulé : Fleurs des
exemples, rapporte cette légende comme extraite d’un Anselme qui a écrit un
livre de Miracles, c. XV).